Ansoald L'automne est le début de la belle saison. Quand il fait beau et que l'air est froid, quand des manteaux couvrent les épaules et les menus larçins au fond des manches. Ansoald n'a pas besoin d'argent. Le blondin le comble de largesses, et pas que....Mais avoir les poches pleines rend l'esprit lourd et méfiant. Ansoald s'en fiche, tout comme de construire une maison. Ce qu'il veut, c'est peser de toute son impertinence sur les sourcils de Nicolas, que l'écuyer s'indigne de ses filouteries et tente de le remettre à sa place, et l'objet avec, si possible. Or, ils brisent la morale dans des éclats de rire, lui complice et l'autre amant et réciproquement.
Ils se dissimulaient, dans des chambres, des granges abandonnées, des forêts. De moins en moins il se cachent. Quoi? En présence l'un de l'autre, tout le monde semble deviner qui il sont l'un pour l'autre. Alors, ils profanent des tavernes, des coins de table, des bouts de rue, des murs entiers. Ils s'étalent, tantôt confiture ou tranche de pain. A Angers, ils sont tranquilles. Ils se sentent invincibles. L'Anjou est une terre sans Roy ni Dieu. Ansoald monte sur un tonneau, le renverse d'un coup de pied et commence à courir dessus. Comme s'il s'échappait, voleur fuyant la maréchaussée. L'aconit se gondole, mais ce manège agace les commerçants. Ils riaient et chantaient trop fort au milieu de ces jeux d'argent, voilà désormais que le brun chahute le mobilier urbain. Enfle le scandale. Alors, il saute sur les épaules du blond, et le pousse à cavaler hors de portée de ces imprécations.
Mais l'écuyer est un cheval récalcitrant, surtout quand il sent une chose dure lui taper le dos. Hilare, Ansoald descend de son perchoir et lui montre: en tirant sur le ceinturon, de ses braies dépasse une tête de bonne femme. Il a volé une statue votive! Nicolas s'agace, de lourds nuages roulent sur son front. Anso le comprend et le tire à l'écart, en le prenant par le bras et pour le persuader, plaque un baiser plein d'impudence dans le cou du blondin. Une ruelle déserte offre l'asile parfait à leur petite réconciliation. Ils ne peuvent pas s'empêcher bien longtemps de rire. D'un geste théâtral, Ansoald offre à Nicolas la statuette.
L'amour les rend aveugles à leur environnement.
Ansoald Leurs rires se sont tus. Le soleil brille au zénith mais, au levant et au couchant, deux formes noires barrent l'horizon. Ce sont des hommes d'armes, équipés pour la guerre. Leurs trognes patibulaires semblent hermétiques à tout sentiment. Leur présence stupéfie Ansoald. Il se trouve brutalement plongé dans un monde qui n'est pas le sien, face à des enjeux qui le dépassent. Que le prince ait l'audace de jeter ses sbires dans les rues de la capitale de l'archiduché était une chose inconcevable pour lui. Ansoald cherche d'une main fébrile son coutelas, une lame grossière fichée dans un manche de bois vermoulu. En vain: cette arme, compagne inséparable des jours d'inquiétude, se trouve oubliée dans leur chambre. Il n'est pas en mesure de se défendre. Ansoald serre les poings, mais ce n'est pas grand chose face à une armure.
A l'instinct, Ansoald vise les murs. Ils offrent des prises indécelables pour l'oeil non exercé. Or, il comprend très vite que, sur ce terrain, Nicolas ne pourra le suivre. Des pensées dérangeantes affluent en son esprit, pour le pousser à déguerpir. Après tout, c'est la régle. Dieu est là pour sauver les faibles, si tant est qu'Il est fiable. Celui qui s'échappe noiera ses scrupules dans la beauté du lendemain, et s'en ira fleurir, les jours suivants, les pieds de ses compères qui se balancent au vent. La survie est à ce prix et l'honneur, une tromperie inventée par les puissants.
Or, Ansoald est faible. Il ne peut se résoudre à abandonner Nicolas. Il n'est pas le centre de son monde, le pilier de son existence: il est sa jugulaire. Il s'en est, malencontreusement, persuadé en l'écoutant dormir et depuis cette image passionnément l'obsède. Alors, conscient de sa stupidité et fier de l'être, il se prépare à se défendre. Il se baisse et attrape un pavé dans sa main droite, pour le jeter sur le garde mobile. Le lancer, maladroit, est aisément dévié par le bouclier du spadassin. Celui-ci avance et son comparse également. Peu à peu le piège se referme. Alors, pour donner à l'Aconit une chance de s'enfuir, il bondit sur l'homme le plus proche et tente de l'atteindre, en le bourrant de coups de poings contre la cotte de mailles. Fulgurante, la douleur de ses phalanges blessées par l'acier ne l'arrête pas. Pourtant, le diable sait combien il tient à ses mains, ses instruments du vice.
Par contre, le type, en ricanant, l'écarte d'une bourrade, et, se fâchant, le frappe d'un coup de pommeau de fer contre la tempe. Assommé, Ansoald chancèle et tombe. La nuit a remplacé le jour. Le bonheur est chaos.