Arnauld
- C'était une matinée parfaite. Une clairière parfaite. Un glouglou de ruisseau boueux parfait. Des arbres tout nus parfaits. Des nuages dans le ciel parfaits. Des biscuits secs parfaits. Des moineaux congelés qui ne chantaient pas parfaits.
Arnauld était assis avec Actyss, une couverture en laine protégeant leur délicat fessier de le morsure de l'herbe givrée, et, entre deux bécotages enthousiastes, il s'empiffrait joyeusement de biscuits à la lavande. C'était le paradis sur terre. Un voyage animé, un moment isolé avec sa bien aimée, celle-ci collée à lui, de quoi se remplir l'estomac : que demande le peuple ? Aucune ombre au tableau même si ce n'est qu'une expression, évidemment. Étant donné qu'on était début février, dans la forêt, au milieu de la matinée, des ombres, il n'y avait que ça. Mais pour la petite tête heureuse d'Arnauld, même les ombres brillaient.
Il était en train de littéralement roucouler de bonheur, quand, sans prévenir, une étrange sensation vint picoter sa nuque. Il n'y prit pas tellement garde, au début, songeant qu'il ne devait s'agir que d'un petit courant d'air venu mignonnement lui chatouiller le cou, et se le grattouilla en guise de réponse. Le picotement ne s'éteint pas, cependant, et Arnauld songeait donc aux différentes propriétés du vent, se demandant notamment si le fait d'avoir des fourmis dans la nuque à cause de l'air était courant, s'il ne tenait pas ici quelque chose pour expliquer l'existence des fourmis volantes, et si, avec un peu de volonté, n'importe quel animal ne pouvait pas se hisser dans les airs pour peu qu'il se donnât la peine d'agiter frénétiquement les pattes. Ne trouvant pas de réponses à toutes ces questions scientifiques, il choisit d'exploiter le vent autrement et sortit le frestel que lui avait offert Actyss quelques jours plus tôt, puis, un bras toujours passé autour de la taille de cette dernière, il essaya d'en tirer des sons à peu près écoutables.
Il s'en sortait plutôt bien, à vrai dire, et on pouvait presque isoler une mélodie composée de cinq notes dans ses crachats aériens ; si bien que, soudain, un choriste inattendu vint se joindre à son uvre musicale, dont il était sans nul doute un fervent admirateur.
- Coin-coin. Coooiiin.
Arnauld ouvrit de grands yeux et cessa de souffler dans son instrument, pour tourner la tête et regarder derrière lui. Là, dressé sur deux pattes palmées d'un orange vif, sa tête verte inclinée sur le côté, avec une expression que n'importe qui dont le discernement n'aurait pas été obstrué par un bonheur béat aurait comparée à celle d'un psychopathe.
- Oh, regarde, Actyss ! Regarde comme il est chou !
Tirant sur la manche de la jeune femme, Arnauld pointa du doigt le palmipède en train de les fixer, parfaitement immobile, sans remuer une seule plume.
- Il veut peut-être que tu l'adoptes ! Dis, on l'appelle Michel ?
_________________