- Je croyais que tu les aimais beaucoup plus jeunes...
Justement, la main qui se pose sur l'épaule du vandale est aussi ferme que la cuisse d'une pucelle, mais celle qui s'abat sur sa trogne beaucoup moins douce cependant. Le coup est brutal, sans équivoque.
Loras n'était pas intervenu immédiatement. Non. Assis à sa table, jouant de ses cartes, il avait repéré depuis son entrée la blonde et la ribambelle de problèmes qu'elle allait s'attirer, et qu'elle trainait derrière ses groles avec une certaine lassitude. Il n'avait pas vraiment quitté des yeux son adversaire, qu'il dépouillait allègrement , sans tricher d'ailleurs. Une femme lasse, voyez-vous, ça invite au divertissement. Plus que tout, ici, une femme tout court, ça invite tous les hommes après trois pintes et quelques défaites au divertissement.
La baffe avait fusée, les yeux de Loras s'étaient baissés sur ses cartes, lorsque tous les regards se tournaient vers l'altercation. Le début des réjouissances. Il était certain que la soirée d'une poignée de mâles était faite. Il avait laissé les gaillards se chauffer, puis sortir, pour sauver leur honneur du bout de leur queue. Il avait un As à abattre, lui. Et d'une main victorieuse, il rafla la mise, sans un sourire, sans un sursaut d'excitation. L'adversaire quitta la table, déçu et soupçonneux, pas assez malgré tout pour se mesurer à la trop peu rassurante tranquillité du vainqueur qui tendait à dénoter dans cette atmosphère chargée d'alcool et d'injures, de rires et de bruits de pièces.
Novgorod avait parcouru en balayant l'assistance du regard les quelques mètres qui le séparaient de l'entrée du bouge, posé sa patte calleuse sur l'épaule de la gargotière comme un au revoir tendre et silencieux et s'était fondu dans la chaleur de la nuit. L'argent avait glissé dans une poche dissimulée, dans les replis de sa cape. Cette fameuse cape qu'il avait gagné une autre nuit, une autre fois, dans un autre tripot. Un fade sourire s'étira à la commissure de ses lèvres, à l'évocation... Bien vite effacé par la vision inévitable de l'équation alcool, femme et égo masculin, illustrée là, à quelques mètres dans la pénombre.
L'épaule avait prit appui sur le plan du mur, les doigts jouant avec les piecettes dans leur écrin de tissus, comme un geste voulant désamorcer une nervosité latente. Les yeux noirs du Novgorod suivirent la course de la main qui agrippait les cheveux blonds, narine frémissante. Le geste éveillait en lui des restes de nuits à l'odeur de souffre et l'ire de sa jeunesse. Les portes défoncées, les chaumières en feu, et les femmes emportées. Cette vie de soldat qui venait le retrouver parfois, quand le sommeil se faisait attendre. Et tout au fond de lui, comme un grondement sourd, l'épaisseur ténue de sa patience cédait lentement. Cette joute inégale commençait à lui courir sur le haricot.
Loras n'était pas intervenu immédiatement. Non. Il avait attendu que la joueuse n'ait plus de carte à sortir. Car dans tout combat, même le plus inégal, ce qui importe à l'homme c'est l'honneur. Celui d'abord de ne pas se laisser trop vite secourir. Et pour la combattivité de celle qui aurait mieux fait de porter des couilles cette nuit là, et pour sa consciente riposte aux conséquences déclinées là... Il n'avait qu'une place à prendre. La sienne. Au bon moment. Pour ne pas froisser plus que ce que n'était déjà. Lui n'aurait pas apprécié qu'un connard viennent jouer les bon samaritains au moment le plus inopportun...
Tu sais très bien que c'est un monde d'hommes. Et tu t'y donnes. Pourtant, la prudence n'épargne personne, quand il s'agit de rester entier. En vie. L'envie de survivre, ce soir, est une constante que tu as mal évaluée.
Elle avait sans doutes ses raisons. Mais rien qui ne permette au renégat de la laisser se faire déshonorer, sous son nez. Comme si le spectacle pouvait lui être plaisant à regarder... Alors, le corps s'était séparé du muret. Consciencieusement, la dextre avait habillée la senestre de sa ceinture, préalablement retirée. Les phalanges avaient retenu les épaisseurs du cuir, protégeant les osselets frappeurs. Et je peux vous dire, oui, que lorsque la main qui s'était posée sur l'épaule du vandale s'est abattue sur lui, elle était aussi ferme que la cuisse d'une pucelle, mais beaucoup moins douce cependant.
Dans un élan de rage incommensurable et démesuré, à la force de ses poings et à la furie qui s'était emparée de lui, Loras écrasa littéralement le visage du malandrin pour le réduire en purée d'os et de cervelet, rougissant ses poings et son visage, dans une posture offensive et hargneuse qui l'aurait débarrassé d'une cohorte entière, si elle était passée par là.
On ne touche pas à une femme désarmée lorsque ce n'est pas sur un champ de bataille, juste pour s'y soulager la queue. __________________________