Clio..
- Ouais et ben puisquil est si bien huilé ton plan tu sais ou tu peux te le carrer. »
Limoges à la mi-mars n'a rien de très extraordinaire. Une ville sans grand intérêt, comme à peu près toutes les villes. Il fait beau, ce qui est plutôt agréable. Au lieu de rester enfermée une chope à la main, je préfère me tenir dehors. Adossée à un pilier soutenant l'étage d'une maison, je regarde d'un il morne les allées et venues des passants. Sourcils froncés, lèvres pincées, comme de coutume. Je n'ai pas l'air très aimable. Pas le genre de filles qu'on aborde pour discuter de la pluie et du beau temps. Ce qui m'arrange. J'impose toujours des distances avec les autres. Même avec ma mère. Je ne me lie que très difficile, au prix de nombreux efforts. De la part des autres, le plus souvent. Je ne fais confiance qu'à moi-même. Question de survie. C'est à la force de mes poignets que j'escalade un mur, pas avec celle des autres.
Le soleil réchauffe mon visage. Je lève légèrement le nez pour en capter les rayons. Mon chien Capi, à peine âgé de quelques mois, est étalé de tout son long à mes pieds. J'avise, du coin de l'il, une fontaine. Il fait tiède, pas assez chaud pour me faire souhaiter un rafraichissement. Mais ce monument de pierres blanches me rappelle la Sicile. Il y en a aussi là-bas. Plus grandes, plus majestueuses. Je m'y débarbouillais souvent, durant les belles saisons.
Je siffle mon chien, qui se redresse sans hâte. Je déserte le pilier pour m'approcher de la fontaine. Les températures plus clémentes m'ont fait ôter mon gilet sans manche. Je ne porte que ma tunique verte et mes braies. J'ai glissé mon couteau dans l'une de mes bottes. Je n'ai même pas pris mon arc. Il n'y a pas de danger, ici. Ma ceinture marque la finesse de ma taille. Il faut reconnaître que je ne suis pas bien épaisse. Des formes discrètes, mais je ne suis pas non plus très âgée, du haut de mes quinze ans à peine.
Je rejette ma natte en arrière, qui retombe entre mes omoplates. Je me penche, recueille de l'eau entre mes mains en coupe. Capi pose ses pattes avant sur la margelle et boit à même la fontaine. Je me passe l'eau fraiche sur le visage, m'essuyant ensuite le front du revers de la main. Je tourne la tête sans but particulier. Je fronce aussitôt les sourcils. Un garçon me regarde. A peu près le même âge que moi. Peut-être un ou deux ans plus vieux. Je le fixe, immédiatement sur la défensive. Il n'a franchement pas l'air méchant pourtant. Je crois même qu'il sourit, mais je n'ose pas en être sûre. Cela me semble étrange, qu'un garçon puisse me sourire. A moi.
Il doit croire que je l'invite du regard. Parce qu'il s'approche. Pire encore. Il s'arrête juste devant moi. Je ne fais rien pour paraître plus aimable. Il comprendra peut-être le message. Mais non, apparemment. Parce que non seulement il reste, mais en plus il parle.
Je l'interromps brusquement.
« Mais t'es qui toi ? »
Puis je hausse les épaules, pour montrer que je me moque bien de son nom. Pour moi, la conversation est terminée. Pas pour lui. Je retiens difficilement un grognement. Il commence à me baratiner. Une histoire de chevaux, ou je ne sais pas quoi. J'offre un air d'incompréhension agacée. Qu'est-ce qu'il s'imagine ? Que ça m'intéresse, ses histoires de palefreniers, de dressage ou je ne sais pas quoi ?
Une idée germe dans mon esprit. Un fin sourire étire mes lèvres. Je souris franchement, et mon visage change, comme toujours, du tout au tout. L'air grognon ne cache pas la finesse de mes traits et ma beauté certaine. Je ressemble trait pour trait à ma mère, faut dire. Mais quand je souris pour de vrai, comme là, mon minois s'éclaire. Je perds mon air maussade, j'ai l'air moins sauvage. Mais je suis nettement plus jolie. C'est l'un de ces sourires que j'offre à ce garçon. Pas pour lui en particulier. Ni même pour son discours. Mais parce que je viens d'avoir cette fameuse idée, et que j'ai hâte de la mettre en pratique. Après tout, s'il est ce qu'il dit, ça ne devrait pas poser de problèmes.
« J'ai compris. T'es copain avec les ch'vaux. Bah... Ramène m'en un. Ce soir. On se donne rendez-vous à minuit. Toi avec ton cheval. Et j'rapporte un truc à manger. »
Marché équitable d'après moi. Et puis, qu'est-ce qu'une mission si simple pour le roi des équidés ?
Une journée en enfer - Film de 1995