Samsa
- "Je t'offre un titre formidable,
La ballade des gens heureux.
Je t'offre un titre formidable,
La ballade des gens heureux." (Gérard Lenormand - La ballade des gens heureux)
-Mais vas-y ! Pousse pardi ! Alleeeeez té !
Pendant que Cerbère tire sur ses bras pour atteindre la première branche de l'arbre, Yohanna lui fait la courte-échelle. C'est que Samsa n'a jamais grimpé aux arbres et que la tâche n'est guère simplifiée ni par la cotte de maille sous sa chemise, ni par l'épée à sa taille. Péniblement et maladroitement, elle se hisse avec l'aide bienvenue de l'amie en dessous, cette petite brune rencontrée un jour à Pau, bestiole maniant sans doute bien la hache puisqu'il s'agissait là de son surnom. A moins que ce soit une arnaque monumentale, un bluff spectaculaire ? Peu importe à vrai dire et tester maintenant n'était guère une bonne idée puisque si l'arbre tombait sous la hache de Yohanna, Samsa tomberait également.
A présent assise sur la première branche, Cerbère a accès aux autres et peut grimper seule. Dans un tel arbre, mieux valait être canin et point félin parce que c'était un coup à rester coincée en haut à ne pas pouvoir redescendre ça.
-T'as besoin d'aide pardi ?
Les petits yeux sombres royaux s'abaissent pour regarder l'amie qui n'est guère plus gâtée par la hache à sa taille et par son âge, un peu plus élevé que celui de Samsa. Déjà qu'elle n'était plus si jeune, la Prime Secrétaire Royale... Mais à vingt-six ans maintenant, son visage aux quelques traits figés respirait une maturité assez bien cachée et ses cheveux doucement ondulés jusqu'au bas de ses omoplates persistaient à ne pas pencher en faveur du brun ou du roux.
La Cerbère, détentrice d'une solide carrure charpentée que lient des muscles courts mais racés, se met sur le ventre en travers de la branche pour tendre sa main gantelée de combat à la brune. Sac à patates.
-Tiens attrape té ! Je t'aide pardi !
Et râle pas, fallait mieux éduquer tes pigeons pardi !
Ainsi donc, c'était la raison de cette escalade acrobatique et pour l'instant en court de réussite précaire : un pigeon messager qui avait préféré aller roucouler dans un nid étranger plutôt que de regagner la sécurité du pigeonnier. Et de livrer le message à la Hache, accessoirement. A deux, elles avaient plus de chances de saisir le volatile, et puis si l'une tombait, l'autre serait toujours en course. Putain, il y avait intérêt à ce que ce message renferme des choses importantes !
Yohanna ayant enfin décollé du sol, peut-être même sans l'aide de Samsa, celle-ci rencontre cependant un second problème : se redresser.
-... Humpf... ! Merde pardi... J'suis coincééééééée té !
Cerbère gigote, bras et jambes pendant lamentablement dans le vide, branche en travers du ventre. Elle tente des techniques plus ou moins homologuées par le CNRB -Comité National de Redressement de Branches- mais rien à faire; Samsa est certes costaude, mais elle a la souplesse d'un manche à balai -c'est-à-dire pas énorme du tout-. Continuant de s'agiter comme un chien en cage, ce qu'elle est à peu de choses près, Samsa lève un regard minable et implorant vers Yohanna, la face rougie d'avoir la tête en bas ou presque.
-Au secours pardi ?
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