Nomi
♠
J'avais en ce temps là des leçons à apprendre
De l'encre sur les doigts et le monde à comprendre,
(...)
Et je jouais à survivre dessous les draps en cloche
A la lueur d'un livre et d'une lampe de poche
Juliette Nourredine
J'avais en ce temps là des leçons à apprendre
De l'encre sur les doigts et le monde à comprendre,
(...)
Et je jouais à survivre dessous les draps en cloche
A la lueur d'un livre et d'une lampe de poche
Juliette Nourredine
- Novembre matin, Montargis, froid de canard des neiges. Cela fait environ trois heures que Nomi essaie de rassembler la motivation nécessaire pour émerger des quatre couvertures sous lesquelles elle repose au fond de la charrette. En plus il y a France à côté, et comme elle est malade et donc fiévreuse, elle tient super chaud. Même Léonidas n'aurait pas le courage de sortir de là. Et je parle du Spartiate, pas du chocolatier. Autour de la mouchetée, outre la touffe épaisse de boucles Françaises qui dépasse des couvertures et le dos de Jean-Eudes, il y a quelques arbres, un carré de ciel livide et le concert cacophonique du marché qui s'installe un peu plus loin. Après s'être lassée du comptage d'aiguilles sur les sapins et du jeu du "poil au..." à chaque harangue de commerçant grappillée, Nomi, à court d'idées pour se distraire, commence à réfléchir. Plus exactement, elle se souvient. Il y a à quelques pas une boulangerie pleine de lumière qui souffle sur le toit de l'hiver ses grosses volutes de fumée parfumée. Ça sent le pain tout frais et, vaguement, la tourte aux choux et aux oignons. Cette même fragrance qui, des années plus tôt, la faisait débouler dans la cuisine, assiette dans une main, salière dans l'autre, prête à en découdre. A chaque fois que les odeurs s'aventurent du côté de ses narines rosées, Nomi pose une nouvelle pièce sur le puzzle 7 ans et + de sa mémoire. Le tableau est presque complet : elle a reconstitué sans mal les parquets tièdes sous les pieds nus, la voix d'une gouvernante, la robe de chambre en soie verte sur la peau tout juste baignée, 50 nuances de papier peint ignoble.
Et puis Arnauld ! Arnauld dont elle cause, de temps à autres, quand France et elle sont d'humeur nostalgique, Arnauld auquel elle pense quand elle tend la jambe pour faire tomber les paysans à la poursuite des jeunes voleurs de pommes. Mais auquel elle n'écrit plus, parce qu'elle n'a plus le temps d'écrire ou que du moins elle aime le croire.
Pourtant, au temps béni des tourtes au chou, c'était son correspondant préféré du monde entier. Et son seul correspondant, d'ailleurs, si on ne compte pas les petits mots qu'elle faisait glisser à France pour fomenter des plans diaboliques en toute discrétion.
Là il faut imaginer un effet flashback de mauvais téléfilm avec l'image désaturée qui se gondole et une musiquette à la harpe façon "olala cé tré mistérieu"
(je vous mâche le travail)
(je vous mâche le travail)
C'est une petite table de bois retranchée sous la fenêtre d'une cuisine, entre un fourneau doré et un buffet à vaisselle. Dans les odeurs de tourte au chou et de coings confits, une gamine planche sur un vélin. Dix ou onze ans et toutes ses dents, dont une canine badigeonnée d'encre jaune pour faire pirate, Nomi s'appelle encore Adèle. Ses yeux bleus opèrent de fréquents allers-retours entre la fenêtre, par laquelle on aperçoit un homme apparemment très énervé charger un flot de valises dans une calèche, et le parchemin qui se couvre d'encre sous sa main. Comme souvent, les six premières lignes sont calligraphiées avec soin. Le reste est gribouillé de plus en plus vite. On a pas le temps quand on a onze ans.
Citation:
Le vingt Novembre 1456
De moi, Adèle Scott, princesse des Écossais (sauf les petits pois)
A toi, capitaine Cassenac, petit soldat d'aplomb
Nono,
Mon très très cher Arnauld,
Il faut absolument que je t'annonce une GRANDE NOUVELLE. Après plusieurs mois d'un règne cruel, sanglant, horriblifiant et terribilaire, le Marquis des Alphabets n'est plus. La Reyne-mère a annoncé ce matin à l'occasion de son discours du petit-déjeuner que l'odieux personnage lui avait « exprimé son souhait d'être déchargé de sa mission éducative » pour des « raisons personnelles ». La Reyne-Mère a ajouté que la princesse des françoys et moi-même étions « punies jusqu'à nouvel ordre », ce qui nous semble très injuste étant donné que nous n'avons rien fait d'autre que sauver la patrie une nouvelle fois. Mais ce n'est pas grave. Tous les grands héros ont connu l'ingratitude du public. Et tous les grands héros savent où leur mère cache les clés de la porte de service.
Capitaine Arnauld, merci d'avoir oeuvré avec nous pour la Libération depuis votre province lointaine. Vos conseils de fin stratège furent précieux. D'ailleurs je vous fais chevalier. Non, poneylier. Je vous fais poneylier, Nono !
Encore une mission réussie pour l'Alliance Franco-Adèlo-Arnesque.
Bientôt, mon brave, nous boirons ensemble du jus de pommes à bulles.
France a entendu Père dire à l'un de ses scribouillons qu'il faudrait qu'il aille à Béziers sous peu. Tu te rends compte ? On passera peut-être Noël à Béziers ! Je ne dis pas ça pour que tu commences à réfléchir à un cadeau.
Je t'ai déjà dit à quel point j'avais envie d'un chaton ?
France dit que les chatons lui font les yeux qui pleurent et le nez qui coule. Elle ment. C'est juste du rhume et des coïncidences. Comme quand Mère dit que la pâte à tarte pas cuite fait mal au ventre et qu'une coïncidence fait qu'on a mal au ventre après en avoir mangé. Dans les deux cas on veut juste m'empêcher d'être heureuse avec des prétextes mensongers. Si quelqu'un m'offrait un chaton en cadeau de Noël, par contre, je serais obligée de le garder, on ne jette pas un cadeau, on ne noie pas un cadeau dans la rivière. Et je serais ENFIN heureuse.
Il sappellerait Butch et je lui ferais une collerette de page et une culotte bouffante pour chaton avec du taffetas orange et des grelots.
Est-ce que tu t'occupes bien de la cabane ? Est-ce que tu arroses tous les jours notre plan de belladone ultra mortelle qui n'est pas du tout une simple laitue comme certains le prétendent pour nous blouser ? Est-ce que tout va bien chez toi ? Est-ce que tu sais enfin te coiffer ? Est-ce que tu crois aux lutins ? Est-ce qu'on te manque terriblement ?
Ici il fait MOCHE. Avec France, on a construit une ville franche en couvertures dans ma chambre. J'espère que tu n'as pas trop froid, chez toi. Je te dessine un petit dragon en bas du parchemin, si tu le chatouilles sous le nez il éternue des flammes qui réchauffent.
(je sais que ça ressemble à un cochon avec des écailles mais c'est un dragon, c'est juste une variété de dragons spéciale qui ressemble un peu à des cochons avec des écailles)
Il faut que je te laisse, on doit faire des essayages de robes (hiiiiiiii !) pour le banquet qu'organise je-ne-sais-plus-qui et auquel on est obligées d'aller. ENNUI.
Il me tarde de te revoir !
Est-ce que tu pourrais fabriquer/trouver une arbalète, d'ici là ? C'est pour un truc. On t'expliquera.
Je te fais coucou avec la main parce que tu es un garçon et qu'on n'embrasse pas les garçons.
Ps : bon anniversaire de rencontre en retard. Tu te rends compte, ça fait cinq ans qu'on se connaît ! Ça ne change rien au fait que tu es toujours un gros bébé. GROS BÉBÉ
De moi, Adèle Scott, princesse des Écossais (sauf les petits pois)
A toi, capitaine Cassenac, petit soldat d'aplomb
Nono,
Mon très très cher Arnauld,
Il faut absolument que je t'annonce une GRANDE NOUVELLE. Après plusieurs mois d'un règne cruel, sanglant, horriblifiant et terribilaire, le Marquis des Alphabets n'est plus. La Reyne-mère a annoncé ce matin à l'occasion de son discours du petit-déjeuner que l'odieux personnage lui avait « exprimé son souhait d'être déchargé de sa mission éducative » pour des « raisons personnelles ». La Reyne-Mère a ajouté que la princesse des françoys et moi-même étions « punies jusqu'à nouvel ordre », ce qui nous semble très injuste étant donné que nous n'avons rien fait d'autre que sauver la patrie une nouvelle fois. Mais ce n'est pas grave. Tous les grands héros ont connu l'ingratitude du public. Et tous les grands héros savent où leur mère cache les clés de la porte de service.
Capitaine Arnauld, merci d'avoir oeuvré avec nous pour la Libération depuis votre province lointaine. Vos conseils de fin stratège furent précieux. D'ailleurs je vous fais chevalier. Non, poneylier. Je vous fais poneylier, Nono !
Encore une mission réussie pour l'Alliance Franco-Adèlo-Arnesque.
Bientôt, mon brave, nous boirons ensemble du jus de pommes à bulles.
France a entendu Père dire à l'un de ses scribouillons qu'il faudrait qu'il aille à Béziers sous peu. Tu te rends compte ? On passera peut-être Noël à Béziers ! Je ne dis pas ça pour que tu commences à réfléchir à un cadeau.
Je t'ai déjà dit à quel point j'avais envie d'un chaton ?
France dit que les chatons lui font les yeux qui pleurent et le nez qui coule. Elle ment. C'est juste du rhume et des coïncidences. Comme quand Mère dit que la pâte à tarte pas cuite fait mal au ventre et qu'une coïncidence fait qu'on a mal au ventre après en avoir mangé. Dans les deux cas on veut juste m'empêcher d'être heureuse avec des prétextes mensongers. Si quelqu'un m'offrait un chaton en cadeau de Noël, par contre, je serais obligée de le garder, on ne jette pas un cadeau, on ne noie pas un cadeau dans la rivière. Et je serais ENFIN heureuse.
Il sappellerait Butch et je lui ferais une collerette de page et une culotte bouffante pour chaton avec du taffetas orange et des grelots.
Est-ce que tu t'occupes bien de la cabane ? Est-ce que tu arroses tous les jours notre plan de belladone ultra mortelle qui n'est pas du tout une simple laitue comme certains le prétendent pour nous blouser ? Est-ce que tout va bien chez toi ? Est-ce que tu sais enfin te coiffer ? Est-ce que tu crois aux lutins ? Est-ce qu'on te manque terriblement ?
Ici il fait MOCHE. Avec France, on a construit une ville franche en couvertures dans ma chambre. J'espère que tu n'as pas trop froid, chez toi. Je te dessine un petit dragon en bas du parchemin, si tu le chatouilles sous le nez il éternue des flammes qui réchauffent.
(je sais que ça ressemble à un cochon avec des écailles mais c'est un dragon, c'est juste une variété de dragons spéciale qui ressemble un peu à des cochons avec des écailles)
Il faut que je te laisse, on doit faire des essayages de robes (hiiiiiiii !) pour le banquet qu'organise je-ne-sais-plus-qui et auquel on est obligées d'aller. ENNUI.
Il me tarde de te revoir !
Est-ce que tu pourrais fabriquer/trouver une arbalète, d'ici là ? C'est pour un truc. On t'expliquera.
Je te fais coucou avec la main parce que tu es un garçon et qu'on n'embrasse pas les garçons.
- Adèle
Ps : bon anniversaire de rencontre en retard. Tu te rends compte, ça fait cinq ans qu'on se connaît ! Ça ne change rien au fait que tu es toujours un gros bébé. GROS BÉBÉ
Là c'est la fin du flashback avec un fondu au noir comme chez Metallica
Côté France, ça ronfle bien évidemment. Le souvenir se dissipe, il reste une idée fixe en forme de caprice.
- - Bart ? BART ? Venez là. On est quel jour ?
- C'est pas Bart mon prén...
- On est le 16 ?
- Heu. Non. On est le 24.
- Ah. Vous auriez pas pu me dire quand on était le 16 ? Avec votre tête de linotte j'ai encore oublié notre anniversaire de rencontre avec Arnauld. C'est super important. Déjà que j'oublie son anniversaire tout court. Vous êtes vraiment nul, Bart. Vous êtes homme à tout faire et vous ne faites absolument rien. En plus vous êtes gros.
- Mais je...
- Filez vous renseigner, je veux savoir où est Arnauld. Arnauld Cassenac. Pigeonnez les douanes en commençant par celle de Béziers. Il faut que je lui écrive.
Le pauvre domestique-coursier-victime, dernier vestige d'opulence, s'éloigne en maugréant des trucs à propos de son prénom et de sa corpulence (rime riche les gars). Et Nomi, toujours ensevelie sous ses couvertures, se colle davantage à son radiateur de frangine. Essayant de décider quelle sera son excuse pour ne pas avoir écrit depuis des siècles au petit garçon, partenaire de crime, ennemi mortel ponctuel, collègue aventurier, couverture de fugues, oreille à secrets et épaule à chagrins auquel elle avait sans doute promis de ne jamais, jamais, JAMAIS l'oublier.
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