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[RP] De Roquefort à Arengosse - Chroniques seigneuriales

Wallerand
Roquefort sur la Douze, l'appelait la Hérauderie. Ròcahòrt, prononçaient les Gascons dans leur rocailleux parler. Ma terre, apprenait à penser Wallerand. Telle était la destination du petit groupe qui devait prendre le départ de Mont-de-Marsan ce jour-là. Le Beauharnais avait évidemment pris le soin de prévenir l’intendant – supposé – du château qui avait constitué la demeure seigneuriale de Roquefort pendant plus d’un siècle, en surplomb du confluent de la Doulouze et de l’Estampon. En soi, le mot était laconique…

Citation:
A vous, intendant du Pène Cadet,
De Wallerand de Beauharnais, Seigneur de Roquefort,

Le bonjour. Maître, il vous est sans doute parvenu la nouvelle que les terres de Roquefort ont récemment été octroyées. J’ignore comment se comportait envers vous l’ancien seigneur, mais soyez assuré que je porterai la plus grande attention aux terres de Roquefort. Veuillez donc apprêter la demeure habituellement utilisée par mes prédécesseurs, et attendez ma visite pour la fin du mois. Je viendrai en compagnie de trois à quatre personnes.

En vous remerciant d’avance,
W. de B.


A vrai dire, le Beauharnais s’estimait chanceux. Au même moment, à quelques jours près, deux personnes, sa marraine et un Duc de Gascogne, avaient décidé de lui voir quitter sa condition de naissance. Le bourgeois avait été anobli, concrétisant un changement de comportement que le jeune homme avait amorcé pour agir plus conformément au rang de la femme qu’il entendait épouser. S’il y était poussé par le naturel des manières d’un commerçant habitué à se calquer sur les personnes qu’il fréquentait, de la bourgeoisie à l’aristocratie fortunée avec qui il avait traité, il sentait cependant confusément que le plus dur restait à venir. Oh, le fait d’avoir du monde à son service n’était pas en soi une nouveauté : au sein de la maison de négoce Beauharnais, il avait eu des commis sous ses ordres, il avait pris des décisions stratégiques, voyagé, négocié, fréquenté fournisseurs et clients fortunés… Mais au final, ça n’approchait que vaguement les devoirs dont il se savait investi envers Roquefort et Arengosse.

Il avait charge d’hommes. Il lui en faudrait assurer le bien-être autant que la protection. Oh, certes, la protection des remparts de la bastide y contribuerait largement, et la Gascogne était bien plus sûre que même quelques mois plus tôt… Mais c’était une responsabilité à laquelle Wallerand apprenait petit à petit à s’habituer. Et qu’est-ce qui, plus qu’une visite en ces terres gasconnes, lui permettrait d’en prendre la pleine mesure ? Rien, assurément.

Et comme le jeune homme avait tendance à toujours tenter de joindre l’utile à l’agréable, il avait décidé, lors d’une délibération avec lui-même, de proposer à Bella de l’accompagner dans cette prise de connaissance. Une virée en amoureux, qui se muait aussi en la présentation de la future Dame des lieux, leur permettrait de prendre un peu de temps à eux, sur les terres qu’ils auraient bientôt en commun. Quand il lui en avait parlé, Bella avait manifesté un enthousiasme certain pour l’idée, et son fiancé avait donc planifié la chose. Peu de monde viendrait avec eux. Ils partiraient en avant, seuls, et Jehan et Imoen les retrouveraient plus tard dans la journée, à Roquefort, avec quelques effets. Ensuite, ils partiraient en sens inverse, vers Arengosse. Le temps de voyage, partant de Mont-de-Marsan, serait relativement modeste – et quand bien même il ne l’aurait pas été, Wallerand aurait fait avec sans le moindre déplaisir. Et, petit à petit, le jour du départ était arrivé avec la mi-octobre…

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Christabella
Ce mois d’octobre touchait à la fin, lorsque le Beauharnais vint à elle, de bon matin, chez elle, sous couvert d’une promenade à la découverte de ses fiefs. Par chance, Marie Clarence avait renoncé à empêcher les tourtereaux - fiancés certes, mais encore non mariés - de se voir, et ce fut le vieux Clotaire qui accueillit l’Acrobate et son cavalier. Le temps était au gris, un petit vent achevait de faire tomber des feuilles dont la couleur variait du brun au fauve en passant par le rouge. Les arbres se déplumaient en ce début d’automne... Bella était partie faire un petit tour sur le dos de sa nouvelle jument de race Cartujano, une magnifique bête grise et à la crinière blanc crème, répondant au doux nom de Maja – prononcez mara – qui venait d’être débourrée. Un bruit de sabots se fit entendre, la jeune cavalière revenait au petit galop, habillée de sa fameuse tenue cavalière noire et rouge du plus bel effet, alors que ses cheveux presque blancs flottaient derrière elle, libres.

Oh, Un chewallier, ici ! Senhor, que me vaut le plaisir de votre visite ? Souhaitez-vous me faire visiter vos terres, comme promis ?

Ma dame, mes hommages. Ma foi, j’avais bien cette idée en tête en venant vous rendre visite.


Dire qu’il avait espéré ne pas tomber sur la carmélite et que son vœu avait été réalisé, le jeune homme était de fort bonne humeur. Aussi, ce fut joyeusement, qu’au petit trot, les deux amants prirent les chemins, devisant joyeusement au fur et à mesure de la balade. Non sans s’arrêter de temps en temps, pour observer une ruine en pierre naturelle, une cascade, un bosquet... Une balade contemplative et joyeuse, comme il se devait, pour deux êtres rompus au respect des convenances et à l’art de paraître en public. Ici, ils pouvaient enfin se relâcher et s’adonner au plus joyeux des badinages amoureux et aux gestes tendres. Toujours est-il que le temps passant, ils allaient arriver à bon port assez tard – elle devrait sûrement dormir sur place, n’ayant plus le temps de rentrer avant la nuit, comme c’est dommage ! - lorsque la pluie commença à tomber. Une goutte sur le nez, puis deux... De grosses gouttes, de plus en plus rapprochées, jusqu’à devenir un rideau de flotte froide. Une vraie douche ! Bella frissonna alors que son pourpoint matelassé commençait à prendre l’eau, et que ses cheveux, libres sur ses épaules, commençaient à onduler sous l’effet de l’humidité. Sans se concerter, les deux amants pressèrent les flancs de leurs chevaux pour se hâter, et terminer la ballade au galop sous les trombes d’eau. Ils avaient à peine eu le temps de traverser les terres et de voir le paysage... et le ciel de cette fin d’après midi était sombre, si sombre, un gris foncé qui promettait une averse. Bientôt, on leur ouvrit la grille, et ils laissèrent leurs chevaux au bon soin d’un palefrenier. Aussi mouillé qu’elle, les cheveux plaqués par l’humidité, c’est un Wallerand frissonnant de froid qui prit la main de Bella pour la faire pénétrer dans le manoir, pas peu fier !

Ma dame, je vous souhaite la bienvenue chez moi ! Aaatt .. aaaa.... Atchoum !

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Wallerand
A peine étaient-ils arrivés, trempés, humides – et tout éternuant pour l’un des deux cavaliers – qu’un serviteurs zélé s’était précipité sur eux – enfin surtout sur le maître des lieux, fallait pas déconner, c'était lui qui l'employait et qui lui avait écrit, tout de même – pour s’activer à éponger le plus gros de l’humidité. Le gardien des lieux, c'est ainsi que se présenta l'homme, les mena tambour battant auprès d’un bon feu, dans lequel quelques bûches furent encore jetées. La flambée prit assez vite, le bois était bien sec (contrairement aux arrivants), et très vite les deux tourtereaux se réchauffèrent, séchant peu à peu, alors que Wallerand faisait sommairement connaissance avec le dénommé Archibald, qui les avait accueillis. On leur amena bientôt un verre de vin chaud miellé. Apparemment, l'inquiétude de voir le nouveau maître des lieux enrhumé pour sa première visite avait atteint les cuisines... Bella sourit de voir ces petits soins prodigués à Wallerand alors qu'on l'oubliait presque, même si ses propres cheveux gouttaient encore. La jeune fille haussa les épaules et de bonne grâce entreprit de les tordre, faisant une petite flaque sur les dalles, sous l’oeil courroucé du gardien. Voilà-t-y pas que la donzelle allait humidifier son travail ! On n'avait pas idée, mon pov'Sire... Attrapant du regard la mimique de l'homme, le Beauharnais esquissa un sourire et indiqua, rattrapant un impardonnable retard à l'allumage :

Permettez... Voici ma future épouse, Christabella Jauzac, Comtesse de Fontrailles.

Aussitôt, Archibald se radoucit et lui apporta un linge pour se sécher les cheveux, et elle fut soignée - presque - aussi bien que le Seigneur en titre. Elle nota cependant une sorte de crainte à son égard, et elle nota pour plus tard de s’entretenir avec le gardien et les éventuels autres garants de la demeure, pour les rassurer. Une fois réchauffés et presque séchés, le Beauharnais entreprit de faire visiter le castel à sa jeune fiancée qu’il tenait à son bras. Les pièces, chaleureuses ou plus fraîches, se succédaient, lorsqu’enfin ils terminèrent par les appartements du seigneur, délicatement décorés, dans la tour ronde qui surplombait le confluent. C'étaient sans doute les pièces les plus agréables, au moins aux yeux de Wallerand, qui jeta un oeil curieux par la fenêtre. Oui, vraiment, c'était une place forte qui méritait le détour. Elle avait un réel potentiel... Tout sourire, il allait s'en ouvrir à Bella quand il se retrouva à essayer de chasser un désagréable chatouillis de son nez. Et Bella poussait un soupir d’aise, lorsqu’un éternuement intempestif la fit sursauter. Un léger reniflement suivit de peu, provoquant un léger éclat de rire de la fiancée, qui lança :

Mon cher, je crois que vous vous êtes enrhumé.
Gue nenni, ce d’est rien ! Venez gue je vous embrasse...
Non ! Vous allez me rendre malade ! Vade retro, satanas !
D’exagérez bas... Ah... Ah... Atchaaaaa !
Soit... Si vous parvenez à m’embrasser sans tourner de l’oeil, je dormirai avec vous cette nuit.
J'esbère bien ! Ce n'est de toute façon bas négociable.

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Christabella
Un long baiser et tendre s’ensuivit, mais il fut vite interrompu par le manque d’air, et par un nouvel éternuement intempestif (décidément, il cumulait, ces derniers temps). Tandis que Wallerand reprenait son souffle, la jeune femme le regardait d’un air amusé. Dire qu’elle était à deux doigts de céder au jeune homme – la chair est faible – n’était pas peu dire. Ce n’était peut-être qu’un petit coup de froid, après tout, et il n'y avait rien de tel que rester au chaud sous les couvertures pour guérir. Mais bientôt une vilaine toux vint le secouer, ce qui inquiéta Bella. La maladie faisait rage dans le royaume... Le Beauharnais lui lança malgré tout un regard plein d’espoir. Une vraie attaque frontale. La jeune femme hésitait, entre désir et inquiétude... Le suspense était à son comble ! Mais Bella doucha les espoirs de son fiancé.

Non. Vous êtes malade. Nous demanderons à Adalarde un de ses remèdes. Je ne suis pas médecin...

Moi non blus, mais je suis sûr gue ce n'est rien. Snirfl.

Non, je m’inquiète !

Aucune raison, et buis... Vous bouvez doujours me veiller ? Bour vérifier gue dout va bien !

Bon d’accord, je resterai à votre chevet. Mais hors de question de céder à la bagatelle, dussé-je porter une ceinture de chasteté pour calmer vos ardeurs.

Qui barle de bagatelle ? Je suis drès sage, vous le savez bien. Et buis, ce soir, je serai sur bied. Bas de remède, bas besoin.


Apparemment, ses mots étaient tombés dans l'oreille d'une sourde, car avec un détachement tout d'abnégation, la jeune fille s'était tournée vers le gardien pour donner ses instructions, puis revint à son fiancé. Pour son plus grand malheur, jugez par vous-même :

Archibald ? Allez nous quérir Adalarde pour soigner notre seigneur. Taratatata, pas de discussion, môssieur de Beauharnais. Je ne veux point d’un futur époux souffreteux. Nous vous guérirons, de gré ou de force ! Et ne râlez pas, sinon je vais demander à ce qu’on vous administre un lavement*.

NON ! Bas de lavement ! Je broteste ! C'est hors de question ! Vous ne basserez bas !


Un lavement intestinal… Impitoyable, cruelle, la Jauzac ! Et pire encore, elle avait placé ses espoirs en Adalarde. Bella ne pouvait pas savoir qu’Adalarde, qu’on consultait à défaut d’un médecin – d’autant plus qu’à cette époque, ils étaient parfois plus dangereux qu’un soldat armé jusqu’aux dents –, bref la matrone était connue pour ses remèdes maisons certes efficaces, mais particulièrement désagréables ou fantasques. La jeune femme mit d’office Wallerand sur sa couche, et lui prépara un bain bien chaud. Rien de tel pour décongestionner un nez bouché, en attendant Adalarde. Elle ne voyait pas le regard noir du jeune homme – non mais un lavement quoi ! Allô ! - qui suivait ses mouvements avec méfiance et se rapprocha alors qu'elle s'occupait du baquet de bain improvisé. Le regard sombre faisait de son mieux pour ne pas se laisser duper, même si le coup de barre d'une fièvre montante se faisait ressentir. Sentant cette méfiante inspection peser sur sa nuque, la blondissime finit par se retourner et, avec un sourire qui se voulait rassurant (mais qui évidemment ne parvint pas à éloigner la menace ultime de l'esprit de Wallerand, car même s'il pouvait échapper à un assaillant armé du fatal clystère, il lui faudrait bien s'arrêter un jour), reprit, avant d'entreprendre de le dévêtir :


Ne m’en voulez pas, je ne veux que votre bien.

C'est c'la, oui... Ma mort, plutôt ! Avant même nodre union !

Mais non, je ne veux pas vous tuer. Adalarde n’est pas une tueuse quand même,non ?

Presgue. Vous ne l'avez jamais vu draider guelgu'un, moi si !

Vous exagérez tout le temps. Venez par ici, à moins que vous ne souhaitez vous baigner tout habillé.

Grmbl. J'ai un dout pedit rhube, et encore... Je beux me débrouiller.

Je sais bien que vous pouvez vous débrouiller seul. Mais...


Mais quoi ? S’occuper de son compagnon, de son futur époux, elle ne résistait pas. Le baiser, même interrompu, avait commencé à la faire fondre, avant que tout ne soit remplacé par l’inquiétude. Et le seul moyen qu’avait le Beauharnais pour la faire plier et oublier Adalarde, ses remèdes bizarres et le lavement, c'était la déconcentrer ! Et en cette matière le jeune homme était passé maître, depuis leur toute première soirée après le couronnement de feue Angélyque. Faisant mauvaise fortune contre bon cœur, il entreprit lui aussi de lui retirer chaque pièce de vêtement. Bientôt, elle se retrouva en chainse, le regard troublé – victoire ! – et Wallerand décida de pousser son avantage. Maintenant qu'ils en étaient là...

Mais, vous disiez ? Je ne be baignerai bas seul, ma dabe, vous viendrez avec boi...

...D’accord... Exhala-t-elle, vaincue, alors qu’il picorait ses lèvres de – courts - baisers appuyés. Et …

Je n'vous dérange pas les amoureux ? Alors...Où il est, l' grand malade ?

Et merde !
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Adalarde_la_patronne
Adalarde avait suivi, de loin, les tourtereaux. Le Wallchiant l’avait prévenue : ils allaient à Roquefort, avec Jehan, Imoen et Tibedaud, et puis elle, du coup. Dans le petit groupe, l’humeur était au beau fixe malgré la pluie : plus on est de fous, plus on rit et, par Aristote, ils s’en étaient payé une bonne tranche ! Entre anecdotes d’auberge, blagues grasses et petits coups de griffes cordiaux, la tenancière s’était fait une place dans le groupe, sensiblement plus jeune qu’elle. Sur sa brave mule (Mulette, avait-elle été fort opportunément nommée) aux genoux fragilisés par les ans, Adalarde avait tonitrué de Mont-de-Marsan jusqu’à ce que Jehan, sans doute le plus familier avec le personnage, ne lui indique qu’ils étaient arrivés, tirant un soupir de soulagement à la bonne femme. Vous comprenez, le dos, à son âge, ça n’aimait pas bien les longs voyages... Mais bon, pour certains, on pouvait bien faire une petite folie ! Et puis, maintenant que s’ouvrait la vie de château pour certains (ce qui avait été lancé avec un clin d’oeil pour les membres de la mesnie Jauzac), on pouvait s’attendre à être bien au chaud, confortable et tout et tout !

Dans ses rêves les plus fous, Adalarde avait en fait tout imaginé. Elle avait été prévenue par Wallerand qu’il souhaitait garder quelqu’un de confiance sur ses terres, qu’elle aurait sans doute à rester à Roquefort quelque temps, bref, tout le tintouin qui précédait logiquement une offre d’emploi. Et s’il y avait une chose sur laquelle elle ne cracherait pas, la matrone, ce serait sur un poste à l’abri pour ses vieux jours. Elle se voyait de moins en moins, surtout depuis la mort de sa poche à gnôle de mari, patronne d’auberge jusqu’à filer rejoindre Aristote au Paradis solaire (on croise les doigts pour elle !). Alors - qui sait ce que Wallerand avait en tête -, si par hasard elle devait gérer Arengosse ou même (soyons fous) Roquefort pour le compte du Beauharnais, ce serait le pied.

Bref, pour le dire en langage moderne, Adalarde s’était fait tout un film. Un très chouette film, même. Elle avait juste délaissé un détail qu’elle ne pouvait forcément pas connaître...

Le coup de foudre. Pas pour l’endroit, pas pour la grosse tour ronde qui surplombait le confluent comme la figure de proue de la forteresse qu’elle couronnait, pas pour la robuste bastide, pas pour son église fortifiée ni pour le paysage ni rien de ce genre. Non. Un vrai coup de foudre qui se présenta à eux à leur arrivée, sous forme d’un homme d’une petite quarantaine d’années, le cheveu châtain grisonnant, la peau tannée, les traits taillés à la serpe garnis d’une discrète barbe de plusieurs jours, l’oeil bleu glacier, les mains noueuses, les muscles nerveux jouant sous la peau de ses avant-bras découverts par sa chemise retroussée, et même un sourire qui dévoilait des dents en assez bon état... "Graouh !" fut sans doute la seule pensée à peu près cohérente d’Adalarde pendant un moment, en proie à une fort gênante pause mentale devant l’Adonis tombé droit devant elle, ‘fin droit derrière la porte.

Sans Imoen et sa présence d’esprit, la brave femme serait restée sans piper mot. Mais la jeunette avait eu le réflexe de les présenter un par un, de faire un joli sourire et une mignonne oeillade (première pointe de jalousie) à Archibald - qui finit par lâcher son nom au beau milieu de la tirade de la demoiselle de compagnie.
Archibald.
Archi-beau.
Archi-graouh.
Archi-cerise sur le gâteau.


Entrez. Si vous restez là dehors, on va finir par détremper l’intérieur. Déjà qu’Sa Grandeur y a contribué, ce serait pas mal d’éviter de faire pire.

Oh ! Et il était soucieux du ménage, en plus ! Et il avait une jolie voix. Abandonnant sans barguigner ni piper mot (chose plus rare encore) les rênes de Mulette au garçon qui s’était avancé vers eux - Adalarde avait totalement méconnu sa présence, tant celle de l’Autre était incommensurablement plus excitante -, la patronne suivit le gardien à l’intérieur, se faisant une remarque supplémentaire : un bel homme, c’est encore tellement mieux quand ça a un joli petit c... Heu... Chapeau ! Et des jolies jamb... Jambières. Bien soignées et tout. Et en plus il avait à coeur la bonne tenue de la maison ! Vraiment, on n’en faisait plus, des comme ça. Il était pour elle, c’était sûr. Son Précieux !

A coup sûr, Adalarde aurait pu continuer de baver encore un bon moment sans la moindre retenue sur le fantasme absolu qui s’offrait désormais à elle quand Bella fit irruption (la coiffure en pagaille, mais après tout, Archi-Beau, pardon, Archibald avait signalé qu’elle avait dû s’essorer la crinière) pour signaler à la brave patronne que son boulot commençait.. Maintenant ? Sérieusement, Wallerand avait à peine quitté la ville qu’il avait trouvé le moyen de tomber malade ? Déjà ? Jetant un regard déçu à la friandise qui s’apprêtait à installer chacun selon ses prévisions, la tenancière ne se fit pas trop prier avant de prendre d’un air décidé un petit sac de toile dans son barda et de suivre sa future patronne (plus qu’une douzaine de jours, ça passait bien vite), l’air imposant. Après tout, une femme avec des compétences médicinales, même rudimentaires, ça ne se refuse pas ! Et bientôt, introduite dans la chambre du malade, elle lança de sa voix si délicatement digne de Stentor en personne :


Alors, Wall’ ? Qu’est-ce qui t’arrive ?
Rien du dout. Bella est jusde bersuadée gue j’ai besoin d’un draidement. Mais je vais drès bien.
T’es archi-sûr de ça ? Faut pas qu’tu nous claques dans les doigts, hein. Ca m’ferait archi-ch...
Vous serez parfaite. Je crois qu’il a un peu de température, rien de bien méchant mais il faudrait éviter que ça empire. Il a pris un bain chaud, mais il ne tient en place que sous la menace... Vous pourriez peut-être vérifier s'il a de la fièvre ? Une infusion de saule blanc pourrait lui faire du bien.


Les quelques mots de Bella, outre la qualité majeure d'avoir coupé Adalarde dans son élan, firent se rencogner Wallerand contre la tête du lit où il avait été cantonné après un bain, disons... Administré avec grand soin et grande tendresse. Et s'il se sentait diminué, il ne l'était pas assez pour rester parfaitement calme dans l'état fébrile qui l'avait pris. Aussi adressa-t-il un regard de mise en garde à Adalarde, qui l'ignora souverainement alors qu'elle écoutait Bella avec un soin presque religieux, au grand dépit du Beauharnais. Il retenta le coup quand la tenancière posa sa main encore fraîche de l'air automnal sur son front, pour un résultat nul : Adalarde rêvait... Un peu, en tout cas, et pas suffisamment pour se retenir de vouloir le soigner, quoiqu'elle le lui signifiât d'une manière assez peu orthodoxe.

Parfait. Archi-parfait. T’as de la fièvre et un joli p’tit coup de froid, donc va falloir que tu restes là un moment. Donc moi aussi. Pour te soigner. Ca tombe archi-bien. Et ta demoiselle a archi-raison, sur l’infusion...
Beurg. Dis voir, Adalarde, d’es casse-bied avec ces archi-trucs dout le demps. C'est guoi, le broblème ?
Oh, c’est rien, j’suis d’archi-bonne humeur ! Bois-moi ça, j’ai des affaires à poser et j’reviens ensuite. Ce soir ? Et on passera à la suite du traitement... Pour le souper. Faut que ça fasse effet et que je réfléchisse à ce que tu vas subir ensuite, et puis j’ai plein de choses à découvrir.


Notamment si Archibald était marié. Hin hin. Fini de rire, Adalarde était en chasse ! En Archi-chasse, même !
Christabella
La tisane de saule blanc fut bientôt prête, et amenée avec diligence par une Imoen souriante. Le malade semblait accablé – la fièvre, sûrement – et s’était rencogné dans son lit, les bras croisés. Une attitude qui dénotait l’envie absolue - tu parles -de contribuer à sa guérison par une Adalarde archi-pleine d’énergie ! La jeune femme donna le remède à Adalarde, puis alla s’occuper des cheveux de la comtesse. Une coiffure catastrophique, sans compter qu’avec l’humidité, les mèches blond clair ondulaient – et alors, les vaches aussi...- Visiblement, le jeune seigneur ne voulait pas prendre son remède.

T’fais moins l’malin, l’Wall’chiant ! Avale !
Nan !
Avale, où j’te l’fais avaler par archi-clystère !
Tu n’oserais bas !
Ne m’tente pas ! T’as deux solutions, mon gars : où on fait sortir le mal avec des sangsues et des fumigations, soit on la tue d’l’intérieur. A toi d’voir, par le haut ou par le bas.
Soyez raisonnable, mon amour... Ce n’est rien qu’une petite tisane... Vous désirez un peu de miel pour faire passer le goût ?
Oh l’goût c’est rien, attends d’goûter ma nouvelle soupe à suer ! Un archi succès ! Ca a sauvé l’vieux Pierre du hameau du merle.
L'pov' vieux n'avait surtout bas le choix... Bas la soupe !
Avale, j’te dis. Si t’a plus d’fièvre, on t’embêta pas plus, hein, Bella ?


Gros clin d’oeil complice à Bella, énorme mensonge éhonté ! Un archi mensonge même ! Adalarde n’était pas du genre à lâcher l’affaire ! En parlant d’affaire...

Bon ! J’vais voir mon Arch... j’veux dire, j’vais aller … aux cuisines. Oui, aux cuisines !

Elle ne surprit pas le regard noir de Wallerand, qui la connaissait bien et savait qu’elle ne le lâcherait pas, même la fièvre baissée. Mais avec moults grimaces, le Beauharnais avait fini par avaler son remède, avec moults encouragements de sa belle, naïve et persuadée qu’on en resterait là. Mais le temps passait, et la tisane n’avait pas fait effet.
La jeune femme, restée assise sur le lit à veiller Wallerand, passa une main fraîche délicatement sur le front brûlant. Aussitôt, le jeune homme ronchonna.


Cela n’a point fait effet...
Gue nenni, il faut juste laisser du demps ! C’est votre bain qui est froide.
Ne soyez pas ridicule... Une petite soupe, ce n’est rien !
Ce d’est bas une simple soube, c’est LA soube d’adalarde. Ude horreur !


C’est à ce moment précis que la solide matrone, précédée par Archibald - victoire !! Et ill a vraiment un archi beau c... chapeau - , et un bol fumant – et odorant- de soupe verdâtre. Ou brûnatre si on y regardait de plus près. Couleur boue. Même Bella plissa le dez - euh, le nez.

V'là ton repas du soir ! Soupe d’ail, d’ortie et raifort.
Beuuuurk. Du ne vérifies même pas ma fièvre !
Pffuit ! Pas besoin, t’es rouge comme une jeune fraise qui a vu l’loup. Puis, ça te fera pas d’mal ! Bon, trêve de bavardage, ouvre ta chemise !
Nan !
Clystère ?
Grrrrmblll d’aggord.
Que lui faites vous ?
Cataplasme chaud à la moutarde ! Ca va lui chauffer l’sang.
Je bensais qu’on devait faire baisser la fièvre...
Arrête de faire le malin, l’wallchiant ! Puisque c’est comme ça, double ration d’soupe. Ca va t’fouetter les sangs, moi j’te dis !

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Wallerand
[Arengosse, avril 1464]

Le temps des toux, des fièvres et des rhumes était passé. Celui loin d'Arengosse également. De l'hiver, de ses deux mandats à la tête du Duché, Wallerand n'y avait pour ainsi dire pas mis les pieds... Un ou deux jours, peut-être, sur l'ensemble des mandats. Si Roquefort était une étape idéale pour se rendre à Fontrailles, ses terres en Brassenx étaient plus retirées, plus excentrées. Exactement ce dont il avait besoin après ces quatre mois. Il était exténué, même s'il s'efforçait de ne pas le laisser paraître. Si le premier mandat avait été agréable, une seule personne avait réussi à transformer en enfer le second. Les gamineries de son ancienne Commissaire au commerce, dès le troisième jour du mandat, et ses bouderies avaient eu tôt fait de lui mettre les nerfs en boule, et l'ambiance du Conseil s'était rapidement tendue. En y ajoutant les ragots stupides des frères Thérieur, manifestement payés par Laureen ou l'une de ses amies, il y avait de quoi perdre patience. Et pourtant il s'était obstiné. Il s'était donné sans s'arrêter, sauf une semaine vers la fin, où une indisposition qu'on s'était empressé de lui reprocher, contrairement à ses prédécesseurs, l'avait pris.

Et il était là, éreinté. Le trajet de Mont-de-Marsan à Arengosse, dans la voiture prêtée par son frère pour Bella, Ascelin, Imoen et Tibedaud, sur le dos de l'Acrobate pour Wallerand. Cela faisait un bon moment désormais qu'il n'avait pas fait un long trajet à cheval, depuis les joutes de Fontrailles en fait, et il le sentait aux discrets tiraillements dans ses cuisses et son dos. Peut-être était-ce un reste de la fièvre qui lui donnait cette impression, après tout... Mais il fut tout de même heureux de voir se profiler la maison noble du lieu, où il avait établi ses quartiers. Il la préférait aux vieilles mottes seigneuriales pour prendre du repos : le confort y était largement supérieur et elle était plus proche de ses gens. C'était bien le moins que d'être accessible, au moins un peu... C'était pour cela qu'il ne rechignait jamais à saluer ceux qu'ils croisaient. Du notable local au paysan en passant par l'artisan, chacun y avait droit, sans restriction. Le Beauharnais avait à peine eu le temps de mettre pied à terre devant sa demeure qu'une tornade vivante, sans doute avertie par le claquement des sabots dans le village habituellement plus tranquille, poussa la porte de la demeure pour claironner :


Ha, te voilà enfin, toi ! 'Fin vous tous, hein. Ca fait bien plaisir de vous voir, Arengosse s'endormait et y'a plein de monde qui veut te voir pour plein de raisons. Oh qu'il est mignon ! Il n'a plus la bouille fripée, on dirait un p'tit angelot. Bonjour mon loupiot !

Ainsi voleta Adalarde de l'un à l'autre, distribuant ici une bise, là un pincement sur la joue (elle avait un faible pour la grimace de Tibedaud quand elle lui infligeait cette salutation), ailleurs une caresse gratteuse sur un tout petit menton et une risette, et partout des sourires, avant que Wallerand ne l'entraîne à part pour lui demander :

Tu as reçu ce que j'avais commandé ?
C'est dans votre chambre. J'ai écrit le nom de ta femme dessus, comme ça elle pourra ouvrir et paf ! Surprise !
Parfait, merci. Préviens ceux qui ont des doléances ou des demandes à présenter que je suis disponible à partir de demain et pour un certain temps.
D'accord. Tu dînes ce soir ?
Où veux-tu que j'aille ?
Parfait. L'axoa est sur le feu, je pensais bien que tu viendrais bientôt. Ca va te rappeler des bons souvenirs.
Merci...


Et comme conclusion de cet aparté, Wallerand adressa un sourire à Adalarde, avant de faire signe qu'ils pouvaient entrer. L'agitation à l'intérieur était déjà montée d'un cran. L'intendante avait manifestement trouvé un peu de personnel...
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Christabella
Enfin, la fin du mandat, la fin du conseil. Tout le monde était éreinté... Surtout son époux, les traits tirés, encore éprouvé par une sale maladie qui l'avait pris en fin de mandat. Évidemment, on s'était empressé de lui sauter sur le râble, l'accusant d'abandonner le conseil. Qui, malgré tout, avait bien tourné. Oui, ce second mandat avait été incroyablement difficile par rapport au premier. Son époux avait été constamment sur les nerfs, et Bella avait dû donner de sa personne pour faire la médiatrice entre lui et la Commissaire au Commerce. La gourmander, la choyer, la titiller, l'écouter, car elle avait décidé de ne plus participer aux débats parce qu'elle n'avait pas eu, une fois, le dernier mot. Pourtant, elle avait eu de bonnes idées, mais elle s'était contentée de faire le minimum. Et cela, Bella en avait été fort marrie, car elle avait passé du temps à parler avec la jeune personne. Car malgré son écoute, les discussions, la compréhension, peu de choses avaient changé. Et les tensions allaient croissant...

Mais le temps de la quille était venu, le temps du repos bien mérité. Le bébé était né durant les mandats, et ils n'avaient pu profiter de la vie de famille, se voyant en coup de vent, laissant le nourrisson aux bons soins de Béatrix, d'Adalarde et d'Imoen. Mais enfin, ils étaient de retour. Bella eut un soupir de soulagement lorsque de la fenêtre de la voiture, elle aperçu les terres d'Arangosse. Le bébé commençait à chouiner, titillé par une faim naissante... La jeune femme se languissait de pouvoir chevaucher à nouveau, aux côtés de son époux. Chaque jour, elle s'entraînait sur son destrier, un hongre doux comme un agneau, mais suffisamment nerveux pour les joutes, un cartujano du nom de Pégase. Mais elle installa le petit pour le nourrir, bien calé contre elle. Elle avait eu un pincement au cœur, en voyant le castel ducal s'éloigner à l'horizon, se demandant comment cela allait se passer désormais. Elle fut tirée de sa rêverie lorsque le carrosse s'arrêta enfin. Et ils furent accueillis par une Adalarde visiblement en pleine forme, bien plus qu'eux apparemment. Bella était épuisée, quelque lassitude bien ancrée dans l'âme, allez comprendre... Elle ne rêvait que d'une chose, c'était profiter de ses appartements pour se changer, mettre une robe plus simple, manger et se reposer avec le petit. Et profiter de son époux, qui donnait des instructions à son intendante de choc.


Mon cher, je vais me retirer quelques instants, dans nos appartements, avant le dîner. Je suis épuisée...

Et ce n'était pas peu dire. Ces derniers mois avaient été éprouvants pour les deux, et elle commençait enfin à souffler. La tension retombant, l'épuisement les guettait, tout simplement, comme s'ils avaient été sur les nerfs depuis deux mois. Laissant le nourrisson repu à Imoen, elle gagna avec hâte ses appartements. S'installant à sa coiffeuse, elle retirant non sans plaisir les innombrables pinces qui retenaient son chignon un peu trop serré, et les laissa relâcher, les peigna, soupirant d'aise. Ils étaient de retour chez eux, elle pouvait enfin relâcher la pression, respirer. Jouer les médiateurs avait été épuisant... Fermant les yeux, elle se prit la tête entre les mains. Elle ne devait pas s'endormir avant le repas! Pourtant, le lit conjugual était terriblement tentant, confortable à souhait... jusqu'à ce qu'un gros paquet attira son attention. La curiosité piquée - pour cela, elle ressemblait à son époux - , elle le soupesa, et aperçu son nom griffonné dessus. Etrange... Le paquet était mou... du tissu? Sans barguigner, elle ouvrit le paquet et découvrir deux masses d étoffes. Fébrile, elle déplia la première, puis la deuxième, qu'elle étendit sur le lit, subjuguée.



Elle avait dit à son époux qu'elle avait besoin, après sa grossesse, de refaire sa garde robe, et cela n'était visiblement pas tombé dans l'oreille d'un sourd! Les robes étaient magnifiques, bien coupées, bien choisies... Souriante, ravie et tout à fait réveillée, elle attrapa une des deux robes, la bleue pour lui faire honneur... Et redescendit dans le salon, superbe, ravie, souriante, et avisa son époux.


Mon cher, vous êtes un vil cachottier, mais je vous aime pour cela! Merci! Quand avez vous trouvé le temps d'aller dans un atelier de couture? Vous connaissez donc mes mensurations par coeur?

Sourire aux lèvres, elle agrémenta les lèvres Beauharnaises d'un chaste baiser. Le sous entendu était comique, car personne mieux que lui connaissait ses mensurations. L'odeur de l'axoa lui titilla les narines. Elle pensa immédiatement à leur premier dîner gage, qui s'était soldé par des retrouvailles passionnées, hors du temps et des convenances. Un moment délicieux, qui lui paraissait à présent dater d'il y a des lustres!

Mon époux, je vois que vous avez tout prévu pour que nous passions une soirée agréable...
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