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[RP] Le jardin secret

Ansoald
"ce post contient des scènes pouvant heurter la sensibilité des plus jeunes"



A l'argousin qui garde closes les portes du jardin, il n'a voulu rien dire. Il est passé devant lui avec l'air insouciant du badaud qui connaît son chemin, son cistre accroché dans le dos. Habillé d'une tunique de lin à manches longues, d'un rouge élégant orné par un galon noir au col, il passe pour le parfait damoiseau en quête de sa mie. Or, son regard ne cherche pas les balcons où patientent les blondes, mais scrute avec minutie la moindre faille, la moindre prise sur les murs qui entourent le plus beau jardin de Paris. Au détour de questions savamment distillées à l'oreille des marchands du quartier, il a appris que ces murailles sont réputées "infranchissables". La propriétaire des lieux entretient jalousement le secret de cet îlot de verdure situé au coeur des quartiers mal-famés de la capitale. Pour ne rien ôter au mystère, lui a confié un tenancier en verve, il se dit que les poisons les plus fins, inodores et indétectables, sont issus des plantes qui garnissent les allées de ce parc.

Ansoald (ou Nicolas), malgré la chaleur poisseuse de l'été, parvient à sentir, en gonflant ses poumons, les fragrances indéfinissables de plantes oubliées. Oubliées, car il commence seulement sa formation auprès d'une empoisonneuse dont le défaut le plus naturel est d'être une femme. Vive les maîtres austères et droits, dont les leçons ne souffrent aucune impertinence. Ainsi fût formé Nicolas (ou Ansoald) aux arts des saltimbanques, sous la férule de professeurs exigeants. Depuis, il ne passe pas devant un mur sans deviner comment le grimper, et il lui suffit de peu de temps pour apprécier les voies les plus sûres et les plus ardues. A un homme qui se penchait sur son cas, lui demandant pourquoi vouloir franchir à tout prix ces obstacles, il avait répondu, tout net:


Parce qu'il est là*

En l’occurrence, ce n'est pas la seule raison qui pousse Nicolas.Ansoald à tenter le défi de l'escalade. Il se méfie. Axelle lui a donné rendez-vous dans les jardins. Un lieu très tranquille, très protégé. Nul n'y pénètre sans montrer patte blanche. Or, la conscience d'Anso n'est pas tout à fait immaculée. Il y a peu, une sale affaire a opposé la milice des Yeux d'Hadès au clan du Cielo Azzurro. Par excès d'imprudence, Nico s'est jeté au milieu. La gitane pourrait avoir eu vent du rôle opaque de ce trublion dans ce conflit. Bien des histoires circulent sur elle. On la dit aussi belle qu'impitoyable. Vu que sa beauté abasourdit les chanoines de Notre-Dame mieux que la lumière des psaumes aristotéliciens, autant dire que sa pitié est équivalente à celle d'une souris face à un bloc de munster.

Pour l'heure, Ansoald a trouvé le trou dans le gruyère. Une ruelle déserte court sur un demi-arpent le long du jardin interdit. Sous effet de l'humidité, quelques pierres se sont descellées de la muraille. A peine, de façon presque indécelable pour un observateur inexpérimenté. Cela suffit à Nicolas. De surcroît, une branche rebelle a poussé entre les barreaux en fer forgé qui couronne les murs. Aussitôt, il se lance à l'assaut, car la réussite de son plan tient à la célérité de l'action. Un témoin serait trop heureux de monnayer une information auprès d'un sbire de la généreuse Axelle.

Sonne huit heures du soir au clocher d'une église. Au dernier son de la cloche, il a posé le pied sur l'herbe fraîche du parc, sans froisser une seule de ses mèches. Néanmoins, il n'a pas le temps de s'en satisfaire, et encore moins de flâner dans les sentiers garnis par la végétation. L'heure du rendez-vous vient de sonner. Axelle ne devrait plus tarder. Son pas léger effleure le gravier blanc des allées, dans une course qui se veut maîtrisée dans sa précipitation. Par chance, il trouve rapidement son bonheur. A l'écart du chemin, sous la niche d'une statue de saint, mangée par le lierre, se trouve un banc de pierre assez large pour une discussion confortable.

Ansoald dégaine la dague plaquée contre sa cuisse et la dissimule dans le lierre. Ensuite, il prend la pose la plus naturelle du monde en s'asseyant sur le banc, cistre en main, mais sans jouer un seul accord. Il attend pour cela que le son de la voix d'Axelle se manifeste, et ainsi pourra la guider vers le lieu qu'il a choisi.



**Georges Mallory, alpiniste, à un journaliste du NY Times lui demandant pourquoi vouloir escalader à tout prix l'Everest.

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Si ce n'est pas toi, c'est donc ton frère....
Axelle
[Taverne du Pic d'Argent]

Qu'y avait-il de mieux que de passer sa journée à ne rien faire, si ce n'était de se remplir les poches à une table de ramponneau au fin fond de sa taverne préférée ? Hormis une belle partie de jambes en l'air, pas grand-chose. Ne faire que ce dont elle avait envie était, sans nul doute possible, la panacée aux yeux de la Casas. Même s'il faisait trop chaud entre ces murs tapissés de mauvaise bière et d'auréoles pisseuses. Même si les cartes s'étaient liguées pour vider ses poches au lieu de les remplir. Bon, soit, un bon coup de bluff avait permis à la gitane de limiter les dégâts et de se lever la tête haute, sans y avoir laissé sa chemise, mais c'était néanmoins un bémol non négligeable. Et sans doute, aurait-elle encore fait claquer le carton, certaine que la chance allait enfin lui sourire, si un rendez-vous ne l'attendait où, somme toute, était-elle déjà en retard. Mais après tout, les hommes se devaient d'avoir la courtoisie d'accepter les atermoiements féminins.

Se levant en ronchonnant pour le principe, elle s'inclina brièvement sur un :
Arthus, demain, je te prends au lancé de couteau ! Faut bien que je me refasse, c'est ta faute d'abord. Et glissant un sourire à l'homme lui clingant de l’œil, fila alors que les cloches se taisaient depuis déjà de longues minutes.

[Le jardin interdit de la cour de la Jussienne]

Que savait-elle du gars qu'elle devait rencontrer ? Pas grand-chose pour tout dire, hors le fait que ses gueules de bois étaient à fuir tant elles s'accompagnaient de gerbes menaçantes pour toutes paires de bottes soigneusement cirées. Elle savait son nom. Son mépris affiché pour le rouquin qui, elle devait bien l'avouer, lui avait bien plu, et une connaissance commune. C'était à peu près tout, le rapide contrat qu'ils avaient passé ne leur ayant pas donné l'occasion d'en connaître plus. Cependant, la manouche avait une milice à faire tourner et des recrutements à faire. L'homme s'était montré habile lors de leur rencontre et quand il aurait pu disparaître aussi vite qu'il était apparu, avait été présent lors de la brève confrontation aux portes du clan Azzurro. Il avait répondu à l'appel, et pour l'heure, la gitane n'en demandait pas davantage pour lui proposer de la rejoindre plus officiellement sans pourtant que le cadre ne le soit.


La robe rouge claquait insolemment sur le vert des feuillages et, ôtant ses bottes en gorgeant ses poumons de sève, regretta de ne pas passer plus de temps dans ce havre de paix où les bruits de la cité semblaient venir mourir. Les bottes furent abandonnées sans attention alors que la dextre fine se posait sur le serpent d'or s'enroulant à son bras nu, comme si ce bijou avait le pouvoir de la protéger contre les abeilles bourdonnant encore en ce début de soirée.


S'approchant d'un garde, la plante de ses pieds nus frissonnant sous la chatouille de l'herbe, elle lui demanda
Vitalin, un homme est-il arrivé pour moi ?

L'homme secoua la tête. Non, personne n'a demandé à entrer.

La gitane fronça les sourcils.
Bigre, j'aurai encore pu jouer quelques mains ! Je pensais être en retard, voilà qu'il me faut poireauter ! Conclut-elle dans un haussement d'épaules résigné, s'éloignant dans le feuillage bruissant doucement autour d'elle. Décidément, la courtoisie masculine partait en sucette. D'un pied de nez magistral, non seulement, les hommes se refusaient à attendre ces dames comme il se devait, mais s'accordaient le droit de retourner la situation et de se faire désirer. Mais où allait le monde ?
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Ansoald
Les yeux fermés, il appréciait la quiétude du lieu. Les paupières closes, il entendait mieux, détaillait un à un les sons du jardin. Le ruissellement de l'eau dans le petit bassin, le bruissement d'ailes d'une libellule, une feuille morte qui craque sous le pas léger d'un animal, mélangés par les caresses d'un vent léger, parvenaient à Anso, qui exerçait son oreille pour en faire le tri méticuleux. Ainsi, alors qu'il étendait la portée de ses sens à travers les allées du parc, avait-il perçu un éclat de toux. Sans nul doute un séide de la Gitane.

A la nature comme à la ville, la vie compte des prédateurs et des proies. Ansoald mimait la parfaite sérénité d'un être immobile, non pas pour méditer, mais pour être à l'affut du moindre bruit suspect, et concentrait ses efforts sur cette présence humaine, menaçante. Soudain, très faibles, mais distincts, quelques mots traversèrent son champ auditif, provenant de cette direction. Il hésita: fallait-il rester là, ou dresser une embuscade dans le propre jardin d'Axelle? Cette dernière option lui offrait l'avantage de se focaliser sur elle, en choisissant la bonne cible pour sa petite surprise. Peu importait la colère de la gitane, au contraire, c'était là une bonne façon de confondre son interlocutrice, par un geste insensé de décontraction pour un traître à sa parole. Une diversion inattendue comme une pluie d'été, pour laver les soupçons sur l'intelligence supposée de ce provincial égaré dans la capitale. Mais Anso, habituellement téméraire, voulait apprendre la patience. Il se morigéna en replaçant comme priorité d'action son plan de départ, sans céder à la tentation de jouer la diagonale du fou. En conséquence, il cala le cistre contre son ventre, et d'une main légère frôla les cordes de l'instrument. Les premières notes de musique s’élevèrent dans le soir naissant.

Se faisant, il laissait au hasard toute sa part de risque. Il aurait été mieux avisé d'attendre encore que le son s'affermisse, pour confirmer l'origine de cette voix avec la plus grande certitude. Or, échaudé par ses hésitations, il avait décidé d'agir, sans attendre, confondant détermination et précipitation. Dans l'art de la patience, Anso avait encore beaucoup à apprendre.

Par chance, il s'agissait bien d'Axelle. Mais, alors que le musicien s'attendait à la voir surgir d'une allée, c'est du feuillage clairsemé d'un arbuste qu'elle surgit. Quelques feuilles éparses volèrent autour d'elle, épousèrent un instant les plis de sa robe rouge avant de s'écarter brusquement, comme prises dans une tempête.
Ansoald a bien du mal à rester concentré sur son jeu, pendant qu'elle s'approche, comme s'il veut transmettre à sa musique le tourbillon de sentiments qu'elle fait naître, en toute imprudence. Et, de fait, il ne peut résister. Il lance ses doigts à l'assaut des cordes, créant une mélodie aux accents tsiganes, sur une cadence endiablée qu'il suit en tapant du pied. Sa main court le long du manche avec dextérité, et c'est avec un sourire malicieux qu'il la défie de danser, bien qu'ils n'aient pas encore échangés un mot. Son regard embrasse le corps de la gitane comme s'il voulait la transformer en flamme, que ses pieds nus, délicieusement nus, embrase l'herbe fraîche...
Mais il n'oublie pas qu'une lame se cache sous le lierre.

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Si ce n'est pas toi, c'est donc ton frère....
Axelle
Des rares fois où elle s'était prélassée dans ce jardin béni des Dieux, la gitane avait surtout entendu le froissement des insectes cachés dans les hautes herbes, le crissement des graviers sous quelques semelles pressées ou nonchalantes et, parfois, des rires étouffées, trahissant quelques jeux grivois dont seuls les buissons étaient témoins. Mais de notes de musique entre ces branches vertes, jamais.

Aimbaud aurait-il eu l'idée de renouveler l'expérience de la sérénade ? C'était fort peu probable. Si le Marquis s'autorisait toutes les audaces, même les plus farfelues ou débridées, dans le petit appartement paumé à la pointe de l'Île Notre Dame, hors des murs de la gitane, tout restait soigneusement secret, jusqu'au berceau discret se balançant doucement dans la chambre de l'étage. Enfin, si le berceau était discret, le marmot qui y braillait à longueur de jour semblait bien décidé à contredire la volonté parentale.

Quoiqu'il en soit, la curiosité piquée au vif, les pas de la gitane se laissaient guider sans résistance par la mélodie, comme si les notes écartaient les branches pour la conduire jusqu'au mystérieux musicien. La dernière branche, ce fut cependant son bras qui l'écarta d'un geste vif, découvrant avec stupeur le visage, de toute évidence satisfait de son effet, de son rendez-vous dont les airs professionnels semblaient soudain s'envoler sous ses doigts habiles.

À la musique s'élevant dans l'air comme pour aller dénicher une lune encore endormie, le crépitement des feux de camps et les chants des siens résonnèrent familièrement à ses oreilles, jusqu'à clore furtivement les paupières manouches, le nez se redressant comme pour happer des souvenirs que les ans et la vie passant ne parviendraient jamais à délaver de leur éclat.

Oui, sans nul doute, ses hanches auraient pu commencer à onduler sous l'appel de son bras fin s’enroulant d’un geste délié et lent au-dessus de sa tête pour marquer le début de la danse, avant que la main ne claque sur la paume de sa jumelle avec la gaîté des feux de camps des soirs d’été, sous la lune camarguaise. Oui, ses hanches souples, enivrées par l’appel des braises, auraient pu rouler, suggestives, jusqu'à embraser son corps tout entier sous l’emportement de la musique. Le cambrant. Le déchirant presque sous le martèlement de ses talons nus. Elle aurait pu ondoyer, sauvage, un sourire éclatant de défi sur le visage, son jupon cramoisi virevoltant sur ses jambes brunes emportées par la danse sévère, envoûtante et cadencée, le visage fouetté par les boucles noires, félonnes et libertaires. Oui, elle aurait pu danser, et danser encore, jusqu'à tomber d'épuisement et, offrir au musicien sa gorge perlée de sueur dans un grand éclat de rire.

Oh, oui, elle aurait pu tant la musique faisait battre son sang manouche en cadence, mais jamais, la gitane ne dansait par défi. Elle ne dansait que par envie. Aussi, n'offrant que le déhanché de sa démarche de danseuse au virtuose, approcha de lui et, délicatement, prit le menton de l'homme entre ses doigts fins pour remonter ce visage décidément bien surprenant vers le sien. Et d'une voix basse comme pour ne pas déranger les notes en suspens, murmura.


Comment diable êtes-vous entré ?

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Ansoald
Il a semé sur son chemin des épines noires, des épines blanches. Il a tissé de ses doigts habiles sur le cistre une musique entraînante. Il a espéré qu'elle fasse tomber le soleil sur l'herbe tendre à la faveur d'une danse. Or, c'est en toute détermination qu'elle s'avance vers lui, qu'elle lui saisit le menton. Nulle écorchure blesse ses pieds, nulle corde entrave ses poignets, nulle brûlure enflamme ses chevilles.

Néanmoins, elle offre au musicien un étrange tableau, entre l'audace de cette main sur son visage et le ton prudent, presque timide, de sa voix. En surface, elle se garde de toute émotion, mais le timbre de sa parole trahit le trouble qu'il a fait naître en elle. En réponse, il ne pince plus les cordes, mais les frôle, et la mélodie devient douce comme la mélancolie d'un sonnet, car il lit dans cet émoi les souvenirs de sa vie insouciante, quand elle n'avait pas besoin de gardes pour protéger ses secrets.

La musique a le don d'étirer le temps à sa volonté, d'élargir, ou rétrécir, l'espace de nos mouvements. Ansoald en profite pour goûter pleinement la plongée en ses prunelles sombres et le flux contrarié de leurs respirations, dangereusement proches. Quel fou ne pourrait pas prétendre à désirer se pendre sur ces lèvres ambrées, à y perdre le souffle? Mais, il surveille aussi, les sens en alerte, le moindre geste interlope de cette beauté gitane, dont les charmes altèrent les coeurs les plus endurcis. Or, Ansoald, précaire, passionné, en déséquilibre constant, connaît trop les fêlures qui traversent sa raison pour ne pas se méfier, quelques instants.

C'est donc, renforcé par la pénombre qui s'installe dans le décor, un regard impassible qu'il offre à Axelle. Oui, impassible, impavide, impénétrable, impénitent. Doué de la lueur d'importance qu'il se donne, cambrioleur du jardin secret de la belle gitane. Sa voix caresse la sienne comme s'il voulait la contrôler, ou plutôt, la recouvrir, tel un drap sur le corps de cette femme, sur un lit berceau de tempêtes charnelles, et non pas...Dans le sinistre confort d'une chambre mortuaire. Il dit:


Je suis peut-être un diable, mais ce jardin n'est pas l'Eden. Les murs qui le protègent ont des failles, pour qui sait les déceler. Le reste, je le dois à mes années d'entraînement comme acrobate et saltimbanque. Aussi, je me flatte que nul endroit reste secret à ma curiosité, et votre jardin, tout bien gardé qu'il est, ne fait pas exception à la règle. Vous contrôlerez les pierres du mur Est. Vous m'avez rendu la tâche trop aisée, moi qui ne sait résister à l'envie de passer par la fenêtre quand on me désigne la porte. Mais pourquoi vouliez-vous me voir dans un tel endroit?

Suprême arrogance, offerte en diversion à celle qui commande les milices d'Hadès et qui pourrait bien avoir eu vent des sombres accointances qu'Anso entretient avec ses ennemis du Cielo Azzurro. Il se réjouit en son for intérieur qu'elle se trouve aussi proche de lui. Il évalue favorablement la possibilité de lui maintenir une lame sous la gorge, si jamais le rendez-vous tourne vinaigre.

Pour le moment, il s'agit de répondre de manière positive au jeu de séduction de la belle. C'est d'autant plus facile qu'Ansoald rêve depuis longtemps de lui mordre l'oreille, et d'autant plus difficile que le désir obscurcit sa volonté. Sur ce point, ils ne peuvent se mentir l'un à l'autre. Reste à savoir pour Anso si elle désire son corps, sa tête, ou les deux à la fois. Dans les deux derniers cas, mieux vaudrait pour sa vie de frapper avant qu'elle ne le frappe....

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Si ce n'est pas toi, c'est donc ton frère....
Axelle
Elle fouillait et farfouillait ce regard fleurant bon la noisette sans rien ne pouvoir y lire que l'impassibilité. Sans nul doute s'en serait-elle furieusement agacée si les doigts habiles de son invité ne semblaient avoir ce don inimitable de parler pour lui, dans un cortège de notes maintenant douces et légères, s'accordant au chant délicat de la brise entre les feuilles. Il parlait, elle écoutait. Presque sage malgré ses prunelles noires s'invitant à détailler sans vergogne cette gueule d'ange à portée de son souffle. Devrait-elle se méfier ? Certainement. Les dents du bonheur savaient certainement mordre, comme toutes les autres. Mais qu'importait quand le jeu s'invitait et chassait une routine que trop ennuyeuse. D'ailleurs, pouvait-il lui faire seulement peur quand, pas un instant, elle n'avait songé à glisser sa lame dans sa ceinture ? Non. Comme la première fois, il l'intriguait, et pour la première fois certainement de sa vie, la gitane se refusait à vouloir dévoiler le mystère, de peur qu'il ne se brise.

Qu'il reste ainsi, insaisissable, plus glissant qu'une anguille pour la surprendre à chacun de ses gestes. À chacune de ses paroles. Ainsi donc, le soldat dévoué à la cause angevine, dans une savante pirouette, enfilait le costume bien plus coloré et chatoyant d'acrobate, traçant de ses airs insoumis les ornières laissées par les roues d'une roulotte sous de joyeuses notes de musique. Qu'il aurait été bon, à cet instant, de partir, juchée à l'arrière d'une de ces charrettes cahotantes, battant ses pieds nus dans le vide comme une gamine et les yeux, un peu nostalgiques, contemplant le passé s'éloignant au fils des chants, plantant dans l'écorce noueuse dans chaque arbre dépassé, les visages hantant sa vie.

Ces lèvres si proches des siennes, trop proches pourraient juger certains, mais un soldat acrobate et une milicienne danseuse avaient-il d'autre choix que de défier agilement la menace du désir ? Ces lèvres, avaient-elles le goût parfumé de l'évasion ? Le regard furtivement flou, le pouce gitan s'égara sur cette bouche bien plus bavarde que les seuls mots prononcés ne le laissaient paraître, en une caresse volée, la pulpe tendre à la merci d'un coup de dent acéré, sans pourtant parvenir à une réponse satisfaisante.


Ne décelez-vous que les failles des murs ?

Le regard sombre, sous le couvert sournois de la frange de ses longs cils, observa un instant ce doigt téméraire avant qu'elle ne se redresse, son pouce quittant le nid chaud de cette respiration avant d'être croqué comme une pomme. Reprenant des allures badines et désinvoltes elle s’assit à son tour sur le banc de pierre, les jambes en tailleur repliées sous elle.

Pourquoi ici ? C'est bien plus agréable que le gris des murs des Yeux d'Hadès, surtout quand il fait si beau. Et tournant la tête pour le regarder encore. Ne trouvez-vous pas ? Plus agréable, et surtout, bien moins menaçant. Un sourire taquin glissa au coin de sa bouche. Mon intention n'était pas de vous faire fuir. Seriez-vous venu sinon ?
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Ansoald
La belle et redoutable maîtresse des Yeux d'Hadès l'invite dans son jardin secret, à l'heure de la bascule entre le jour et la nuit. Depuis le début de cette rencontre, il tente de la surprendre, de la tenir à distance, de mettre un écart raisonnable entre lui et elle. Peine perdue. Elle n'a de cesse de le toucher, lui saisit le menton, lui caresse les lèvres, l'enrobe de son souffle, puis s'en détache. Non sans malice, elle replie ses ailes sur le petit banc de pierre, et lui cause, d'une manière aussi désinvolte qu'il semble rigoureusement impassible, mais autant cela semble une attitude naturelle de la gitane, autant Anso éprouve le plus grand mal à tenir le masque de la flegme sur ses traits.

En effet, le sourire provocant d'Axelle accroche une certitude au perchoir de ses pensées. Ce rendez-vous est un piège. Elle l'attire ici, dans un cadre reposant, où les odeurs sont parfums, où les ombres sont écrins, où les heures recommencent, dans le seul but d'amollir sa méfiance, de creuser sur son visage un sourire avenant en réponse au sien, de tailler dans l'air des gestes réciproques, pour s'abandonner à la contemplation des miroirs du plaisir qu'elle dresse devant son regard. Le pire est que cela fonctionne, en toute conscience de l'inconscience.

Ce rendez-vous est un piège et Anso décide, à la croisée des regards, d'y tomber sans fin. Il tombe par désir de la chute, quand tout s'efface autour de soi. Il désire savoir jusqu'où elle peut aller. A quel point elle a décidé de profiter de lui, avant de le laisser aux bons soins de ses larbins. Il y a, dans cette pénombre qui s'avance sur eux, qui les enveloppe peu à peu dans l'intimité, un décor plaisant pour son imagination.

Après tout, comment pourrait-il s'échapper? Il serait puéril et dangereux de partir en courant, comme un voleur de bonbons. Les portes sont bien gardées et les murs hasardeux à escalader dans cette obscurité. A supposer qu'il s'échappe, le Cielo Azzuro lui offrirait peut-être un refuge, mais il serait obligé de vivre comme un paria lors de ses séjours dans la capitale. Axelle, habilement ou non, laisse planer le mystère sur ses intentions, et lui se trouve coincé dans l'émail de son sourire, avec, comme seule arme de défense, une dent d'acier.

La seule? Non. Il compte également sur sa langue, et il doit la manier avec précaution, car la question d'Axelle est à double-tranchant. Son regard quitte les prunelles de jais pour vagabonder dans les allées du parc, où les mots gambadent sans contrainte devant ses yeux rêveurs:



Vous m'auriez invité dans une salle de torture que je serai venu quand même. Au contraire, j'ai de l'intérêt pour ces machines, ces instruments de vérité qui s'acharnent sur un corps pour lui délier l'esprit....

Une lueur singulière éclaire son visage, brisant l'impassibilité feinte de ses traits. Veut-elle sonder son esprit, qu'elle est bien obligée de s'approcher de lui, qu'elle le fasse ou pas ne change rien à l'élocution lente, comme hésitante, comme venue de très loin (un stratagème classique pour faire croire à la profondeur d'une réflexion), de sa voix:

Ne vous trompez pas, je ne crois pas en la justice. Ni celle des hommes, ni celle de Dieu. La vérité est chatoyante....Comme ce jardin, ces fleurs qui se prétendent belles, avec leurs corolles pleine de charmes, mais lesquelles, en réalité, nous font boire le calice...Jusqu'à la mort....Oui, charmant jardin, pour ceux qui se contentent d'effleurer du regard ces rangées impeccables.

Il pose à ces mots son cistre en équilibre contre le pied du banc, puis se tourne vers elle. Parler de tout et de rien, divertir les pensées par des phrases sibyllines, Ansoald sait faire à merveille. Axelle serait-elle agacée? Sa main, audacieuse, quitte la froide pierre pour la rondeur du genou d'Axelle. Le contact est rétabli, si bien qu'il ne met aucune limite à son exploration, et que les doigts, voguant sur les plis de l'étoffe, naviguent, pour le moment, en toute liberté. Un sourire flotte sur son visage, un sourire qui signifie aussi bien le défi que la volonté de séduire. Retourner le piège à son avantage...Tel est pris qui croyait prendre....C'est désormais le but de l'araignée des murailles.

Axelle, depuis que vous m'avez recueilli, gisant à l'entrée de votre...repaire, nous avons fait un bout de chemin ensemble. Pas grand-chose, mais j'ai pu retrouver Kachina et vous avez mis la main sur Donatien, selon les termes de notre accord. Depuis, de l'eau a coulé sous les ponts de Paris, et nos vies sont rarement de longs fleuves tranquilles. Nous agissons à l'extrême de nos pensées, nous aimons nous mettre en danger, à braver les tempêtes, à danser sur le fil de l'Irraison, comme Kachina aime à le dire. Vous ne devez quoi penser de moi, je ne sais rien de vous. Vous prétendez servir la loi, vous êtes une ode à la désobéissance. Vous souhaitez tout contrôler, mais devant vous, il est....Si ardu de se contrôler...

A cette évocation, une chose folle se produit. Ansoald bascule la jambe gauche de l'autre côté du banc et il s'allonge, tout simplement, en posant la tête sur les jambes d'Axelle. La masse des boucles brunes se niche entre ses cuisses, mais il n'y a rien de plus téméraire qu'un baiser plaqué contre son ventre. Il se décide à parler encore, avant qu'elle ne lui plante les ongles dans le cou:

Qu'est ce que l'avenir nous réserve? Que désirez-vous de moi? Que m'offrez-vous? L'aventure, la mort, les deux à la fois?

Un sourire narquois entrouvre ses lèvres. La pointe de sa langue darde entre les incisives légèrement écartées. Les noisettes roulent en ses prunelles, dans une fouille réciproque de leurs pensées, comme s'ils pouvaient si facilement se deviner. Son oreille gauche écoute les frémissements de son ventre, à l'affût du moindre soupir. Bientôt, il se tournera contre elle et puisera directement à la source de son envie charnelle et offrira sa nuque de traître à la vengeance de ses coups. Frappera-t-elle?
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Si ce n'est pas toi, c'est donc ton frère....
Axelle
Nouvelle découverte. L'homme était bavard et si c'était là une caractéristique que la gitane goûtait habituellement peu, la langue de son invité était assez habile pour apprécier son discours qui, elle devait bien l'avouer était assez flatteur. Et somme toute, la gitane, bien que le rouge ne lui montait jamais aux joues, s'en gavait avec gloutonnerie en digne femme qu'elle savait être, remontant un peu plus le menton à chaque déclaration.

Pourtant, au travers cette douce pluie se déversant sur ses épaules, une ombre se glissa, furtive et insaisissable mais bel et bien présente. Que voulait-il donc faire comprendre avec ces histoires de fleurs vénéneuses ? Était-ce une mise en garde ou l'expression de sa propre méfiance ? Et quelles en seraient les causes ? Il était vrai qu'ils ne savaient rien l'un de l'autre et qu'en Paris, la méfiance était une condition de survie. Néanmoins ses paroles tintaient désagréablement aux oreilles manouches et, elle qui depuis le début de l'entretien avait délaissées ses armes, se tendit quelque peu. Elle qui lui avait donné un simple rendez-vous pour grossir les rangs de la milice, avec naturel et sans autre arrière-pensée que de poser ses cartes sur la table, comprit l'erreur éventuelle de penser que tout pouvait être aussi simple. S'il jouait, d'une quelconque façon, cherchant à l'endormir de ses mots doux et de ses regards enjôleurs, alors elle ferrai de même.

Rien donc ne pouvait être simple en ce fichu monde ? Non, et si cela l'agaçait souvent, l'adversaire qu'elle avait sous les yeux était assez adroit pour rendre la déconvenue finalement bien agréable. Le subtil mélange d'un homme, farouchement sensuel, dénué de toute retenue jusqu'à déposer sa tête sur ses jambes, assez respectueux des règles pour habilement la laisser deviner qu'un grain de sable enraillait le mécanisme tout en décorant l'échiquier d'une lascive volupté constituait un menu de fin gourmet.

Avec une suave lenteur, la jambe manouche se déroula, attentive à ne pas déranger la tête qui s'y nichait, le regard fendu d'une ambiguïté neuve quand le rouge de la robe glissait mollement sur la peau brune de sa cuisse aussi fuselée qu'impudique. L'avenir ? Je suis gitane mais pas diseuse de bonne aventure. Le pied menu frôla le flanc de l'homme laissant le bruissement du tissu s'entremêler à celui des branches les couvant de leurs ombres mouvantes avant de se tendre sur le mollet mâle en une caresse évocatrice. Je ne désire de vous que ce que vous voudrez me donner car, contrairement à ce que vous pensez, le contrôle ne m'émeut guère. À moins que l'on me l'offre de plein gré. Sous les boucles brunes un sourire se faufila, découpant le visage manouche d'une traînée presque trop blanche en cette fin de journée. Ce que je vous offre ?

Sans crier gare, les reins gitans se cambrèrent, alors qu'elle se redressait, la dextre accrochée au banc de pierre pour accroître l'élan, jusqu'à déloger son hôte du nid qu'il s'était attribué et le faire chuter dans l'heure verte. Oh, mais le libérer aurait été bien trop facile. Il avait déjà bien trop aiguisé la curiosité de la Casas et, bien plus dangereux encore, son désir. Le regard sombre, où perlait une lueur concupiscente qui ne cherchait pas à se cacher, se posa sur le corps allongé à ses pieds avant de venir le retrouver, roulant sur lui pour encadrer ses yeux de noisette de la cascade noire de ses boucles. Ce que vous êtes venu chercher. Non ? Les bras de part et d'autre du crâne de son visiteur avaient beau être fins, ils auraient largement pu soutenir encore le corps manouche de bien longues minutes, pourtant l'espace entre leurs deux visages fondit comme neige au soleil, laissant les bouches inconnues l'une de l'autre se frôler, se sentir, s'apprisoiser comme si à elles seules, elles détenaient le pouvoir de chasser les voiles de leur ignorance respective. Moi.
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Ansoald
La surprise est un sentiment qu'un homme comme Ansoald ne pouvait se permettre face une femme telle qu'Axelle, et surtout en ce lieu, en ces temps, face à leurs histoires. C'est pourquoi il cherchait l'initiative, à l'instar d'un joueur d'échec, bien qu'Anso ne connût pas ce jeu. Grimper les murs, jouer de la musique, nicher la tête entre ses cuisses, tout cela correspondait à cette stratégie. Mais il s'était livré avec imprudence, par envie de la chute, par désir de la faille.

Axelle le surprend. Elle le tient entre les barreaux de ses bras, sous le couvert de sa bouche, par le son de sa voix. Le dos contre l'herbe, boucles brunes sur boucles vertes, la main loin de sa lame, scintillante sous la lune et le lierre, il est aussi vulnérable qu'un homme qui vient de sauter dans le vide. Elle le domine, le nargue. Son corps est chaud contre le sien. Les étoiles piquent sa chevelure de jais. De sa peau ambrée, de sa peau claire, émanent des parfums aux senteurs piquantes de muscade, et le souffle d'Anso rapetisse quand il veut la sentir. Son nez, saillant, pointe sous le menton gitan, et l'envie de déchirer sa gorge se fait furieusement sexuelle.

Qu'importe si la réponse d'Axelle n'est pas la bonne. Qu'importe si la réponse d'Axelle sonne comme un mensonge. Elle ne le tuera pas, pas comme ça, il en est, follement, irrésistiblement persuadé, quelques secondes de temps. Ensuite, tout bascule, de l'autre côté, sur le versant de la peur. Nouvelle suée et douloureux enflement de sa braguette. Les doigts se nouent dans une étreinte qui se veut légère, qui est possessive. Sa méfiance est à la hauteur de son désir: irrépressible.

Ses lèvres répondent aux siennes. Elles sont assez larges pour dévorer douze femmes ou une Axelle. Elles minaudent, narquoises, elles s'écartent, dédaigneuses, elles s'attirent, affamées. Baisers manqués, morsures ratées, leurs bouches se défient quand leurs regards se jaugent. Les dents fêlées d'Anso claquent dans l'air comme s'il mordait le souffle de la gitane. En ses prunelles noires brille le regard du voleur, toujours plus ardent au fur et à mesure que se renforce l'étreinte de leurs corps et la pénombre autour. Il n'y a pas de meilleur moment pour la tuer. Pour en finir de la crainte d'être démasqué. S'il parvient à lui saisir le cou, il suffira d'un baiser pour étouffer ses cris. S'il rapporte à Kelel une preuve de son crime, ne sera-t-il pas fabuleusement récompensé? Cette pensée lui déchire l'esprit quand leurs corps s'épousent, exaltés, renforcent leur mutuelle emprise et s'affaiblissent de même, corrompus par le désir.

Ils ne rient pas. Ils ne s'amusent pas. Ils se veulent.

Soudain, il s'arrache à l'emprise de ses doigts pour plaquer la paume de sa main contre la cuisse gauche d'Axelle. Ses doigts parcourent les stries de son ancienne blessure. Ce n'est pas cette faille qu'il cherche. C'est celle qui se trouve au secret de sa robe, mais, fendue jusqu'à la cuisse, elle dévoile aisément à ses caresses le fruit de ses recherches. C'est ainsi que, conquérante, il veut la déstabiliser. Que les battements de cils s'affolent comme ceux de son coeur. Que son petit nez se fronce, pris dans l'étau entre contrariété et curiosité face à l'intrusion. Que sa bouche se torde sous la force du premier cri. Et Anso qui écrase les doigts audacieux en soulevant son bassin à la rencontre du sien sait qu'ils chercheront refuge en cette faille ardente.

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Si ce n'est pas toi, c'est donc ton frère....
Axelle
Animal. Sauvage. Insaisissable.

Tel était le portrait qui se dessinait sous les prunelles noires à chaque empoignades de leurs bouches se fuyant pour mieux se percuter. S'ils avaient choisi les lames comme armes, la confrontation n'aurait pu être plus ravageuse. Était-ce un homme et une femme, doués d'une certaine éducation, qui s'aventuraient sur le terrain savonneux du désir, ou deux félins s'affrontant à coups de crocs et de griffes envieuses, rompant leurs souffles en saccades dévoyées de déloyales provocations ? Non, ces deux là n'avaient rien de petits chatons clignant joliment des paupières en se faisant pattes de velours. Ils étaient monstrueux de férocité et déversaient leur appétit sans s'encombrer de couverts d'argent.

Pourtant, cette main qui pointait la faille gitane du bout de son doigt était plus éclatante que l'or, ainsi parée de l'art délicat de la bataille des sens. Et il gagnait, son improbable adversaire, arrachant un gémissement à son souffle envieux et chaotique. Elle aurait dû se défendre, contre-attaquer, mais se laissait envahir, marquant sa défaite de ses sourcils se froissant, de sa bouche s'arrondissant sous la caresse impénitente la mettant à la torture. Bien piètre riposte qu'étaient les longs doigts bruns s'accrochant à la chemise du tortionnaire, ne parvenant qu'à la débrailler. Bien piètre revanche que de l'entendre gémir d'indignation de se voir ainsi froisser sur le lit vert de l'herbe. Les fleurs du jardin pouvaient bien être toxiques, vénéneuses et fourbes, elles restaient innocentes du vertige assaillant les veines manouches. Vaincue, le plaisir lui tournait le ventre sans qu'elle ne semble s'en révolter jusqu'à ce qu'il ne fuse, trop vif, entre ses reins.

Non, il ne gagnera pas si facilement. Non, si elle devait gémir et se tordre de plaisir jusqu'à supplier d'en avoir encore ou implorer qu'il arrête, alors il devra subir son envie en échange et, en cruel félin qu'il était, rugir jusqu'à l'étourdir. Alors la révolte gronda, s'acharnant sur la boucle du ceinturon avant de libérer de leur entrave de tissu, l'objet de sa convoitise que la manouche aventureuse, ne se priva pas de flatter de la paume lisse de la main. Geste bien tendre s'opposant avec fracas à la volonté de ses dents affûtées se plantant dans le cou de cet amant surprenant pour mieux redessiner de son empreinte ronde, le fil tendu de la mâchoire mâle.

Juste la petite mort... Pour l'heure...

Que la débauche soit, et la débauche fut. Mais pas encore. Là, juste à l’orée de lui, palpitant entre ses longues cuisses brunes, la gitane se redressa, impardonnablement, enfonçant ses prunelles flamboyantes au plus profond des noisettes fendues. D'un mouvement d'une lenteur agaçante, tordant ses épaules, le rouge dégoulina sur la pointe de ses seins dardés à en crever les yeux pour s'échouer au creux de son ventre, comme une peinture qui coule sous la pluie. Un sourire provocant arqua le coin des lèvres ourlées de désir puis, tout aussi lentement, chassant les boucles brunes s'égarant sur sa gorge en se cambrant, glissa sur son cadeau du jour, lui offrant la rédemption au creux de ses chairs moites. Dans le plus grand silence. Les lèvres entrouvertes tremblaient furtivement sous les paupières taisant de leur voile fin, le regard flou qui s'y calfeutrait. Et sous le couvert de ce jardin secret, la pupille des Yeux d'Hadès savoura en digne égoïste qu'elle était, cette seconde de calme avant la tempête.
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Ansoald
Le moment est solennel. Les soupirs se sont tus. Le jardin est suspendu. Aux pieds d'Axelle s'étend une flaque rouge formée de vaguelettes de tissu. Le corps de la gitane s'offre aux derniers rayons du soleil couchant. Ansoald, allongé sur l'herbe, détaille sans vergogne les splendeurs qui s'offrent à sa vue, ces muscles fins blottis sous l'enveloppe de sa peau épicée, cette silhouette taillée dans les flammes de foyers vagabonds et ces seins qui donnent envie à chaque homme viril de redevenir marmots, pour les tirer soir et matin et la journée encore.

Mais le brun n'est pas, de son côté, demeuré inactif. Alors, quand Axelle le toise, impériale manouche, c'est une tunique rouge en lin, ornée par un galon noir au col, qu'elle se prend dans la tête. D'un geste rapide, elle s'en débarrasse, mais le voilà déjà là, en face d'elle, debout, délicieux, déterminé. Sur les lèvres gitanes se forme l'ombre du sourire du noiraud. Il cueille à la fleur de ses pulpes amarantes le baiser inéluctable, celui qu'il désire depuis si longtemps sans oser le nommer par la bouche d'Axelle. Ses mains, habituées aux murailles, trouvent prises dans le creux de ses reins. Les seins s'appuient contre le torse nu. La jambe s'arque, légère, contre sa cuisse. Les mèches brunes se frôlent, comme leurs souffles, et leurs regards se touchent, jusqu'au fond des prunelles. C'est un moment de volupté.

Qui ne saurait durer. Le sang est fort, le désir puissant. Sur l'étalage de leurs robe et tunique, rouge pareil, Ansoald pousse Axelle qui entraîne Anso lequel bouscule Axelle laquelle agrippe le brun qui percute la brune et leurs cris fendent la nuit paisible de ce jardin secret.

Perché sur elle, c'est à la lisière de sa vision un mouvement qu'il observe, et il relève la tête, un instant, comme un animal aux aguets, sans, bien sûr, cesser de danser contre elle. Il ne voudrait pas lui donner l'impression qu'il sait tout de ce guet-apens, quand il aperçoit, au loin, en bordure d'une haie, un homme, ou une femme, être là, posté, aux aguets, en observation.

Anso revient à Axelle. As-t-elle capté sa brève hésitation? Il éteint d'emblée toute question en apposant un autre baiser contre les lèvres de la gitane, aspirant le souffle de ses mots comme s'il y puisait une force de vie. Ne pas mourir sans avoir connu le désir qu'elle lui offre sur un plateau ardent. Aussi abandonne-t-il le confort de sa bouche pour la chaleur de son cou, et sa langue suit le tracé de ses veines jusqu'au coeur palpitant, et l'effort de gravir ses monts ne semble pas trop éreintant, puisqu'il s'amuse aux sommets à tirer les mamelons comme s'il voulait les faire rouler jusqu'au bas de la pente, jusqu'au nombril, comme au jeu de billes. Il poursuit son chemin sur le ventre, mais il triche déjà, car sa main audacieuse n'a pas su retenir entre ses doigts l'attrait exercé par le trésor de sa nudité. Bille en tête, les doigts exercent leur emprise, majeur désigné comme le chef de l'expédition. La fouille est fructueuse, mais courte, car ils sont balayés par cette langue avide de ses perles précieuses. Immédiatement, elle se met à l'ouvrage, se collant aux parois, et les doigts de bonne grâce apportent à sa dégustation le nectar profondément enfoui en ses entrailles.

Anso cherche le regard d'Axelle. Sa main libre se plaque contre sa cuisse, une claque qui peut s'entendre de loin. Un avertissement: il est en position de mordre!

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Si ce n'est pas toi, c'est donc ton frère....
Axelle
Ô traître, comme il l'était.

Les bassins délictueux claquaient l'un sur l'autre, distribuant à chaque battement leur piqûre extatique en une symphonie piquant tant les oreilles que la vue de l'intrus qui glissait un œil envieux entre les feuilles. De cette incursion, la gitane se moquait bien. Comment ses pensées auraient-elles bien pu se perdre ailleurs que sur cet homme, à peine connu, se déchaînant sur sa peau, maltraitant ses seins pour mieux la faire gémir encore ? Lui qui pourtant, en claquant sa cuisse comme celle d'une pouliche, éveillait en elle l'envie de se redresser et de le gifler, plus fort encore.

Ô traître, comme il l'était quand d'une sournoise esquive, il s'échappait, refusant de lui offrir ce rugissement qu'elle brûlait d'entendre, trop fière qu'elle était pour chuter seule. Il l'épinglait là, comme un stupide insecte pris au piège d'une toile d'araignée, sur le gras de l'herbe braillant à l'injustice d'être ainsi écrasée sous les deux corps roulant l'un sur l'autre en une débauche frénétique d'avidité sauvage. Épinglée d'une langue cruellement chaude et curieuse. Cruellement douce et habile, l'inondant toute entière. Épinglée de doigts la fouillant pour le divertir un peu plus.

Ô, oui, traître, comme il l'était, brisant en elle toute envie de contre-attaque en la confrontant à cette arme déloyale. Les buissons en payèrent le prix de leur tendre feuillage arraché d'une paume fébrile, comme si elle cherchait un point d'ancrage pour ne pas sombrer. Pour ne pas déjà lui déposer sa jouissance en offrande sans en avoir savouré chaque volute, chaque cambrure de ses hanches alors que ses jambes, plus traîtresses encore que son tortionnaire, s’écartaient un peu plus, s’offrant d’elle-même à l’appétit fauve. Sous ses paupières paresseuses, les prunelles embrasées contemplaient les mèches brunes étalées entre ses jambes et quand elle n'en put plus de lutter contre l'inévitable, la dextre brune s'empara du crâne fautif de trop plaisir, tirant les cheveux pour mieux les inviter contre la ligne tendue de son ventre. Son souffle, trop court, soulevait sa poitrine avec une régularité de plus en plus profonde et morcelée ne lui permettant rien d’autre que l’abandon solitaire, au rythme de cette langue trop audacieuse, à la cadence de ses doigts trop insolents. Les vagues s’enchaînèrent, plus puissantes au creux de son ventre jusqu'à s'embrasser les unes les autres et se muer en une déferlante brûlante et dévastatrice. La main à la nuque du brun s’immobilisa, le privant des griffures et tout le corps manouche s’arqua, maintenu par un fil de soie en un équilibre précaire. Elle resta ainsi suspendue, statue pétrifiée sur le cri muet de son souffle brisé, la mâchoire tremblant trop légèrement pour trahir le moindre signe de vie. Son envahisseur déliait tant de ferveur au ventre de la danseuse, que ses doigts moites venant la conquérir furent enserrés d’une série de spasmes frémissants qui dévalèrent tout son corps au son de sa gorge enfin libérée d'un cri de plaisir se fracassant aux tempes du vainqueur. La plainte s'estompa pour reprendre de plus belle, hachée, comme les mouvements désordonnés de son corps quand sa poigne, irrespectueuse envers celui qui lui offrait la jouissance pleine et pure, se refermait sans plus de pitié sur la nuque et s’y acharnait jusqu'à ce que ses cuisses dressées en gardiennes ne se resserrent, incapables de permettre plus de plaisir encore. Tremblante et fébrile, elle laissa son dos retomber sur le lit de verdure. Elle n’ouvrit pas les yeux. Elle ne chercha pas même à calmer sa respiration. Elle cherchait juste Ansoald d’une main tâtonnante pour l’attirer vers elle, pour juste sentir sa présence, sa chaleur à son flanc. Égoïste jusqu’au bout.


Traître...
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Ansoald
Le mot interdit le percute comme la balle d'une fronde en pleine tête. A-t-il, plongé dans l'ivresse des sens, manqué de vigilance? Il déjoue facilement l'emprise des doigts d'Axelle sur sa peau, en nouant leurs doigts comme le symbole d'une complicité sans faille. Ceci faisant, il redresse la tête et surveille toutes les directions. Rien ne bouge. L'avancée de la nuit dissimule à présent la forme humaine qui se tenait derrière les fourrés. Un tir d'arbalète à cette distance, dans cette obscurité, parait impossible. S'est-il approché? Les expériences -récentes- d'Anso dans les fumeries d'opium lui ont appris à se méfier de la vérité de ses perceptions. Or, exacerbées par le désir, elles le transforment en chat. Rien ne bouge, il en est persuadé.

Il revient à elle, à son envie d'elle. Elle s'est tarie en l'espace d'un souffle. L'hypothèse s'est muée en certitude: elle sait tout. Il espérait l'échéance lointaine, le temps de savoir ce que les gitanes ont dans le sang. Elle a brisé net son élan. Elle semble déjà repue. Elle ne l'est pas. L'orgasme féminin ne connait pas qu'une seule extase, mais serpente sur les sept piliers de la luxure. Il est déçu, forcément déçu de s'arrêter au premier. Mais le choix qui s'offre à lui se réduit davantage à chaque caresse prodiguée sur sa peau ambrée. Il le savait. Les truands ne s'embarrassent pas de prisons. Elle le tuera ou il vivra.
Ainsi formulée en sa caboche, cette phrase est pure logique. Sa vérité éblouit sa conscience. Il était fou, prêt à tout pour vivre de fougueux ébats avec elle. Voilà qu'au moment de lui faire toucher le ciel, elle le ramène brutalement à la dure réalité. L'audace de se faire manipuler est semblable à celle du papillon de nuit attiré par une bougie: enivré, il est devenu stupide. Hanté par le spectre de la stupidité, il en devient, paradoxalement, crétin.

Plus que jamais lucide, il se redresse, délie ses doigts sans lui laisser l'espoir de les reprendre. Nu, et fier, il bondit en une seule enjambée vers son salut: la dague cachée sous le lierre. Il la délivre de son carcan végétal et se retourne brusquement vers la gitane allongée sur la pelouse. Nu comme un ver, mais armé. Triomphalement armé, comme si la perspective de déjouer les mauvais plans d'Axelle le réjouissait au plus haut point. Cet ange-là, la mine farouche, le poing serré, bande comme un démon. En le piégeant, elle a agi exactement comme il pensait....Encore qu'il espérait tirer un plus grand profit des sublimes apprêts de la gitane, mais la pièce est lancée.
D'un pas circonspect, il s'approche d'Axelle. Il ne doute qu'elle sait parer les coups comme il a appris à les donner. Le ton de sa voix est cassant, impérieux:


Les masques tombent. Je m'attendais à un coup-fourré de ta part, sans en être sûr. Comment aurais-tu pu savoir....Mais d'un autre côté, comment peux-tu ne pas savoir? Tes sources sont aussi nombreuses que les sorties d'égoût de Paris. Et moi, je ne connais personne, ou presque, ici...Mais je suis venu. Un refus aurait été suspect. Je serais peut-être passé à côté de quelque chose? Or, tu n'as rien à me proposer. Tu veux juste profiter de moi, avant de me tuer....Cela doit t'exciter, la gitane...Le diable seul sait quels tordus nous sommes. Mais, tu vois, je ne suis pas pressé de lui rendre visite. Rhabille-toi.

Si l'obscurité ne dissimulait pas les traits de la gitane, sans doute se serait-il alarmé de son air interloqué. Mais, la nuit, la vérité est incertaine. Mieux vaut frapper le premier.
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Si ce n'est pas toi, c'est donc ton frère....
Axelle
Allongée sur le lit de mousse, la respiration chahutée par l'extase frissonnant encore sur sa peau brune, la chaleur mâle l'abandonna soudain, laissant ses yeux noirs papillonner de surprise. Fallait-il encore s'étonner des réactions d'Ansoald ? Non, il avait réussi à la surprendre plus d'une fois, que ce soit ici, au creux de ce jardin fleurant bon la sève ou au seuil de la porte des Yeux d'Hadès. Pourtant, le bond qu'il fit avait tout de déconcertant. Mais la gitane, peu pressée de s'extirper de cette douce langueur qui suivait la jouissance, flânait encore, le dos bien niché dans la douceur de l'herbe, avec en arrière-pensée, l'envie prégnante de jouer encore à ces jeux qu'ils ne s'interdisaient pas.

« Les masques tombent. »

Il suffit de ces quelques mots pour que l'herbe qui lui avait paru si tendre lui pique soudain le dos. Pour que les ombres qui avaient paru tant complices de leur sulfureuse débauche deviennent menaçantes. Une poignée de syllabes jetée en pâture à son esprit engourdi pour que les insectes qui avaient chanté avec eux semblent grouiller de toutes parts, mandibules, dards et crochets avides de lui percer la peau.


Sauf qu'en ouvrant les yeux, ce n'était pas une de ces affreuses bestioles noires filant trop vite sur leur huit pattes immondes qui menaçait de la piquer, mais lui. L'amant surprenant. Vit dressé aussi sûrement que la dague promettant une piqûre bien moins agréable. Un amant déblatérant une logorrhée de mots absurdes, ou du moins, que l'esprit manouche encore embrumé de stupre ne parvenait pas encore à déchiffrer. Pourtant, quelque temps auparavant, le doute et l'interrogation s'étaient insinués entre les tempes brunes, mais les caresses et les morsures sauvages et envieuses avaient eu ce don imbécile de tout endormir. Grossière erreur.


La gitane bondit sur ses pieds, comme un animal surpris, toutes griffes dehors, les sens à nouveau à l’affût, sans pourtant qu'il ne se teintent plus de la moindre langueur. Nulle peur ne brillait dans son regard, mais une colère débordant d’incompréhension la rendant imprudente.


D'un geste du bras emporté d'humeur, elle vint percuter la main impie la menaçant, sans chercher à désarmer quand seule l'absurdité de l'instant qui claquait à la figure.


Foutredieu, qu'est ce que tu racontes ? T'as perdu la tête ma parole. Pourquoi voudrais-je te tuer ? Qu'est-ce que je devrais savoir ? Je t'ai demandé de venir pour te proposer d'intégrer la milice, auprès de moi, bougre d'imbécile !


Et dans l'emportement, elle s'avança vers lui d'un nouveau pas décidé, frappant à nouveau la main offensive. Qui menace de tuer l'autre là, hein ? Si elle frémissait à présent, c'était de d'irritation. Puis écartant les bras, le regard rouge de défi. Vas y ! Allez, vas-y ! Frappe !
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Ansoald
Et il frappe.

Il lui administre une gifle sur la joue droite de sa main gauche. Il lui colle le genou dans le ventre. Il s'arrange pour la faire tomber sur le dos, sur ce tapis vert, noir désormais. Il tombe avec elle. La colère de leurs yeux éclairent la lame du couteau. Elle est pointée sous la gorge de la gitane. L'acier froid remplace les lèvres chauffées à blanc. Allongé sur elle, leur étreinte, jadis sulfureuse, est une lutte. Il n'a rien d'un molosse. Elle connaît l'art de la rixe. Il n'est point aisé de la contraindre. Aussi, en guise d'avertissement, l'argent écorche l'ambre. Où coulait le sang chaud du désir roule la poix brûlante de la haine, sur le fil de la lame. Et Anso ne lui en veut pas moins, à la voir si belle, si atrocement désirable, d'avoir interrompu leurs jeux. Ne pouvait-elle pas lui laisser jusqu'à l'aube, qu'ils s'aiment, se possédent et se grandissent, ombres dans l'Ombre? Au lieu de celà, à peine le crépuscule vient de tomber, qu'ils s'assassinent.

Il vient coller le nez contre le sien. Les boucles brunes chatouillent les yeux d'encre. Respirations coupées, parfums éteints. Désespéré, Anso réplique aux questions d'Axelle d'une voix sifflante:


La ferme! La ferme! Tu veux alerter tes hommes? Un mot de plus et je t'entaille d'une oreille à l'autre. C'est ce qu'on appelle le sourire gitan, non? Alors, la ferme!

Lentement, il se redresse, mais la lame ne cille pas d'un pouce. Un trés court et très long silence les sépare. Leur posture est celle du criminel et de sa victime, mais aussi celle de l'amante et l'amant. Pour un peu, enclencherait-il un mouvement de reins que leurs bassins s'imbriqueraient l'un à l'autre, dans un plaisir incongru. Ansoald ressent une étrange excitation. Il a beau la refouler, elle s'impose en lui, prenant siège au fond de ses entrailles. Après tout, il a déjà eu son baptême du sang, alors qu'il venait de souffler ses quinze ans. Le reste de sa vie est une communion avec la mort. Elle ne l'effraie plus; du moins veut-il s'en persuader, quand ses nuits lui égrènent les preuves du contraire....

Il tente de maîtriser davantage le ton de sa voix, pour en tirer plus de morgue en s'adressant à elle. Il veut la dominer, la contraindre à obéir. Or, c'est une bête sauvage, une enfant des roulottes. Ils préfèrent la mort à l'asservissement. La partie s'annonce serrée.


Si j'ai trahi la milice, si j'ai révélé aux membres du Cielo Azzurro qu'une attaque se produirait lors du transfert de leur prisonnier vers le "tribunal", c'était pour m'arranger des affinités dans les deux camps. Tu as donné ta démission de la Prévôté? Soit! Tu étais avec eux, ces gens de la loi et de l'ordre, qui veulent maintenir le crime sous leur coupe pour mieux en tirer les fruits. Je préfère l'audace du criminel à la rapacité du receleur. J'ai donc naturellement plus de sympathie pour eux que pour toi et ta milice. Alors, je les ai prévenu de se tenir sur leurs gardes. Comment as-tu été mise au courant? C'est un mystère...Pas la peine de la jouer fine avec moi. Tu m'as préparé un guet-apens...Le plus beau des guet-apens, et je t'en remercie....La question est de savoir comment sortir de là....C'est pourquoi tu vas gentiment te rhabiller et dire à tes sbires de se tenir loin de nous...Sinon je tranche ton joli petit cou.
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