Cecile.
Il faisait froid. Et il pleuvait. Deux excellentes raisons pour une jeune fille de dix-huit ans environ, toute seule perdue au milieu de nulle part, avec pour seuls compagnons un chiot et un lézard en pleine hibernation, de vouloir trouver un abri. Abri qui se présentait sous la forme délicieuse d'une auberge. Auberge qui était si bien fréquentée que seuls les plus riches pouvaient se payer un croûton de pain moisi. Or, Cécile Prunier n'était pas riche, et au creux de sa main humide de pluie reposait toute sa fortune du jour, qui se montait très exactement à la somme de quatre écus et trente deniers. Autant dire qu'elle n'allait pas aller bien loin avec une fortune pareille.
La pluie tombait drue, maintenant, et détrempait la laine bouillie de sa cape vert de mousse. Bientôt, l'eau aurait traversé son capuchon et mouillerait ses longs cheveux blonds, retenus ce jour-là en une natte dont l'extrémité lui effleurait les bas des reins. Lorsqu'ils étaient libres et détachés, ça en faisait, des cheveux. Dans ses bras, sous le tissu de sa cape, son chiot la regardait d'un air miséreux, et Cécile se mordit la lèvre inférieure. Elle avait besoin d'un abri. Cette ville, visiblement huppée, n'offrait d'autres possibilités que cette auberge luxueuse. Ou bien l'espère de bouge immonde, plus bas, fréquenté par des gens tout aussi horribles qui n'avaient presque plus de dents et beaucoup trop de poux pour donner envie de s'y attarder plus d'un quart de milliers de secondes. Alors Cécile décida de mentir.
Cela ne lui arrivait pas vraiment souvent. Elle n'aimait pas tromper les gens, Cécile étant une honnête jeune fille, qui avait vécu en paix, dans le calme et la joie de vivre. Mentir, comme tromper, n'était pas inclus dans le manuel de la bonne demoiselle avec leur vingt meilleures idées pour être une fille géniale. Non. Et sa mère en serait toute retournée. Mais en attendant, c'était elle qui menaçait d'être toute retournée, parce que si elle restait là sous la pluie, il allait forcément lui arriver des ennuis, et les ennuis, Cécile n'aimaient pas les voir surgir quand elle pouvait les éviter. Déjà en venant jusqu'ici, elle avait eu droit à son lot de malchance. Inutile de tenter le Diable, il se laissait séduire par bien moins que ça.
Cécile poussa la porte en carrant les épaules, et jeta autour d'elle un regard profondément dédaigneux. Elle avait vu une noble faire ça, un jour, et en avait été très impressionnée. Depuis, elle avait rêvé de pouvoir le faire. Ça, et aussi monter dans une charrette en hurlant au conducteur « Suivez cette carriole ! » mais jusqu'ici, elle n'avait pas eu besoin de suivre la moindre carriole. Un rêve à la fois, comme on disait. Du bout de ses doigts rougis par le froid, Cécile ôta son capuchon trempé et s'approcha du comptoir en affichant la moue la plus hautaine du monde. Tout lui paraissait tout à fait misérable, du moins en apparence parce qu'en réalité, elle n'avait jamais rien vu de plus beau.
C'était une belle auberge au parquet de bois vernis, aux tables rondes en bois clair - mais pas du pin, elle en était sûre - avec des chaises qui semblaient confortables. Une grande cheminée dispensait sa chaleur bienfaitrice, et les flammes dansant dans l'âtre faisait danser des reflets d'or sur les marmites et les casseroles en cuivre suspendues au-dessus. Une tête de cerf ornait un mur, les tentures aux fenêtres étaient blancs et propres, et les chopes étaient au moins en étain. Il flottait dans l'air une délicieuse odeur de soupe et de sanglier rôti. Le bois du comptoir brillait également, et le tavernier se tenant derrière était vêtu de propre, sa barbe soigneusement entretenue. C'était réellement un endroit splendide.
Cécile s'approcha de l'aubergiste, promenant une dernière fois son regard autour d'elle, mais ne semblant pas remarquer les autres, bien trop médiocres pour la majesté qu'elle se devait d'être si elle ne voulait pas coucher dehors. Elle se racla délicatement la gorge et posa son petit chien par terre. La robe qu'elle portait - violine, en beau tissu - était propre, et suffisamment longue pour cacher la simplicité de ses bottines à lacets. Elle arborait un collier, le seul qu'elle possédait, une chaîne en or où était suspendu un médaillon, orné d'une gravure en forme de fontaine. Son teint était pâle, quelques taches de rousseur parsemant son nez, et ses lèvres étaient presque pivoine tant elle avait eu froid, à l'extérieur.
- Une chambre, exigea-t-elle en se passant de politesse, comme une bonne noble.
Le tavernier lui jeta un regard interrogatif. Cécile tapota le comptoir du bout de ses ongles. Tac tac tac tac.
- Êtes-vous sourd ? Je désire une chambre ! Instamment !
- Et vous êtes ?
Tac tac tac tac.
- C'est là que l'on se rend compte que l'on est dans un bourg de campagne, sembla-t-elle se moquer, jouant son rôle à la perfection. Je suis la Duchesse Amélia de Puissy-la-Modinière, mon brave. Et pour la dernière fois, j'exige une chambre.
Elle sembla réfléchir une seconde - une seconde terriblement brève, qui afficha sur son minois hautain une micro-seconde de doute, qu'elle chassa si vite que l'homme en face ne pouvait pas l'avoir remarqué.
- Mes gens dormiront aux écuries. Ma camériste est partie quérir quelques courses pour ma personne aussi je vous saurais grée de me prêter votre femme de chambre, j'exige un bain chaud. Et par Saint Georges, donnez-moi une chambre avant que l'envie ne me prenne de vous faire vous balancer au bout d'une corde !
Cécile reprit son souffle et attendit. Cela fonctionnerait-il ?
* Les Bronzés font du ski
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