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[RP] Viens près de l'étang, on va pêcher des harengs

Pepin_lavergne
    [Narbonne, le 03 septembre 1463]



Pêcher c'est bien, pêcher c'est bon, pêcher c'est utile, pêcher c'est salutaire. Mais c'est encore mieux quand on a des cannes à pêche. Raisonnement logique qui justifiait que Pépin soit en train de crocheter la serrure d'une cabane miteuse, non loin de la plage. Quelques grognements plus tard, l'Auvergnat ouvrit le battant, et glissa dans sa poche le pic à cheveux, fort pratique quand on perdait ses clés. Ou quand on forçait une porte. Sifflotant un petit air pour se donner l'air naturel, Pépin entra dans la cabane, farfouilla quelques instants dans tout le fourbi, et ressortit, innocent comme un chaton du jour, deux cannes à pêche en main.

- Et les hameçons sont fournis, vieux frère, lança-t-il à Arnauld en lui tendant tout à la fois une canne et un pot d'argile plein de vers de vase.

La soirée de la veille s'était passée à merveille. Ca faisait bien longtemps que Pépin n'avait pas autant ri... et surtout pas autant bu. Rentré ivre mort, l'Auvergnat avait ronflé toute la nuit, sans avoir pris le temps de retirer ses vêtements, mis à part ses bottes. Et au réveil, il avait eu sérieusement mal au crâne. Fort heureusement, mettre la tête dans un seau d'eau froide l'avait aidé à retrouver le nord, et c'était donc au beau milieu de la matinée qu'il avait embarqué Arnauld.
Désormais planté sur la berge, Pépin, en compagnie de son ami observait les alentours, à la recherche d'une barque. Repérant un petit bateau, vide d'occupant, l'Auvergnat s'en approcha en quelques enjambées énergiques.


- Allez, en barque Simone ! Ahah, tu l'as saisi celle-là ? En barque, embarque... Ouais, bon. J'ai rien dit.

L'Auvergnat jeta sa canne dans le fond, poussa la barque pour qu'elle s'éloigne de la rive, et sauta dedans. Une fois Arnauld avec lui, Pépin s'empara des rames, et en quelques mouvements terriblement douloureux qui dénotait d'un certain manque d'expérience dans la pratique de la barque, ils se retrouvèrent assez loin du bord pour penser à sortir les cannes. Et tout en s'efforçant de nouer un hameçon au bout du fil, Pépin releva le nez en regardant autour d'eux. La surface du lac était aussi lisse qu'un miroir. Quelques cygnes blancs nageaient paresseusement. Plus loin, une bande de canard chamailleurs cancanait à qui mieux mieux. Des nuées de moustiques brunissaient l'air à divers endroits. Au loin, les arbres de la forêt se dessinaient, plus sombres dans ce décor magnifique.
Pépin, profitant de ce moment de calme, plongea la main dans sa gibecière, brandissant bientôt une bouteille de vin, en souriant largement.


- Alors, on est pas bien, là ? Toi, moi, et... cette bouteille de vin ?
_________________
Arnauld
    Les copains, ça n'a pas de prix. Si, à son retour de Sicile, Arnauld n'avait eu que ses parents à retrouver et la déception - la honte même ? - à lire dans leurs yeux, il n'aurait sans doute pas fait long feu. Une loque paysanne alcoolique, voilà ce qu'il serait devenu. Bon, alcoolique, il l'était peut-être un peu tout de même, mais dans le bon sens du terme - celui où on se prend des cuites en taverne en riant pour n'importe quoi et avec n'importe qui. Celle de la veille, la première depuis le départ de Cléo, lui avait fait un bien fou. Il n'avait même pas trop rebattu les oreilles de Pépin avec les innombrables et merveilleuses qualités de la jeune fille et la manière dont elle lui manquait, ce qui, pour un Arnauld enivré, n'était pas loin de l'exploit. Certes, il avait peut-être été un peu question de retrouvailles après un voyage à Alexandrie, d'un mariage et d'une fille dont Pépin serait le parrain et qui épouserait Thomas, mais tout ceci restait assez brumeux dans le crâne endolori d'Arnauld. Quoi qu'il en soit, ce matin-là, ils allaient pêcher. Une bonne excuse pour ne rien faire en ayant l'air de travailler, avec en prime une chance de ramener un repas pour Hélona et de recevoir quelques louanges ô combien méritées. Et rien de mieux pour se remettre des quelques litres de bière ingurgités la veille qu'une bonne bouteille de vin comme celle que son ami lui agitait sous le nez.

    Arnauld répondit par un petit éclat de rire.

    - Si on commence à picoler maintenant, j'te dis pas l'état dans lequel on sera ce soir... Mais - héhé - j'ai ce qu'il nous faut, attends.

    Et, avec un air de conspirateur, il dégaina de sa propre besace une demie miche de pain et un saucisson presque entier.

    - On est obligés, faut jamais boire à jeun.

    Et d'hocher gravement la tête, et de commencer à s'empiffrer. Quelques instants plus tard, il sortit sa pipe, celle que Pépin lui avait fabriquée avant son départ en Sicile, l'alluma et entreprit de faire quelques ronds de fumée, laissant son regard errer à la surface du lac. Il n'était pas un pêcheur très expérimenté, mais s'il y avait une chose qu'il savait de la pêche, c'était qu'il fallait être patient, et ne pas trop s'agiter. Le lac n'avait pas l'air très poissonneux ; il se pencha en avant pour en scruter les profondeurs, à la recherche d'une proie, mais la partie de son cerveau qui était déjà en train d'envisager une sieste digestive provoqua au même moment un besoin irrépressible de bâiller à s'en décrocher la mâchoire - et, fatalement, les lois de la gravité étant ce qu'elles sont, sa chère pipe en bois gravé fit une chute vertigineuse, quittant sa bouche béante pour rejoindre la surface de l'eau, et, avec une rapidité inattendue, partit à la dérivee, emportée par les vagues que fit la barque qu'Arnauld fit tanguer en se redressant.

    - Merdouillis !

    Il regarda Pépin, la bouche - qu'il devrait pourtant apprendre à fermer - encore grande ouverte.

    - File-moi c'te canne !

    Et d'un mouvement digne d'un pêcheur olympique, il lança la ligne dans la direction de la pipe qui flottait avec insouciance quelques mètres plus loin. Evidemment, les pipes ne sont pas de la même espèce que les poissons, et un hameçon garni d'un ver, même bien ventru, ne suffit pas à les âpater ; celle d'Arnauld, dans sa fourberie, choisit même de s'éloigner un peu plus de la barque qui s'agitait de plus en plus dangereusement à mesure que le jeune homme déployait ses efforts pour la récupérer. Se rappelant soudain la présence de son ami, il se figea puis se tourna lentement vers lui, le regard plein d'espoir. S'il n'y parvenait pas avec la canne...

    - J'sais pas trop nager... Et, hum... Et toi ?
Pepin_lavergne
Si le monde était parfait et le destin juste avec l'humanité, ils auraient pu passer la matinée tranquilles, sur leur barque, à faire semblant de pêcher. Et s'ils n'attrapaient rien, ce n'était pas bien grave. Ils auraient été au marché, auraient acheté trois ou quatre poissons, avant de les apporter à Hélona en prétendant les avoir pêché eux même. Et puis ils auraient pris une pause bien méritée, parce qu'il ne fallait pas sous-estimer l'épuisement relatif au travail mal fait.
Mais non, bien sûr, rien ne se passa comme prévu. Parce que le monde n'était pas parfait, et que le destin n'était pas juste avec l'humanité. Et qu'ouvrir la bouche en se penchant en avant n'était pas très pratique quand on espérait garder un truc entre les dents.

Bien sûr, à ce moment là, la gravité aurait simplement pu se décider à prendre cinq secondes de pause. Elle aurait très bien pu se dire « tiens, j'arrête un peu d'attirer gens et choses, juste le temps que ce type ferme la bouche. » Elle aurait pu, si elle avait été un minimum compréhensive. Mais la gravité ne prit pas de vacances. La pipe d'Arnauld en revanche, prit un bain.
Au départ, Pépin mâchonnait tranquillement une rondelle de saucisson, une jambe par-dessus le bastingage, en regardant sans bouger les tentatives maladroites d'Arnauld pour récupérer son bien. Il était même à deux doigts d'en rire. Mais l'Auvergnat ne trouva plus rien pour le faire rire lorsque son ami lui demanda, le regard plein d'espoir s'il savait nager.


- Ouais, répondit lentement Pépin en abaissant la bouteille qu'il s'apprêtait à boire. Hélona m'a appris à Marseille...

De temps en temps, Pépin faisait montre d'une stupidité impressionnante. Il avait dit la vérité, alors qu'un panel de mensonges s'offrait à lui. Il aurait très bien pu dire qu'il était aquaphobe, qu'il avait peur de l'eau plus que d'une semaine à ne boire que du bouillon de poule. « Ouais, j'ai peur de la flotte. Et si je suis là sur une barque au beau milieu d'un lac, c'est pour ma thérapie. Traitement expérimental, tu comprends... » Voilà ce qu'il aurait dû dire. Mais non, évidemment il avait bêtement dit la vérité. Trop d'honnêteté tuait l'honnêteté, c'était bien connu. Ou du moins, trop d'honnêteté tuait l'intérêt qu'on pouvait avoir à mentir.

- Bon, j'ai compris. Bouge pas, surtout, hein...

En grommelant, Pépin retira ses bottes, qu'il jeta au fond de la barque. D'un geste, il passa sa chemise par-dessus sa tête et lui fit rejoindre les genoux d'Arnauld.

- Pour un gars qui a grandi en bord de mer, c'est quand même con de pas savoir nager...

Et sans plus tergiverser, l'Auvergnat, le montagnard pure souche, sauta à l'eau. Elle n'était pas très chaude, ce qui n'améliora certainement pas l'humeur de Pépin. C'était bon pour la circulation sanguine, lui aurait dit un connaisseur. S'il savait, ce connaisseur, où il pouvait bien se la mettre, sa circulation sanguine !
En quelques brasses, Pépin parvint sans trop de peine à rattraper la pipe fugueuse. Et ce fut en crachotant et rouspétant de plus belle qu'il regagna la barque. Il rendit son bien à Arnauld, se retenant par les mains au bord de l'embarcation. Il s'apprêtait à lancer une blague vaseuse lorsque quelque chose frôla ses pieds nus, le faisant beugler comme un cochon face au boucher.


- Y'a une foutue bestiole dans ce satané lac, morbleu ! Aide-moi à r'monter, j'veux pas m'faire bouffer !

Il commençait à paniquer sérieusement, la terreur de l'Auvergne, battant des pieds pour faire fuir la bête. Il agrippa à pleines mains la chemise d'Arnauld, tentant de se hisser à bord le plus vite possible. Et ce qui devait arriver arriva, aussi sûrement qu'après l'office dominical venait le vin de messe. Parce que, répondant aux lois de la physique, quand on appuyait sur une barque tout en agrippant l'homme qui se trouvait dedans, l'ensemble finissait par basculer. Et ce fut précisément ce qui se passa. Le bateau se retourna, entrainant avec lui Arnauld, la chemise de Pépin, ses bottes, et sa gibecière. A présent sous la barque, Pépin s'efforça de réunir toutes ses affaires. La chemise et les bottes dans son sac, pour éviter de les perdre... quant à la bouteille de vin, il pouvait bien tout de suite en faire son deuil.

- Merde, remarqua-t-il. On a perdu les vers, pour les hameçons.

Mais était-ce vraiment là le plus important ?

_________________
Arnauld
    La bonne nouvelle, c'était qu'Arnauld était un menteur. Non, disons plutôt : quelqu'un qui maîtrise l'art de la nuance. Quand le Biterrois déclarait qu'il ne sait pas trop nager, tout était dans le « pas trop ». En vérité, il possédait bien quelques notions de nage, et Cléo s'était chargée de lui en enseigner les bases. Mais malgré le plaisir qu'il pouvait prendre à admirer la mer et ses remous, comme un chat, Arnauld n'aimait pas se mouiller, et il avait donc décrété qu'il ne savait pas nager. Très honnêtement, quel pouvait être l'intérêt d'une baignade si une Cléo nue ne se trouvait pas dans l'eau ? La réponse était simple : il n'y en avait strictement aucun. Mais voilà, cet imbécile de Pépin – qui, s'il tendait l'oreille au moment de renverser la barque, avait pu entendre une exclamation qu'on peut restituer peu ou prou par « Mais t'es con à bouffer de l'avoine ! » - avait paniqué pour ce qui n'était vraisemblablement qu'une grosse algue ou un gros poisson. Un pêcheur qui a peur d'un poisson, si ce n'est pas un comble !

    Bref. L'instinct de survie opéra sa magie, et Arnauld agita les jambes et les bras d'une manière assez habile pour se maintenir à la surface de l'eau. Comme Pépin, ses premières pensées allèrent vers ses affaires. Il avait heureusement refermé sa besace après avoir sorti sa pipe et son saucisson – que celui-ci repose en paix –, et son contenu ne s'était donc pas éparpillé ; de plus, les lettres auxquelles il tenait comme à la prunelle de ses yeux étaient restées bien sagement dans sa chambre d'auberge, à l'abri des dangers aquatiques. Si la dernière lettre de Cléo avait fini dans le lac, Arnauld aurait bien été capable de donner Pépin en pâture au prétendu monstre marin qui l'avait effrayé, quitte à l'assommer de quelques coups de rame au préalable.

    - Tu sais où tu peux te les mettre, tes vers et tes hameçons ?

    S'accrochant à la barque, ne serait-ce que pour se donner une contenance, il lui lança un regard noir. Certes, il devrait plutôt le remercier de s'être jeté à l'eau sans rechigner et de lui avoir ramené sa précieuse pipe. Certes, s'il faisait preuve d'un peu de bonne foi, il admettrait que tout était de sa faute. Mais enfin. Tout ceci pour un monstre imaginaire…

    - Oh bon Dieu de Déos d'Aristote à barbe !

    Peut-être pas si imaginaire que ça, le monstre. Ce qui venait de lui effleurer la jambe, ça avait l'air bien réel, en trois dimensions, avec en prime une texture visqueuse et froide. Ni une ni deux, le jeune homme se mit à hurler « Rame, rame ! » - cri complètement inapproprié, j'en conviens – et, tenant toujours la barque, il battit frénétiquement des pieds pour s'éloigner le plus vite possible de la créature aquatique.

    Ils finirent par regagner la terre ferme, complètement essoufflés. Étendu sur le dos, les bras écartés, il fallut à Arnauld quelques instants pour être de nouveau capable de parler. Il se redressa pour vérifier l'état de son ami – il était toujours vivant, et avait l'air entier – et donna un petit coup de pied dans la barque échouée.

    - Bon, j'crois que le propriétaire des cannes ne les reverra jamais…

    Il essora sa chemise en en tordant les manches comme de vulgaires torchons, et se secoua un peu dans l'espoir de se sécher. Ils avaient vraiment l'air de deux naufragés.

    - Au fait, euh… Merci, pour ma pipe.

    Il se tut un instant avant d'ajouter :

    - J'ai repéré un bon poissonnier en ville, tu sais ?
Pepin_lavergne

[Just a man and his will to survive]


L'Auvergnat n'était pas couard. L'Auvergnat avait un volcan pour père et une montagne pour mère. Mais malgré tout ça, le fils du volcan et de la montagne n'était pas né pour nager. Une pierre, en général, ça coule. Et à part éventuellement dans le monde enchanté de la Fée Risette, la montagne comme le volcan, sont majoritairement composés de pierre. Caillou géant en forme de cône, mais caillou quand même.
Depuis qu'Hélona lui avait appris à nager, Pépin avait un peu moins l'air d'une pierre, dans l'eau. Mais ça, c'était sans compter les bestioles qui se cachaient sous la surface, pernicieuses et dangereuses, à l'affût du moindre innocent qui passerait par-là par hasard. Alors, à la première question d'Arnauld, Pépin, parfaite illustration de l'éternelle bonne humeur, ne trouva rien de mieux à répondre, sur un ton un peu acerbe, il fallait bien l'avouer :


- Sans doute au même endroit où j'aurais du t'dire de mettre ta pipe !

Et la bête une nouvelle fois, décida d'entrer en action. Elle devait bien mesurer dix mètres et peser quarante tonnes. Vile créature des ténèbres, dotée de dents longues comme des poignards, mangeuse d'hommes et raffolant de montagnards. C'était pas souvent qu'elle tombait sur un Auvergnat, en plus. Manque de bol, c'était Pépin, l'Auvergnat en question.
Et Arnauld de s'écrier, de paniquer, de gesticuler, et de finalement se mettre à nager en lui recommandant de ramer. Judicieux conseil, mais étant donné qu'ils n'avaient plus de barque, c'était tout de même moins pratique d'exécuter les ordres. Et tout en battant des pieds et des mains, Pépin ne put que constater que son ami savait très bien se débrouiller, dans l'eau. Et inconsciemment, Pépin déjà, ruminait sa vengeance, tout en avançant vaille que vaille vers la berge.

S'écroulant dans la terre meuble qui ne tarda pas à s'humidifier au contact des deux comparses, Pépin tâchait de reprendre lentement sa respiration. Il était trempé, fatigué, affamé, assoiffé, et toutes ces émotions lui donnaient envie d'aller s'exiler une minute au pied de l'arbre le plus proche, histoire de soulager sa vessie. Un Auvergnat affamé devenait immédiatement un Auvergnat dangereux. Et l'air de rien, Arnauld fit une remarque au sujet des cannes à pêche. Ce fut la goutte d'eau qui fit déborder la mare.


- Nan mais je rêve ou bien ? Tu me fais me foutre à l'eau, j'manque de m'faire bouffer par une baleine, et toi, tu m'parles des cannes ? P'tit vicieux, tu sais nager en plus !

Il se releva en s'ébrouant comme un chien, et, vengeance ultime, ne tendit pas la main à son ami pour l'aider à se remettre sur pied. Il enfila sa chemise et ses bottes, malgré qu'elles soient trempées. Ils n'avaient pas seulement besoin de quelques poissons, mais aussi de vêtements secs. Et d'une bouteille de vin. Et d'un saucisson. Faisant signe à Arnauld de le suivre, Pépin se dirigea vers la ville, jusqu'au marché. Il n'y avait plus qu'à espérer qu'Hélona n'aurait pas choisi exactement le même moment pour aller en promenade. Aucun éclair roux ne se dessinant à l'horizon, Pépin grogna de satisfaction. Il tâtonna à sa ceinture à la recherche de sa bourse... avant de lâcher une bordée de jurons en constatant qu'elle avait rejoint les profondeurs du lac.


- Bon. Pas d'sous. Pas d'problème. Regarde, apprends, et admire. Et ramasse aussi.

Extirpant de sa gibecière sa gourde pleine de gentiane, il en avala une gorgée et s'en répandit sur les vêtements, histoire de sentir l'alcool à plein nez. Il adopta ensuite la démarche titubante typique de l'ivrogne frôlant le coma éthylique, et s'approcha de l'étal du poissonnier en hoquetant.

- Holà vieux bonhomme !
lança-t-il d'une voix forte à la frêle jouvencelle qui tenait le stand. Y m'faudrô un genre d'pesson ben particulier, 'vec des z'ailes ! C'pour la soup'lette aux poissons d'la mère Croquenoix ! Hein ? Vieux bonhomme tu m'entends ?

Il s'approcha d'un pas, assez convaincant dans le rôle du demeuré complètement torché. Et dans un fracas retentissant, il s'écroula au milieu des poissons, s'arrangeant en quelques gestes de la main et du pied, pour en faire glisser le plus loin possible de lui, et quasiment dans les mains d'Arnauld.
Le boucher, voisin du poissonnier, souleva sans ménagement un Pépin qui paraissait plus stupide que jamais, et le jeta brutalement en arrière, le vilipendant furieusement.


- Oh ça va ma jolie ! s'esclaffa Pépin, mimant toujours l'ivrogne, en se raccrochant à Arnauld, comme s'il s'était agi d'un hasard. On rigole !

Et plus bas, en se tournant vers son ami, il murmura du coin des lèvres :


- Et maintenant, on se casse !



Eyes of tiger, Survivor
Juste un homme et son souhait de survivre

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Arnauld
    Il s'en sortait vachement bien, Arnauld, tout de même. Même pas étranglé par un Auvergnat en éruption. Il avait pourtant été démasqué, sur la question de la nage. Franchement, ça, c'est un bon copain. Ça vous gueule un peu dessus, mais ça vous laisse en vie, avec tous vos membres.

    Quoi qu'il en soit, ils devaient ramener quelque chose à Hélona, et nous retrouvons donc nos deux pêcheurs du dimanche (façon de parler, on était jeudi) chassant leur poisson au marché. Pépin prenait les choses en main – ce qui n'était sûrement pas une mauvaise idée quand on considère que la dernière initiative d'Arnauld s'était soldée par une barque retournée et une attaque du monstre du Loch Ness – et il les prenait bien. En voyant son ami tituber avec son accent d'Auvergne et d'ivrogne (oh, comme c'était proche, phonétiquement ! Il faudrait qu'un jour il utilise cette trouvaille linguistique !), il éprouva en même temps une bouffée d'affection et une furieuse envie de rire. Mais l'heure n'était pas à l'hilarité. Il fallait de l'action, de la vraie, de la virile. Il fallait ramasser des poissons, et il fallait détaler vite fait bien fait.

    Sauf qu'il y avait un souci. La charmante demoiselle n'était pas seule ; un type énorme, grosse bedaine, bras musculeux et sourcils broussailleux (le genre qu'on voit bien abattre un hachoir à viande sur la tête des malheureux poissons qui ont fini dans son échoppe plutôt que de leur chanter une berceuse pour adoucir leur fin), un type énorme, donc, s'était matérialisé aux côtés de la poissonnière qui était vraisemblablement sa fille. Et il n'avait pas l'air content.

    Arnauld regarda à ses pieds, entourés des poissons qu'il n'avait pas eu le temps ou l'habileté de rattraper, et eut soudain une idée lumineuse. Cela se produisit grâce à un système d'association de pensées des plus curieux, mais ma foi fort efficace, qu'on peut résumer ainsi :

    poissons → marée 
    pieds → chaussures 
    poissons + pieds → maréchaussée


    Tandis que le gros poissonnier agrippait le bras de Pépin avec l'intention évidente de le broyer, et qu'il commençait à lancer des injures en appelant au voleur, Arnauld leva donc le bras et prit un air important.

    - Holà, brave homme ! Laissez donc ce faquin entier. Je vous félicite. Cela fait des semaines que nous courrons après lui. Nous, c'est-à-dire, évidemment, mon bon monsieur, la maréchaussée. La maréchaussée ! Vous avez contribué à l'arrestation d'une des pires canailles que le Languedoc ait jamais connu. Le fameux, euh... Gégé Croquenoix.

    Le type avait l'air éberlué. Il lâcha Pépin et bafouillant quelque chose, l'orgueil rougissant son visage déjà pas franchement opalin.

    - Il me faut à présent l'emmener. Dans des geôles, des geôles bien sombres. Vous pourrez venir lui cracher dessus, si tel est votre plaisir, quand il sera mis au pilori. En attendant, je me vois dans l'obligation d'emporter ceci. Pièces à conviction, vous comprenez. C'est indispensable pour le procès qui ne manquera pas d'avoir lieu afin de le châtier à la mesure de sa… de sa… de sa canaillerie.

    Et avant que l'homme, manifestement un peu bébête, n'ait le temps de comprendre qu'on se foutait complètement de lui, Arnauld ramassa une douzaine de poissons et entraîna Pépin loin de l'étal. Il l'avait vraiment pris pour un membre de la maréchaussée ! Arnauld ne ressemblait à rien, pourtant, avec ses vêtements encore humides et ses cheveux que l'eau avait plaqués sur son crâne. Mais on trouve de ces types, dans la maréchaussée… Il ne faisait pas si tache que ça tout compte fait. L'avantage, c'était qu'avec cette dégaine, il ne serait pas reconnu la prochaine fois qu'il passerait devant l'étal avec son allure habituelle. Il l'espérait, du moins.

    Quand il fut certain qu'ils étaient hors de vue de tous ceux qui avaient pu assister à la scène, il lâcha enfin Pépin qu'il avait fait mine de maîtriser par une prise adroite et se tourna vers lui, hilare.

    - T'as vu ça, t'as vu ça ? On est des génies, mon vieux ! Des génies qui vont s'en mettre plein la panse, et pour pas un rond !
Pepin_lavergne
Pendant une seconde merveilleuse, il avait été sur le point de s'en tirer sans une égratignure. Mais la seconde passa, et la suivante marqua le début des ennuis. Se faire serrer le bras par une espèce de fou furieux qui défendait l'honneur de sa fille - même pas bafoué en plus, l'honneur - n'était pas sur la liste des choses que Pépin aimait le plus au monde. Il commençait à préparer sa défense, et rédigeait mentalement une lettre d'adieux pour Hélona, lorsqu'Arnauld se mua en maréchal. Et par la force des choses, lui-même en un certain Gégé Croquenoix. L'Auvergnat jeta un regard presque choqué à son ami, tandis que le type le relâchait sans ménagement. Docilement, il se fit alpaguer par Arnauld, qui commençait à s'enfoncer dans un mensonge plus gros que lui-même. Sans piper mot, avec l'air de celui qui veillait sur un mourant, Pépin suivit sans protester le maréchal fraichement nommé, et quitta sans attendre le marché, pour s'enfoncer dans la première venelle venue.

- Gégé Croquenoix ? Gégé Croquenoix ? lança-t-il enfin, blessé dans son honneur. T'aurais pas pu trouver mieux ?

Ce n'était pas avec un nom comme ça qu'il allait pouvoir entamer son programme de domination mondiale. Arnauld ne se rendait pas compte, jeune innocent qu'il était. Mais en tout cas, ils avaient des poissons. Ils n'allaient pas passer pour des bons à rien face à Hélona. La fierté était sauve. C'était déjà ça.

Le lendemain était un vendredi, et un 4. Au programme du jour, nulle promenade, ni baignade, ni rien qui finisse en -ade et qui ait un rapport avec une plaisante activité. Pépin, sur un coup de tête - comme à peu près tout le temps - avait décidé la veille au soir que ce jour en particulier serait consacré aux travaux manuels. Ils allaient construire, ensemble, entre hommes, les écuries, qui accueilleraient non seulement les gros chevaux de trait servant à tirer la roulotte et le poney d'Hélona, mais aussi les montures des clients de l'auberge. Une idée fameuse ! Surtout qu'il comptait bien y mettre autre chose que des équidés. Car quoi que mieux que des écuries pour cacher, sous la paille, tout un tas d'or acquis dans la plus stricte illégalité ? Depuis que le monde était monde, les écuries formaient la cachette parfaite. Pratique aussi pour concevoir des enfants. Tout un tas d'usage, en somme, dont Pépin serait bête de se priver.

Une pile de planches de solide bois était entassée non loin du Brocélianguedoc. Et devant cette pile, se tenait un Auvergnat, armé d'un marteau et d'un panier de clous. Il s'appuyait de tout son poids sur une pelle, en contemplant l'endroit dégagé où se dresserait bientôt le bâtiment désiré. Glissant le manche du marteau à sa ceinture comme d'autres le font avec une épée, Pépin tourna la tête vers Arnauld, qui se tenait à ses côtés. Le travail serait dur, mais ce n'était pas bien grave. Au moins, le jeune Languedocien penserait à autre chose qu'à une fiancée envolée.


- Bon. On va d'abord creuser les fondations. J'crois. Et pis après on va monter le squelette, et ensuite assembler les planches. Mais c'est pas exactement tout...

D'un coup d'œil, il vérifia qu'Hélona ne se trouvait pas dans le coin, et poursuivit, un ton plus bas :

- Faudrait, disons... Ajouter une trappe. On creusera à notre retour d'Annecy un genre de... Un genre de cave secrète, en fait. Mais tu dis rien, surtout, c'est pour... des plans que j'ai en tête et... 'Fin Hélona n'est pas obligée de tout savoir dans l'immédiat... Tu vois c'que j'veux dire ?

Plus tard, ajouta-t-il mentalement, il le lui dirait. Bien sûr. Bien entendu. Evidemment...

- En attendant, y a les fondations à faire. T'as une pelle là-bas. Perdons pas de temps.

Dans une heure, c'était midi. Et Pépin ne loupait jamais un seul repas.
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