En place.
Je suis en place.
Prêt.
Prêt à recevoir.
L'habit de pirate commandé par Ursula fait des ravages, et quand on frappe légèrement à la porte, je descends mon cache-il sur le droit. Une vie de bohême, d'aventures. Dans ce lieu, comme dans les autres à la lumière rouge, les vies passent et les souffrances trépassent. L'envie, le désir, ce n'est que le reflet de la vie, de la quintessence. C'est un peu d'âme qui agit, et quand les peaux se dénudent, il y a davantage qui se découvre. J'aime les gens mis à nu. Sans habit, sans défense, nu et innocent comme au premier jour. La nuit fait cet effet là.
Là sur la couverture, j'inspire encore quelques bouffées de chanvre. J'écrase le tout, j'essuie la commissure de mes lèvres, je vérifie mon image dans le miroir. Je suis beau, charmeur, indécent, insolent et ... curieux. De quoi sera fait cette nuit, un peu trop calme pour l'heure ?
Là derrière la porte, mon prochain client, ma prochaine proie. Je vais le croquer, dévorer sa vie et sa peau. Le pénétrer, le posséder, pour lui insuffler la vie.
J'aime les regarder entrer, sans vie, morne et ennuyeux ; puis les voir sortir, le sourire béat aux coins des lèvres.
Je suis un magicien, un ensorceleur, un alchimiste.
Je transforme les jours gris en nuit lumineuse.
J'aime aussi impressionner. D'un coup sec, j'ouvre la porte. Berdol ! Isabella !
Je regarde de droite et de gauche, et d'une voix sourde je questionne :
Il est où mon Client ? - Elle va arriver d'une minute à l'autre. Ursula lui fait la conversation le temps que tu te prépares. - Elle ?- Oui ... Elle. Une femme, habillée comme un homme. Elle dit qu'elle veut un homme. Un brun. - Occupe là un peu, je dois me changer et ... ranger ... tout ça ... Je jette un il sur mes accessoires réservés à mes comparses masculins. Faudrait voir à ne pas l'effrayer, la brebis.
Néanmoins, je souris de la surprise. Une femme. Suffisamment audacieuse pour se présenter dans ce lieu de débauche. J'aime qu'on me déstabilise. J'aime l'inattendu, l'imprévu, et cette cliente me fascine par avance.
La tenue de pirate est retirée à la hâte. J'opte pour des habits plus élégants, plus clinquant. J'ai peu de temps et je choisis de garder le bas inchangé, tandis que j'enfile rapidement la chemise blanche en soie, et la couvre d'une épaisse veste de velours noir. Le col est remonté, le foulard noir noué au cou, alors que j'attache négligemment les liens de la chemise qui ne cache rien de mon torse avantageux.
Je passe soigneusement mes boutons de manchette, je passe une mèche au dessus de mon regard sombre. Les cheveux dans les yeux ça donne toujours un coté mystérieux.
Les femmes ont besoin de mystère. Elles se font des histoires. Elles nous inventent des histoires. Je lisse mes moustaches, je peigne de deux doigts ma barbe naissante et j'avale distraitement un fond de rhum.
Je me mords les lèvres pour les colorer davantage, je reviens à la porte où l'on tambourine, je l'ouvre sèchement. Ici chez moi. Mais l'espace d'un soir, ce sera chez elle, chez nous, là où elle voudra, un empire, un navire, un arbre, le ciel, ... Comme elle voudra.
Mon sourcil droit se soulève. Nous nous faisons face. Masculine la brebis. Voilà qui me fait sourire. Ses yeux sont pour le moins étrange, et la pigmentation de sa peau est exceptionnel. Voilà. Ma Muse est là.
Je tends la main et l'invite à en faire de même. Je lui fais un baise-main dans les règles de l'Art.
Je perçois sa peur, sa timidité. Je me demande ce qui a pu la pousser à avoir ce courage. Ce qui la fait rester là, devant moi, alors qu'elle ne semble plus aussi assurée de son choix.
Tonalité des plus graves :
C'est la première fois ?Je la vois déglutir difficilement, sa main dans la mienne est glacée. Je l'attire légèrement à l'intérieur de la chambre.
Entre. Moi c'est Luigi. Installe toi.
Je ferai que ça te plaise ... Sans la brusquer, je l'invite à s'asseoir et la regarde poser un bout de fesses sur le lit douillet.
Tu bois ? Je lui verse du rhum ambré dans une corne. Elle a l'air d'en avoir besoin.
Je l'observe et ne résiste pas à baisser sa capuche. Je l'aide à retirer sa cape et ses gants. Je découvre le petit bout de femme qui se cache sous le drôle d'accoutrement qui ne lui rend pas justice. Ce soir, de toute évidence, les Dieux sont avec moi.
Elle ne s'est pas même présentée, qu'elle me souffle :
Je fume aussi ... J'ai compris. Je vois à peu près à qui j'ai à faire. Je lui ressers de quoi boire, et les boulettes de chanvre sont allumées tour à tour. Alors que je retire le foulard et entrouvre les liens de ma chemise, je découvre sa peau au teint doré.
Nul effort à fournir cette nuit.
J'ai faim d'Elle.
L'Exceptionn'Elle
...