Actyss
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Tonnerre.
Contrairement à ce qu'a pu me faire croire le nom, il n'y a pas plus d'orages à Tonnerre qu'ailleurs. J'étais un peu déçue de m'en rendre compte, car malgré la pluie battante, il n'y eut pas un seul coup de tonnerre. En revanche, Arnauld était là, lui.
On s'est retrouvés dans une taverne, un peu par hasard. J'avais oublié à quoi il ressemblait, lui avait oublié mon nom, et dans un rapide échange de courrier, je le lui rappelais. Je ne sais pas écrire, aussi ai-je demandé à un homme de s'en charger, tandis que je lui dictais quoi rédiger. Arnauld est un garçon un peu étrange. Il ne sourit pas beaucoup, il a surtout l'air triste, comme s'il charriait avec lui des tonnes de souffrances. Si je sais soigner plaies, bosses, et maladies communes, je n'ai aucun talent en ce qui concerne la réparation des curs. J'essaye de le distraire, mais je ne suis pas très douée là-dedans. Comme il a mal à la gorge, je lui fais des infusions. Lui, en contrepartie, m'apprend un peu le monde.
Malgré mes immenses lacunes dans les relations humaines, il ne renonce pas encore. Il m'a par exemple appris qu'une fille ne retire pas sa robe en public, même si elle porte en dessous une chemise de corps. Il m'a également parlé des hommes, enfin, il tente de le faire. J'ai eu bien du mal à comprendre ce qu'il voulait dire, quand il m'a parlé de ce qu'on ressent quand un homme et une femme s'adonnent à ce que je nomme la « reproduction ». D'après lui, c'est encore mieux que manger une tarte aux pommes. J'en doute, mais je fais semblant d'y croire. Et il me dit aussi que les relations hommes-femmes vont au-delà, parfois, de la « parade amoureuse ». Tout cela s'avère mystérieux et compliqué.
Par un heureux concours de circonstances, j'appris de la bouche d'une femme que la Savoie n'était qu'à une semaine de marche de Tonnerre. J'ai aussitôt décidé que j'irai là-bas, et peu après, Arnauld décide de m'accompagner jusqu'à la frontière, avant que je ne lui propose finalement de venir avec moi jusqu'au bout. Il est sympathique, mais surtout, au-delà de ça, je voudrais essayer de le réparer, à l'intérieur. Si je parviens à lui montrer que malgré tout, la vie est belle, je m'estimerai heureuse et fière. Ce n'est pas parce que c'est lui que je veux m'y employer, mais parce que je n'aime pas délaisser une personne souffrante si j'estime pouvoir contribuer à lui rendre le sourire.
Avant de partir, je l'invite à venir dîner avec moi. Il ne me croit pas, pour Martin. Martin, c'est le sanglier que j'ai apprivoisé. Je l'ai trouvé encore marcassin, peu de temps après avoir quitté Montpellier. Il était tout seul, et souffreteux. Sa mère devait l'avoir abandonné. Et je l'ai pris sous mon aile. Depuis, il a grandi, et je le promène en laisse, en ville. Bien sûr, les gens me regardent étrangement, plus que d'habitude, mais je m'en moque. Martin et moi sommes heureux, ensemble. Il trouve des glands pendant que je fais cuire des châtaignes, en forêt. Et puis, c'est mon ami désormais. Bien décidée à montrer à Arnauld que les sangliers sont autre chose que des brutes, je l'entraîne à ma suite jusque dans les bois. Il fait froid, et surtout, humide. Au bout de sa corde, Martin renifle le sol, sa petite queue se balançant de droite à gauche. Je me suis décidée à mettre mes bottines en peau de mouton retournée, dont les semelles fines ne me protègent qu'en partie des pierres du chemin. Le vent léger fait voleter mes cheveux ébouriffées autour de mon visage. Je respire à pleins poumons l'odeur d'humus et de feuilles mortes, un sourire étirant bientôt mes lèvres rougies par l'air frais.
Gênée dans ma progression par l'ourlet de ma robe, je la soulève de ma main libre, tout en me frayant un chemin entre les arbres. J'ai demandé à Arnauld de prendre un seau d'eau. Je tâche de retrouver mon chemin, là où la veille, j'ai trouvé une grande quantité de châtaignes. Ce n'est pas si simple, mais Martin m'aide un peu, je crois. Il tire sur sa laisse, mais je ne la lâche pas. Je tourne la tête vers Arnauld, l'incitant d'un sourire rayonnant à me suivre encore. Je ne parle pas beaucoup, pour ne pas dire pas du tout. Je suis concentrée sur ma mission. J'ai plus ou moins promis un festin, en sortant de la taverne. J'ai plutôt intérêt à tenir mon engagement, sinon, il pourrait croire que je suis une menteuse. Mais enfin, alors que je m'apprête à changer de coin, je repère les bogues pleines à craquer, des châtaignes que nous allons manger. J'ai une faim de loup, de plus. Le soir tombant, il fera bientôt noir. J'attache Martin à un tronc mince, et me laisse tomber par terre, à quatre pattes.
Non contente d'avoir trouvé les châtaignes, je découvre également quelques champignons violets. Ils seront délicieux, une fois frits. Je les ramasse et les empile en un petit tas. Je réunis également les châtaignes, et m'emploie à faire du feu. Dans une branche fendue à moitié, j'en insère une autre, ainsi qu'un peu de mousse sèche. Je fais tourner le bâton dans la fissure, jusqu'à provoquer de la fumée, puis une petite flamme. Je souffle dessus, et bientôt, après avoir garni le début de flambée par des branchettes et des morceaux plus gros, je contemple, satisfaite et le visage couvert de salissures, le feu qui crépite dans la nuit. Il n'y a plus, alors, qu'à glisser sous les châtaignes en périphérie, pour pouvoir les récupérer sans trop se brûler.
Ici, dans ces bois, tout est parfaitement calme, et j'hésite un peu à rompre le silence. Je vais peut-être le déranger ? J'approche le seau d'eau, et place dans les braises deux chopes en étain que je viens d'emplir. J'y ajoute quelques plantes, et j'attends que tout cela chauffe. Assise en tailleur à même le sol, je me laisse soudainement tomber en arrière. Au-dessus de la voûte des arbres, je distingue les étoiles. Je ne connais pas leurs noms, mais leur scintillement m'a toujours fasciné. Je jette un regard à Arnauld, me demande où le conduisent ses pensées. Et surtout, je me demande ce qu'il fait avec moi. Il dit qu'il cherche quelque chose à faire, mais pourquoi fait-il de moi son but ? Il tient à m'accompagner par désuvrement, affirme-t-il. Mais il aurait pu suivre n'importe qui, alors pourquoi moi ?
Ecartant une mèche de cheveux qui me barre la vue en secouant légèrement la tête, j'attends que les châtaignes craquent, dans le feu, m'indiquant alors que je dois les en sortir. Cela ne tarde pas, et je me redresse bientôt, des feuilles perdues dans la masse de ma crinière blonde. Du bout d'un bâton, j'extirpe les fruits des braises, et les fais rouler jusqu'à nous. J'en saisis une du bout des doigts, la faisant passer d'une main à l'autre tant c'est chaud. Loin de me faire grimacer, cela me fait rire. Je mords bientôt dans la chair toute chaude, un sourire satisfait aux lèvres tandis que je mastique la châtaigne.
« Tu as déjà beaucoup voyagé. » fais-je enfin. « Qu'as-tu vu jusque-là ? Quelle est la chose la plus incroyable que tu aies vu ? »
* Buzz l'Eclair - Toy Story