Arnauld
[Journal de rêves]
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- L'armoire est énorme. Pourtant, au départ, elle était toute petite, minuscule, invisible. Mais qu'est-ce qu'elle est grosse ! Et jamais elle ne pourra être prête. Ses portes sont toutes gonflées, qui a déjà vu une armoire gonflée ? Il ne peut pas l'envoyer à Morwène von Frayner, elle poussera de hauts cris et il n'aura plus de travail. Et puis il est beaucoup trop petit pour la déplacer, de toute façon.
L'armoire enfle, enfle. Ou bien est-ce lui qui rétrécit ? Il garde son marteau à la main, son inutile petit marteau, et il essaye d'ouvrir les portes coincées de l'armoire en tapant sur les jointures. Il va l'abîmer. C'est horrible, il ne faut pas abîmer son armoire. Il doit la cajoler, la peindre en de jolies couleurs, et lui donner à manger. Il faut qu'elle soit heureuse. Qu'elle pousse des ronronnements d'armoire. Une nouvelle robe, peut-être ? Mais comment lui mettre une robe, puisqu'elle grossit sans arrêt ?
L'armoire agite ses pieds sculptés. Qu'ils sont mignons, ses petits pieds sculptés ! Mais ils sont tout nus, sans chaussures. Elle va attraper froid. Panique. Il tourne le dos à l'armoire, qui fait battre ses portes en causant un tintamarre de tous les diables. Ouvertes, fermées, ouvertes, fermées tac ! tac ! tac ! tac ! Il ne peut pas voir à l'intérieur, puisqu'il lui tourne le dos. Il faut qu'il trouve des chaussons. Il va demander à l'aubergiste. Il n'y a pas d'aubergiste. Comment faire ? Soudain, ses bras sont remplis de petits chaussons roses, avec des rubans de toutes les couleurs. Il veut se retourner pour les mettre au pied de son armoire, mais il renverse tout, et il se retrouve à nager dans un océan de pantoufles à froufrous. Il n'arrive plus à respirer correctement, il va se noyer. Dans tout ce rose, il ne distingue plus que les rubans, qui ont chacun une couleur différente. Céladon. Aubergine. Lavande. Fuchsia. Lapis-lazuli. Garance. Saumon. Groseille. Zinzolin. Laquelle choisir ? Laquelle choisir ? Le tac-tac a cessé, les portes sont refermées. Mais l'armoire s'agite toujours. Ses pieds nus remuent, ça fait criss-criss sur le plancher.
Horreur ! Son armoire se fait la malle !
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Arnauld se réveille, haletant. Actyss est endormie, la joue contre son torse. Elle a l'air si paisible. Dans l'ombre, au fond de la roulotte, l'armoire sur laquelle il travaille depuis des semaines semble dormir aussi, les portes qu'il n'a pas terminé de sculpter et qui ne sont pas encore fixées posées à l'intérieur, masquant le fond, comme deux paupières closes. Tout va bien. Tout le monde dort.
Mais il est sûrement le seul à faire des rêves aussi cons.