Le_larron
"Il mest plus dur, sécria-t-il, dêtre surpris par toi dans la misère où je suis, que davoir perdu la clarté du jour : mais je ne puis nier ce que tu vois." Dante, l'Enfer, chant XXVI
Sous le soleil de minuit, il erre dans un dédale aux couloirs obscurs, jambes et bras coupés, irradiés, brûlés, un tronc qui roule comme une bille dans un labyrinthe, sur un plateau maniée par un dieu hilare. Il cogne les murs et les murs le cognent, rebonds mous sur les parois dures, pantin, pathétique. Il voudrait crier, mais il a un baillon dans la gorge, il voudrait pleurer, mais il a des mouchoirs dans les yeux, il voudrait en finir, mais ça n'en finit jamais. Des sifflements odieux lui percent les oreilles, et des murs jaillissent soudain mille langues fourchues surmontées par des crocs baveux de venin. En proie au désespoir le plus total, il tente de mordre le sol pour retenir sa chute et réalise que ce n'est pas de la pierre, mais de l'écaille imprégnée de sang froid, que ce n'est pas un labyrinthe, mais le corps d'un serpent, que ce n'est pas un dieu, mais une bête qui s'amuse avec lui. Une bête qui plonge sa tête hideuse vers le gisant pour le piquer à la gorge et le réduire en cendres...
C'est alors qu'une main le saisit aux racines, que la lumière jaillit entre ses yeux, et qu'une douleur intense hurle dans tout son corps, sur un étrange fond...Musical? Ansoald promène des regards hallucinés sur son entourage. Un prince à la mine lugubre comme un martel, une princesse habillée comme au bal, un cerbère taillé comme un pilier de métal et son acolyte qui le pénètre de sa lame comme s'il déflorait une pucelle. Un cauchemar succéderait à un autre? Ou bien le réveille-t-on pour mieux le renvoyer? Il esquisse un geste pour se défendre, mais ses mains liés le font gigoter misérablement et l'entaille à son cou le marque cruellement. Surtout, son regard tombe sur le blond, son synonyme, à genoux, accablé de souffrance, sa belle chevelure empoissée de sang. Il voudrait parler, il ne peut pas. Les mots se collent en grumeaux dans son palais, terrifiés de leur impuissance. Un cortège de pensées incongrues traverse ses pensées....Satané musique! Elle met en ordre des sentiments qu'on ne devrait pas avoir à cet instant. Évidemment, Ansoald est loin de se douter que la Florentine mène des manuvres subtiles. Au contraire, si proche de la mort, le voilà déconcerté d'amour pour son blond, à communiquer silencieusement avec lui, comme s'il était en lui...Alors que le tableau de la scène montre clairement aux yeux des curieux qu'Ansoald est un intrus, une tache à effacer, que son sang sera le Tipex qui gommera cette Indignité.
"Où serions-nous Nicolas, si notre amour ne nous avait pas rendu follement insouciants, comme si nous étions invulnérables face au Châtiment? Nous serions sur le pont d'un navire, à mêler nos baisers de l'eau salée des brumes, à rompre l'ennui de ce périple par nos jeux incessants, à conjuguer notre passion amoureuse sur les verbes de la liberté. La mer comme le ciel serait à nous, malgré les tempêtes et les pirates, mon majeur croisé au tien pour narguer la Rédemption. Au lieu de cela, nous voilà face aux puissances de ce monde si bas, à attendre lExécution."
Au prix d'un effort suprême, malgré la bile noire qui empâte sa langue, il parvient à articuler un mot, un nom, d'un filet de voix pathétique à ses sens, tant il voudrait crier et renverser l'Implacable, éteindre la musique et démanteler les murs, et qu'au lieu de cela il murmure:
Nicolas...
En trois syllabes, il a tout dit. Que son souffle se loge dans les oreilles de cette tête si chère, souvenir ultime, possédé, possédant, et qu'il maudisse jusqu'à la tombe les porteurs de l'acier, si prompt à trancher les nuds complexes de l'Infidélité.