L'exactitude est la politesse des rois dira-t-on plus tard. Visiblement, ce n'était pas celle des duchesses.
Galaad rageait intérieurement. Mais que pouvait donc faire sa précieuse Ninouchka ?
C'était bien la peine de me demander de me tenir prêt à l'heure... Dire que j'aurais pu dormir une heure ou deux de plus... Parlez-m'en encore de la rigueur et de la discipline de l'armée. Où va-t-on si même les chefs ne donnent pas l'exemple...
Voilà le genre de pensées qui tournaient dans la tête du Blésois tandis qu'il faisait les cent pas entre son matelas, la chaise, et l'ouverture par laquelle il jetait chaque fois un regard vers l'extérieur, guettant l'arrivée d'une jolie duchesse qui ne daignait pas se montrer. Jusqu'au moment où, lassé d'attendre, il allait sortir pour aller voir de quoi il retournait.
Et donc, c'est alors qu'il était sur le point de sortir que sa chère et tendre choisit de faire son apparition. Galaad, ébloui par tant de beauté et d'élégance, en eut le souffle coupé et en oublia pour un temps ses funestes pensées. Il l'accueillit avec un grand sourire.
Bonjour, ma douce amie.
Je vais faire des envieux. Vous êtes ravissante, comme toujours.
Mais comme on ne se refait pas, Galaad ne pouvait rester longtemps sans faire quelques remarques taquines.
Enfin, vous pouvez l'être, vu le temps que cela vous a pris pour vous préparer.
Si vous n'aviez pris qu'une seule malle avec une seule robe, vous... nous, n'aurions pas perdu autant de temps.
Bien sûr, comme toujours, elle lui avait rétorqué qu'elle n'avait pas pris des "tonnes de malles" comme il se plaisait à le dire, mais qu'elle s'était contentée du strict nécessaire. Et bien sûr, comme toujours, il avait fait preuve d'une mauvaise foi sans pareille en répondant :
Et bien justement, vous auriez dû prévoir une ou deux malles avec de jolies robes, comme je vous le préconisais. On ne sait jamais ce qui peut arriver et si un événement ne viendra pas rompre la monotonie de la campagne militaire, événement qui nécessiterait une tenue moins spartiate. Cela vous aurait évité d'avoir à retourner à Janville ou je ne sais où pour récupérer une robe plus indiquée pour la circonstance.
Eh oui, il pouvait dire une chose et son contraire à quelques minutes d'intervalle pour titiller sa fiancée. Cela l'amusait de la voir s'offusquer d'une telle mauvaise foi évidente. Mais s'offusquait-elle vraiment ou faisait-elle semblant d'entrer dans son jeu ?
Il avait souvent promis de ne plus l'embêter sans jamais tenir parole. Mais cela se terminait toujours par un baiser, alors pourquoi s'en priverait-il ? Et, finalement, l'embêtait-il vraiment ?
Nous en reparlerons plus tard, nous sommes déjà suffisamment en retard comme cela.
se retenant d'ajouter "et ce n'est pas de ma faute pour une fois, je suis prêt depuis un bon moment".
C'est alors que son regard se posa par hasard sur la chaise. Ce qu'il vit lui fit baisser les yeux pour constater qu'il avait gardé aux pieds ses vieilles bottes, certes inusables et très confortables, parfaitement adaptées aux marches des troupes militaires mais beaucoup moins aux cérémonies de prestige. Il alla se saisir des bottes neuves qui étaient restées sous la chaise.
Oui, bon, ça va.
Genre "Ca ne vous arrive jamais, à vous ?". Evidemment que non, la belle était l'élégance personnifiée et elle ne risquait pas de sortir avec des chausses dénotant avec sa tenue.
Et une fois les bottes changées.
Allez, hop ! En route. On nous attend.
Et il montèrent tous deux dans la voiture qui devait les conduire à Montereau. Enfin, ça c'était si elle restait entière jusqu'à l'arrivée...
Car bien sûr, rien ne devait aller comme prévu. Et c'est alors qu'ils étaient au milieu de nulle part que le cocher crut bon de casser une roue de l'antiquité qui leur servait de carrosse.
Et un contretemps de plus, un !
Il avait fallu près d'une heure au cocher et à son comparse pour changer la roue en échangeant quelques mots fleuris de leur cru. Galaad n'en connaissait pas la plupart mais se doutait bien qu'ils étaient à éviter en présence des oreilles les plus chastes. Il fit donc le choix d'entraîner sa compagne assez loin pour que ne leur parviennent que quelques bribes incompréhensibles, plutôt que de sermonner les deux hommes. Cela n'aurait été qu'une perte de temps supplémentaire et qui sait si le cocher n'aurait pas lambiné en route ensuite, par basse vengeance.
Précaution bien inutile, puisqu'elle n'empêcha pas ledit cocher de reprendre la route dans une allure des moins soutenue, arguant d'une espèce de dicton idiot sans doute inventé pour l'occasion.
Malgré cela, ils parvinrent enfin à Montereau. Après une traversée du pont faite en toute sécurité (la traversée se faisant en carrosse, difficile de le jeter sous le pont d'une part, et le Blésois ne se nommant pas Jean et n'étant pas accompagné d'une adepte de la hache mais du fouet, selon la légende, d'autre part), ils arrivèrent devant le bosquet de houx, point de passage obligé avant de se rapprocher du château.
C'est là qu'il découvrirent une scène épique. Le pauvre Feodor, qui ne s'était pas départi de sa courtoisie coutumière, s'était offert pour...
Pour quoi, au fait ? Que pouvait-il donc faire, couvert de boue, un papier à la main, sortant de l'enclos où paissaient quelques poneys et se dirigeant vers une cour d'admiratrices plus ou moins hilares ?
Ah, ces femmes ! Aucune compassion pour leur sauveur...
C'est alors que Ninouchka lui assena sans ambages :
Ninouchka a écrit:Vous me devrez une certaine reconnaissance
Quelle chance que mes centaines de malles et mes milliers de robes nous aient mis en retard ! Sans cela, vous auriez dû accompagner Feodor chez les poneys
La réponse ne se fit guère attendre et, à peine descendus de voiture, Galaad lui rétorqua sincèrement :Oh, mais je n'y aurais pas été. Je vous aurais envoyée vous. Vous l'auriez charmé et le poney subjugué serait venu docilement vers vous et vous aurait laissé prendre le parchemin sans broncher. Nous nous en serions tous tirés sains, saufs et propres.Mais sans doute n'eut-elle pas le loisir d'entendre ces derniers mots. Une fillette s'était élancée vers elle et l'avait prise d'assaut. Mais à en juger par l'accueil qu'elle reçut, le soldat n'aurait pas à défendre sa chef de section au péril de sa vie. Les deux enfants semblaient bien se connaître et leurs retrouvailles étaient des plus chaleureuses. On sentait qu'il y avait entre elles une profonde affection.Ninouchka lui présenta enfin Lili, un nom qui ne lui était pas inconnu.Bonjour, jeune demoiselle. Je ne crois pas avoir déjà eu le plaisir de vous rencontrer.
Peut-être avez-vous tant grandi que je ne parviens plus à vous reconnaître, ou bien étiez-vous à Blois en hiver au temps de mon hibernation, ou bien encore lorsque je faisais ma petite balade de santé sous le climat salvateur du midi.
Enchanté de faire ou refaire votre connaissance. Depuis que j'entends parler de vous..._________________