« We made our way across the land
The land, the land, the land, the land
We made our way across the town
We're all about to explode »
Comme d'ordinaire, je passe la journée à l'abri, cachée. Cette fois, j'ai élu domicile dans un cabanon de bûcheron inoccupé. Et contrairement aux autres fois, je ne suis pas seule. Arnauld est avec moi. Il l'était déjà lundi, d'ailleurs. Puisqu'il faut rester discret, et que j'ai pu entendre quelques promeneurs s'interpeller non loin, nous ne sortirons pas de la journée. Du moins, pas sans avoir vérifié à de nombreuses reprises que la voie est libre. Sait-on jamais. Je ne quitte la cabane que lorsque Capi gratte pour se dégourdir les pattes, et cueillir quelques baies.
Le soir tombant me voit me préparer. Je viens d'avaler un morceau de fromage et de boire une gorgée d'eau. Je ne mange guère plus que cela, avant une prise. Un repas trop riche provoque la somnolence. Et ce n'est pas le moment.
A ma cuisse gauche, je noue un lien de cuir, derrière lequel je glisse ma dague de parade. Dans mon dos, je vérifie que mon poignard est bien suspendu à ma ceinture. Ma botte droite accueille bientôt mon vieux couteau. A ma ceinture, la hachette se balance bientôt. Dans mon dos, mon carquois et mon arc. Je noue soigneusement un protège-bras de cuir autour de mon poignet gauche. Je suis fin prête à partir. J'attends qu'Arnauld le soit également. Je lui assure, durant ses préparatifs, qu'il n'a nul besoin d'avoir peur. Que c'est vivre ou mourir. Que les autres en face n'hésiteront pas à essayer de le tuer par tous les moyens possibles. Que je compte sur lui.
Et puis, il est temps de partir. La nuit est tombée.
Je sors du cabanon. J'y laisse Capi. Il n'est pas assez préparé, il est trop jeune, trop petit malgré sa belle taille. Il a encore besoin que je l'éduque. Il me regarde partir en gémissant. Pour l'apaiser, je lui donne son vieil os de veau. Et je m'en vais sur une dernière caresse.
Je traverse la forêt, silencieuse, sans décrocher un mot, sans faire le moindre bruit. Aucune brindille ne se rompt sous mes pas. Il n'est pas temps de parler, et encore moins temps de faire du vacarme. Mes sourcils sont froncés. Je suis concentrée sur ce que je vais faire. J'essaye de ne pas penser à la possibilité qu'Arnauld soit blessé, ou pire. Si je me laisse contaminer par la peur, autant retourner tout de suite dans la cabane et n'en plus jamais sortir. Et ce n'est même pas une option.
Nous parvenons en ville. Je lui rappelle d'être discret. Même s'il fait nuit, la lune éclaire suffisamment pour souligner les ombres. J'invite Arnauld à me suivre, tandis que je grimpe sur un toit en souplesse, passe sur l'autre versant de la toiture, et m'allonge sur les tuiles. Il faut désormais attendre le signal.
Je songe, un instant, à la pastorale que je suis en train de passer, par correspondance. Le bien éprouvé lorsque je me suis confessée. Il faudra, après cette nuit, que je recommence à compter mes sinistres exploits. La Sur ne pourra pas toujours me donner l'absolution, cependant. Et si je veux que mon âme garde ou en loccurrence, retrouve sa pureté, je vais devoir m'adapter. Faire des choix. Ce que je n'aime pas particulièrement faire, d'ailleurs.
Le poignet d'Arsène se plie. Il est temps d'agir. Je me redresse aussitôt. Je repasse de l'autre côté du toit. J'encoche une flèche, et m'aide de la lueur des braseros ainsi que de celle de la lune pour viser. Un soldat en faction représente une cible parfaite. Le trait file dans la nuit en sifflant. Suivi d'un autre, pour un autre homme. Je constate qu'Arnauld n'est pas un empoté. Il tire, lui aussi.
Lorsque utiliser l'arc devient trop risqué, lorsque la mêlée devient si dense que je ne peux plus me permettre de tirer au risque de blesser les mercenaires, je quitte les toits et redescends sur terre.
Poignard dans une main et hachette dans l'autre, je me jette dans la bataille. J'évite un coup, pour en donner un. Un corps s'abat à mes pieds. Blessé ou mort ? Je reste concentrée. Je récite en pensée une prière pour les victimes. Paradoxal ? Sans aucun doute.
Un soldat surgi, je l'assomme sans plus de cérémonie. Un autre se présente, comme dans un étrange ballet. Un ballet mortel cependant. La lame de ma hachette l'a à moitié décapité. Je ne me connaissais pas cette force. Je sens des gouttes de sang chaud parsemer mon visage. Par Deos, la confession sera piquante !
Un coude me cogne l'épaule. Mes doigts s'entrouvrent légèrement. Assez cependant pour que le manche de ma hachette manque de m'échapper. Je pince les lèvres, et frappe le fautif. Un autre se jette devant moi. Nettement plus grand, et nettement plus large d'épaules. Cela ne me fait pas reculer d'un pouce. Je réaffirme ma prise sur le manche de la hachette. Je brandis mon arme, mon poignard prêt à servir dans l'autre main. Mais au moment où je lève le bras pour attaquer, je sens une morsure sur mon flanc gauche. Je ne comprends pas immédiatement de quoi il s'agit. Jusqu'à ce que je baisse les yeux, et constate non sans surprise, que ma tunique est entaillée sur une dizaine de centimètres, peut-être un peu plus. Et que le tissu n'est pas le seul à être atteint. Je recule, portant la main sur ma plaie. Un liquide chaud s'écoule entre mes doigts, tandis que je prends brusquement conscience de la douleur qui irradie de la blessure.
« Dannazione ! »La main tremblante, je glisse mon poignard dans son fourreau, dans mon dos. Je me mords les lèvres, tandis que mes doigts tâtent les bords de la plaie. Cet abruti ne m'a pas loupé, l'entaille est profonde. Le tissu de ma tunique est poisseux de sang, auréole plus foncée sur le vert de mon vêtement.
Je vois nettement le milicien qui comble la distance qui nous sépare, son arme brandie. Je prends sur moi, tâche de refouler la douleur dans un coin de mon esprit. Et tout en pressant de mon poing la blessure, je m'apprête à affronter de nouveau ce bonhomme, malgré ma faiblesse. C'est que je ne compte pas mourir là, et la fuite est proscrite. Je ravale mon cri de douleur et je m'avance. La main gauche, ma « bonne main » occupée à presser la plaie, je suis obligée d'utiliser la droite. Je me débrouille moins bien avec celle-ci. L'autre en face doit sentir que son adversaire est diminué. Je lève le bras, pour parer le coup de sa lame. Mon bras plie comme un vulgaire roseau, malgré mon désir furieux de le repousser. Le pommeau de son épée heurte violemment mon front, juste au-dessus de lil. Un peu plus et je devenais borgne. Mes genoux entrent en contact avec le pavé dur et froid. Je suis tombée ? Je n'arrive pas à y croire. Et pourtant, c'est le cas.
La douleur qui irradie de ma tête et de mon flanc me donne l'impression que des milliers d'étoiles argentées dansent devant mes yeux. Des étoiles aux pointes effilées, tranchantes, blessantes. Un coup de botte dans l'estomac achève de me voir sombrer parmi la foule. Corps et biens ? Pas tout à fait. L'homme veut ma tête, et il semble bien sur le point de l'avoir. Je vois, dans un rayon de lune, la lame de son épée étinceler. Cette vision me fascine tant qu'elle dure, et même ensuite. Ce point brillant, qui me rappelle les solidi que j'ai dans ma bourse. Cet éclat, on aurait dit
Une manifestation spectral. Non ! Divine ! Faiblement, je lève devant moi la dague de parade offerte par ma mère. Étonnement pointue. Mais malheureusement inutile, face à la fureur de mon bourreau.
Time For A Change - Elephanz
« Nous avons tracé notre route à travers la terre
La terre, la terre, la terre, la terre
Nous avons tracé notre route à travers la ville
Nous sommes sur le point d'exploser »- P*tain de m*rde !