Actyss
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« I will be waiting for you on the other side of the frozen pines
I'm gonna find a way through, there's another life beyond the line. »
« I will be waiting for you on the other side of the frozen pines
I'm gonna find a way through, there's another life beyond the line. »
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Aix
« Alors on est d'accord ? Tu me laisses dix minutes d'avance, et ensuite tu dois me retrouver. »
J'adresse à Arnauld un sourire espiègle, avant de tourner les talons. Je remonte l'ourlet de ma robe, et cours à travers bois. En cette matinée de Novembre, il fait froid. Nous sommes en Provence, ce qui n'empêche pas l'heure juste avant l'aube d'être glaciale. A chacune de mes expirations, un nuage de vapeur s'échappe d'entre mes lèvres. D'aucun aurait pu penser que ce n'est pas le jour idéal pour s'adonner à une promenade dans les bois. A mon avis, c'est précisément maintenant, alors qu'à l'horizon le soleil se lève à peine, que nous nous devons d'être dehors.
L'air matinal me fait toujours me sentir plus vivante. Lorsque la froidure mord mes joues en les colorant de rouge, que mes lèvres en deviennent grenat et que la pointe de mon nez prend la teinte d'une cerise bien mûre. Mes cheveux blonds, ébouriffés, encadrent mon visage à la manière d'une crinière, et le tissu bleu de la robe d'Hiver que je porte fait ressortir l'azur foncé de mon regard, rendu brillant par un léger souffle de vent gelé.
Dix minutes, ce n'est pas long. La forêt a beau être immense, si je ne me presse pas un peu, Arnauld aura tôt fait de mettre la main sur moi. J'accélère l'allure, bondissant par-dessus les racines et les arbres tombés, vaincus par un vent trop fort, refuge de petits animaux et d'insectes. J'ai grandi dans une forêt, et en quinze ans d'existence, j'ai su me rendre aussi silencieuse qu'un souffle d'air. Lorsque la pointe de mes pieds heurte le sol, je ne fais craquer aucune brindille, et quasiment pas les feuilles au bord blanchi par le givre. Je m'enfonce toujours plus, estimant qu'il ne me reste plus qu'une poignée de minutes avant qu'Arnauld ne se mette en chasse.
Dans la forêt, je réfléchis toujours différemment. Pas besoin de faux semblant, pas besoin d'avoir l'air de ceci ou de cela. Dans la forêt, au-delà de la promenade, règne une autre donnée. Celle de la survie. Bien sûr, ce n'est qu'une course poursuite, aujourd'hui. Mais malgré tout, si l'on n'apprivoise pas immédiatement son environnement, les accidents, parfois mortels, se cachent derrière chaque tronc. Animaux sauvages ? Champignons vénéneux ? Baies empoisonnées ? Crevasses dissimulées par les feuilles ? Tout est possible. C'est là-dedans que j'ai grandi. C'est mon univers. Quoi qu'il puisse se cacher au fond des bois, je le connais déjà. Et pourtant, je me laisse chaque fois émerveillée par la sauvagerie de l'endroit. Cette sorte de sauvagerie grandiose et intimidante, comme si j'étais à la fois devant un carnage et au cur d'une cathédrale. Tout ce qui peut se passer ici, pourvu que ce soit du fait de la Nature et non de l'Homme, ne pourra qu'être beau.
Les dix minutes doivent être écoulées désormais, et je m'arrête juste sous un chêne. Je regarde autour de moi, mes cheveux voletant au gré de mes mouvements rapides. Sans plus attendre, je me hisse de branche en branche. Lorsque je suis parvenue à une hauteur suffisante, je passe à l'arbre voisin, un pin immense. Je m'y assois à califourchon, aussi à l'aise à plusieurs mètres au-dessus du sol que si j'étais installée sur une chaise. De là, j'ai une vue assez complète. Je me fais totalement silencieuse et immobile. J'attends qu'il me retrouve.
Le temps s'égraine, lent et régulier. Je l'entends marcher à des lieues à la ronde. Il est relativement discret, mais chaque craquement de brindille me vient, et m'arrache un léger sourire. Dès lors qu'il entre dans mon champ de vision, je plaque une main sur ma bouche pour étouffer toute manifestation bruyante. Je me retiens de rire, je me retiens de l'appeler, de siffler, voire même de respirer. Ce qui ne l'empêche pas, bientôt, de lever les yeux. Peut-être distraitement, peut-être pour juger de l'heure qu'il est, peut-être parce que son ouïe a été attirée par les griffes d'un écureuil qui escalade le tronc du chêne que j'ai moi-même gravi. Je n'en sais rien, mais toujours est-il qu'il me repère enfin. Mes lèvres s'étirent en un large sourire, et en quelques bonds souples et maîtrisés, je regagne le sol. L'effort a ravivé les charmantes rougeurs de mes joues. Une feuille s'est accrochée à mes cheveux, et je l'ôte du bout des doigts. Il fait toujours aussi froid.
Le regard brillant, je glisse ma main dans celle d'Arnauld, et l'entraîne à reculons jusqu'au tronc du pin. Je ne m'arrête que lorsque mon dos heurte l'écorce. Non sans une certaine impatience, j'attire le jeune homme contre moi, et m'appuyant de tout mon poids contre l'arbre, je relève les jambes pour entourer la taille d'Arnauld de mes cuisses. Je croche ma cheville à l'autre, et viens lui voler un baiser. Ses paumes me soutiennent, et je sens, dans le baiser fougueux que nous échangeons, que cet arbre glacial ne le restera pas longtemps. Et que tout comme moi, il risque bien de s'embraser.
Je t'attendrai de l'autre coté des pins gelés
Je vais trouver un chemin à travers, il y a une autre vie au-delà de la ligne
Je vais trouver un chemin à travers, il y a une autre vie au-delà de la ligne