Lucie


[Vers et avec le marié]
Les bras croisés sur sa poitrine, la folie de ses boucles sagement ramassée sur son épaule, Lucie observe le paysage citadin qui défile par la fenêtre du coche. Si en Béarn les dernières miettes de l’été ne se laissent pas facilement souffler, Paris brille déjà de toute la mélancolie gracieuse de l’automne, depuis ses nuées d’argent jusqu’aux feuilles de pourpre et d’or tapissant le sol dallé des plus grandes artères de la ville. Jolie saison que celle-ci où plus que jamais la nostalgie l’envahit. Invoquant ses opalescents souvenirs, la Fleurie sourit doucement. Un an plus tôt, par hasard, presque par erreur, elle arrivait à Pau ; un an plus tôt, par chance, presque par miracle, aveuglée par la fulgurance d’une tempête solaire, elle se laissait emporter dans une valse à mille temps...
Tout est changé maintenant et si sa joue creusée possède encore le rose poudré de l’innocence, on devine à son regard chlorophyllé que létal démon a pris possession de son coeur en dépit de ses efforts pour ne pas se noyer dans le funeste océan de ses plus sombres pensées.
Aujourd’hui toutefois, fugace éclat d’espoir, comme une luciole perdue, flotte autour d’elle. Dédain va épouser Madeleine. Comte d’hiver va se marier à nivéale Altesse et loin de s’en désespérer l’amie - la soeur même - qu’elle est, trouve du réconfort à voir Noldor continuer de tracer sa route vers les sages astres qui les dominent ; qu’elle se noie, tant pis. Lui, il volera.
Coupant brusquement court à ses pensées, la voiture aux armes de Barbazan s’arrête. Une seconde plus tard, après que son cocher ait veillé à couvrir le sol poussiéreux de la rue d’un tapis, Saint-Jean en sort et, fleur s’épanouissant dans la fraîcheur piquante de l’air, étire les bras sans remarquer qu’en face, nichée dans une bulle de silence, Sauvage veille. Ordre de s’assurer que le coche de Sa Grandeur, frappé aux armes du Béarn, est prêt est donné et calmement la vicomtesse se propulse vers la garçonnière de ce dernier, gravissant les étages jusqu’à se retrouver face aux deux plus fameux représentants de la garde comtale.
- - Le bonjour messieurs, souffle-t-elle, passant devant eux sans se soucier des ordres donnés pour, d’un petit poing serré, frappé trois coups à l’huis qu’elle ouvre sans plus attendre, troublant bien volontiers la solitude de l’Amphisbène de sa florale présence. Comme souvent si ce n’est toujours, elle voudrait franchir la distance qui les sépare et le prendre dans ses bras pour, d’une caresse, apaiser ses encéphales et ses muscles noués ; franchir la distance pour, d’un baiser à son front posé, lui insuffler ce qui lui manque de force ; franchir la distance, parce qu’enfin elle est de celles qui au néant des mots préfère la solidité des gestes. Elle n’en fera rien, évidemment. Elle aime bien trop ce frère choisi pour ainsi le heurter alors, mirettes menthe à l’eau accrochant le gouffre noir de son regard, elle ploie gracieusement. Mon Comte, chuchote-t-elle, toute la foi qu’elle a en lui claquant dans ces deux mots. Le carrosse doit être prêt, si vous l’êtes aussi, nous pouvons y aller.
Pas besoin de dire plus ni de l’interroger sur comment il se sent. Ils savent aussi bien l'un que l'autre que quoiqu’il souhaite, silence complice ou craintes énoncées, elle l’épaulera de son mieux.
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