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[RP] Péter dans la soie le cul dans la fange

Minah
Elle marchait comme si le pavé lui appartenait, la bestiole. Le groin hautain, le pas décidé, le coude leste. Les chevilles et la tête tellement enflées qu'on s'attendrait presque à la voir flotter quelques centimètres au-dessus du sol. C'est que cette cul-terreuse de Minah avait enfin commencé à se mettre en caboche qu'elle avait été adoptée par une Marquise et anoblie par la même occasion.
Pourtant, elle n'avait pas tout à fait la tronche de l'emploi. La silhouette trapue et mal dégrossie, la goule pleine de crasse, les fringues de soldate grossiers et rapiécés, le moignon entouré d'un chiffon dégueulasse, le hibou mort sur la tignasse et de chouettes effluves pour envelopper le tout. La grande classe.

Mais c'était qu'une question de temps. Quand elle arrêterait d'être refoulée des ateliers de couture, elle aurait assez de soieries et de froufrous sur le cul pour étouffer les mauvaises langues. En attendant, fallait forcer un peu la main aux gens pour se faire respecter.

N'a-qu'une-patte marcha sur le pied d'un type maigrichon qui avait probablement le nez trop bouché pour s'esquiver assez vite de son passage.

Hé, toi ! Ôte-toi d'mon ch'min, manant !
Aïeuh ! Tu te prends pour qui, sale tarée ?!
Comment tu m'causes ! On a pas gardé les cochons ensemb' ! D'abord chu pas tarée, chu ex-cen-trique comme qu'y sont les nob' !
Quelle noble ! Ça pour sûr, j'ai jamais vu un porc garder ses ouailles !

Minah lui ficha son poing dans la tronche. Le type répliqua.
Et comme on tenta de les séparer, cela vira en bagarre générale.

C'est donc une manchote encore plus dépenaillée et quelque peu sanguinolente qui s'éloigna de la mêlée.

Bordel de foutre... Faut croire qu'mon sang est pô encore assez bleu .. S'il le s'ra jamais...

Quelque peu dépitée, elle se laissa glisser le long d'un mur jusqu'au sol fangeux, le temps de reprendre son souffle. Elle cracha une dent.

Pfffou ! Corniauds ! M'faudrait deux-trois larbins pour cogner sur ces cons à ma place !
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Opale.
    La première chose qu’elle s’était dite, lorsque Donatien lui avait parlé d’une « famille » à lui présenter, c’était qu’elle n’était pas bien sûre d’en vouloir. Elle avait cherché le paternel, c’est un fait, mais sans jamais songer au fait qu’il arriverait avec toute une tripotée de gens à insérer dans sa solitude. Le père qu’elle était venue trouver, en pensant naïvement qu’il serait aussi esseulé qu’elle, s’était avéré particulièrement entouré. Et très enthousiaste à l’idée de l’intégrer à ce qu’il appelait son Clan. Mais elle avait senti, dès le départ, qu’elle ne parviendrait pas à lui donner ce qu’il attendait visiblement d’elle. Vivre avec un groupe tout entier, les suivre dans chacun de leurs déplacements sans bien savoir où ils se rendaient, avoir la sensation d’être redevable envers quelqu’un, de n’être pas entièrement libre de ses mouvements, cela ne lui convenait pas. Pourtant, elle savait qu’ils ne la retenaient pas, ne lui imposaient rien, qu’elle était libre de partir si l’envie lui prenait. Mais ce n’était pas suffisant pour avoir la sensation de liberté à laquelle elle avait été si longtemps habituée.

    L’un des bons côtés, puisqu’il y en avait tout de même, à se retrouver parmi eux, avait néanmoins été de se retrouver à Paris. Pour la pseudo-empoisonneuse qu’elle prétendait être, il n’existait pas meilleure opportunité. La capitale et ses bas-fonds, l’affluence incroyable de gens mal intentionnés… Ou comment se fondre dans la masse tout en procédant à des expériences personnelles.

    On ne se bousculait pas encore pour lui proposer des contrats, mais ses propres envies étaient suffisamment prononcées pour que la Brindille trouve elle-même ses occupations. Elle avait donc décidé, faute de mieux, de mettre son séjour parisien à profit pour améliorer ses compétences… Et faire quelques malheureuses victimes. Et quoi de mieux, finalement, que les beaux quartiers de la capitale si prisée ?

    Les nobles ne s’inquiètent pas, lorsqu’ils sont sur leur terrain. Ils se croient en sécurité, entourés de ceux qui leur ressemblent. Et Opale avait pour elle d’être franchement jolie, et décidément pas fagotée comme une gamine ayant grandi en crevant de faim. Ce n’était pas le cas, après tout. Elle dégageait l’insolence propre aux gosses des rues, mais il fallait s’attarder un peu sur elle pour s’en rendre compte. Et elle ne comptait pas laisser à qui que ce soit le temps de s’attarder sur elle.

    Le plan était assez simple, finalement. Trouver une bigote assez bien vêtue pour qu’il n’y ait plus aucun doute sur les écus qu’elle transportait forcément dans sa bourse. La suivre dans ses déplacements insensés et réussir d’une façon ou d’une autre à lui faire gober la mixture préparée la veille. C’était la seule partie du plan qui pêchait, pour l’instant. Opale, à vrai dire, comptait sur un coup de soif qui pousserait la nobliaude à se retrouver dans une auberge pour boire un coup. C’était fort peu probable, mais elle n’était pas pressée. Rien que la filature suffirait à l’occuper pour la journée.

    Elle déambulait, donc, entre les pavés parisiens, fagotée comme un paquet cadeau dans sa robe la moins usée, une houppelande d’un bleu assez sombre, qui ne rivalisait en rien avec les tenues des nobles mais qui avait au moins le mérite de la faire passer pour autre chose qu’une gueuse. Elle essayait, d’ailleurs, d’ignorer au mieux la Bestiole affalée contre un mur, qui n’avait visiblement rien à faire là. Ce ne fut pas si compliqué, puisqu’elle repéra assez rapidement la proie rêvée. Une bonne-femme bien en chair, qui semblait sur le point d’étouffer sous les étoffes qui, visiblement, étaient bien trop étroites pour elle.

    Elle n'avait absolument pas l'air aimable, encore moins l'air d'une Sainte. Ce ne serait que plus aisé.
Minah
N'a-qu'une-patte ruminait ses mésaventures et se débuts difficiles dans la Haute, quand elle aperçut du coin de l’œil une fille qui n'avait pas tout à fait l'air dans son élément. Oh, elle ne faisait pas tache comme la manchote, mais... il y avait un petit quelque chose qui ne collait pas. Une servante, peut-être, mais elle n'était pas à deux pas de son maître et ne paraissait pas avoir l'air perdue... Elle semblait chercher quelque chose, toutefois. Aux aguets, à l'affût.

La trogne minahesque s'éclaira. Elle avait déjà vu ces airs-là. Le renard dans le poulailler, qui espérait se faire passer pour une volaille. Ça pouvait marcher. Personne d'autre que Minah ne lui prêtait attention : la foule aux riches atours s'ouvrait et se refermait autour d'elle. Mais Minah n'était pas de ce milieu-là. Elle n'avait été jusque-là que la fange que les bonnes gens essuient de leurs chaussures quand ils rentrent chez eux.

Hé.

Pourquoi adresser la parole à cette donzelle qu'elle ne connaissait pas ? La bestiole n'en savait trop rien. Contente de voir qu'elle n'était pas la seule en décalage, dans le coin.

T'fais quoi ?

Elle suivit le regarde de sa peut-être future interlocutrice. Au bout de la rue, se dandinait une bonne femme qui devait porter son poids en draperies, et ce n'était pas peu dire.

T'la connais ?

Elle pouvait continuer longtemps comme ça, la bestiole. Difficile à ignorer.
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Opale.
​
    Les yeux rivés sur la bigote, Opale ne remarque pas immédiatement la silhouette qui prend place à côté d'elle. En réalité, elle la sent avant de la voir. Dans ce paysage de bâtiments proprets, de nobliaux tout enserrés dans leurs vêtements neufs, parfumés du bout des orteils jusqu'à la racine des cheveux, se dégage soudain une odeur nouvelle. Effluve peu ragoûtante, rappelant le doux fumet de la nourriture qui moisit dans un placard depuis au moins six mois. Les lippes se crispent en une moue dérangée, et la noiraude se tourne enfin, en entendant la voix inconnue.

    « Ca te regarde pas, c'que je fais. »

    Et de secouer la tête d'un air légèrement agacé tout en accélérant le pas. Ce n'était vraiment pas le moment de taper la causette avec une môme des rues en mal d'attention. Du regard, elle cherche la proie, qu'elle craint un instant d'avoir perdu. Mais la silhouette se dessine encore quelques instants, avant de tourner au coin de la rue.

    « Je ne la connais pas, mais j'vais la connaître. Et tu vas me connaître aussi, si tu me lâches pas. »

    Elle aurait pu prétendre ne pas comprendre de quoi elle parlait. Feindre l'étonnement, s'exclamer qu'elle ne suivait personne, qu'elle cherchait une échoppe ou quelque chose dans ce goût-là. Mais la Bestiole lui ressemble clairement plus que les nobliaux du coin. Pas d'aspect, bien-sûr, mais de caractère et d'éducation, peut-être. Si elle a capté aussi vite que la noiraude suivait quelqu'un, inutile d'essayer de la faire tourner en bourrique. Bien que l'idée soit tentante. Ce qui serait embêtant, par contre, c'est qu'elle fasse tout foirer. Alors Opale compte un peu sur la solidarité entre les rejetés de la société, tout ça.

    Elle jette un bref regard à la Bestiole, avant d'accélérer encore pour la distancer, et tourner dans la rue empruntée par la bourgeoise.
Minah
« Et tu vas me connaître aussi, si tu me lâches pas. »

Haha. L'erreur.
LA chose à ne pas dire quand on est face à une ex-gueuse désœuvrée et dépitée qui n'en est pas à une baston près. Sauf si on veut l'avoir aux basques, quoi.

La face minahesque se fendit d'un large sourire édenté pour pour l'heure assez sangui-bavant, franchement pas découragée par l'agacement évident de la donzelle. Je serais comme la merde collée sous ta godasse, disait ce sourire, enchantée. L'art d'être chiante sans franchement le faire exprès, ça ne s'invente pas, et ça ne se laisse pas démonter par un sale regard.

Chuis Minah 'vec un tas d'blaze péteux derrière qu'j'a pas eu l'temps d'ret'nir encore.

Les patronymes nobles à rallonge, c'était pas sa tasse de thé, même quand ils devenaient siens. Et puis quelle idée de lui refourguer une seigneurie qui avait deux noms ?!

Et toi ?

Mais l'autre avait déjà pris la tangente.
La bestiole grincha et se leva maladroitement pour la suivre de son mieux.

P'tain t'pas une marrante, toi...

La brune était rapide, et la foule dense. Même si cette dernière avait tendance à s'ouvrir instinctivement autour de l'odorante manchote, elle bouscula plusieurs personnes au passage, se faisant copieusement insulter et un petit soulier siffla entre les plumes de Philémon-le-grand-duc-avec-un-trou-dedans, son fidèle couvre-chef. Plus furtif tu meurs.

C'est en soufflant comme un bœuf que Minah surgit dans le dos d'Opale.

Eurfff... ffffeff... Et alors, on fait quoi, là ?

Notez le ''on''.
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Opale.
    Si la Bestiole avait du être comparée à un animal, à un insecte, Opale aurait certainement choisi la mouche. Cet espèce de minuscule être difforme qui devait, à coup sûr, empester à des lieues à la ronde à cause de sa fâcheuse tendance à aller renifler les excréments. Pour ce qu'elle en savait, la Brindille, les mouches pouvaient peut-être même s'en nourrir, ça ne l'aurait pas étonnée. Insecte agaçant qui produit un bourdonnement détestable tout autour de votre crâne endolori, et quasiment impossible à chasser. Parce que la mouche est rapide, et qu'elle vole, en plus. C'est qu'il faut être sacrément doué pour réussir à en choper une entre ses doigts.

    Ainsi, Minah, 'vec un tas d'blaze péteux derrière, serait la Mouche.

    Parce qu'Opale compris, à l'instant même où la voix désagréable se fit de nouveau entendre dans son dos, qu'elle ne parviendrait pas à s'en débarrasser. Aussi la noiraude se retourna-t-elle, renonçant aussitôt à la proie qu'elle pourchassait, pour gratifier la Bestiole d'un sourire.

    « J'm'appelle Opale. Et là, on essaie de trouver deux trois bourses pour grailler ce midi, et avec un peu de chance les jours suivants. »

    Au vu de la dégaine de la gamine, on pouvait facilement supposer qu'elle ne serait pas contre quelques pièces. Et si elle était aussi douée pour emmerder les gens que pour trouver de quoi manger, elle se révèlerait peut-être une alliée non-négligeable. Dans le pire des cas, Opale ne crevait pas la faim et l'opération serait certainement une distraction agréable pour passer la journée.
Minah
Pour la seconde fois en bien trop peu de temps, la brune se vit gratifiée d'un sourire pittoresque à la Minah. Manque de bol, la bestiole n'était pas radine de ce côté-là. Elle jubilait. Elle savait bien qu'en insistant suffisamment, Opale deviendrait son amie. C'est comme ça qu'elle les avait. À l'usure.

Des bourses... Celles des gens ?!

Non parce sinon ça se trouve dans les arbres...
La surprise passée, N'a-qu'une-patte hocha le groin. Elle avait le scrupule négociable.

Ça a l'air marrant ! Mais j'pas les doigts très lestes. Chuis droitière, t'vois.

Et il suffisait d'un regard vers son bras et demi pour comprendre où était le problème. Depuis la mésaventure qui lui avait coûté l'avant-bras droit, la manchote s'était accoutumée à n'avoir qu'une main gauche, courtaude et calleuse, pour les tâches quotidiennes ou manier l'épée. La finesse en revanche n'était pas son fort. Quant à sa discrétion naturelle...

Mais j'peux distraire les pigeons p'dant qu'tu leur coupes leur aumônière ! Ça chu vach'ment forte, on peut pas pas m'rater ! Pis après on partage ?
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Arylis
[A quelques rues de là]


Depuis deux jours qu'Arylis était arrivée à Paris, elle n'avait rien vu d'autre que la chambre de son auberge. Il faut dire qu'après une première nuit mouvementée, elle n'osait pas s'aventurer dans le brouhaha incessant qui montait jusqu'à sa fenêtre. Puis l'aubergiste lui avait de nouveau vanté les boutiques de tissus et de mercerie qui pullulaient en ville, et la brodeuse avait fini par se laisser tenter.
La jeune fille avait beau n'être pas riche, une sortie dans Paris se préparait un minimum. Elle avait donc fait la lessive de son unique jupe qui, une fois débarrassée de la poussière des chemins, retrouva sa jolie couleur prune. Elle enfila une chemise, la plus blanche des deux, un gilet brun et son col de chaude marron qu'elle respira avec avidité. Ca sentait Saintes, la Dentelle Bleue et une vie qu'elle aimait. Une fois sa crinière rebelle domptée par quelques tresses, la Mésange fut fin prête à aller affronter le grand Lutèce !

La porte de l'auberge se trouvait dans une petite ruelle parallèle, assez peu fréquentée, aussi Arylis ne prit-elle conscience du fourmillement parisien que quelques mètres plus loin. Et là, se fut une révélation !
Les yeux clairs s'écarquillèrent, comme si les pupilles ne seraient jamais suffisamment ouvertes pour recevoir l'éblouissante vie jaillissant de toutes parts.
La bouche trop grande s'élargit en un sourire sans fin, tant physiquement que dans le temps, et ce malgré l'absence de réponse des passants qui avaient plutôt tendance à jeter des regards curieux, méprisants ou apitoyés, à cette jeunette qui sentait la campagne à vingt pas. En silence, certains prirent même quelques paries pour savoir dans combien de temps, et à quelle sauce, la Mésange serait mangée.
Celle-ci n'en avait ni cure ni conscience, trop heureuse de l'agitation citadine qui renvoyait sa Bête d'Angoisse au fin fond de ses entrailles. Le domaine de prédilection de la Griffue était la campagne, les nuits noires, les silences et ses mille et un murmures. Ici, c'était les cris, l'agitation, les gens qui s'interpellaient plus ou moins aimablement, une Saintes puissance dix aux mille et un trésors.
En une seconde, la brodeuse retrouva le pas allègre et légèrement sautillant qui la caractérisait avant son départ sur les routes, et se lança en toute confiance à la découverte de ce nouveau terrain de jeu. Les yeux clairs glissaient des mises élégantes aux étals de boucher, des quelques carrioles qu'elle regardait passer avec une envie enfantine aux vendeurs de rue. Quand ils tombèrent sur une devanture annonçant "Au fil d'or", Arylis resta bouche bée devant des couleurs qu'il lui semblait n'avoir jamais vu auparavant.



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Opale.
    La Brindille s'arrache un sourire, face aux propositions de la Bestiole. Intéressant, et franchement plausible. Même avec la plus grande concentration du monde, impossible de ne pas se laisser distraire par la manchote. L'idée semble intéressante, et l'échec n'aura pas vraiment d'impact. Alors elle hoche la tête.

    « Et après on partage, évidemment. »

    Elle tourne un instant sur elle-même, renonçant une bonne fois pour toute à sa proie précédente. Pour l'heure, il faut se diversifier.

    Ne pas chercher une cible trop importante, ni trop hautaine. Elle aurait tendance à prendre ses jambes à son cou en voyant s'approcher Minah et une course poursuite à trois écus n'était pas réellement dans les projets d'Opale, qui avait plutôt prévu quelque chose de facile et de léger pour occuper sa journée.

    Les pupilles azurées avisent rapidement, pourtant, la cible idéale. Une fine silhouette couronnée d'une crinière blonde en pagaille, habillée d'une jupe prune et d'une chemise de bonne facture. Ca ferait l'affaire. Le poisson n'était pas trop gros et s'il ne semblait pas être le plus riche du coin, il aura au moins le mérite de permettre de tester les talents de la Bestiole. D'un mouvement du menton, elle désigne la demoiselle en question avant d'aviser sa comparse.

    « Elle, devant la boutique. Demande lui quelque chose, n'importe quoi. Je m'occupe du reste. »

    La diversion n'aurait peut-être même pas été nécessaire tant la blonde semblait captivée, mais le défi a le mérite d'être intéressant à relever. Au moins, elle aurait le loisir de voir la manchote en action. Déjà, les doigts fins s'enroulent autour du pommeau de la dague glissée à sa ceinture. Nullement l'intention de blesser qui que ce soit, mais l'acte sera plus discret si la bourse est tranchée plutôt qu'arrachée.

Minah
Minah n'en revenait pas que son idée soit si vite acceptée, ni même d'avoir eu une idée en premier lieu. Après le sanglant fiasco de tout à l'heure, la journée s'annonçait bien meilleure !

Wah promis j'va faire d'mon mieux ! On va chier des écus dans l'heure !

Opale était de toute évidence une grande professionnelle. N'a-qu'une-patte suivit du regard la proie déjà repérée. Une blondinette à l'expression trop innocente et émerveillée pour être parisienne, inoffensive mais visiblement pas très riche. La manchote étouffa sa déception. Pas de pigeon bien dodu pour cette fois, tout juste un petit moineau des champs... mais il fallait bien un coup d'essai, non ?

J'y vais !

Et la manchote à la goule maculée de bouillasse et de sang craquelé s'engagea d'un pas décidé en direction de l'infortunée touriste. Et resta plantée devant un instant, l'air con. La motivation, c'est beau, mais c'est encore mieux avec un minimum d'inspiration derrière.

Elle secoua la tête pour se ressaisir.
Trouver quelque chose à faire. Vite.

Euh.

Ting !

Oh ! Ben ça alors Jann'ton, ma vieille !

Et vlan, l'accolade de l'amitié à la Minah ! Du genre à vos émietter l'omoplate.
Elle entama la conversation en bramant comme une bestiole en rut, s'arrangeant pour être assez près (donc bien trop pour que ce soit olfactivement confortable) de sa victime pour lui faire un croche-patte en cas de fuite.

Si j'm'attendais à t'voir dans l'coin ! Comment t'vas ? Ça s'est arrangé ton problème de pustules, on dirait ! Faut qu'tu m'donnes ta recette d'onguent, j'en ais un tas dans l'dos, ça jute chaque fois que j'veux m'coucher !

N'importe quoi, on avait dit, hein ? À la Brindille de jouer, à présent !
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Arylis
Arylis ne sut pas d'où lui vint ce réflexe de lever les mains, mais il lui permis de ne pas se prendre la vitrine de la mercerie en pleine face. Elle resta quand même quelques secondes immobile à regarder le verre, redoutant à chaque instant qu'une étoile se dessine dans la transparence et que le propriétaire des lieux en sorte en hurlant.
La brodeuse manqua donc la première partie du discours de son interlocutrice, et quand elle s'y intéressa enfin, se fut d'avantage à cause du niveau sonore de la conversation et de l'odeur de rat crevé qui l'accompagnait que pour l'intérêt qu'elle portait à l'onguent à pustules. Les yeux clairs clignotèrent en se posant sur la Bestiole, tant pour retenir les larmes provoquées par le piquant du fumet Minahesque que pour essayer de déterminer ce qu'ils avaient devant les pupilles.
Une personne ?
Sexuée ?
Vivante, vu sa capacité à s'exprimer, et ce malgré les indices olfactifs prouvant le contraire.
Bienveillante ?
Blessée ... ?

Esprit-papillon oblige, se fut cette dernière préoccupation qui envahit la Mésange. Elle leva une main prévenante vers le ... visage de la ... Chose, et la bouche trop grande esquissa un sourire rassurant.

Tout va bien ? Vous avez du sang sur la joue. Sur le nez, le front et le menton aussi d'ailleurs. Vous avez du recevoir un coup sur la tête sans vous en rendre compte et oublier de vous faire soigner. Ca explique aussi que vous pensiez me reconnaître, car si c'était le cas croyez-moi je m'en serais souvenu ! Et puis c'est la première fois que je viens à Paris, alors vous voyez. Vous ne voulez pas vous assoir ? Je vous trouve bien pâle ...

Arylis se mit alors à fouiller dans sa besace.

Il doit me rester un peu d'alcool là-dedans, ça pourrait vous faire du bien. Vous êtes du coin ?

La brodeuse était lancée, et si elle remonta discrètement son col pour s'en couvrir le nez et atténuer la puanteur ambiante, elle n'en était pas moins heureuse de discuter avec la faune locale. De discuter tout court d'ailleurs !



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Minah
Tout en bavant son baratin, Minah scruta les expressions de sa malheureuse victime. Une peu hébétée, visiblement lente. Peut-être même à moitié assommée par les miasmes minahesques. Tant mieux. Ce sera d'autant plus facile pour l'Opale de lui faire les poches. Avec un peu de chance, même, cette gourde des campagnes aurait sur elle toutes ses économies.
Mais la donzelle se révéla pleine de surprises. Quand elle leva la main en direction de sa trogne, Minah eut un brusque mouvement de recul, croyant qu'on allait lui fiche une baffe. Elle avait eu son compte pour la journée, comme on le lui fit remarquer avec une inquiétude inattendue.

Euh... Bredouilla-t-elle prise au dépourvu.

Ses élans d'improvisation tombèrent à plat.
N'a-qu'une-patte se mit à lancer des regards affolés sur les côtés, espérant voir approcher sa comparse.

Euh. Je. Les gens y veulent pas croire que chu nob' 'lors y m'ont cassé la goule...

Bam, on déballe tout. Après tout ça pouvait marcher, la blondinette avait l'air du genre compatissant, et le but était de l'occuper par n'importe quel moyen. La manchote se fendit d'une grimace et d'un reniflement pitoyable.

Chais qu'c'est récent pis qu'chais pas encore trop ben péter dans la soie mais c'tait pas une raison pour m'taper d'ssus, pas vrai ?

Elle s'approcha très très près parce qu'elle avait entendu le mot alcool et elle tenait à en avoir avant que l'offre ne soit plus valable. Et puis parce que ça lui permettait de loucher un peu sur le futur fruit de leur rapine.

Oh voui voui voui, j'aurais b'soin d'un p'tit r'montant ! Fait plaisir d'voir quelqu'un d'gentil ici bas... L'monde part en couille en ville, les gens sont des monstres d'égoïsme !

Elle essuya une larme de crocodile d'un geste du moignon. Hé oui parce qu'en plus, les gredins s'en sont pris à une pauvre estropiée, si c'est pas un scandale !

J'tais d'passage pour m'faire une garde-robe, mais on m'a injust'ment j'tée d'l'échoppe. Et vous don' ?
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Arylis
Ils vous ont frappé ?

Les yeux clairs cessèrent un de fouiller la besace pour se poser avec tendresse sur la bouille cradote. La suite du discours leur fit atteindre la taille de soucoupes à thé, alors que la bouche trop grande s’était ouverte en gobe-mouche derrière le foulard brun. La protection du tissus était d’ailleurs essentielle, car sans elle l’expression aurait cessé d’être métaphorique pour devenir littérale vu le nombre d’insectes vrombissant autours de l’étrange duo.

Vraiment ? Mais je pensais qu’à la capitale, les gens seraient bien éduqués … Jamais je ne vous aurais chassée de la Dentelle Bleue ! La porte y est ouverte pour tous à toute heure du jour, et parfois même de la nuit !

La Mésange avait de nouveau piqué du nez vers sa sacoche, dévoilant l’intégralité de son contenu à la curiosité minahesque. Des fils, des aiguilles, un tambour à broder, quelques écus perdus, des bobines, une bourse en cuir, des chutes de tissus, des parchemins froissés et des morceaux de fusain empaquetés, la saintaise était riche d’abondance car enfin, les doigts appliqués rencontrèrent l’objet convoité.
La brodeuse brandit sa trouvaille au risque d’éborgner une passante, ce qui aurait été lui rendre service vu la noirceur de son regard porcin.

Ma dernière bouteille d’hydromel ! Il va falloir la savourer parce qu’après c’est fini.

La moue de la blonde se fit dubitative.

Par contre je suis pas certaine que pour nettoyer vos plaies se soient le plus adapté … On peut essayer mais se serait mieux de vous débarbouiller histoire d’appliquer juste là où il faut. Vous ne connaissez pas une fontaine ? Je vous suis parce que vraiment ici je ne connais rien du tout ! Ca me rappelle Saintes mais en beaucoup plus grand. Et plus bruyant ! D’ailleurs je ne serais peut-être pas sortie si l’aubergiste ne m’avait pas parlé de cette mercerie. On pourrait essayer d’y entrer, ils connaissent sûrement des couturiers qui accepteraient de vous faire une garde de robe. D’ailleurs vous êtes noble depuis longtemps ? Je connais une noble, bien je veux dire, c’est pas drôle tous les jours … Par exemple elle ne peut pas faire ce qu’elle veut. Partir en voyage ou ce genre de choses. En même temps, partir en voyage, c’est vraiment une drôle d’idée. Je vais pas vous dire que je regrette hein ! Attention ! Mais des fois j’aimerai bien pouvoir rentrer à la maison juste en clignant des yeux. Se serait bien pratique. D’un battement de cils je nous emmène à la Dentelle, je vous fais votre garde-robe en mangeant des bonnes choses de la Miche Saintaise, et puis hop ! Vous revoilà où vous devez être pour vos cérémonies et autres trucs de noble.

La Mésange babillait, ses yeux clairs brillants de plaisir et le sourire aussi large que son visage, grimaçant de temps en temps sous la violence des miasmes de la Bestiole. L’habitude prenant néanmoins le dessus, elle était toute prête à aller s’assoir au bord du bassin central d’une place joliette et dégagée, pour partager quelques verres avec sa nouvelle … compagne.

Au fait, moi c’est Arylis !

Et dans son aimable simplicité, l’esprit-papillon commanda à la main brodeuse de se tendre vers son odorante vis-à-vis.
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Minah
C't'une honte, hein ! Les gens ici, y vous tabassent pour un oui pour un non, même qu'y vous volent vos affaires aussi !

Elle omit de préciser qu'elle avait (allégrement) porté le premier coup et qu'elle comptait elle-même délester son interlocutrice de ses biens.

Opale ne semblait pas se manifester, à moins qu'elle soit tellement douée pour tirer les bourses qu'on ne l'ait même pas remarqué... Mais non, vu que la donzelle blonde avait encore son sac dans les mains. Peut-être attendait-elle un meilleur moment, ou était-ce pour se débarrasser de Minah. Qu'importe : la bestiole était déjà en train de l'oublier, tout son attention accaparée par la bouteille d'hydromel qui manqua de la percuter et lui ajouter un bleu supplémentaire.

Elle fronça un sourcil inquiet.

Euh... Comment ça, « laver mes plaies » ?

Genre s'étaler du bon alcool sur la figure ? Du gâchis pur et simple ! Et foutrement douloureux, avec ça ! Et puis « débarbouiller », quoi. Voilà qu'on en était aux insanités !

Oui, euh... c'est p'têt pas c'qu'y a d'plus adapté. Vaut mieux pas prend' de risque ! Y paraît qu'on peut très bien laver les plaies par l'intérieur en buvant le... nettoyeur comme une tisane, c'ma mémé qui l'dit. Très efficace. Rien b'soin d'aut'.

Et on insiste biiiiien dessus.

M'enfin si vous t'nez à boire de l'eau, y'a l'abreuvoir pour les ch'vaux d'vant l'auberge où que j'crèche. J'connais pas trop l'coin non pu... j'tais là qu'pour cette histoire de fringues, y paraît qu'c'est chic d's'habiller ici. Chu pas d'sang bleu d'puis longtemps, 'voyez. J'tais écuyère pis mon ch'valier m'a adoptée comme sa fille. J'y connais rin à ces trucs d'péteux !

Elle leva un bras et demi en l'air en signe de désespoir. Puis, pendant que la blonde se plaignait elle aussi, elle essaya discrètement d'attraper la bouteille d'hydromel. C'est qu'on allait se déshydrater, si ça continuait ! Toute à sa manœuvre, elle n'en oublia pas de hocher le groin aux paroles de la demoiselle.

J'comprends, c'dur de partir d'chez soi... j'tais jamais partie d'mon village avant mon premier voyage alors tous ces gens, toute cette agitation, tous ces trucs nouveaux, on est vite perdue pis ça fout la trouille ! On s'y fait, promis ! Mais t'fais quoi ici loin d'chez toi, du coup ?

Minah sourit d'un air encourageant et tira un peu davantage sur la bouteille. Elle esquissa un geste pour tapoter (écrabouiller, donc) l'épaule de la campagnarde, mais comme son unique paluche était occupée avec l'objet de sa convoitise, elle n'y parvint pas. Puis sa petite cervelle enregistra enfin ce qu'Arylis lui disait précédemment.

C'quoi une mercerie ? Et d'la dentelle ? V'connaissez un moyen d'me faire une garde-robe ?! Iiiiiiiirk ! Ce s'rait trop biiiiiiien !

Et la voilà qui se met à sauter partout avec une grâce éléphantesque. n'a-qu'une-patte ignora la main tendue pour coller un encombrant poutou sur la joue de sa nouvelle amie.

Moi c'Minah ! Sa Sainte Elle-Même Minah Lebergier d'Montjoye, Banneret Hibouté, ajouta-t-elle parce que ça faisait du bien de se la péter avec un blaze à rallonge, des fois.
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Arylis
Ben en fait je …

Par pur réflexe, Arylis agrippa plus fermement la bouteille. Partager ne posait pas de soucis à la brodeuse, mais de là à laisser tout entier les dernières gouttes du remède miracle contre sa Bête d’Angoisse, il y avait un monde que même l’odeur déplaisante de Minah ne lui ferait pas traverser.

Ben en fait c’est …

L’esprit-papillon se retrouva pris dans une toile gluante en même temps que la bouche minahesque entrait en collision avec la joue de la Mésange. Le côté odoriférant, un peu baveux, certainement crasseux le faisait se débattre entre les mailles du filet alors que la spontanéité et la sympathie du geste le plongeait dans une douce torpeur. Finalement, étant plus naturel pour Arylis de se laisser aller que de chercher le mal sous une croûte de bien, elle renvoya à Minah un sourire éclatant.

Wouaw … C’est sûr qu’avec un nom pareil il vous faut autre chose que vos … Enfin …

Les yeux clairs détaillèrent la silhouette, du hibou aux orteils. La bouche un peu grande s’étira cette fois-ci en une grimace désapprobatrice et la crinière en pagaille fut secouée de droite à gauche. L’honnêteté, c’était un trait de caractère de la brodeuse et là, s’eut été mentir de qualifier les frusques de la Bestiole de vêtements.

Oui faut vraiment qu’on fasse quelque chose pour vous ! Ca vous dit qu’on en discute en trouvant quelque chose à grignoter ? Parce que le petit déjeuner date déjà d’hier soir et mon estomac commence à s’en plaindre. Vous ne connaîtriez pas un coin sympa et pas cher ? J’ai pas grand-chose avec moi et puis pour une de Montjoye toutes les portes doivent s’ouvrir non ?
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