L_aconit
- [L'aconit : le seigneur roux. Il a un bracelet . Un bracelet en cuivre au poignet gauche.
Ansoald : Intéressant...
L'aconit : Je le veux.]
Il avait vu cet homme roux. Ce roux flamboyant qui toujours avait accroché ses yeux bleus. Partout. De tout temps. Femmes ou hommes, bien que jamais avec la même perspective... Ce rouge discorde. Comme un Automne quotidien. Tranchant avec le blond blanc de ses cheveux d'hiver. Il avait vu à sa mise qu'il était noble, à son poignet un bijou appât, mais à ses manières qu'il était renard. Et d'un renard à l'autre... L'Aconit était enfant d'opportunités. A force de côtoyer Ansoald, de s'y frotter, de s'y coucher et de s'y lever, le jeune spadassin avait finit par se voir pousser des crocs.
Nicolas avait dépensé toute sa rente du mois dans un tripot d'Alençon, à jouer contre bonne fortune la veine du jeune brun. Et celle du mois d'avant, dans l'acquisition d'une piaule bien placée dans la capitale. Le jeu était toujours le même. Jouer... Gagner ou perdre... L'honneur de regarder l'autre s'avilir un peu. Le temps d'une nuit. Le prince de Retz le rétribuait encore bien malgré le heurt de " la Lettre." Le jeune breton aimait cela, sans doute la seule constance que possédait Taliesyn ... Et qui lui permettait d'être un peu oisif lorsque le besoin se faisait sentir.
La nuit venait de tomber. Ansoald était sorti. Diable sait où. Aux filles, peut-être. Le breton l'avait laissé faire, sans le questionner. Garder quelqu'un exigeait parfois qu'on le laisse plus libre qu'on ne l'aimerait. Pour se rasséréner, sous son oreiller, une autre Lettre. Une que personne d'autre que lui ne saurait lire, cette fois. Et la main fine et blanche de froisser sous l'édredon le vélin griffonné.
"Nicolas,
Tu dors. Tes bras ceignent ton front serein, tes lèvres accrochent au temps une virgule épaisse, tes pieds indiquent ponant et levant sur la boussole de mes rêves en fuite. Je voudrais te mordre pour me faire une place, voire t'écorcher pour me glisser sous ta peau...Las! Je n'ai même pas la force de te gratter le torse, pour imprégner ton corps de l'encre de mes poèmes. Car j'ai des poèmes pour toi, le sais-tu? Aussi nombreux que les étoiles du ciel, je n'ai qu'à lever le bras pour les piquer à la pointe de mon calame, et à te baigner dans l'encre noire de mes nuits, et qu'à la fin des orteils aux oreilles je te fasse rimer tout entier sur mes douze battements de coeur....Tu ne comprends pas? Essaye donc d'écrire à la lumière d'une chandelle, dont la faible lumière est juste bonne à éclairer trois mots avant l'actuel. J'écris donc à la pointe du coeur, sans raison ni logique des phrases sinusoïdales, bercé par ton sommeil, illuminé d'éclairs, Z ton sommeil chien de fusil je monte la garde et verse un peu de sang sur le derme poli.
Tu dors si bien. Tu as encore travaillé pour deux hommes aujourd'hui, alors que je flânais comme un vaurien entre les rangs de vigne dégonflées de raisin. Tu ramènes au foyer l'or des propriétaires, en contrepartie de quoi ma lettre ne brille d'aucun éclat. Si seulement tu me laissais graver au couteau sur ton torse glabre les sillons de ma peine, tu comprendrais mon désarroi. Mais tu dors et moi je roule ce grain blanc autour de ton ombilic, ma tête vogue sur la houle animant ta poitrine. Et si tu savais les pensées obscènes qui entravent mon sommeil à cet instant, toi aussi tu serais debout, fier comme mon amant.
Mais tu dors. Reclus dans ton sommeil, tu as emporté la meilleure part de moi. Je ne suis plus qu'une ombre qui couvre ton corps quand mon âme protége ton repos. Tant pis, j'ai aussi la tienne, bien qu'elle soit scélérate de me laisser les yeux ouverts. Si l'un de nous tombe, l'autre s'effondre, vidé de sa substance. Pauvres choses que nous sommes. Dors, Hermaphrodite, Salmacis veille. Nous inverserons les rôles tant que les dieux ne nous accordent pas le privilège de n'être qu'Un.
Anso "
Oui. Ce bracelet il le voulait. Il le voulait comme un défi. Comme un "combien tu m'aime?", et comme un degré de plus dans son émancipation loin de l'emprise de son mentor, de ses armées, de sa garde meurtrière. Nicolas était coquet, à sa manière. D'une tresse bien plaquée à son crane, d'une manche soigneusement repliée sur ses avants bras. D'une paire de mains impeccablement lavées. Et pourtant, l'androgyne se sentait plus homme que jamais, dans l'exaucement d'un autre. Il avait poussé le vice jusqu'à glisser son dé dans la poche du brun, comme un appel à un nouveau jeu. Puisque tout y revenait toujours. Leurs colères. Leurs réconciliations.
Lance-donc ce dé, Anso. Je le veux...
[Ansoald :Tu l'auras.]
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- (En Bleu italique, les pensées Laconiques.) - Recueil