Dans les bois, personne ne m'entendra crier
* ? Dans ceux-là, je crains bien que si. Il me semble que je dois parcourir la moitié du monde pour enfin trouver un coin tranquille, à l'abri des imbéciles qui constituent majoritairement la bande avec laquelle je voyage. Décidément, j'ai de plus en plus de mal à supporter la promiscuité d'avec tout ces gens. Et autant être honnête, j'ai déjà prévu une recette de ragoût de chieurs. Avec des oignons et du poivre, ça promet d'être un véritable festin. J'ai même déjà des noms de plats. Mijoté de bécasse à la crème, sauté de bouc aux olives, rôti de vipère sauce aigre-douce, rissolé de putois aux câpres, blatte grillée aux fines herbes. Avouons que ça en jette pas mal.
Mais désormais loin de la foule de plus en plus déchaînée
**, je peux réfléchir au sens de la vie, au pourquoi du comment de ceci est cela et non pas autre chose, et c'est très bien. Un genre de bouffée d'oxygène bienvenue. Et c'est en exécutant quelques pas de danse que je réalise que dans deux jours, je serai enfin tranquille. Puisque dans deux jours, nous serons à Poitiers, et c'est à Poitiers que se jouera la déchirante et tant attendue scène des adieux. Je pourrai alors leur balancer d'affreuses insultes pleines de gros mots en riant d'un air méchant, sans même me sentir coupable. La vie, souvent, sait se montrer juste.
Je dis « tous », mais en fait, j'exagère un peu. J'aime beaucoup Enolia. Elle est vraiment gentille. Je lui ai tricoté une couverture avec un lièvre dessus. A vrai dire j'y suis depuis une éternité, sur cette couverture. Tout ça pour dire qu'elle, je l'aime vraiment bien. Elle est fraiche comme un grand verre d'eau un jour de canicule.
Les autres, avant, je les trouvais sympathiques. Modérément, mais sympathiques quand même. Et, sans avoir la moindre idée de la façon dont ils peuvent bien s'y prendre, ils ont quand même réussi à m'énerver pour de bon.
Déjà, la rencontre avec Cathelyn ne m'a pas mis en de très bonnes dispositions. Il faut dire qu'après quelques coups dans le ventre purement psychologiques, j'avais décidé de surmonter ça comme je le fais toujours. Jusqu'à ce qu'Arnauld et moi nous hurlions dessus à en faire trembler les murs de l'auberge et des maisons voisines. Mais finalement, ça aussi, c'est passé. Avec du mal, mais c'est passé. Comme une tisane amère, on a fini par avaler le tout. Et maintenant on digère en nous jetant des regards penauds, parce qu'on a honte de nous-même et on s'en veut.
Et le coup de la femme qui-vient-mais-qui-ne-vient-plus-et-qui-ne-prévient-pas-et-qui-nous-faire-perdre-une-journée-alors-que-les-autres-ont-continué, ça n'a pas franchement améliorer mon humeur. Les gens, décidément, dans toute leur splendeur, sont assez ternes et creux, finalement. Un genre de vieille poterie. Je suis sûre qu'en tapant à peine dedans, tout s'effondra en ne laissant que l'amas gluant de cafards qu'ils sont tous, en fond d'eux. Y en a, tu leur tapes dedans, il en sort des papillons. D'autres, tu leur fais pareil, et ça dégouline de vers de terre. C'est triste, mais c'est la Nature.
Il n'empêche que tous ces gens m'en ont drôlement appris sur la nature humaine. Les vraies bonnes personnes, les fausses bonnes personnes, celles qui ne cherchent pas à se donner d'air et qui s'assument, celles qui font semblant d'être méchantes alors qu'elles ont bon cur, celles qui s'estiment bonnes à rien alors qu'elles sont tout un monde... Sans oublier ceux qui se croient indispensables alors que franchement, on s'en dispenserait très bien. Ceux qui s'imaginent plus malins et qui s'amusent à foncer dans des murs parce que l'air con, ça fait intelligent. Ceux qui s'imaginent irrésistibles et à qui on résiste très bien sans faire le moindre effort. Ceux qui mentent, ceux qui trichent, ceux qui jouent, ceux qui manipulent pour obtenir les grâces de tous. Ceux qui sont sincères, ceux qui sont généreux, ceux qui aiment. Ceux qui séduisent, ceux qui se laissent séduire. Ceux qui râlent, qui tempêtent, qui réconcilient, qui aident, qui s'en fichent.
En résumé, un formidable panel, très instructif. J'ai toujours l'impression de trouver des pépites quand je suis confrontée à de telles découvertes. L'Humain, dans sa gloire sinistre, avec sa couronne en papier crépon et son sceptre en argile. L'Humain, juché sur un piédestal en papier, qui cherche la grandeur en s'enfonçant toujours plus pour l'obtenir, et qui, lorsqu'il n'a plus les bras assez longs, n'hésite pas à couper ceux des autres pour décrocher une étoile. Étoile qui finalement, se trouve bien plus belle au firmament. Et encore une fois, l'éternelle conclusion que je ferai sans doute tout au long de ma vie de mortelle, c'est qu'on est fichtrement mieux seule dans les bois qu'avec le reste de ses semblables. Enfin presque seule. J'emmène Arnauld, faut pas rêver non plus.
D'ailleurs il est probable, en parlant d'Arnauld, qu'on agace pas mal de gens qui se prêtent au jeu des sourires quand ils nous regardent. C'est vrai, quoi. Ça doit être usant de regarder encore et encore des gens heureux et amoureux. Surtout quand on est infichus de se trouver quelqu'un. Je crois, à moins que je sois atteinte et contaminée par un genre de paranoïa, qu'on nous raille. Derrière notre dos, bien sûr. Faut pas plaisanter, personne ne se risquerait à être honnête et sincère. Trop dangereux, l'honnêteté. On se plait bien plus dans l'hypocrisie. C'est un terrain plus stable. Donc, oui, je pense qu'on nous raille un peu. Et comme l'aurait dit Maman en de telles circonstances : « Quand on a des moqueries à lancer, c'est qu'on aimerait être à la place de ceux qui les recoivent. » Et Dieu sait que Maman a toujours raison.
* : allusion évidente à une accroche de film avec une bestiole moche dedans qui se fait dézinguer par Ellen Ripley, alias Sigourney Weaver.
** : autre allusion, dans un registre très différent, à un excellent livre de Thomas Hardy.