Actyss
🗻
« I'm in love, I'm in love, I'm in love,
All I want is just to repeat with you
I'm in love, I'm in love, I'm in love,
All I want is just to be with you »
« I'm in love, I'm in love, I'm in love,
All I want is just to repeat with you
I'm in love, I'm in love, I'm in love,
All I want is just to be with you »
Narbonne
Le ciel est uniformément bleu en ce dimanche de juin. Pas un nuage en vue. Il n'y a que cette énorme boule jaune qui rompt la monotonie de l'azur, et qui réchauffe ma peau. Je suis allongée sur le sable tiède de la plage narbonnaise, c'est l'après-midi, et je ne porte qu'une robe légère, sans bas ni chaussures. J'ai retroussé mes manches, et je me tiens immobile, profitant du calme, du bruit des vagues et du pétillement de l'écume qui s'infiltre dans le sable détrempé. Quelques coquillages se voient emportés par le reflux, je les vois rouler jusqu'à l'eau, attirés par les vagues. Dans son couffin, juste à côté de moi, bien à l'ombre, un bébé s'agite. Ce n'est pas n'importe quel bébé. C'est le mien. Je relève le nez, pour contempler Morgane. Elle dort encore, et c'est bien normal. Il n'y a qu'une demi-heure qu'elle a tété, et j'en ai profité pour changer ses langes. Elle ne porte qu'une liquette légère, blanche, en lin, et j'ai pris soin de lui couvrir la tête d'un petit bonnet de coton, même si elle est éloignée du soleil. Maman dit toujours qu'il faut être prudent.
J'ai accouché mercredi matin. Cela a été l'épreuve la plus douloureuse qu'il me soit permis de connaître. Un déchirement intérieur. J'ai eu l'impression d'être écartée en deux jusqu'à ce que tout craque. Et ma fille a vu le jour. Aussi blonde que moi, les yeux bleus comme ma mère - et moi - de longs cils comme ceux de son père. Outre le fait qu'elle a été violette les deux ou trois premières heures de sa vie, c'est le plus joli bébé au monde. Maman a été enchantée de savoir que j'ai bien mis au monde une fille. La relève est assurée. Elle recevra, comme moi en mon temps, le savoir ancestral de ma famille. Tout va bien. Quant à moi, je me repose, et je guéris. Parce qu'une certaine partie de mon corps a été mise à rude épreuve, et que si tout est bien remis en place, il faut du temps pour que la guérison soit totale. Et je m'amuse comme une folle avec Arnauld. Je joue avec ses nerfs pour éviter de penser aux miens, et pour ne rien entendre des protestations et des suppliques que me hurle mon corps quand Arnauld est près de moi. Aussi, j'essaye d'oublier ma frustration en aiguisant la sienne. Et très visiblement, ça marche plutôt bien. Ce qui ne me rend qu'encore plus folle.
Néanmoins, je ne peux m'empêcher d'avoir un peu peur. Il regarde Morgane comme si je n'existais plus. Ou plutôt, comme si je venais de remplir le rôle qu'il attendait de moi. Et qu'il peut désormais se passer de moi. Je sais bien que c'est stupide. Mais je ne peux pas m'empêcher d'y penser. Les hommes n'attendent-ils pas simplement quelqu'un à qui donner leur nom ? Je me rappelle les discours que tenait Maman sur mon père. Même si je sais aujourd'hui qu'elle n'a pas dit toute la vérité, je soupçonne cette partie de n'être pas trop mensongère ni exagérée. Elle me disait que seul importait aux hommes d'avoir une descendance. Et que parfois, ils ne fréquentaient plus guère la mère, parce qu'elle avait accompli son devoir. Arnauld ne peut pas être comme ça. Ce serait par trop horrible.
Le soleil décline légèrement à l'horizon, et les ombres s'étirent autour de moi. J'aime bien Narbonne, maintenant que le calme est revenu. Plus personne ne se crie dessus, il n'y a plus cette affreuse rage qui plane dans l'air. Catalyna est là, avec son fiancé. Hélona, Pépin et Thomas sont partis à Alexandrie. Alicina s'en est allée à Bordeaux d'après sa lettre, avec toute sa joyeuse famille. Et nous sommes toujours là, à attendre que j'achève ma convalescence. Avant la naissance, me bouger était exclu, j'étais si grosse, si peu capable d'avancer. Après, je ne suis presque plus grosse, mais l'avancée sera délicate malgré tout, je suis encore fatiguée. J'ai quand même hâte de partir, même si j'aime bien le Languedoc. Mais j'ai envie de voir d'autres paysages, de bouger, de me réveiller ailleurs qu'à l'endroit où je me serais endormie. Bouger, ça voudrait dire que je suis en pleine santé, que je pourrai bientôt reprendre mon métier, que je peux courir, sauter, danser, grimper aux arbres... Autant d'exploits qui pour l'heure, me sont aussi inaccessibles que la lune. Je dois reprendre des forces pour que mon bébé puisse se nourrir convenablement pour grandir et vivre. C'est nettement plus important que sauter partout comme un cabri.
Alors, pour passer le temps, j'invente des choses que je ferai bientôt avec Arnauld. Des choses pour lui faire oublier que les dernières semaines de grossesse furent insupportables, que j'ai été une femme enceinte très peu agréable, surtout avec lui. J'ai des tas d'idées en réserve. Et ce soir, précisément, j'ai décidé d'organiser quelque chose. Comme je n'ai plus beaucoup de temps, je me redresse, attrape le couffin, et me hâte vers l'auberge où nous logeons. J'y trouve Arnauld qui nous attend, je crois. Je lui colle un baiser sur la joue et lui confie Morgane. En même temps, je lui fourre un papier entre les mains. Qu'il sache tout de même ce qu'il va devoir faire d'ici une heure. C'est très court, nul besoin de faire un roman. De mémoire, j'ai écrit quelque chose comme « Rendez-vous à la roulotte dans une heure. La tavernière a une fille qui vient d'avoir un bébé, et elle va garder Morgane pour la nuit. Elle lallaitera. Je t'aime, Actyss. »
Ainsi seule, je fonce vers la roulotte. J'ai pris soin, la veille, de demander à Arnauld de la déplacer. Elle se trouve désormais à l'écart de la ville, au cur d'une petite futaie. Je me dépêche de tout préparer. Je sors la petite table ronde que je couvre d'une nappe blanche, deux chaises que je garnis d'un coussin confortable, et je dispose sur la table un faisan rôti, des châtaignes que j'ai conservé en bocaux depuis l'automne dernier, des champignons, des pilons de poulet soigneusement grillés, des fèves, des épinards, des asperges à la crème... Et en dessert, une tarte aux abricots et au miel. Pour arroser l'ensemble, un pichet en émail contient une bon vin rouge, de pays. Une miche dorée et une motte de beurre sont là, au cas où. Mais ce n'est pas fini. Je suspends à chaque branche une lanterne ou un lampion, ceux-là même que j'ai utilisé le soir de ma danse - qui s'est soldée par notre première union physique, un souvenir magnifique et merveilleux. J'accroche aussi des grelots qui s'agitent légèrement au gré du vent. Et enfin, je me prépare. Une robe neuve, blanche, avec ce qu'il faut de décolleté, brodée de tas de petites fleurs jaunes et de feuilles vertes minuscules. Je brosse soigneusement mes cheveux, pose deux gouttes de fleur d'oranger sur ma nuque, et tresse mes cheveux en une natte qui retombe sur mon épaule. Pieds nus dans l'herbe, je patiente en guettant son arrivée, qui ne devrait plus tarder, désormais.