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[RP] Flap-flap toc-toc.

Arnauld
Pour le titre, euh... Imaginez un pigeon qui vole... et qui frappe à une porte, et, hum, la femme derrière est frappée aussi.


Citation:
A : Eliance la Ménudière Romanov - Mâcon, Bourgogne
De : Arnauld Cassenac - Bourg, Savoie

Bonjour,

J'espère que je n'écorche pas trop votre nom. J'ai un léger coup dans le nez et je m'ennuie un peu, et en plus je suis plutôt inquiet parce que je ne sais pas où est passée Actyss depuis tout à l'heure, alors je me suis dit : Arnauld, prends-toi en main, fais quelque chose ! Et écrire une lettre, c'est quelque chose, n'est-ce pas ? Voilà ! Et c'est tombé sur vous.

Ça ne fait pas vraiment plaisir, j'imagine, de lire une lettre écrite par un gars dont le prétexte est « j'ai rien d'autre à faire ». Bon, je l'avoue, c'est faux. En fait, je vous écris parce que je vous aime bien.

Je ne sais pas trop ce que vous pensez de moi, mais ce n'est pas bien grave. N'hésitez pas à me dire, si vous me répondez, que vous me considérez comme un pauvre type, ou que vous vous souvenez à peine de moi. Un peu d'honnêteté, ça fait toujours du bien, et j'ai remarqué que vous ne vous embarrassez pas vraiment de politesses et de subtils sous-entendus. Je considère cela comme une sorte de qualité ! En tout cas, ça me plaît assez. Même si je crois que vous avez froissé Actyss, le premier jour où vous nous avez vus à Mâcon.

Parfois j'ai un peu honte quand je repense au jour où nous nous sommes rencontrés, à Narbonne. Je crois que je vous ai vraiment déballé toute ma vie – et vous la vôtre, remarquez. D'ailleurs, à ce propos, j'aurais une ou deux choses à vous demander.

La première, c'est à propos des Corleone. Je me souviens que vous m'avez dit avoir entretenu une correspondance avec cet abruti d'Italien tout bouffi de mépris et d'autosuffisance qui s'est tatoué une espèce de coquard sur l’œil gauche. Je ne sais pas si vous entretenez encore certains liens avec cette famille, mais si jamais c'était le cas, je voudrais vous demander de ne jamais leur parler de Cléo (vous savez, Cléocharie Corleone, celle à propos de qui vous m'avez tant entendu geindre). Je crois que je vous ai dit où elle vit actuellement : personne ne doit jamais savoir où elle se trouve. S'il y a bien une chose qu'elle mérite, c'est la tranquillité, et ils seraient capables d'aller la tourmenter jusque là-bas. Je vous serais donc vraiment très reconnaissant si vous gardiez le silence à son propos.

La seconde est plus compliquée. Je ne sais pas trop comment la formuler. J'ai compris que vous aviez vécu une rupture douloureuse, il y a quelque temps. Pourtant vous êtes aujourd'hui mariée (même si je n'ai pas compris tous les détails – mariée ou presque mariée?), et vous avez l'air de bien vous porter. Alors, à moins que vous ne soyez une bonne actrice, vous avez réussi à tourner la page et à construire quelque chose avec quelqu'un d'autre. J'aimerais en faire autant et je me disais… Enfin, je me disais que les conseils d'une personne qui avait vécu la même situation que moi et qui s'en était sortie pourraient m'aider. Le seul avis extérieur que je reçois est celui d'un ancien ami qui vit dans un bonheur si parfait que je me dis qu'il n'est peut-être pas très fiable. Et puis vous êtes une femme. Vous êtes sûrement plus compétente pour tout ça. Mais vous n'êtes pas obligée d'accepter de m'aider ! On se connaît à peine. Vous n'avez sûrement pas envie de parler de choses aussi personnelles à quelqu'un comme moi. Je me débrouillerai, ne vous inquiétez pas. Enfin, je sais que vous ne vous inquiétez pas, on se connaît à peine – je viens de le dire – c'est juste une façon de parler. Ou d'écrire, enfin vous avez compris.

Vous allez bien ? Je crois qu'on demande ça au début de la lettre normalement. Moi ça va. Je suis enfin en Savoie, mais on n'est pas encore en train de marcher sur les montagnes, on les regarde d'en bas.

Bonne journée à vous Portez-vous bien, Au plaisir de vous revoir J'en ai marre de ne pas savoir comment conclure mes lettres

Arnauld Cassenac
Eliance
Citation:


              Cher Arnauld,

    Quelle surprise que cette lettre ! Enfin, pas celle-là, là... la vôtre ! Et quelle surprise que pas une faute n'ait défiguré mon nom. Vous recevriez sans aucun doute une médaille pour un tel exploit, vu la rareté de la chose, de nos jours. Mais je n'ai pas de médaille et puis, il faut pas déconner, c'est juste mon nom. Ceci dit, vous semblez complètement pignouffé, mon pauvre ami. J'aurais largement préféré un partage de boisson en bon et dû forme. Au lieu de quoi, je me contenterai d'un papier gribouillé qui pue la vinasse. Si, si, j'ai vérifié, senti et je crois que c'est du vin, que vous avez bu !

    Mais par où commencer ? Ah oui... Vous voulez de la vérité, de la vérité et rien que de la vérité. Faites gaffe, des fois, ça fait trancher des têtes, la vérité.

    Première vérité : Je crois que l'idée que vous m'aimiez bien est plus flippante que le fait que vous m'écriviez faute d'autre passe-temps plus divertissant. J'aime être un passe-temps. Enfin, non. Cette phrase est stupide et pourrait être très mal interprétée. Quoique, peu de risque que ma réputation soit entachée, j'en ai pas. Bon, j'ai peut-être un peu bu aussi, passons !
    Deuxième vérité : Je vous aime bien, aussi. Et allez pas vous mettre en tête que je veux vous épouser ! Y en a assez comme ça ! Et puis vous êtes trop jeune. Et puis vous avez la blonde et celle sur qui vous pleurez encore.
    Troisième vérité : ... Je sais plus...
    Quatrième vérité : Si, je sais ! C'est votre Actyss qui est flippante, pas moi ! Non, mais c'est vrai, quoi, elle a un sanglier en ami ! C'est comme si... comme si je caressais un agneau au lieu de la bouffer.                                                                                  Elle a pas un agneau, aussi ?  
    Sixième vérité : ... Je relis votre lettre, je sais plus y a quoi dedans.
    Septizième vérité : Je me souviens très bien de vous. Vous êtes pas un pauvre type. Juste un jeune type. Qui tombe amoureux comme qui rigole. Non, parce que d'une Corleone, il faut le faire !

    Pourquoi j'ai froissé votre amie marcassine, d'ailleurs ? Je me souviens avoir été gentille, non ? J'ai pas été gentille ? Atro dit que je suis toujours trop gentille. Alors j'ai bien dû être gentille avec votre amie. Ou alors, c'est que je perds de ma gentillesse. Et ça, ça craint.

    Gabriele ! Comment vous parlez de lui ! C'est vous qui m'avez appris cette histoire de coquard, mais, au demeurant, il a presque été serviable et compréhensif avec moi, dans ses écrits. Et on ne s'écrit plus, non. Parce qu'il croit sa femme morte et qu'en fait elle ne l'est pas vu qu'elle est avec mon mari et que je sais pas mentir et que j'ai promis à Diego et à elle que je dirais rien, alors j'ai peur de lui écrire dans une lettre qu'elle est encore en vie sans m'en rendre compte. Du coup, on s'écrit plus. Du coup, je lui dirais jamais non plus que Cléo est pas vraiment clamsée non plus, parce que je lui écris plus.
    Mais dites, vous trouvez pas que ce pauvre homme croit quand même beaucoup de femmes mortes alors qu'en fait non ?

    Vous m'avez pas demandé un conseil, aussi, à un moment ?
    Ah si, là !
    Enfin, vous voyez pas où je mets le doigt, mais c'est là !

    Bref, vous avez raison, le bonheur parfait, c'est louche. Regardez, moi, avec mon Russe, ben c'est loin d'être parfait ! Déjà, il m'a presque épousé juste parce qu'un autre m'a demandé en mariage et qu'il a eu les miquettes qu'il lui prenne la place. En gros. Ensuite, il voudra sans doute des chiards, un jour. Parce que figurez-vous que... vous m'avez pas reproché de raconter de trop ma vie, aussi ?
    Attendez, je me concentre pour aller à l'essentiel...
    Là !

    On guérit pas. Jamais. On fait semblant d'oublier deux-trois trucs. Mais en vrai, on oublie rien. Ça transpire encore dans les rêves. Enfin, ça fait transpirer dans les nuitsdraps le drap la nuit. Ça vous suit partout. C'est votre ombre. Il faut vous y faire. Cette fille, cette grognasse Cléo de Corleone... si un Corleone lit ça, je suis morte... qui vous a abandonné lâchement vous suivra toujours. Vous aurez toujours l'impression de l'apercevoir dans une foule. Vous la chercherez toujours un peu sans vous rendre compte. Et elle vous en fera chier jusqu'à la fin de votre vie. Pour être heureux comme un abruti à nouveau, vous devez trouver une fille qui comprenne ça. Que vous avez une grognasse Cléo dans votre ombre. Je vais pas vous raconter tout ce qu'il y a dans mon ombre, parce que vous allez dire que je déballe tout, encore, mais je peux vous dire qu'elle est chargée, la mule. La vôtre est lourde (Corleone, quoi), mais pas trop large. Dites-vous que vous avez de la chance. Et buvez. Ça fait du bien.

    Un conseil : évitez les falaises.
    Deuxième conseil : évitez les Corleone.
    Troisième conseil : ... je sais pas.

    Vous êtes jeune, Arnauld. Et si je vous aime bien, c'est parce que je comprends pourquoi vous l'avez attendu autant de temps, la grognasse Cléo. Parce que je sais pourquoi ça vous agace quand je parle mal d'elle. D'ailleurs, « grognasse »... ça va vous mettre en rogne. Pardon. Cléo...
    Attendez, je reprends tout et je marque Cléo à la place ! Me remerciez pas.

    Bon et... je sais pas si y a vraiment des conseils à donner. Y a des amis à avoir. C'est eux qui font qu'on boit et qu'on oublie un peu l'ombre. Quand Diego est parti, la toute dernière fois (rigolez pas, y en a eu au moins quatre avant cette fois-là !), il m'a dit que je suis quelqu'un de bien et que c'est à mon tour de faire souffrir les hommes. J'ai envie de faire souffrir personne. Mais avec le temps, j'ai réfléchi à ça et je me dis que si je suis quelqu'un de bien, ben je peux apporter du bien aux gens. J'essaie de le faire. Des fois. Avec ceux qui me parlent. Enfin, pas ceux qui me parlent en parlant. Non. Ceux qui me parlent juste avec les yeux. Ceux qu'on comprend sans trop savoir comment. Vous savez ?

    J'ai mal à la tête.
    Cette lettre est pourrie.
    Je vous aime bien.

              Eliance la Ménudière presque Romanov


_________________
Arnauld
Citation:
         Chère Eliance la Ménudière presque Romanov,

Cette fois, je ne vous écris pas parce que je m'ennuie. Même si je m'ennuie un peu parce qu'Actyss est en train de se reposer à l'auberge (oui, l'auberge, j'ai dû insister parce qu'elle est du genre à trouver un tas de feuilles mortes plus confortable qu'un vrai lit – même si c'est assez confortable, les tas de feuilles mortes, vous avez déjà essayé ?) parce qu'hier elle a trouvé le moyen de s'ouvrir le bras et qu'elle a perdu du sang, et puis elle a dansé devant tout le monde et cette nuit on a voyagé, après le feu de camp, alors ça fatigue. D'ailleurs, oui, elle a une agnelle. C'est Charlotte. C'est moi qui la lui ai offerte, elle rêvait d'un mouton. Ahah. Mouton. Rêve. Sommeil. Bref. Et le sanglier, c'est Martin. Et on n'a pas le droit de les manger, c'est pour ça que je pense qu'elle ne vous aime pas trop, et puis aussi parce que vous avez débarqué, la première fois, en parlant un peu comme si elle n'était pas là ou bien qu'elle était une bête curieuse. On la trouve souvent étrange (normal, elle a grandi en ermite dans une forêt), et je sais que ça la blesse un peu, quand on le lui fait sentir. Mais sinon, non, je ne crois pas que vous soyez en train de perdre votre gentillesse. Vous êtes juste… Franche ?

Par contre vous avez raison, je n'aime pas du tout le mot « grognasse ». Au début je me demandais ce que c'était, ces ratures devant son nom à chaque fois, y avait juste le bas des « g » qui dépassait. Mais je vous en veux pas, vous avez bien fait de tout rayer !

Parce que Cléo, c'est pas une grognasse. Elle est une victime, dans toute cette histoire, pas un bourreau. Imaginez-vous avec cette █████████ d'Enjoy Corleone comme mère. Qui vous aurait abandonnée deux fois : à la naissance, en vous laissant seule à Palerme où vous auriez été recueillie par un couple de Grecs qui seraient morts six ans plus tard, et une seconde fois, à quinze ans, en vous faisant miroiter un amour maternel inexistant, en vous demandant d'aller tuer des innocents, et, en voyant que vous n'y prenez pas assez de plaisir, en se désintéressant définitivement de vous. Et le Gabriele, compréhensif, mon œil. (Œil... Même pas fait exprès.) Il l'insultait comme tout le monde.

Mais je vais suivre vos conseils 1) et 2). (Le 3), j'y songerai).

Je viens de relire votre lettre (je cherchais les numéros des conseils), et je dois dire que… Non, j'ai aucune idée de ce que je dois dire. Vous avez l'air de lire dans ma tête, à propos de Cléo. Vous savez quoi, c'est justement comme ça que j'ai rencontré Actyss. En l'apercevant dans une foule. Apercevant Cléo, pas Actyss – même si c'était Actyss en fait.
Je ne suis pas clair. Je veux dire : j'ai rencontré Actyss un jour dans une foule où je l'ai prise pour Cléo. Mais finalement, vous voyez, ce n'est pas du tout Cléo.

Je suis assez troublé par votre lettre, en fait. C'est tellement vrai, ce que vous dites, je crois. Là, je recopie : « Vous aurez toujours l'impression de l'apercevoir dans une foule. Vous la chercherez toujours un peu sans vous rendre compte. Et elle vous en fera chier jusqu'à la fin de votre vie. Pour être heureux comme un abruti à nouveau, vous devez trouver une fille qui comprenne ça. »
Actyss, elle comprend ça.
Je crois qu'elle est vraiment capable de me rendre heureux.

Je relis encore votre lettre.

Oui. Dites, vous avez l'air d'avoir pas mal de succès avec les hommes. Y en a combien à avoir voulu vous épouser ? Et comment on fait un « presque mariage » ?
Je me suis presque marié aussi, remarquez.
J'ai horreur des mariages. Je ne me marierai jamais.
Je déteste les mariages.


Et puis pour les amis… J'avais Pépin. Vous savez, Pépin Lavergne. Il écrit des contes dans votre journal. Il a été ignoble avec moi. Mais quand je dis ignoble, c'est vraiment ignoble. Je vous passe les détails, mais je ne sais pas si je pourrai lui pardonner tout à fait un jour. Mais il regrette, je crois, il me l'a écrit en tout cas. Il a l'air de vouloir une réconciliation. Alors je crois qu'on va se réconcilier.
Ne le lui dites pas, mais ça me ferait vraiment du bien, d'être à nouveau son ami.

Je ne vous reproche pas de me raconter votre vie ! J'aime bien quand les gens racontent leur vie. Sauf quand les gens sont chiants. Mais vous n'êtes pas chiante.
Et votre lettre n'était pas pourrie.

Dites, j'ai envie d'offrir des trucs à Actyss. Vous, vous êtes une femme, vous devez savoir ce qui fait plaisir aux femmes. Ne me dites pas des bijoux avec des pierres précieuses, je n'ai pas les moyens. Et puis ce n'est pas son genre. Elle s'est fait des bracelets avec des glands évidés, pour qu'ils s'entrechoquent quand elle danse, c'est merveilleux. Mais à part ça, vous n'auriez pas une idée ? J'ai déjà offert une agnelle, une bourse en cuir, de la nourriture mais ça compte pas. Des fleurs j'ose pas, elle les couperait en morceaux et les écraserait avec un pilon pour en faire des machins qui soignent. Ou alors vous connaissez des fleurs qui n'ont absolument aucune vertu thérapeutique ? Sans être trop moches ?

Merci pour vos conseils, au fait. Et je suis content que vous m'aimiez bien, aussi.

          Arnauld Cassenac
Eliance
Citation:


            Arnauld,

    Figurez-vous que je n'ai jamais eu vraiment l'idée de me fatiguer à rassembler un tas de feuilles pour en faire ma couche. Soit j'ai une paillasse à portée de main, soit non, auquel cas une couverture suffit à protéger mon humble séant de l'humidité terrestre nocturne. J'aimerais vous promettre que lors de ma prochaine nuit dehors, je testerai le tas de feuilles, mais quelque chose me dit que ce serait vous mentir. Alors non, je n'ai jamais testé et je ne pense pas tester demain non plus.

    D'abord parce qu'il y a d'autres alternatives bien plus sympathiques et ensuite parce que les feuilles, ça fait du bruit, c'est pleins de bestioles qui vous rentrent dans les trou de nez pendant votre sommeil et, en plus, c'est à moitié en décomposition. Et que je ne suis pas un chien. Ni un sanglier. Ni une quelconque bestiole qui dort sur des feuilles, potentiellement.

    Avouez quand même que votre Actyss a de drôles de manières ! Ne rien connaître au monde, je l'ai vécu. Mais là... elle... ça dépasse tout ce qu'on peut imaginer ! Je suis désolée d'avoir émis l'idée de manger de la nourriture. J'ai du mal à rester devant un boudin sans avoir l'idée de croquer dedans. Un sanglier, c'est pareil. Et tellement bon ! Elle a qu'à se trimbaler avec un chaton. C'est mignon, sauvage à ses heures perdues et personne n'aura l'idée de le faire mijoter.

    Et je l'ai pas ignoré, lors de notre première rencontre. Elle n'a pas spécialement la parole alerte et j'étais contente de vous revoir. Et quand je suis contente, je cause. Beaucoup. J'y peux rien. Et c'est une bête étrange, si. Ça n'empêche que je l'aime bien. Mais qu'elle ne m'aime pas si elle y tient. C'est déjà arrivé à d'autres.

    Arnauld... est-ce que vous croyez réellement aux excuses couchées dans votre lettre ? Est-ce que vous croyez vraiment que parce que votre Cléo a souffert, ça lui donne le droit de s'être comportée comme une ■■l■p■ avec vous ? Elle aurait dû voir en vous une chance. Si tout le monde l'a toujours abandonné, elle aurait dû se rendre compte combien elle pouvait compter sur vous, combien vous étiez précieux. Certaines choses peuvent s'excuser. Parfois. Mais partir, ça ne s'excuse jamais.

    Mon mari... pas l'actuel, celui d'avant... a fait un nombre incalculable de choses, disons, pas terribles et pas très très respectueuses à mon égard. J'ai pardonné. Il avait de bonnes excuses, lui aussi. Mais quand il partait, c'était plus dur. Les excuses ne suffisaient pas. Et il devait galérer pour revenir. Bon, il y arrivait très bien à chaque fois, mais les excuses ne servent pas tout sur un plateau.

    Voilà que je vous raconte ma vie... Pardonnez-moi. C'est que j'ai l'impression que vous pouvez entendre ces choses, alors que mes amis ne supportent même plus l'évocation de son prénom. Et puis, je crois que vous comprenez ce besoin de parler d'un certain passé, aussi douloureux soit-il.

    Est-ce que vous parlez parfois de Cléo, avec votre Actyss ? Est-ce que vous lui racontez pourquoi vous l'avez aimé ? Ce que vous avez aimé ? Ce que vous avez souffert ? Et comment le prend-elle, votre blonde-sanglière ?
    Je m'impressionne moi-même d'avoir su lire en vous comme ça. Les gens disent souvent que j'y arrive assez bien. Mais aussi loin dans les détails, j'avoue que c'est troublant. Je n'ai fait que transposer sur vous mes propres ressentis. À croire que certaines choses ne diffèrent pas, d'une personne à l'autre. Qu'on attend toujours qu'une ombre revienne dans la lumière, même si on la sait irrémédiablement éteinte.

    Vous voulez tout savoir des hommes et de moi. Bon, vous ne saurez pas tout, faut pas déconner. Disons que j'ai eu deux maris. Et mon presque-mari actuel. Donc trois, en somme. Plus une quatrième demande en mariage qui semblait peu sérieuse et que j'ai décliné en riant. Je crois que ce n'était pas tant une blague que ça, au final, vu avec quel acharnement il est resté quelques temps auprès de moi. Quant aux autres prétendants, je ne saurais dire. Je crois en avoir intéressé sérieusement trois ou quatre, en plus de mes époux. Je crois que les hommes aiment les femmes cocues. Je ne vois que ça comme explication...

    Pour un presque-mariage, il vous faut une presque-demande en mariage spontanée. C'est-à-dire très peu spontanée et davantage poussée par la jalousie ou un sentiment semblable. Il vous faut éliminer tout ce qui fait habituellement un vrai mariage : curé, église, signature, invitations en règle, sermon, famille. Dans notre cas, notre presque-mariage a eu besoin seulement d'un champ labouré et de quelques amis tantôt témoins tantôt curé, au gré des besoins de la presque-cérémonie.

    Après Diego, je m'étais promis de ne plus jamais me marier. De ne plus jamais me laisser toucher par un homme. Qui que ce soit. Me voilà pourtant presque-mariée avec, sans doute, un homme qui me repoussera dans quelques années. Et un autre qui

    Décidément, j'écris trop !

    Revenons à vos agneaux, sangliers et amis ! Je me souviens très bien de Raisin, oui. Il travaille avec moi au journal. Il écrit des contes fantastiques. Racontez-moi en quoi il a été ignoble. Je veux tout savoir. Il a l'air tellement... enfin, je ne le connais que peu, mais il m'a l'air agneau, quoi.

    Pour les cadeaux, je ne sais pas si je vais vous être de bon conseil. Je vais commencer par vous dire ce qu'aime ma presque-sœur : capes, robes, chausses... Tout ce qui la rend belle, soit-disant. Vous allez me trouver bête, mais je n'aime pas les cadeaux. Ils sont pour moi une manière de cacher les choses. Un sentiment n'a pas besoin d'un cadeau pour être transmis, ressenti. Je le trouve plus pur, quand il l'est avec les yeux, la parole, les gestes. Les cadeaux faussent ces choses-là. Les gens achètent les autres à coup de cadeaux. Je n'aime pas les cadeaux.

    D'ailleurs, aucun de mes prétendants ne m'en a fait. Jamais. Ou rarement. Le seul homme à m'offrir des choses a été mon frère. Je ne regrette pas ses cadeaux. Je les conserve précieusement. Il est mort. Mais à l'époque, c'était un peu pour m'acheter. Pour que je sois comme il voulait. J'aurais tendance à vous dire de ne pas faire de cadeau à votre blonde-sanglière. J'aurais tendance à vous dire de lui apprendre à affronter la vie, à l'épauler, plutôt. Que c'est bien plus utile, quand on est confronté comme elle à un monde si étrange. Et que le souvenir en sera bien plus grandiose qu'une épingle à cheveux qu'elle perdra dans une dizaine d'années.

    Si vous tenez malgré tout à lui offrir des fleurs qui ne finiront ni pilonnées ni mâchées par une de ses bestioles, j'en couds dans du tissu. Je pourrais vous en joindre une avec ma prochaine lettre, si vous me le demandez.

    Mais... Arnauld... vous êtes jeune. Protégez-vous. N'oubliez pas. Qui sait ce qu'elle fera, votre Actyss, le jour où elle aura l'impression de tout connaître de ce monde...

            Eliance


_________________
Arnauld
Citation:
Eliance,

Il y a tellement de choses dans votre lettre que j'ai du mal à trouver par quel bout commencer la mienne.
Je suis un peu paresseux, surtout quand il fait aussi froid et que je suis entouré d’Helvètes bruyants – d'ailleurs je suis monté dans ma chambre d'auberge pour vous écrire, parce que c'est fou ce qu'ils peuvent beugler – alors je vais reprendre votre lettre par le début et je vais répondre à chaque chose qui m'inspire.

Certes, les tas de feuilles, on fait mieux. Je n'y ai jamais passé une nuit entière, pour être honnête, mais quelques minutes de sieste, oui. J'admets, pour les bestioles. J'admets aussi pour l'aspect décomposition. Et vous oubliez le fait que ça reste collé dans le dos, quand c'était un peu humide. Mais je ne sais pas, ça a un certain charme, tout de même. Ne serait-ce que parce que ça permet à une jolie fille (je pense à Actyss) de vous enlever les feuilles de la chemise une par une avec ses petits doigts.

J'aime pas trop comment vous parlez d'elle, d'ailleurs. Elle fait des progrès considérables. Elle s'adapte, tout en restant spontanée, naturelle, avec le cœur sur la main. Oui, elle a des goûts originaux en matière d'animaux de compagnie. Mais quoi ! C'est merveilleusement mieux qu'une fille qui s'attacherait banalement à un chien fadasse. Un sanglier, avouez que ça a tout de même plus de gueule.
Puis je sais pas si elle ne vous aime pas, en vrai. Je lui demanderai, l'air de rien.

Concernant ce que vous me dites à propos de Cléo… Oui, j'y crois, aux excuses que j'avance. Je ne dis pas que ça justifie tout ce qu'elle a fait – elle a dit et fait des choses, surtout lors de son presque-retour, que je ne parviens toujours pas à avaler – mais c'est assez pour que je lui pardonne d'être partie. Là où elle est, sa vie est tranquille. Elle n'aura plus jamais besoin de voler, plus jamais besoin de tuer. Certes, elle n'en aurait pas eu besoin non plus avec moi, mais en restant en France elle risquait toujours de recroiser des membres de sa « famille », ou pire, de celles des hommes à qui elle a dû ôter la vie. Je sais ce que c'est, cette peur-là, je ressens la même. C'est pour cette raison que je ne veux plus jamais retourner en Rouergue.
Je ne sais pas si je peux lui en vouloir de ne pas avoir compris à quel point je l'aimais et à quel point elle pouvait compter sur moi. Oui, parfois, je lui en veux un peu pour ça. Mais je crois que c'est plutôt à moi de m'en prendre, et non à elle. Je n'avais qu'à faire en sorte qu'elle le comprenne. Et je n'aurais pas dû me faire à moitié tuer par cette armée rouergate. Vous savez, c'est depuis le jour où elle a cru que j'étais mort que les choses ont commencé à se détériorer. Ça a été un choc trop violent, et plutôt que de risquer de voir cela se reproduire, elle a fui, loin. Je sais que maintenant, elle n'a aucun moyen de savoir que je suis bel et bien toujours vivant, mais que voulez-vous. Cléo n'a jamais été quelqu'un de très logique.

Ma blonde-sanglière, comme vous dites, elle comprend étonnamment bien tout cela, pour quelqu'un qui a si peu côtoyé ses semblables pendant quinze années. Ce que je ressens, mes débats internes, mes difficultés à surmonter la perte de Cléo. Elle m'aide beaucoup. Cette fille est un baume. C'est une bénédiction.

Ça me fait penser à la toute dernière phrase de votre lettre. Vous savez faire flipper les gens, vous. Mais j'avoue que j'y ai pensé de nombreuses fois. Je me disais qu'elle n'avait pour moi qu'un béguin d'adolescente, vous voyez ce que je veux dire ? Que c'était parce que je n'étais physiquement pas trop mal (je crois – on me l'a dit assez souvent ces derniers temps, que j'étais plutôt pas laid), gentil avec elle, et surtout le premier gars avec qui elle noue des liens. Mais elle réussit à commencer à me convaincre que c'est plus que ça. Il est possible qu'elle m'aime vraiment.
Cléo aussi, elle m'aimait vraiment. Et elle est partie tout de même. Évidemment, je me dis qu'Actyss risque de faire pareil un jour ou l'autre. Mais… Elle n'a pas les mêmes blessures que Cléo. Rien qui ne la poussera à fuir, si ce n'est l'arrêt brutal de ses sentiments pour moi. C'est toujours possible, ça. Pourtant… Qui ne tente rien n'a rien, comme on dit, non ? On ne peut pas s'empêcher de vivre par peur de mourir, c'est stupide. Et je ne peux pas éternellement repousser l'amour parce que je crève de trouille à l'idée que cet amour s'éteigne un jour.

Je ne sais pas. Je ne suis pas aussi sûr de moi que j'en ai l'air en écrivant ces phrases. Mais je crois qu'il y a du bon sens dans tout ça.

Vous avez un succès fou, on dirait. Pour votre premier mari, je m'en souviens, c'est celui qui a fini dans une maison cramée, n'est-ce pas ? Tout de même, je fais le compte : trois maris (dont un « presque-mari »), un éventuel-futur fiancé éconduit, et trois ou quatre autres soupirants. On arrive à huit hommes énamourés. C'est drôlement impressionnant. Vous avez eu combien de vies ? Dites, vous avez quel âge ?

Oh, oui, Pépin. Eh bien… Comment raconter cela. Je vais essayer avec des images. Imaginez, donc, que vous soyez à l'agonie. Votre meilleur ami, ou celui que vous considérez comme tel, arrive sur les lieux du presque-crime, et au lieu de s'inquiéter et d'essayer de sauver votre vie qui s'enfuit, il ramasse le couteau et vous le replante dans la poitrine, plusieurs coups bien violents, pour être sûr que votre assassin ne vous ait pas loupé. Vous voyez ce que je veux dire ? Quand il a su pour Cléo, il m'a complètement tourné le dos. Il m'a insulté, il s'est foutu de moi, m'a dit que tout cela le faisait bien rire, après que je les lui ai tant brisées avec mes sentiments pour elle. Et quand je l'ai enfin rejoint, il m'a tout bonnement souhaité bon vent et il s'est tiré avec son fils et sa femme. Un agneau ? Certes, il commence à regretter son comportement. Il me parle à nouveau d'amitié. Ça n'efface pas ce qu'il a fait, mais il essaye de se rattraper, je le vois dans ses lettres, et ses conseils me sont précieux et me montrent qu'il s'intéresse sincèrement à moi. Quoi qu'il en soit, Pépin, un agneau, c'est plutôt drôle. Il n'a jamais été un agneau, sauf avec sa femme. Mais certes, il est plus du genre à monter un plan diabolique et foireux pour récupérer de l'argent et quelques fous rires qu'à aller assassiner les gens dans leur sommeil. On ne peut pas lui enlever ça.

Ça m'a étonné, votre point de vue sur les cadeaux. Je crois comprendre ce que vous voulez dire, cependant. Mais quand je parlais d'offrir des choses à Actyss, ce n'était pas dans l'idée de la manipuler. Vous auriez vu son visage s'illuminer le jour où je lui ai offert Charlotte… (Charlotte, c'est l'agnelle. Je précise parce qu'en effet, ça peut surprendre quand on ne sait pas). Je donnerais n'importe quoi pour voir réapparaître cette joie aussi souvent que possible.
Mais du coup j'hésite, pour votre fleur en tissu. Je trouve que c'est une excellente idée, ça lui irait parfaitement. Une fleur qui ne se fane jamais pour une fille-fleur. Je ne sais pas trop. C'est peut-être un peu artificiel comme cadeau, peut-être qu'elle ne comprendra pas que je lui offre quelque chose fait par quelqu'un d'autre. J'hésite.

Vous êtes toujours à Mâcon ? Nous sommes à Fribourg. On va redescendre en Provence, après, pour les fêtes de l'Indépendance, puis on ira chez moi dans le Languedoc. On risque de ne pas se recroiser avant un certain temps… Alors, continuez de m'écrire.

Arnauld
Eliance
Citation:

             
    Arnauld,

    La manière dont vous parlez de la sanglière, c'est beau. Il faudra lui dire qu'elle a bien de la chance d'avoir un tel défenseur à ses côtés. Non, parce que trouver formidable d'avoir un sanglier en ami, il n'y a pas d'équivalent : vous êtes aveugle. Ou inconscient. Ou les deux. Et peut-être davantage. Un sanglier, vinguette ! Je suis sûre que ça mange les corps ces bestioles. Comme les cochons ! Mais peu importe, au final. Je ne dirais rien non plus des feuilles collées au dos et retirées délicatement par les doigts fins de la sanglière. Disons que nous n'avons pas les mêmes rêves. Même si je comprends les vôtres. De loin. Très loin, disons. Assurément, à vos yeux, cette fille est formidable. Et si vous n'en êtes pas amoureux, qu'on me coupe mes six mains. J'en ai seulement deux, mais je mets volontiers les mimines de mes amis en gage aussi. N'allez seulement pas leur rapporter, ça pourrait les fâcher. Ils n'aiment pas trop que je les mette à contribution pour n'importe quoi.

    Promis, la prochaine fois qu'on se croise, je serais gentille avec elle, je discuterai sagement sans me moquer de ses bestioles. Il faudra juste me le rappeler, j'ai la mémoire très courte. Et puis, elle fera des progrès, c'est indéniable. On ne peut qu'apprendre davantage de la vie chaque jour qui passe, quand on sort des bois. J'apprends encore (même si je sors pas des bois, mais d'ailleurs). C'est pour dire. Et si je vous mets en garde de changements possiblement imminents, c'est parce que ces apprentissages nous modifient, sans doute plus que d'autres personnes. Mon mari (qui n'est plus mon mari) me l'a dit, dans une de ses dernières lettres. Il a écrit ne pas me reconnaître. Pourtant, j'ai l'impression de ne pas avoir changé, seulement de m'être améliorée sur deux ou trois détails. Alors j'ai songé que votre blonde-sanglière pourrait changer de la même manière. Et vous décevoir comme je l'ai déçu, lui. J'espère juste que si elle change, vous en serez fier. Elle le méritera. Même si changer l'éloigne de vous.

    Pour Cléo, contentez-vous de la ranger dans une boîte et d'écrire dessus « passé ». C'est facile à dire. Je sais de quoi je parle. Je crois que le plus important, c'est d'y mettre nos regrets, dans cette boîte. Les « et si » qui se bousculent dans votre tête. Les « pourquoi ». Ils sont très envahissants. Trop. Et votre blonde-sanglière ne mérite pas que vous pensiez avec regret aux jours heureux que vous auriez pu couler avec une autre si... Cette autre n'est plus. Cette autre a choisi un autre homme, pour des raisons qui lui sont propres. Fin. Regardez votre blonde-sanglière et souriez. Elle est là.

    En fait, je crois que je suis pas trop nulle en conseil, mais je crois aussi que je les jette dans le vent quand il s'agit de me les appliquer. Je ne fais que répéter le bon sens qui sort de certaines bouches voulant mon bonheur. Et je ne suis pas vieille ! Enfin, si, plus que vous, Arnauld. J'ai dépassé les vingt ans de quelques années. Mais c'est surtout qu'on m'a collé mon premier mari relativement tôt. Et que le second n'a pas fait long feu. Enfin, celui-là est toujours vivant, aux dernières nouvelles, contrairement au premier. Mais nos différences n'ont pas fait long feu. Deux années, je crois. Deux années qui semblent un siècle. C'était bien. Je regrette. Et pas, à la fois.

    Quant aux prétendants, croyez bien qu'ils ne sont que des prétendants. Allez pas vous imaginer que je vire-volte comme une feuille automnale. Ca serait moche et stupide. Et mal me connaître. Même si, là aussi, tout le monde change...

    Je ne comprends pas bien l'attitude de Raisin. Peut-être a-t-il eu peur que votre chagrin ne gâche son bonheur à lui ? Je ne vois pas d'autre raison pour envoyer péter un ami au fond du gouffre. Mais si les choses s'améliorent, qu'il se repent, c'est formidable pour vous. Rien ne vaut un ami. Enfin, rien ne vaut un ami présent quoiqu'il arrive. J'ai envie de vous dire de le tester, votre Raisin. Racontez-lui quelque bobard pour voir si, à présent, il tient la route pour vous ou non.

    C'est vous qui décidez, pour la fleur. Si le fait que je la fasse gracieusement vous chagrine, envoyez-moi une noisette en échange, avec votre prochaine lettre. Ce sera ainsi un achat complet qui apaisera les bizarreries auxquelles vous songez.

    Nous avons été faire un tour à Chalon. Mais Chalon, c'est nul. On est retourné à Mâcon, du coup. Et après, on ne sait pas bien. Si vous allez en Provence pour les fêtes, ça fera grand plaisir à un homme que je connais. Clément de Paré. Appelez-le Nounou, si vous le croisez. Et saluez-le bien de ma part. Lui dites pas la suite, mais c'est un type bien. Il vous plaira. Et vous pourrez sans doute passer quelque soirée à papoter ensemble.

    Je vous écris. Je vous écrirai. Allez savoir pourquoi, mais j'aime bien. Vous m'êtes sympathique, du haut de votre jeune âge (ça fait gamin, dit comme ça, mais c'est pas le but) et échanger parfois avec des gens de passage dans nos vies est bénéfique. Je n'ai pas l'âme très gaie ces derniers jours. J'espère que ça ne s'est pas trop ressenti dans mes mots. Et j'espère que vous allez bien.

    Prenez garde. À tout. Et tous. Mais vivez. C'est vous qui avez raison.

             Eliance


_________________
Arnauld
Citation:
Chère Eliance,

Tout d'abord, merci.
Merci pour vos conseils. Vraiment, ça peut paraître anodin, comme ça, quelques mots sur une lettre, mais quand ces mots sont aussi justes, qu'ils proviennent d'une personne qui a vécu peu ou prou la même chose que vous et que cette personne prend le temps de vous les coucher par écrit, ça produit des effets réels, et même des effets formidables.

Je ne dis pas que je suis parvenu à tous les appliquer. La boîte dans laquelle je devrais mettre Cléo avant d'écrire en grosses lettres noires « PASSÉ » sur le couvercle, je n'ai toujours pas réussi à la refermer. Peut-être parce que c'est trop récent, peut-être parce que Cléo a toujours été trop libre pour bien vouloir entrer dans une boîte ; elle a tendance à ressurgir violemment et à me frapper en plein milieu du ventre, vous savez, un peu comme ces diables qui sont censés amuser les enfants. Mais l'image du diable est mauvaise. Ce n'est pas ce qu'elle est, et elle ne fait pas exprès de continuer à me faire souffrir. Je crois que là où elle est, elle pense que je l'ai déjà oubliée. Vous savez, tous les jours, tous les jours je pense à lui écrire, j'ai des phrases complètes qui sont prêtes dans mon esprit, mais je ne le fais jamais. Je craquerai peut-être un jour, et je lui écrirai une lettre longue comme un jour sans pain, ou bien simplement quelques mots, du type : « Cléo, tu me manques, je t'aime, Arnauld. » Mais je n'ai pas le droit de troubler sa tranquillité, si difficilement acquise.

Ce que je dis est bien triste. En fait, j'étais dans un tout autre état d'esprit en commençant cette lettre. Je parlais d'effets formidables. Eh bien, oui ! Je suis vos conseils : je regarde ma blonde-sanglière, et je souris.

Vous savez quoi, Eliance, vous pouvez bien mettre toutes les mains du royaume de France à couper, vous ne feriez pas un seul manchot. Parce que, et ça ne fait désormais plus aucun doute, je l'aime. J'en suis fou. J'en suis sincèrement, complètement, irrémédiablement fou. J'aurai mis le temps, pour le comprendre. Mais quand on est aveuglé par ses propres douleurs, on ne voit pas toujours la lumière. Actyss, c'est la lumière. C'est mon rayon de bonheur.
Relisez-moi, un vrai amoureux transi. Je dois vous lasser, avec mes mièvreries. Excusez-moi, mais ce n'est pas de ma faute. C'est Actyss qui me fait cet effet-là. Elle me donne envie de chanter, de humer des fleurs et de me gaver de miel. De danser, de rire, d'inventer des histoires.

Des histoires ! Il faut donc que je vous parle de Pépin. Vous avez nécessairement lu son dernier conte, Le jeune homme au cœur de verre. Est-ce que cela vous a échappé ? Norbert, c'est moi. Norbert, franchement… Sa seule défense, pour ce choix de prénom, c'est une excuse vaseuse du type Arnauld – Nono – Norbert. C'est le genre de choses qui me donne envie de lui hurler dessus et de tout lui pardonner en même temps. Il a été tellement con – je n'invente rien, c'est de son propre aveu – et pourtant il a pu comprendre mon histoire si profondément et en faire quelque chose d'aussi beau. Il mérite bien sa seconde chance. Cependant, je garde votre idée en tête. Je pourrais bien le tester.

Je ne parle que de moi, encore ! Quel égocentrique. Et vous, Eliance, vous portez-vous bien ? Je suis bien loin de Mâcon, à présent, et je n'ai plus aucun écho de vos exploits, à vous et à votre petite troupe. Vous me disiez dans votre dernière lettre ne pas avoir l'âme très gaie – est-ce seulement l'automne, ou bien se passe-t-il quelque chose de plus grave ? Je ne peux pas faire grand-chose pour vous aider, de là où je suis, mais j'espère que vous allez mieux, ou que ça sera le cas très bientôt. Peut-être pourrai-je demander à Actyss s'il existe des plantes contre la mélancolie ! Elle peut tout guérir, elle est miraculeuse.

Oh, j'ai réfléchi, et je veux bien de cette fleur en tissu. Ça lui ira tellement bien. Je vous joins non pas une, mais trois noisettes, et un abricot confit (le petit truc enveloppé dans du chiffon – j'espère qu'il aura bien supporté le voyage), comme paiement symbolique. Merci d'avance !

Amicalement,
Arnauld

PS : J'ai bien croisé Clément de Paré, oui ! Je l'avais déjà rencontré à Mâcon. Fort sympathique, en effet. Ça m'a fait plaisir de le revoir. Même s'il a dit qu'Actyss et moi étions « mignons ». « Mignons », quoi. Un chaton, c'est mignon, un bébé qui gazouille, c'est mignon. Nous, on n'est pas mignons, on est... Oui, bon, peut-être. Passons.
Eliance
Citation:

    Arnauld,

    J'ai vu votre blonde-sanglière ! Il y a deux jours, figurez-vous. Et figurez-vous qu'on s'est bien amusées. Et que je l'aime bien. Finalement. Et que je vais même l'embaucher au journal. Elle a de bonnes idées d'articles. Et puis, il n'y a que les cons qui changent jamais d'avis. Et puis, je l'aimais pas surtout parce qu'elle m'aimait pas. Enfin, voilà. On a papoté entre filles et c'était vraiment pas mal. J'espère qu'elle vous racontera pas l'inverse !

    Elle m'a même proposé de me joindre à vous vers la forêt de je-sais-plus-quoi-où-il-y-a-des-bêtes-étranges. Bon, j'ai décliné l'offre. Mais on a quand même pris la route. Ca m'a donné envie de bouger cette histoire. Et puis, j'ai un mari paumé entre Limoges et ici qui ne donne plus signe de vie. Alors on part le chercher.

    Il est parti là-bas pour une obscure quête de réflexion dont je n'ai pas pipé un traître mot. Mais il paraît que les gens qui pouvaient l'aider sont à Limoges. Du coup il y est allé. Et il en est reparti. Ca, il me l'a bien écrit. Depuis... rien ! Pile au moment où j'écris un article sur les veufs et les femmes mortes disparues. Bon, là, dans le pire des cas, ce serait un homme mort et ça ferait de moi une veuve. Ou alors il n'est jamais parti de Limoges et m'a menti sur sa quête. Et si il y avait une bonne femme là-dessous ? Vinguette... Arnauld... je ne peux pas imaginer ça. Je vois trop tout en noir, vous croyez ? Trop tard. Le noir est là. Tout autour.

    Je pourrais presque vous en vouloir des mièvreries que vous m'avez écrit dernièrement. C'est dégoûtant tellement ça paraît irréel. Mais ne laissez personne gâcher ça. Actyss, je pense que c'est une fille bien. Elle respire la santé et la bonne humeur. Alors si deux personnes peuvent être heureuses dans ce monde pourri, c'est déjà ça.

    J'ai bien mangé les noisettes et l'abricot séché. Vous m'en voudrez pas, j'ai oublié la fleur en tissu. Je vais me pencher dessus prochainement. C'est promis. Seulement, quelques aléas ont accaparé mon temps. Cette lettre est nulle, morose. C'est pourtant le mieux que je puisse faire aujourd'hui. J'espère que vous m'en voudrez pas.

    Faites gaffe en chemin.

    Eliance

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Arnauld
Citation:
Éliance,

Actyss m'a raconté votre rencontre ! Enfin, re-rencontre. Elle ne m'en a dit que du bien. Et vraiment, merci ! Je suis très heureux et incroyablement fier que vous l'engagiez au journal ! Vous verrez, elle sera merveilleuse comme d'habitude. Quand elle fait quelque chose, elle y met tout son cœur, et elle est si unique que vous aurez des articles en or.

Pardonnez-moi. Il semblerait que je ne sois pas capable de faire une lettre normale sans me mettre à faire l'éloge d'Actyss. Je me retiens pourtant ! Sans ça je vous aurais décrit sur des lignes et des lignes son petit air appliqué et concentré, son front légèrement plissé, ses sourcils un petit peu froncés, le bout de sa langue qui se montrait à travers ses lèvres, quand elle écrivait son article sur les truites, l'autre jour. Je l'ai un peu aidée – enfin, pas à écrire l'article, ça elle l'a fait toute seule et je n'ai même pas pu lire la version finale – mais je lui ai servi de témoin dans son enquête, et on a réfléchi ensemble au grand mystère truitier.

J'arrête, j'avais dit que j'arrêtais. Laissons mon Actyss ici et parlons de vous.

C'est étrange, pour votre mari. Vous n'avez pas eu de nouvelles depuis la lettre que vous m'avez écrite ? Je connais assez bien Limoges – c'est là que j'ai rencontré Cléo… – et c'est vrai que c'est une ville peuplée et agréable, mais pourquoi s'y est-il rendu sans vous ? Ça lui arrive souvent de voyager seul ? Et s'il s'était bêtement perdu ? Ne voyez pas tout en noir tout de suite, Éliance, il n'y a pas que l'adultère ou la mort qui puissent expliquer son absence. On pense toujours aux choses les plus courantes, mais il a pu lui arriver n'importe quoi de beaucoup moins grave. Ce sont les trucs absurdes qui n'arrivent qu'une fois qui sont les plus courants, en réalité : pour 10 disparitions, deux sont dues à la tromperie, deux à la mort, mais les six qui restent n'ont rien à voir ! Bon, j'invente complètement ces chiffres, mais je suis sûr que je ne suis pas loin de la réalité. Alors dans ces six disparitions qui restent, imaginons… Par exemple, il se promenait dans la forêt, sifflotant, pensant à vous, et il a soudain été englouti par un trou dissimulé sous des branchages, creusé par un chasseur qui guettait une grosse bête. Le chasseur, entre temps, s'est amouraché d'une bohémienne, et l'a suivie en Égypte, oubliant son trou. Votre mari survit depuis grâce à la nourriture que lui apportent les petits animaux de la forêt, et… Oui, non, oubliez. C'est nul. Peut-être s'est-il fait enlever par des brigands jaloux de ses talents de tisserand ? (Il est bien tisserand votre mari?) Ils le forcent à leur créer des costumes maléfiques pour soigner leur image et lui interdisent d'écrire à qui que ce soit. Mais il va s'échapper et courra aussitôt vous retrouver. Ou bien il s'est tordu le poignet et ne peut pas écrire. (et la langue aussi et ne peut pas dicter) Ou alors il vous a écrit mais la lettre s'est perdue.
Vous voyez, plein de possibilités. Ne laissez pas le noir vous envahir avant de connaître toute l'histoire.

J'aimerais bien qu'on se croise sur la route. C'est Brocéliande, la forêt-où-il-y-a-des-bêtes-étranges. On passera sûrement par le Limousin ; nous sommes en Auvergne pour le moment. Ce sera peut-être l'occasion de nous revoir. Autrement, si vous n'êtes pas là quand nous serons près de Limoges, je veux bien fouiner pour vous pour en apprendre un peu plus sur votre mari.

Vous n'avez rien dit à Actyss pour la fleur en tissu, n'est-ce pas ? Je voudrais que ça soit une surprise. Elle va être tellement contente ! Et tellement belle ! Je lui ai sculpté des grenoreilles, vous savez ?

Mais je m'arrête avant de vous rebattre encore une fois les oreilles – les yeux – avec la merveillosité de ma blonde-sanglière.

Prenez soin de vous, Éliance,

Arnauld
Eliance
Citation:


    Arnauld,

    Je m'excuse par avance pour cette lettre. Et pour tout le reste.

    Avant que j'oublie : je n'ai aucune idée de ce que sont des grenoeilles. Mais je n'ai aucun doute, ça doit être bien joli. Vous trouverez la fleur en tissu tant attendue avec cette lettre. Désolée pour le temps d'attente. Je ne voulais pas d'un tissu récupéré d'une de mes robes. Pas que j'y tienne particulièrement, mais ça aurait été moche, un tissu usé. J'ai préféré chourrer un bout à... Non. Oubliez. Le tissu est neuf. C'est le principal.

    Vous savez, j'ai trouvé vos suppositions sur l'absence de mon mari très mignonnes. Comme vous. Vous êtes mignon. Comme votre blonde-sanglière. Elle est mignonne. Et puis vous êtes mignons ensemble. C'est un compliment. Ce ne sont pas que les chatons, qui le sont, mignons. La preuve. Vous êtes mignons. Assumez !

    Mais je suis réaliste. Il devait revenir. Il n'est pas là. Et ce ne doit pas être sans raison. Le noir ne m'a pas envahie. Il fait partie de moi depuis longtemps. Et il grignotte sans cesse un peu plus de ma vie. Aujourd'hui, il ne reste plus grand chose de la parcelle de départ. Il fait nuit même le jour.

    Ma vie est à chier, soyez heureux, vous.

    Nos routes ne se croiseront pas. Ma route ne croisera plus personne.
    Vous avez été mon dernier ami. Merci pour ça.
    Adieu, Arnauld.

    Eliance

_________________
Arnauld
Citation:
Éliance, qu'est-ce que vous avez foutu ? Vous avez intérêt à me répondre aussitôt que vous recevrez cette lettre. Vous avez intérêt à me répondre. Vous répondrez. Répondez !

Ça va pas de me faire peur comme ça ? Putain, Éliance, vous avez foutrement intérêt à être en vie.

Vous me lisez, donc vous êtes en vie.

Vous avez de la chance. Je vous aurais tuée, sinon.

Pardon, je ne voulais pas vous engueuler.
Mais merde votre lettre me glace le sang.

______

Je n'ai pas de réponse pour votre mari. Je suis sincèrement désolé, je ne sais pas. Et je ne sais pas quoi dire pour vous remonter le moral – mes tentatives précédentes ont échoué, de toute évidence. Je connais la disparition, je connais la trahison, je connais le piétinement de l'ego qui va avec, je connais la souffrance que cause l'absence au quotidien. J'ai ma propre expérience de la nuit ; cela ne vous aide en rien, je sais, mais ça veut dire que je peux, au moins un peu, vous comprendre. Vous m'aviez si bien compris, quand je vous ai parlé de Cléo. Je vous comprends, donc, et je ne vous en veux pas de me faire si peur. Je vous en veux seulement si vous êtes morte.

Les grenoreilles sont des boucles d'oreille en forme de grenouille. Je les ai sculptées dans du bois.

Je ne lui offrirai la fleur que quand vous m'aurez répondu et que j'arrêterai de la regarder comme le cadeau d'une morte.

N'ayez pas honte, ne vous excusez pas, écrivez ce que vous voulez, le temps qu'il fait là où vous vous trouvez, je m'en fiche. Mais répondez.

Arnauld
Eliance
Citation:


    Arnauld,

    Il pleut. Des trombes de flotte qui rendent chaque pas glissant dans cette satané ville. Vous mettez le moindre poil dehors et il est aussitôt recouvert de boue. C'est dégueulasse. Et en même temps, j'aime bien. Je crois. J'aime bien la pluie. Le gris du ciel. J'aime bien être trempée. Parce que après, faut se sécher.


    J'ai mangé une soupe assez fameuse, ce matin, ma foi. Y avait des petits bouts de viandes indéfinissables. C'est peut-être là, le secret du cuistot. Qui sait si j'ai pas bouffé un rat-taupier ou un hérisson. Mais c'était bon.


    Les Berrichons sont ennuyeux à mourir. Les Bourguignons sont quand même plus marrants, même si ils veulent régulièrement nous assommer. Ou nous égorger. Au choix.


    J'ai mal au cou. Encore.


    Torvar est là. Vous devez pas connaître Torvar. Bon. Mais il est là pour moi.
    Et à cause de la corde. Et de Mike. Et il dit qu'il repartira plus.


    Elias m'a écrit. Enfin. Non. Il a répondu à ma lettre. Une qui disait de plus revenir. Que ça sert à rien. Que si il devait être là, il le serait. Bon. Et bien il répond juste qu'il veut récupérer un truc qu'il m'avait offert. Je suis sûre qu'il est encore à Limoges. Qu'il a juste fait genre qu'il revient. Qu'il s'en ait trouvé une mieux et savait pas comment me le dire. Pourquoi il réclamerait son pendentif, sinon ? Il veut lui offrir, c'est sûr. Et puis il dirait d'autres trucs, non ? Mon Diego, il était toujours colère quand on était loin. Elias a rien de tout ça. Je sais pas si il m'a vraiment aimé un jour. Il m'a presque-épousé parce que 22 m'a demandé en mariage. Peut-être que sans ça, il aurait jamais rien fait. Et puis que peut-être il serait même parti avant.



    J'ai pas réussi, Arnauld. J'ai raté. Je rate toujours. Je sais pas si c'est une bonne chose.



    Vous pouvez offrir la fleur à Actyss.


    Eliance



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Arnauld
Citation:
    Eliance,

    Aussi peu enjouée que soit votre lettre, je n'ai jamais été aussi heureux de vous lire.

    Vous m'avez vraiment fait peur.

    Je crois deviner, avec vos différentes allusions, ce qui s'est passé, dans les grandes lignes. Je ne vais pas épiloguer dessus, j'imagine que ce serait encore plus pénible pour vous que le fait de ne pas être parvenue à mener à bien ce que vous aviez entrepris. Laissez-moi seulement dire que oui, c'est une bonne chose d'avoir raté. Parfois les ratés sont de bien plus belles réussites que les réussites – cela ne veut sans doute pas dire grand-chose, mais je pense que vous comprenez ce que je veux dire.

    Je n'ai aucune idée de qui est Torvar. Mais s'il prend soin de vous, je suis content qu'il soit là.

    Là, c'est le Berry, si je comprends bien ? On ne m'a jamais dit de bien du Berry. Le seul mérite qu'a ce duché, je crois, si je me fie à toutes les critiques qu'on m'en a faites, c'est de donner des habitants avec un nom rigolo. Berrichons. Ça me rappelle Patay et ses Patichons.

    J'ai passé quelques jours à Limoges, récemment. J'ai ouvert l’œil, vous savez ; j'ai cherché des traces de votre mari. Je n'ai rien trouvé. Ou bien il a quitté la ville – et c'est mon hypothèse – ou bien il se cache. Mais je ne vois pas pourquoi il se cacherait.

    Cléo non plus ne supportait pas quand on était séparés. Mais vous voyez, elle est partie tout de même. Elle et votre Diego ont l'air d'avoir de nombreux points communs. Ce n'est peut-être pas un mal que votre mari soit différent, en un sens – ça donne une relation peut-être moins fusionnelle, mais plus durable. Je n'en sais rien. Je ne peux pas m'empêcher de croire qu'il ne vous a pas trahie et qu'il va revenir. Je ne suis peut-être qu'un optimiste imbécile.

    Actyss a beaucoup aimé la fleur. Elle vous remercie, et moi aussi.

    Amicalement,

    Arnauld
Eliance
Citation:
Arnauld,

Je crois que j'ai tout compris à votre lettre. C'est bizarre. Y a toujours des choses que je comprends pas. Là, j'ai tout compris.

J'aurai dû croire en votre optimisme imbécile. Pas celui qui dit que c'est bien si Torvar est là. Parce qu'en fait, il est plus là. Déjà. Une histoire de demande en mariage qui a mal tourné. Qu'est-ce qu'ils ont tous à vouloir me marier ? Ils peuvent pas juste être là ?

Bref. Pas cet optimisme-là. Mais celui où vous disiez que Elias est pas resté à Limoges. Qu'il m'a pas abandonné. Qu'il y a pas d'autre femme. J'y ai pas cru, à votre histoire d'égarement. Et pourtant... Il est venu chercher son aigle. Et il a expliqué qu'il y a aucune autre femme. Qu'il avait juste besoin de temps. Ou quelque chose comme ça. Je crois que je suis étouffante. Je sais pas. Je suis peut-être pas étouffante.

Mais j'ai tout foiré. Si j'avais pas écrit cette stupide lettre, il serait revenu. Là, il est juste revenu chercher son aigle. Je lui ai dit, pour Torvar. Ca ne fait pas revenir un homme, ça, n'est-ce pas ? Il l'a dit. C'est foutu.

J'aurai pas dû me rater. Actyss aurait eu la fleur d'une morte, mais ça aurait été mieux. Pour tout le monde.
Je sais pas quoi faire. Il est là. Je le vois. J'ose plus lui parler. Quand il me regarde, je détourne les yeux. J'ai peur de sa déception. J'ai tout gâché. Je gâche toujours tout.

Clément m'a écrit. Vous savez, le type de Provence. Le Nounou. Il est cul-de-jatte. Ou quelque chose du genre. Je crois qu'on va aller le chercher. Faut pas laisser les cul-de-jatte tout seul, n'est-ce pas ?


Je me relis.
J'arrive même plus à faire de jolies lettres. Même ça, je le gâche.


Merci de m'écrire. Je crois que j'aime bien vous lire.

Eliance

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Arnauld
Citation:
    Eliance,

    Je suis sûrement aussi compétent en conseils amoureux qu'un homard puceau et misanthr mishomard, et je ne connais ni votre mari, ni le dénommé Torvar, mais je ne peux pas m'empêcher d'essayer de vous en donner. Pardonnez-moi s'ils sont d'une nullité affligeante – considérez que c'est l'intention qui compte, et ne vous sentez pas obligée de les suivre.

    Votre mari ne vous a pas trompée ? Votre mari est près de vous, ou du moins dans la même ville ? Ce sont deux bonnes, très bonnes nouvelles.
    Vous avez eu une aventure avec ce Torvar ? J'essaye de lire entre les lignes, mais je ne suis sûr d'interpréter comme il faut. Peut-être cela est-il resté chaste, peut-être que non – en tout cas, vous avez refusé sa demande et il est parti. C'est sûrement une bonne nouvelle aussi : c'est ce qui fait que tout n'est pas, comme vous le dites, foutu.
    L'histoire de l'aigle, je n'ai pas trop compris. C'est la chose que votre mari vous a offerte et qu'il veut récupérer dont vous me parliez dans votre dernière lettre ? Rien à voir ? Enfin, peu importe.
    Je disais donc que ce n'était pas foutu. Je pense bien que vous n'avez pas la même relation avec votre mari que celle que j'avais avec Cléo – excusez-moi de toujours vous parler d'elle – mais je lui aurais pardonné un Torvar. Ça m'aurait presque détruit, mais pas suffisamment pour que je la quitte. D'ailleurs, pour le Grec, je lui pardonne, même si ça continue de me faire souffrir tous les jours et que ça ne s'arrêtera sans doute jamais – si je ne connaissais pas Actyss et que je ne l'aimais pas à ce point, et si Cléo était revenue vers moi en pleurant et en implorant mon pardon, j'aurais tout pardonné et je l'aurais épousée. Et pourtant, le Grec, elle s'est mariée avec lui, contrairement à vous et ce Torvar, et elle couche probablement avec lui tous les jours, et peut-être même qu'elle l'aime. ou peut-être qu'il la dégoûte et que je lui manque atrocement et qu'elle regrette et qu'elle ne revient pas que parce qu'elle se dit que je suis plus heureux sans elle ?(on s'est rencontrés il y a un an tout pile… vous croyez qu'elle va m'écrire ?)
    Ce que je veux dire, c'est qu'on peut pardonner beaucoup de choses. Osez dire ce que vous ressentez à votre mari, si c'est de l'amour que vous avez pour lui. Nous, les hommes, nous croyons toujours que nous ne sommes pas aimés : c'est ce qui rend notre comportement désastreux. Votre mari n'attend peut-être que cela.
    Vous avez peur de sa déception. Je comprends. Mais ne laissez pas cette peur et cette honte achever de vous séparer de lui.

    Arrêtez de dire que vous n'auriez pas dû vous louper. Pour le coup, si vous aviez réussi, tout aurait été définitivement foutu. Ce n'est pas ce que vous voulez, que ça soit foutu, hein ?
    Vous savez pourquoi, après Cléo, je n'ai jamais sérieusement pensé à la mort ? Parce que ça aurait été renoncer pour de bon à elle, et être sûr de ne jamais, jamais la revoir un jour. Je suis sûrement très con, mais c'est vraiment ça qui m'a maintenu en vie – même après son mariage. Maintenant, il y a encore un peu de ça, mais il y a surtout Actyss.

    Actyss et moi allons bientôt nous marier. J'aurais mis le temps à faire ma demande. En fait, je crois – je sais – que c'était encore à cause de Cléo. Je me suis mis à haïr le mariage, les droits que ça donne, la légitimité qu'il a à coucher avec elle. Me marier à mon tour, c'était cautionner la chose. Jouir moi-même de ce que je hais dans cette institution. Sans compter que, parce que comme je vous l'ai dit, je suis très con, je culpabilisais par rapport à Cléo.
    Mais il y a des moments où il faut arrêter d'être con. J'aime Actyss comme un fou, je veux qu'elle soit ma femme, aucune raison de tergiverser.
    Je vous parle de moi, quand je voulais parler de vous. Désolé – mais je ne pouvais pas ne pas partager la nouvelle de mes fiançailles.

    Je me suis comparé à un homard puceau pour vous faire sourire, mais je ne pense pas que ça ait trop marché. Je vais arrêter d'essayer de faire de l'humour.
    Mais dites-moi que c'est une blague, Clément cul-de-jatte ?

    Continuez de m'écrire, s'il vous plaît, même des lettres pas jolies.

    Arnauld
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