Ansoald
"ce post contient des scènes pouvant heurter la sensibilité des plus jeunes"
A l'argousin qui garde closes les portes du jardin, il n'a voulu rien dire. Il est passé devant lui avec l'air insouciant du badaud qui connaît son chemin, son cistre accroché dans le dos. Habillé d'une tunique de lin à manches longues, d'un rouge élégant orné par un galon noir au col, il passe pour le parfait damoiseau en quête de sa mie. Or, son regard ne cherche pas les balcons où patientent les blondes, mais scrute avec minutie la moindre faille, la moindre prise sur les murs qui entourent le plus beau jardin de Paris. Au détour de questions savamment distillées à l'oreille des marchands du quartier, il a appris que ces murailles sont réputées "infranchissables". La propriétaire des lieux entretient jalousement le secret de cet îlot de verdure situé au coeur des quartiers mal-famés de la capitale. Pour ne rien ôter au mystère, lui a confié un tenancier en verve, il se dit que les poisons les plus fins, inodores et indétectables, sont issus des plantes qui garnissent les allées de ce parc.
Ansoald (ou Nicolas), malgré la chaleur poisseuse de l'été, parvient à sentir, en gonflant ses poumons, les fragrances indéfinissables de plantes oubliées. Oubliées, car il commence seulement sa formation auprès d'une empoisonneuse dont le défaut le plus naturel est d'être une femme. Vive les maîtres austères et droits, dont les leçons ne souffrent aucune impertinence. Ainsi fût formé Nicolas (ou Ansoald) aux arts des saltimbanques, sous la férule de professeurs exigeants. Depuis, il ne passe pas devant un mur sans deviner comment le grimper, et il lui suffit de peu de temps pour apprécier les voies les plus sûres et les plus ardues. A un homme qui se penchait sur son cas, lui demandant pourquoi vouloir franchir à tout prix ces obstacles, il avait répondu, tout net:
Parce qu'il est là*
En loccurrence, ce n'est pas la seule raison qui pousse Nicolas.Ansoald à tenter le défi de l'escalade. Il se méfie. Axelle lui a donné rendez-vous dans les jardins. Un lieu très tranquille, très protégé. Nul n'y pénètre sans montrer patte blanche. Or, la conscience d'Anso n'est pas tout à fait immaculée. Il y a peu, une sale affaire a opposé la milice des Yeux d'Hadès au clan du Cielo Azzurro. Par excès d'imprudence, Nico s'est jeté au milieu. La gitane pourrait avoir eu vent du rôle opaque de ce trublion dans ce conflit. Bien des histoires circulent sur elle. On la dit aussi belle qu'impitoyable. Vu que sa beauté abasourdit les chanoines de Notre-Dame mieux que la lumière des psaumes aristotéliciens, autant dire que sa pitié est équivalente à celle d'une souris face à un bloc de munster.
Pour l'heure, Ansoald a trouvé le trou dans le gruyère. Une ruelle déserte court sur un demi-arpent le long du jardin interdit. Sous effet de l'humidité, quelques pierres se sont descellées de la muraille. A peine, de façon presque indécelable pour un observateur inexpérimenté. Cela suffit à Nicolas. De surcroît, une branche rebelle a poussé entre les barreaux en fer forgé qui couronne les murs. Aussitôt, il se lance à l'assaut, car la réussite de son plan tient à la célérité de l'action. Un témoin serait trop heureux de monnayer une information auprès d'un sbire de la généreuse Axelle.
Sonne huit heures du soir au clocher d'une église. Au dernier son de la cloche, il a posé le pied sur l'herbe fraîche du parc, sans froisser une seule de ses mèches. Néanmoins, il n'a pas le temps de s'en satisfaire, et encore moins de flâner dans les sentiers garnis par la végétation. L'heure du rendez-vous vient de sonner. Axelle ne devrait plus tarder. Son pas léger effleure le gravier blanc des allées, dans une course qui se veut maîtrisée dans sa précipitation. Par chance, il trouve rapidement son bonheur. A l'écart du chemin, sous la niche d'une statue de saint, mangée par le lierre, se trouve un banc de pierre assez large pour une discussion confortable.
Ansoald dégaine la dague plaquée contre sa cuisse et la dissimule dans le lierre. Ensuite, il prend la pose la plus naturelle du monde en s'asseyant sur le banc, cistre en main, mais sans jouer un seul accord. Il attend pour cela que le son de la voix d'Axelle se manifeste, et ainsi pourra la guider vers le lieu qu'il a choisi.
**Georges Mallory, alpiniste, à un journaliste du NY Times lui demandant pourquoi vouloir escalader à tout prix l'Everest.
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Si ce n'est pas toi, c'est donc ton frère....