Alicina.
Citation:
À Arnauld Cassenac,
Narbonne, Comté du Languedoc
Arnauld,
Je suis là, perdue au beau milieu de la campagne périgourdine, et soudain, j'ai pensé à vous toi. Il fait beau, le ciel est bleu, et j'entends les grillons. Ce qui m'a aussitôt fait penser au Languedoc. Et de fil en aiguille, à toi.
Comment te portes-tu ? Est-ce animé ? Et ton épouse ? Comment se passe la grossesse ?
Pour moi, tout va bien. Les enfants vont bien, Sylvan va bien, Pantoufle va bien, mon petit âne va bien, mon gros cheval va bien, et même le poney de ma fille va bien. Sans oublier cette chère et indispensable Marielle, qui nous concocte quotidiennement des ragoûts et des tourtes absolument irrésistibles. Nous étions, tous autant que nous sommes, partis pour Limoges, histoire que Luna retrouve son père durant une ou deux semaines, mais nous avons quitté la ville au bout de deux jours seulement. Cela s'est affreusement mal passé, comme tu peux le supposer. Le père de Luna lui-même a dit que j'aurais mieux fait de ne pas venir. Pour moi, je m'en fiche. Mais pour Luna... Voilà qui m'a brisé le cur. Enfin, j'ai enjolivé la situation, pour elle, et le voyage la distrait. D'autant que Sylvan s'occupe bien d'elle - d'elles devrais-je même écrire. C'est tout nouveau pour lui, il est un peu pataud, mais je trouve ça si touchant ! Je ne me lasse pas du spectacle de l'infernal trio en train de lui demander de cueillir pour elles les toutes premières cerises et les fraises des bois dans les buissons « qui piquent comme une anguille ». J'ai beaucoup ri cette fois-là, lorsque Luna a lancé cette petite phrase - tu auras bien compris aussi qu'elle voulait dire « aiguille ».
Et puis, de façon tout à fait générale, je nage dans le bonheur le plus complet. Je suis amoureuse. Non, c'est faux, je ne suis pas amoureuse. Je déborde d'amour. De ma vie, je n'ai jamais été si heureuse, si comblée, si parfaitement sereine. Ce n'est pas Sylvan qui disparaîtra un soir sans rien me dire, ce n'est pas lui non plus qui fréquentera une autre femme, pas lui qui se détournerait de nos enfants parce que ça l'ennuie. De plus, il boit nettement moins. Je ne lui ai rien demandé du tout, il le fait de lui-même. Il joue toujours autant, mais vise des adversaires moins agressifs. Ce qui fait que désormais, lorsqu'il revient de ses tripots, il a le sourire aux lèvres. Et puis, il est beau. Il est beau, n'est-ce pas ? Je me fais penser à toi lorsque tu parles d'Actyss. Je n'avais jamais ressenti ça, tu sais. Je pensais - et je m'en excuse - que tu exagérais les choses, mais en fait pas du tout. Je me suis surprise à le contempler avec adoration. Et je n'en éprouve aucune honte !
Finalement, lorsque j'y songe, nous avons, tous les six, nous avons connu bien des malheurs. Hélona a eu son Eryanor, tu as eu ta Cléo, moi j'ai eu Niallan... Pépin, je l'ignore, mais je sais que son enfance ne fut pas un modèle d'amour et d'affection. Sylvan n'en parle pas mais je sais qu'il a vécu une terrible tragédie. Actyss a été abandonnée avant même de naître par un père très stupide - il aura manqué la plus ravissante des jeunes filles. Aussi en un sens, ça vaut bien un amant maudit, pour ces trois-là. Et regarde nous, désormais ! Heureux comme jamais, baignant dans le bonheur comme une échalote dans une sauce à la crème, flottant comme une rondelle de panais dans la soupe du midi. Comme quoi, j'avais raison de croire aux contes de fées. Nos histoires se terminent aussi bien que celles des livres.
Mais changeons de sujet, un instant, et reprenons sérieusement. J'ai donc quitté Limoges, et nous comptions foncer tout droit jusqu'à Ficquefleur, mais je me suis rappelée que Maryah logeait actuellement à Sarlat, et nous avons décidé d'y faire un saut. De plus, j'ai aussi réalisé que Bordeaux n'était qu'à quelques jours de Sarlat. Et alors, me diras-tu. Alors, nous avons choisi d'y faire un tour. Maryah m'a malheureusement appris que Niallan et sa bande y seraient aussi, mais cela m'importe peu. Je viens pour rencontrer le frère d'Hélona. Benjen. Je suis en manque d'Hélona, aussi vais-je pour ainsi dire me ressourcer auprès de son jumeau. En espérant qu'il soit aussi fou que sa soeur.
Mais dis-moi, mon cher Arnauld, tu n'as jamais vu de ta vie le manoir de Ficquefleur dont je te rebats les oreilles depuis des lustres. Aussi, je me permets de t'inviter très officiellement chez moi, avec ta délicieuse épouse, dès que tu le souhaiteras. Et pourquoi pas nous rejoindre à Bordeaux ? Ce n'est qu'à une semaine de Narbonne, environ.
Donne-moi vite de tes nouvelles, bonnes comme mauvaises.
Je t'embrasse,
Amicalement
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