Alistaire. Que faisait-il? Qui avait eu l'idée saugrenue de le tirer jusque là De le faire venir dans ce bouge sordide où il n'avait strictement rien à faire?
C'était hors de question. Hors de question qu'il s'offre aussi grossièrement aux caresses d'une courtisane crasse. Ce n'était pas séant. Ce n'était pas lui. Il n'allait pas besogner une gueuse ou assouvir ses besoins primaires de manière aussi cavalière.
Il attendrait le bon moment. Celui qu'il aurait choisit. Aucun autre. Le bon plaisir de son imbécile de père qui voulait en faire "un homme" et obligeait ainsi son héritier à visiter ce genre de lieu de luxure ne serait pas assouvi.
Alors, devant une maquerelle déconfite, il s'offusque et termine de nouer sa lourde cape sur ses épaules étroites. Le regard hivernal la toise avec un dédain certain tandis qu'il ouvre la bouche.
"-C'est hors de question que je laisse une pécheresse me... Me toucher! Hors de question!" Dit-il cinglant. "Mon père peut bien faire ce qu'il veut, qu'il n'attende pas de moi ce genre de comportement indigne."C'est assené avec un calme qu'il a retrouvé. Il se recompose un visage neutre et austère qui n'enlève rien à son charme racé. Les traits sont fins et les lèvres étroites. La silhouette, longiligne, semble faite pour la course. Alistaire se tient droit, d'une manière qu'il sait volontairement rigide.
A lui d'effectuer un demi tour et de se diriger vers la porte qu'il ouvre à la volée. Un peu trop fermement car une silhouette menue s'échoue contre lui. Par réflexe, il l'entoure de ses bras afin qu'elle ne chute pas. Son regard de fer se plonge dans celui, troublant, de l'entrante.
"-C'est ce qui s'appelle une entrée remarquée." ne peut-il s'empêcher de dire un sourire dans la voix, comme si un charme étrange l'avait frappé. Il la relâche doucement et recule d'un pas. Automatiquement, sa trombine reprend l'aspect condescendant qui est le sien généralement. "Je quitte ce lieu de débauche, Damoiselle. Et si j'étais vous, j'en ferai de même car il est triste qu'une beauté comme la votre..." Il baisse la voix"... Soit entachée par votre.. Profession."
C'est indéniable, il l'a pris pour une prostitué et dans son il vient luire un éclat de déception devant tant de gâchis.
Alistaire. Si il s'attendait à une telle réaction, il aurait tout simplement fermé son bec. Mais non, il avait ouvert la bouche, avait malencontreusement insulté une jeune femme, qui malgré une tenue peu décente semblait de bonne condition, demoiselle qui en outre assistait à sa sortie d'un bordel et qui n'hésiterait pas à dire qu'elle l'avait vu là, dans l'antre de la luxure, l'odeur entêtante du stupre comme parfum, tel un conquérant quitter les lieux. Bientôt tout Paris saurait qu'Alistaire Auguste était un vil fornicateur et il en serait terminé de lui.
Alors, suite à la gifle, si ce n'est porter une main à sa joue brûlante, il n'a aucune réaction hormis afficher un air indubitablement choqué. Il recule encore de quelques pas.
Dans la pièce, le silence s'est fait. Les catins ont cessé leurs minauderies pour regarder le grand puceau et la fausse prostituée s'éborgner. Une se sert même un verre de vin, histoire d'être parfaitement à son aise pour admirer cette farce qui se joue là.
S'en suivent les excuses de l'impétrante, qui flottent dans l'air quelques secondes, entre eux, comme une bulle de savon qui ne veut pas éclater. Enfin, l'éphèbe retrouve la parole.
"-Je... J'accepte vos excuses." annonce-t-il, d'une voix encore peu convaincue. Il tente de se redonner une contenance et se redresse, presque fièrement. Le derme de ses joues ne le chauffe plus et il esquisse même un léger sourire qui ourle la commissure de ses lèvres. Précautionneusement, il fait un pas vers la jeune femme. "Je suis Alistaire Auguste de.. Alistaire." Il préfère taire son nom, c'est mieux pour lui et pour les autres. L'aura de son patriarche est déjà suffisamment pesante. "Et si vous n'êtes pas une catin, vous êtes certainement perdue... Permettez que je vous raccompagne."
Il s'approche un peu plus d'elle et d'un geste l'invite à sortir, ce qu'il fait lui s'en attendre en chuchotant en passant "Regagnons des lieux un peu plus adaptés à votre situation... Ou vos pénates.. Il n'est pas décent que vous circuliez dans les rues parisiennes ainsi habillée.. C'est dangereux... Vous vous êtes faite dépouillée?" Car dans sa naïveté, il imagine toutes les femmes de bonne condition policées à souhait. Un peu comme lui.
La jeunesse et sa candeur presque touchante.
Alistaire. Ils sortent. Il l'accompagne et resserre la zibeline de son col autour de son minois havre. La nuit a recouvert de son manteau épais les venelles de la capitale où les ombres côtoient les flammes des torches disséminées ca et là dans les rues. Il n'est pas un couard et ne craint pas les mauvaises rencontres. Quelques mètres derrière lui l'imposante Chien, guerrière barbare disgracieuse marche la trogne patibulaire méfiante et balaye de son regards tous les recoins. Et Alistaire serre sous sa cape le pommeau serti d'un rubis de sa dague.
"-Je vous laisse me montrer le chemin." dit-il doucement. De marcher encore à ses côtés. La bienséance aurait d'ailleurs voulu qu'il tende son bras afin qu'elle puisse s'y accrocher mais il ne parvient pas à cerner l'étrange fille et ne sait pas si son geste serait bien accueillit. Il la trouve mystérieuse et n'arrive pas vraiment à décider si elle lui plait ou pas. Il est comme ca, comme tous les hommes. Quand il rencontre une femme, il tente de savoir si elle lui plait ou non. Si ce n'est pas le cas, elle ne va pas vraiment l'intéresser et il va cesser là toute discussion. Mais la question franche l'amuse et un nouveau sourire éclate sur la trombine de l'héritier. "Je n'étais pas perdu.. Et je ne suis pas non plus un mondain." Il pousse un léger soupire et se renfrogne automatiquement."J'y étais par obligation... Mais je n'en ai touché aucune." conclut-il doucement.
De nouveau, ils poursuivent leur route en silence, mais la réponse mystique de son interlocutrice le turlupine, alors, il insiste.
"-Mais vous ne m'avez pas réellement répondu. Que faisait une femme de votre acabit dans un bordel sordide?" Il ralentit et pose son regard sur la jolie blonde.
Alistaire. Alors qu'ils poursuivent leurs pérégrinations dans les ruelles sordides de la capitale, tandis qu'elle continue ses investigations, lui ne peut dissimuler le nouveau sourire qui nait sur son faciès de bellâtre. La jeune femme est plus perspicace qu'il n'y parait et c'est tant mieux. Il place l'intelligence et l'esprit comme les qualités primordiales d'un être. Alors, à sa prime question, il répond, toujours de manière évasive.
"-Si, c'est possible, d'y être forcé... Quand on a un père comme le miens.." chuchote-t-il dans sa barbe. Il n'avait pas eu vraiment le choix. La missive, froide et impersonnelle de son père, et le regard menaçant de Chien qui lui était plus que dévouée avait suffit à lui faire prendre le chemin du bordel. Mais il n'avait aucunement l'intention de goûter aux mets servis là bas et l'avait fait savoir. Ultime pied de nez.
Enfin, tout à ses pensées, il ne réalise pas qu'il pénètre dans l'antre de la jeune femme et plus encore qu'il s'avance jusqu'à l'entrée de ses appartements. "Vadikra. Alistaire Auguste de la Maison Vadikra." La ferraille se plante dans le regard de sa compagne du jour. "Voilà mon nom." termine-t-il, une lueur de défi dans la voix.
Enfin, ils sont chez elle, coincés à la porte. Là, elle se débarrasse nonchalamment de ses bottes et il suit des yeux le mouvement de ses mollets. Il n'a pas l'habitude de ce genre de comportement en sa présence, trop habitué aux femmes guindées qui peuplent sa maisnie.
"-Je.. Pense que je vais vous laisser ici. Il ne serait pas.." Il cherche ses mots. "..Décent que je reste plus avant..." Il se redresse légèrement, ne faisant aucun geste pour partir. Il ne sait pas si il va la sauver ou se sauver.
Alistaire. Il ne peut décemment ignorer l'invitation à entrer, alors, comme un gentleman, il l'honore et franchit la porte de sa foulée gracieuse. A peine le grincement salvateur des gonds qui se ferment se fait entendre à son oreille que sa trombine policée se fend d'un léger sourire condescendant. Il n'a pas réagit aux mots concernant son patriarche. Pas tout de suite, mais alors qu'il se débarrasse de sa cape qu'il laisse pendre sur le dossier du fauteuil, il ouvre la bouche.
"-Il s'agit de mon père. Et il est doté de bien des surnoms, plus ou moins flatteurs. Je crois qu'il s'en fiche.. Et moi.." Il se fait soudain songeur. " Et moi, je fais avec." conclut-il avec un nouveau sourire. Puis, roidement, il s'installe. Droit comme une trique, il pose le regard sur la silhouette féminine qui se fait légèrement aguicheuse et joint les mains sur ses jambes croisées. Il a repris sa posture de seigneur, celle du noble de sang qui a ce qu'il veut, quand il veut. Ses lèvres s'étirent un peu plus à la dernière question de la Valyria.
"-Parler de moi? Il n'y a pas grand chose à dire." dit-il avec une certaine froideur dans la voix. "Si ce n'est que je ne prend pas les femmes en braies pour des catins.. En général. Quand elles n'entrent pas dans un bordel." Les derniers mots ont été prononcés avec un nouveau soupçon de défis dans le grain. "Et vous alors, dites m'en plus sur la femme qui accueille des inconnus, seule, chez elle, à des heures indécentes?" termine-t-il en plantant son regard dans le sien. C'est que cela pouvait s'avérer dangereux. Déjà dans son esprit naissait quelques idées.
Alistaire. A dire vrai, le fringuant jeune homme ne sait pas comment réagir au manège de la Valyria. Pour commencer, il découvre qu'elle décolore ses cheveux, dévoilant un fil blanc et soyeux bien plus seyant que le noirâtre qu'elle portait jusque là. Il ne savait pas que c'était une chose possible, ignare des femmes et de leurs coquetteries qu'il est. Alors, comme pour se donner une contenance, et mimer un normalisme qu'il ne connait pas, il se raidit encore un peu et affiche la moue impersonnelle et froide qu'il adopte partout où il passe. Ses airs de seigneur n'en sont que plus décuplés. L'acier qui fouraille au fond de ses yeux détaille le minois féminin et à sa dernière question, celle de l'absence, il répond laconiquement;
"-Non." Cassant et sec, il parcourt sa silhouette d'un regard intrigué. "Il serait malséant de me faire attendre. Si vous devez vous changer.." dit il en baissant la voix, laissant poindre un peu de mystère. "... J'exige que vous le fassiez devant moi."
Il s'avance sur son siège et décroise les jambes. Ses avants bras viennent épouser ses cuisses et ses mains l'arrondi de ses genoux. Sur sa trombine un air mutin se dessine et les yeux se plissent doucement. Il joue un jeu dangereux, celui de l'individu qui ne s'est jamais vu rien refuser et qui ne compte pas à ce que cela commence ce jour là.
"-C'est seulement ensuite que je déciderai si j'accepte votre invitation, ou non." conclut-il en se renfonçant dans le moelleux de son siège. Comme un monarque sur son trône, il adopte une stature qui ne souffre guère le refus.
Alistaire. La jeune femme jouait avec lui. Elle le prenait pour le puceau qu'il était. Elle le prenait pour un gentil garçon qui voulait jouer au dur. Un capricieux bambin qui voulait quelque chose et qui n'en démordrait pas. Et elle se ferait un plaisir de ne pas lui donner.
Elle n'avait pas tort. Il était fils de noble, noble de sang, et recevait depuis sa prime jeunesse ce qu'il voulait. Certes, il n'avait jamais eu la joie que d'avoir des parents, néanmoins, ce manque d'amour avait été remplacée par des budgets illimités et des vux exaucés. Alors pour faire concis, Alistaire de la Maison Vadikra n'était pas de ceux à qui l'on refusait ce qu'il demandait.
C'était jouer un jeu dangereux.
Elle s'éloigne, la démarche féline et le questionne sur ses ascendances. L'il aux reflets métalliques se durcit et la pupille se rétracte sous l'effet de la colère. Une colère soudaine et puissante qui emplit son esprit comme une vague bouleverse la grève. L'adolescent est frêle, il n'en reste pas moins la descendance d'un barbare ogresque. Taillé par l'exercice et ses nombreuses heures d'entrainement il a le muscle sec et claquant. D'une poussée il est debout, et en quelques pas furtifs sur la jeune fille. Sa main se saisit de son avant bras et il la force à lui faire face. Dextre restée libre emprisonne le visage poupin et le maintient au menton. Les regards s'ancrent, presque douloureusement.
"-Ne vous moquez pas... C'est indécent." dit il la voix basse, presque menaçante. ".. Et je n'ai jamais dis que je fuyais les femmes.. Non... Je les choisis, voilà tout." Ajoute-t-il avant de conclure, une moue légèrement moqueuse sur le faciès. "Estimez vous flattée d'en être."
Il la relâche comme si de rien n'était et se recompose une attitude plus lisse, noble. Son excès de colère a disparu aussi subitement qu'il est apparu. L'enfant sage est de retour.
"-Je suis effectivement l'héritier du Duc de Tancarville. Pourquoi cette question?" Demande-t-il un poil soupçonneux. C'est que la réputation de son paternel lui attirait beaucoup d'ennemis qu'il ne connaissait pas.