Dedain
- Faut-il songer souvent à sarrêter dagir pour réfléchir à limpact des mouvements entrepris, relever leur importance, les ramifications de leurs possibilité multiples, ou cesser plutôt par volonté de se soucier de tout et vivre ces moments inévitables, traverser ces méandres fangeux et palpables, y plonger allégrement ?
Le Comte est un homme, désormais.
Dans tout ce quun homme peut être.
Ou presque.
Il sest laissé éduquer, durement, puis sest fait seul lespère-t-il parfois ; il a entrepris, il sest dévoué, il sest banalement occupé. Il a cherché la réponse relative aux mystères des Hommes et pense avoir une idée globale juste, quoique sévère et désastreuse. Il sest hissé : socialement, hiérarchiquement, parmi les siens et même jusquà ses ennemis. Il a grandi en tout et pour tout, tout en restant immuablement inchangé. Il a agi et s'est élevé aussi vite et bien que quiconque voudrait agir et sélever.
Et, en cela, il est homme.
Presque.
Car, sil vient il y a à peine quelques heures dépousailler en dimpressionnantes pompes une Fille de France, accentuant ainsi son statut dhomme fait, il ne manque plus quun détail.
Mais un détail de poids.
Par lequel les conventions aristotéliciennes et les manuvres mortelles vous obligent nécessairement à passer pour faire de vous un homme plein : la nuit de noce.
Présentement, alors que lobscurité tombe sur les toits poisseux dune automnale citée royale, laissant à lenfer lunaire le soin dattirer à lui par ses charmes les indécis libidineux et les puretés éphémères, lHivernal a pris une courte retraite en les appartements quon lui a cédé à même lHôtel de Chaalis, résidence honorable de Rosalinde Wolback-Carann, nouvelle belle-mère. Ouaich.
Il a veillé à quitter seul ses lourds habits de cérémonie, abandonnant la chaleur réconfortante des soies et fourrures dans lintimité des lieux, pour revêtir par-dessus sa longue chainse un manteau ténébreux fait pour les heures dombre, quil a noué sévèrement au cou et dont il a rabattu consciencieusement les pans sur lui. Ainsi paré, les filaments dor libérés de leur emprise éternelle venant danser et affiner les contours de son morne et froid minois, il sest agenouillé sur le dallage frissonnant, afin de quérir une dernière fois les bonnes grâces divines et laide sacro-sainte par quelques prières pieuses susurrées en un rythme effréné, comme traduisant par le flot incessant des suppliques létat dhébétude et dimpuissance qui lenserre si lourdement.
Puis, à linstant fatidique, le Deswaard crispé se redresse de toute sa longiligne hauteur pour continuer daffronter encore et encore jusquau dernier événement tragique de ce vingt-huitième jour de septembre de lan mil quatre cent soixante-quatre.
Adoncques, il retrouve à sa porte ses deux sentinelles infatigables qui se placent dans son sillage tandis quil prend route vers lantichambre de la suite nuptiale préparée pour lheureuse occasion qui le fera se départir pour toujours de sa juvénile innocence.
Dans son dos, les deux gardes les biens nommés Pif et Paf parlent plutôt que de se taire à jamais.
« Psssst ! Hé ! Dis Paf La pas lair très réjoui pour un heureux jeune marié, not Comte, ttrouves pô ?
- A quoi tvois ça ?
- Chai pas, lest tout pâle.
- Lest toujours tout pâle, aussi.
- Pas faux Lest plus raide, alors ?
- Lest toujours tout raide.
- Tu mdiras, çlui facilitera bien les choses, surtout csoir. »
Rire gras et étouffé des deux lourdauds alors que le Noldor passe la porte de lantichambre où se retrouveront les mariés du jour, les servants du Très-Haut qui viendront bénir la couche nuptiale, les témoins, la famille, les zamis, toussa.
« Et tla trouves comment, toi ?
- Merveilleuse.
- Ah ouais ?
- Grâce naturelle, croupe délicieuse, caractère totalitaire, prude comme je les aime *Paf bave un peu sur sa barbiche, rêveur*
- Oh ben ! Camarade, te vla sous le charme, pardi !
- Elle vaut bien dix dta Lulu la Goulue.
- Allons ! Jte permets pas, vil coquin.
- Et cnez ! Une merveille architecturale. Jsuis conquis.
- A ce point ?
- Taillé dans le fer, avec cette ptite touche de chai pas quoi
- Ttrouves ?
- rehaussé par cette pointe dautorité
- Tvois tout ça rien quen observant son nez ?
- Bien sûr ! Cest lélément central dce chef duvre.
- Son nez ?
- Oui.
- Je ltrouve tout à fait banal, moi. Tout au plus il a quelques taches drousseur. Faut aimer.
- Des taches de rousseur ?
- Bah oui Nan ?
- Bah nan.
- Mais de qui tparles, depuis tà lheure ?
- Et toi, Pif ?
- Bah de la Princesse, la nouvelle pouse du Comte.
- Aaaaaaah
- Et toi ?
- Euh
- Allez, balance.
- Augusta.
- Oh bordel La duègne de lAltesse ? Celle qu'a un gros poireau dégueu sur l'bout du bec ? Tvas m'faire vomir, Paf. »
Ce faisant, probablement blessé dans son amour propre que la toute nouvelle femme de ses rêves puisse être ainsi dépeinte, Paf tente dattraper au collet son frère darmes dans un ramdam cliquetant et assourdissant puisquils sont tous deux largement équipés de plate et darmures afin de lui faire ravaler ses mauvais mots.
Dans le même temps, le Lugubre Deswaard se retourne pour comprendre la raison de cette soudaine agitation, prêt à calmer les aigreurs de son inflexible voix morte, entrouvrant déjà ses fines lippes bleuies en une muette imprécation.
Mais tout le monde se fige et sarrête au même instant.
Car la neuve mariée vient à faire son entrée.
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