Pepin_lavergne
[- Vous avez passé trois jours sur une plage à boire du vin ?
- Bienvenue à Montpellier mon ange !]
- [Languedoc, fin avril 1464]
Le Languedoc au printemps, c'était drôlement joli. La mer était encore froide, fait vérifié par ceux qui avaient la chance de vivre sur le littoral, mais ce n'était pas bien gênant, le soleil se chargeait déjà de réchauffer tout ça comme il savait si bien le faire. L'hiver à présent bien révolu, les gens sortaient, les femmes arboraient des robes colorées, les hommes remontaient leurs manches, et Pépin vidait des fûts de bière fraîche. La vie normale à Narbonne à la fin du mois d'avril.
Il avait mis le temps, mais Arnauld avait bien fini par arriver lui aussi, à bord de sa roulotte, avec sa femme enceinte et leurs trente-six animaux de compagnie. Hélona ne manquait pas d'amies puisqu'elle avait retrouvé celle qui lui était la plus chère. Et fort de ces faits certifiés et véridiques, Pépin avait donc tout naturellement pris une décision qui ne pouvait plus souffrir de retard. Ils partaient pour Alexandrie dans un mois et demi, il s'agissait donc de ne pas perdre de temps. L'Auvergnat avait décidé d'enterrer la vie de garçon d'Arnauld. Même s'il était déjà marié. Pourquoi faudrait-il toujours faire les choses dans le bon ordre, après tout ? Et puis il s'était aperçu qu'il n'avait pas vraiment enterré sa propre vie de garçon, même si dans son cas, ça faisait encore plus longtemps qu'il était marié. Ca ferait donc d'une pierre deux coups.
L'avant-veille, il avait été trouver Arnauld qui, les pieds dans l'eau, sur le ponton, savourait la fin de la journée en solitaire, sa femme étant occupée à faire ses trucs de guérisseuses. Prenant place auprès du jeune homme, Pépin avait sorti de sa poche une flasque pleine d'hydromel, en avait bu une belle lampée avant de la tendre à son ami.
- Dans deux jours, je t'emmène à Montpellier. Entre hommes. Il est temps qu'on enterre ta vie de garçon.
L'affaire fut conclue d'une poignée de mains. Il fallait à présent prévenir les épouses. Pépin s'assura bien que son Adorée ne manquerait de rien. Il remplit les placards de la nourriture qu'elle préférait, mit en perce trois tonnelets de calva, supplia Alicina de venir tenir compagnie à sa dulcinée, invita chaleureusement Actyss à passer aussi souvent qu'elle le voudrait pour s'amuser avec les deux rousses délicieusement folles, promit d'écrire des lettres tellement enflammées et indécentes qu'elle en aurait des frissons et de lui ramener le plus gros coquillage qu'il trouverait sur la plage. Et parce que la quitter, lui qui haïssait chaque centimètre qui la séparait de son Hélona, lui était particulièrement insupportable, il l'entraîna à l'écart. Dissimulés, seuls au monde dans leur petite crique, il l'étreignit non pas deux, mais trois fois.
Au matin cependant, il était temps de partir. L'Auvergnat déposa un baiser sur les lèvres de son épouse, ainsi que la première lettre, sur l'oreiller juste à côté d'elle. Il embrassa son fils endormi, renonça à partir parce qu'il n'arrivait pas à envisager sa vie sans eux, mais fut rappeler à l'ordre par un Arnauld qui venait d'arriver devant l'auberge. Pépin inspira profondément, descendit les marches, et dans la lumière du petit matin, sourit largement à son ami.
- T'es prêt ? Alors en route.
Baluchon sur l'épaule, bâton en main, les deux énergumènes quittèrent Narbonne d'un bon pas. La première journée de marche les mena à Béziers, ou Pépin insista pour qu'ils passent voir les parents d'Arnauld - c'était l'heure du dîner - et sitôt le ventre plein, ils reprirent leur route d'un pas certes un peu moins vigoureux - la mère d'Arnauld ayant le don pour remplir dignement un estomac auvergnat. Enfin, après deux jours de marche, les remparts de Montpellier se profilèrent à l'horizon alors que l'aube se levait tout juste. Le spectacle valait tout de même le coup dil : les immenses murs crénelés tout inondés du soleil matinal, les tours qui pointaient vers le ciel, la croix monumentale juchée sur la cathédrale... Fallait-il être insensible pour ne pas se laisser séduire par un tel décor.
Une demi-heure plus tard, les deux compagnons franchissaient la lourde porte de bois. Les rues pavées étaient envahies par les badauds. La relève de la garde s'effectuait avec autant de sérieux et de rigueur qu'il n'en était nécessaire. Un homme et une femme sortaient juste du coin d'une ruelle sombre, le jupon de la femme remonté jusqu'au-dessus du genou. Les odeurs leur parvinrent bientôt, de même que les bruits et l'agitation de la capitale de la région.
Pépin esquissa un sourire en s'arrêtant net alors qu'un charriot passait devant eux, charriant du petit bois. Montpellier dans toute sa splendeur matinale semblait promettre exactement ce que Pépin recherchait pour cet enterrement de vie de garçon.
- Et nous voilà arrivés, fit-il, adorant défoncer les portes ouvertes et souligner les évidences. Bienvenue dans la ville la plus débauchée de la région. Mais, ajouta-t-il en désignant du pouce ce qui était très probablement une prostituée et qui venait de tirer par le col un mineur dans un coin plus tranquille, on va quand même éviter certaines fréquentations. C'est un enterrement de vie de garçon, pas un enterrement tout court, qu'on vient fêter ici. Et je te garantis qu'on finira deux milles pieds sous terre si nos épouses apprennent qu'on a souri à une femme.
Pépin se mit à rire, trouvant cela assez drôle. Parce qu'il était aussi près de tromper Hélona que de découvrir l'Amérique, et que la jeune femme le savait fort bien. Et l'Auvergnat savait qu'il en allait de même pour Arnauld. Personne n'arriverait à les changer, ils étaient irrémédiablement fous de leur femme.
- On va p't'êt' commencer par boire un coup. Marcher, ça donne soif. Et tiens, r'garde. Je vois là-bas un nom prometteur. La Belle Chopine, ça te dit ?
C'était bien pour ça - en partie - qu'ils étaient venus, après tout. Boire, manger, et autres joyeusetés.
Titre inspiré de « Ce qui se passe à Vegas, reste à Vegas », du film Very Bad Trip.
* Pirates des Caraïbes, adapté pour l'occasion.
* Pirates des Caraïbes, adapté pour l'occasion.
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