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[RP] Huit ans

Isaure.beaumont
A première vue c’était un endroit paisible. Rien dans la beauté virginale du paysage hivernal ne pouvait laisser penser que ce lieu avait été le théâtre d’un drame quelques années plus tôt. La rumeur voulait que, bien qu’aucun corps n’ait été retrouvé, le fantôme d’une jeune Dame hante les lieux. Chacun y allait de son histoire et de son analyse : certains prétendaient que la jeune femme, éplorée après la disparition énigmatique de son enfant, s’était noyée dans l’étang, lestant ses chevilles de pierres dans l’espoir de l’y retrouver. D’autres affirmaient qu’elle s’était empoisonnée et que sa dépouille avait été emportée et dévorée par des bêtes féroces et affamées. Peu nombreux étaient ceux à penser que la jeune femme avait été ensevelie vivante par un amant jaloux, théorie irréelle quand on avait connu la dame en question. Enfin, rares étaient ceux qui avaient osé soumettre l’idée que peut-être l’époux était à l’origine de cette étrange et soudaine disparition. Le temps avait effacé le nom et le visage de la disparue. Elle était devenue le personnage sans nom, ni identité d’une histoire modifiée au fil des années par la mémoire ou les goûts des conteurs. Ce qu’elle avait réellement été avait été oublié, et ce qu’on disait d’elle s’éloignait bien souvent de la vérité.

Tel le fantôme qu’elle aurait dû être, Isaure s’avança dans la clairière, en direction de l’étang près duquel on avait mis en scène son suicide . Elle n’avait pas voulu venir ici. Elle s’était toujours refusé à revenir sur les lieux de son agonie. Huit ans plus tôt, à peu de chose près, l’homme de main de son époux l’avait conduite dans cette clairière, qu’elle affectionnait. Comment s’appelait-il déjà ? Le souvenir étais confus, brumeux. Elle n’avait pas de souvenir précis des évènements. Elle revoyait simplement ce visage aussi juvénile qu’impavide, penché sur elle. Hugo ? Oui c’était cela. Hugo. Les mains du maître.

C’était une étrange et soudaine urgence de vengeance qui, tant d’années plus tard, avait guidé ses pas jusqu’à Verneuil, jusqu’au petit manoir que le couple Von Frayner occupait autrefois. Elle avait trouvé les contrevents fermés. Le petit domaine, sans prétention, ne semblait plus entretenu. Les arbres, bien que dépourvus de leur feuillage, semblaient étirer leurs branches dans tous les sens, sans aucune retenue. La nature reprenait peu à peu ses droits, sans qu’aucun ne s’en préoccupe.

Traînant sa mule, Hortense, derrière elle plus qu’elle ne la guidait, elle prit le chemin de la ville. Il ne fallut pas longtemps à la jeune femme pour croiser un trio de femmes se rendant au lavoir, et qui la langue bien pendue, lui apprirent que le seigneur des lieux était décédé quelques mois plus tôt, à moins que ce soit quelques années à présent. Elles ne savaient pas dire de quoi il était mort, mais elles avaient su dévier sur la tragique disparition de sa jeune épouse bien des années plus tôt. Elle les avait gentiment interrompu, ne souhaitant pas en entendre d’avantage, et avait bifurqué en direction de cette même clairière où elle se tenait à présent, malgré elle.

Judas. Mort.

D’abord il y eut le soulagement. Après tout, qu’aurait-elle fait si elle s’était trouvée face à lui, seule et désarmée ? Avait-elle compté sur l’effet de surprise que sa réapparition aurait pu provoquer ? Avait-elle espéré qu’il ferait une apoplexie en croyant voir une revenante ? OU encore qu’il s’agenouillerait devant elle, enfouissant sa tête dans ses jupes élimées, en quête de son pardon, consumé pendant des années par le remord de son geste ?

Puis la déception s’invita brièvement. Elle avait bien souvent rêvé de ce jour où elle pourrait lui faire payer tout le mal qu’il lui avait fait. Il lui avait tout volé : sa vie, son nom, ses enfants, sa foi. Enfin ce fut la colère. : ce lâche était mort avant qu’elle ait pu elle-même le tuer. Qu’il ait tenté de l’assassiner, soit. Mais qu’il transforme son crime en suicide ?! Il l’aurait condamnée à la fosse commune, sans messe ! Sur une terre non consacrée !

Elle quitta bientôt les lieux, reprenant sa route. Elle avait cru qu’une fois Judas mort, elle serait libérée. Mais il n’en était rien : elle restait Aurore, sans issue possible pour Isaure. Comment pourrait-elle réapparaître subitement après tant d’années ? Comment pourrait-elle reprendre une existence normale ? Comment pourrait-elle seulement oublier ? Elle marcha plusieurs lieues, jusqu’à atteindre Le Mans où elle s’installa, le temps de passer l’hiver et de décider ce qu’elle ferait ensuite. Peut-être retournerait-elle simplement d’où elle venait…

Les jours passèrent. L’étrange sentiment qui l’avait oppressée ces derniers jours s’était estompé. Elle écumait les marchés autour du Mans, vendant à qui voulait bien lui en acheter quelques fagots de branchages qu’elle était allée ramasser les jours précédents. Hortense, la mule, était de nouveau chargée, prête pour le départ. La journée à la Flèche s’était révélée bonne. Elle avait gagné six écus, une truite et une miche. Tirant Hortense derrière elle, comme bien souvent, elle se frayait un passage dans la foule qui venait à contre-sens quand elle crut le reconnaître. Elle s’immobilisa, le regard fixé sur la silhouette, perdue dans le flot de la masse.



- Hyacinthe ?!


Elle l’avait murmuré. Du moins pensait-elle l’avoir murmuré car au même instant leurs regards se croisèrent. Alors, il n’y eût plus de doute possible.
Hyacinthe.
La Flêche, hiver 1465.

Il troquait ses sous contre des épis de maïs avec tous les sourires du monde, alors forcément, il a souri à la femme qui a croisé son regard – peut-être qu'elle a aussi des épis de maïs à vendre. Et puis il s'est penché sur un étal de légumes mais quelque chose l'empêche de se concentrer sur la santé des potirons ; la femme qui frôle son champ de vision est restée figée. Sans en deviner la raison exacte, il se dit qu'elle attend peut-être qu'il se retourne encore afin de vérifier qu'il a effectivement, des yeux chelous. Ou alors elle mate le vendeur de potirons derrière lui. Bonne âme, il tourne de nouveau la trogne vers elle. Non attends, il y a un truc.

On s'connaît c'est ça ? Hein on s'connaît. Mais le dire sur quel ton ? Il consulte le type qui bosse au rayon archives de son cerveau. C'est pas le genre de femme que t'aurais présenté à tes parents. Ni une pote de beuverie, non. D'ailleurs c'était pas très drôle cette affaire, tu te souviens ? Non ? Regarde bien, parce que c'est vrai que huit longes, bon, ça fait des rayures sur les visages et tout, mais quand même, regarde bien. Huit années tu dis ? Ou neuf. Sept. Je sais plus. Regarde j'te dis ! Hyacinthe regarde, et alors que le déclic se fait il se paie une petite suspension dans le temps. On rembobine loin jusqu'à Verneuil.

Elle, c'est un truc rouge sur un truc blanc.




Verneuil, hiver 1457.

T'étais à moitié cuité sur une route près d'Verneuil, où tu trimballais ta vingtaine avec ta besace, tes couilles gelées et une coupe au bol beaucoup trop soignée. C'était juste après l'aube, et tu avais inventé une raison bidon pour aller quelque part – oui tu faisais déjà ça. Et là, pendant que tu admirais la majesté de ce grand paysage tout blanc, t'as vu une tache à une soixantaine de toises. Et là t'as dit :
« Y a un truc rouge sur un truc blanc. »

Après Hyacinthe s'est rapproché de l'étang gelé en se demandant tous les deux pas si c'était réellement une bonne idée. Et plus il avançait, moins l'idée semblait bonne. Arrivé à quinze toises, sa progression a subitement ralenti. Là, une fille allongée dans son linceul de sang. Un regard aux alentours, personne en vue. Ça lui rappelle des histoires moches qu'il a entendu. Des filles qu'on retrouve comme ça au petit matin, après avoir servi de jouet à des gars qui traiteraient mieux leur chienne.

Rebrousser chemin devient une option très envisageable. L'esprit chevaleresque, c'est dans les parchemins. Mais la culpabilité, ça sera dans ton cerveau, parce que si ça se trouve, elle n'est pas morte. Oui, si ça se trouve... dans le doute, faut toujours aller voir, non ? Les derniers pas furent les plus empressés. Agenouillé près du corps, avalant sans les analyser des détails qui le tracasseront bien plus tard, la robe de richouille, l'étang, il a tenté le diagnostic :
« Hé... Hé ! HÉ ! »
Isaure.beaumont
[Verneuil, Hiver 1457]

Boum.
Boum-boum.
Boum.


C’était juste après l’aube mais pas encore l’aurore. Le corps était étendu sur une fine couche de neige qui continuerait de tomber toute la journée durant, recouvrant les traces de chacun. La tête renversée en arrière, les yeux clos et les lèvres bleues, elle semblait figée par le gel. Pourtant, à bien y regarder, on pouvait déceler le mouvement délicat d’une respiration lente et fragile. En s’approchant encore, on découvrait une peau translucide, laissant apparaître un étrange réseau bleuâtre de veines et si on laissait ses doigts s’aventurer sur la pâleur de la peau, il était naturel de se demander si c’était la mort ou la neige qui l’avait ainsi glacée.

Boum.
Boum-boum.
Boum.

Les bras reposaient dans la neige, les veines des poignets entaillées perpendiculairement. Non loin du corps inerte, gisait le coupable, la lame souillée du sang de sa victime. Le flot carmin avait fui le corps isaurien, ruisselant le long de ses doigts délicats, tâchant la neige immaculée. Si le débit avait été impressionnant dans les minutes suivant l’entaille, il s’était à présent amenuisé. Les gouttes perlaient à présent plus lentement, suivant paresseusement mais inexorablement les sillons tracés par leurs aînées.

Boum.
Boum-boum.
Boum.

Isaure voguait entre deux états. Le froid et la drogue avaient engourdi ses sens : elle ne sentait ni le froid, ni la faim. Il lui semblait flotter et les sons étaient lointains.


- Hé... Hé ! HÉ !

Boum-boum Boum-boum Boum-boum.

Les paupières frémirent avant de se soulever. L’œil hagard se posa sur le visage penché au-dessus d’elle. Elle aurait voulu demander si elle était morte, si elle était enfin libérée de son carcan de chair, mais les forces lui manquèrent.

- Raaah…

Elle ferma de nouveau les yeux avant de les rouvrir sur le visage de l’inconnu. Son regard s’attarda sur les prunelles du jeune homme. Elle était trop assommée pour évaluer son âge ou même sa dangerosité. Au point où elle en était, elle n’avait plus rien à perdre. La mort était même préférable. Les yeux bleus, hagards, passèrent d’un œil à l’autre, sans savoir sur lequel se fixer. C’était un regard saisissant et perturbant. Tout en abaissant de nouveau les paupières, elle se demanda s’il y avait un ou deux visages penchés au-dessus du sien, puis à bout de force, elle émit un bref grognement et replongea dans sa confortable anesthésie.

Boum.
Boum-boum.
Boum.

_________________
Hyacinthe.
Verneuil, hiver 1457.

Tentative d'entrée en contact n°1. Un flash bleu. Elle a ouvert les yeux, C'est vivant. Bon, c'est encore, vivant. Ça a l'air total à l'ouest cependant. La fille retombe aussi sec dans son roupillon, ce qui n'arrange pas le jeune Hyace. Déjà, il fait froid. T'es pleine de sang. Et on sait pas trop ce qu'il se passe. Donc, Blanche-Neige, si tu voulais bien cracher le morceau... La gorgé nouée par l'angoisse, le jeune homme lâche une suite de « Heuuuu... » enroués et tremblotants. Il pose un index sur son épaule, jusqu'à sentir l'os. Aucune réaction.

« Heu... merde... merde, heu... putain. QUELQU'UN ?»
Personne. Bah ouais. Quand la vie te donne des citrons, tout ça, bah tu te démerdes avec.

Tentative d'entée en contact n°2. Les genoux dans la neige, Hyace a agrippé les épaules de la fille qu'il secoue comme un saupoudroir, duquel il n'arrache qu'un vague grognement. Huit jurons plus tard, il tente de la maintenir dans une position qui pourrait ressembler à « assis », si on fait fi du bras qui pendouille sur le côté, et de la nuque qui a décidé de l'imiter.

« Hé ! Hé ! Écoute, je sais pas c'qui s'passe là et comment tu t'es foutue là-d'dans, je sais que tu as envie de dormir, dormir c'est bien et tout mais là j'ai besoin que tu ouvres les yeux. S'teu plaît ouvre les yeux, faut que tu r'viennes. Ouvre les yeux. Hé, ouvre les yeux ! »



La Flêche, hiver 1465.

On va peut-être arrêter de se reluquer dans le blanc des yeux. C'est toujours délicat d'aborder une personne dont on ne connaît quasi rien, sauf des instants d'intimité un peu tragiques que le hasard a amené sur la route. Difficile de se la jouer décontracté. D'ailleurs, quand Hyacinthe remonte le petit flot de foule jusqu'à elle, il sait pas vraiment ce qu'il va balancer. Sans doute un truc un peu con, mais ça le tracasse pas plus que ça.

Parvenu à une toise d'Aurore – oui son prénom vient juste de se ramener à la surface, il zieute brièvement ses poignets. Tout est normal. Et là, le premier mot d'un dialogue fou-dingue :


« Hé. »
Isaure.beaumont
[La Flêche, hiver 1465]

Si Isaure avait été de ces personnes grossières, elle aurait lâché un magnifique juron tel que « putain de bordel de merde ». Mais au lieu de ça, elle resta interdite, écarquillant les yeux à mesure que la distance entre Hyacinthe et elle s’amenuisait. Il l’avait reconnue, c’était certain. Elle avait vu son regard bicolore se poser sur ses poignets. Elle aurait pu tourner les talons et fuir, c’est d’ailleurs ce que son corps suggérait car déjà ses pieds s’étaient orientés vers une issue possible, mais ses yeux, eux, restaient rivés sur le visage aussi familier qu’inconnu. L’éternel combat entre sa tête et son corps : toujours en désaccord.

- Hé.

Elle le dévisagea un instant, étonnée de son entrée en matière. S’attendant à ce qu’il poursuive, elle acheva de l’examiner. Il n’avait pas beaucoup changé, sinon la chevelure plus longue et les traits peut-être un peu plus creusés qu’il y a huit ans.

- Hé ?


C’était tout ce qui lui était venu. Elle détourna un instant le regard, et porta la main droite à son front qu’elle massa nerveusement du bout de ses doigts. Cette rencontre la déconcertait : elle n’avait pas prévu de le recroiser un jour et encore moins si près du lieu de leur première rencontre.

- Je…


Que devait-elle lui dire ? Merci ? Elle l’avait déjà fait, à moins que ça n’ait été le contraire ?

- Vous avez de beaux épis. Oui, de très beaux épis. Et vos cheveux ont poussé. C’est…. bouclé.

Elle hocha la tête, comme pour valider son constat. Mais son regard restait bloqué sur les yeux de l’angevin. Ces mêmes yeux auxquels elle s’était ancrée pour ne pas sombrer, huit ans plus tôt.



[Verneuil, Hiver 1457]


- Hé, ouvre les yeux !

Et les yeux s’ouvrirent. Brutalement. Comme arrachée à la mort, Isaure accrocha son regard aux yeux qui la considérait anxieusement. Deux yeux bigarrés, sa bouée de sauvetage. La chaleur, qu’irradiait le corps masculin, s’était distillée dans les veines isauriennes, la ramenant à un état de conscience suffisant pour qu’elle entrevoit la dure réalité du moment. Et en même temps qu’elle revint à la vie, affaiblie, son anesthésie l’abandonna totalement. Le froid, la peur, la faim. Tout la submergea instantanément.

- Ju… jud…

La jeune femme s’agita, consumant le peu d’énergie qui lui restait. Elle se mit à sangloter, sans pouvoir se contrôler. Puis à trembler, de peur et de froid. Elle s’était interrompue juste avant de commettre l’irréparable. Si elle avait prononcé le nom de son époux, le malheureux aurait peut-être fait prévenir ce dernier, la condamnant irrémédiablement. Elle trouva alors la force nécessaire pour poursuivre :

- Je… j’ai froid. Ai..aidez-moi à quitter… cet endroit.

La main agrippa subitement le poignet du jeune homme. La pression était faible et le regard implorant.

- Je vous en prie.

_________________
Hyacinthe.
Vert nœil, hiver 1457.

- Ju… jud…

Pendu à ses lèvres, le jeune Hyace tente de décrypter le discours.
Jujud. Hum, jujud... Ju... dicieux ? Jujube ? Un pote à toi ?
Ju... mieux fait de rester chez moi hier soir ?
Justice ! Judstice ? Putain...
Épépine ton propos...

La syllabe a l'air d'être préambule à un truc sérieux puisque l'inconnue se met à pleurer. Étrange avec ce froid que les larmes lui gèlent pas directement sur les joues. « C'est pas l'moment », pense Hyacinthe, mais comme ça sonne un peu rude, il la ferme. Et puis elle articule une phrase qu'il entend. Froid. Partir. Ça lui parle ça. C'est fou parce qu'il avait la même idée en tête, comme quoi, ça peut cafouiller au démarrage mais on se retrouve sur l'essentiel : faudrait se barrer d'ici.

Il zieute la menotte accrochée à la sienne et avise le poignet tranché. Petit regard sur le jumeau, parce qu'on aime la symétrie : tranché également. Hyacinthe refoule une montée nauséeuse, pas à la vue des plaies ni du sang – de toute façon il y en a déjà partout, et plus on remonte vers la source, plus il est noir et plein de machins dedans – non, à l'idée que l'inconnue ait fait ça.

Enfin, il savait bien que des gens décidaient parfois de rompre leur contrat avec la vie, mais se retrouver en face-à-face direct avec la réalité de l'acte, c'est tout autre chose. Alors il a fermé les yeux un instant, pour que la nausée passe et que la vision des trous dans sa peau ne vienne pas taquiner son bon sens déjà amoindri.


« D'accord... d'accord. »

Pense dans l'ordre, pense dans l'ordre. Partir... non. Trous dans la peau. Bander, et se barrer. C'est ça. Une chose à la fois. Il regarde de nouveau l'inconnue.

« Pas d'angoisse. Ça va aller. »
Mais c'est à moi que je parle.

« Désolé pour ta robe... »
Mais on va devoir en déchirer des bouts.



La Flêche, hiver 1465.

Oui, elle lui parle de ses tifs, ceux auxquels il ne pense d'ailleurs plus depuis, sans doute, des mois, se refaire une tête de bol étant à l'ouest de ses récentes priorités – notamment, celle de rester en vie. Oui oui. Elle en parle joliment d'ailleurs, comme si c'était un champ de blé noir. Mais voilà Hyacinthe rassuré ; donc, toi non plus, tu ne sais absolument pas quoi dire. Il y a des modalités de rencontre qui sont plus ou moins évidentes. Sensible au brouhaha environnant, Hyacinthe se dit que ça serait peut-être pas bête de changer de décor.

Il lance un regard doux à la mule. T'aurais pas pu être là il y a huit ans de ça toi ? Tss.


« On va s'entendre un mot sur deux. V'nez Aurore, j'vous paie une chope. »
Isaure.beaumont
[La Flèche. Hiver 1465]

Elle aurait pu répliquer qu’elle était pressée, qu’elle devait reprendre la route. Mais déjà il avait tourné le dos. Alors docile et aussi séduite à l’idée d’aller se mettre au chaud, elle lui emboîta le pas. Hortense ne se fit pas non plus prier, sans doute charmée par le doux regard que lui avait lancé Hyacinthe. Son allure était soutenue, aussi dût-elle allonger le pas pour ne pas le perdre dans la foule.

La mule fut attachée. Isaure suivit Hyacinthe à l’intérieur d’un bâtiment, à l’écart de la rue passante. Un feu brûlait dans l’âtre, réchauffant l’air, et lui arrachant un soupir d’aise. Après des heures à arpenter le marché dans le froid pour vendre ou troquer ses fagots, elle appréciait de pouvoir se reposer.


- Hum. Je… C’était il y a une éternité. Racontez-moi. Oui, racontez-moi ce que vous êtes donc devenu ?


Les mains posées sur la table poisseuse d’alcool et de graisse, elle fixa son regard sur lui, à la fois curieuse et anxieuse, avant de reporter son attention sur le feu qui brûlait.





[Verneuil. Hiver 1457]

Les flammes dansaient dans l’âtre, léchant les bûches encore vierge de cendre. Le regard perdu dans le brasier, Isaure ne pensait pas. Son esprit était vide, son âme meurtrie. Assise contre un mur, à même le sol, elle se tenait immobile enroulée dans un plaid miteux, les mains posées sur ses genoux. Seul le reflet des flammes dans ses yeux semblait vivant.

- Pourquoi ?

La voix, bien qu’encore très faible, était plus rauque qu’à l’accoutumée et avait rompu d’un coup le silence. Elle n’avait pas parlé depuis qu’il l’avait sortie de la clairière, quelques heures plus tôt. Elle leva alors des yeux vides de larmes et de vie.


- Pourquoi ne m’avez-vous pas laissée mourir !


La voix vibra de reproche et de désespoir. Son regard effleura alors ses poignets, ceints par le tissu prélevé sur sa robe. Elle serra les lèvres. La mort aurait été mieux venue… Qu’allait-elle faire à présent ?
_________________
Hyacinthe.
Verneuil, hiver 1457.

Alors ensuite tu te tapes le cul à ramener la donzelle, bras-dessous, bras-dessus, tapant la causette l'air de rien, à la ramener dans une ville histoire de lui trouver un pieu, qu'elle se réchauffe, à marchander pour la chambre tout en bravant des regards qui te font comprendre que t'as une allure d'infâme violeur saigneur de jeunes filles, à, à dégoter la chambre !, à te battre pour allumer, un putain de feu, dans UN FROID HUMIDE DE MERDE, ET LÀ... là :

- Pourquoi ?


- Pourquoi ne m’avez-vous pas laissée mourir !

Face à l'âtre, Hyacinthe, expérimentant pour la première fois le goût de l'ingratitude-qui-sort-de-nulle-part, Hyacinthe donc, cligne des yeux plusieurs fois. Alors qu'il se retourne vers l'inconnue, les flammes se reflètent pendant quelques secondes dans son œil gauche, lui donnant l'air d'un beau diable. Mais juste pendant quelques secondes hélas. Après il a retrouvé sa tête de plouc au bol.

« Oh... excuse-moi. Excuse-moi oui, non non tu as raison, tu mérites mes excuses. Je suis... désolé d'avoir pris la route ce matin. Désolé que mes pas m'aient mené jusqu'à ton étang gelé et désolé de t'avoir aperçue. »
Sa voix d'un naturel enroué se met à déraper plus qu'à l'habitude, trahissant l'énervement contenu. « Et de m'être approché bien sûr. Et de t'avoir dérangée pendant que tu dormais en mode reine glaciaire. Et excuse-moi encore de t'avoir écoutée quand tu m'as demandé de ramener tes fesses au chaud. Pardon ! »

« Et tu vois, je me suis déjà excusé pour ta robe, mais vraiment... non, j'aurais dû te laisser pas vrai ? La vie c'est... hein ? La vie c'est tout plein de sales... sales trucs. J'aurais dû te laisser faire. Mais tu sais quoi ? Je vais te donner un conseil, un conseil tout bête. »
Un sourire qui ressemble davantage à un tic nerveux, Hyacinthe se retourne et, balançant le reste du bois dans l'âtre : « La prochaine fois, pour dissuader le connard qui aura la méchante idée de venir t'aider, j'sais pas, plante un écriteau. » Une main agacée vient accompagner les derniers mots en l'air ; peut-être qu'elle mime l'écriteau.

« Maintenant tu m'excuseras, je vais chercher à manger. »
Et claque une porte outrée.



La Flêche, hiver 1465.

Hyacinthe sursaute. C'est qui ces connards qui claquent les portes de la taverne ? Aurore elle, a le regard qui dégouline dans la cheminée. Ou serait-ce l'inverse ?

« Aurore je... »

Tu quoi ?

« Je... je vais bien. »

Rien de tout cela n'est bizarre, rien de tout cela n'est bizarre, rien de tout cel

« En fait j'ai... »

Tout ça est bizarre.

« Excuse. Tout ça est bizarre. »

Il toussote.

« Excuse. Je vais bien. Toujours sur les routes. Enfin pas en ce moment, mais je vais repartir bientôt. Pas trop d'changement heu... »
Tiens, une gorgée de bière. « J'évite les étangs. » Sourire net pour vanne déplacée assumée.

Voilà voilà.


« Et toi tu... ? »

Donne-moi une syllabe s'il te plaît.
Isaure.beaumont
[La flèche. 1465]

Elle ne vit pas sursauter, mais quand il commença à parler, elle se reconcentra sur lui.

- Aurore je...


Elle l’encouragea d’un sourire.

- Je... je vais bien.

Elle était contente de le savoir.


- En fait j'ai...

Il était bizarre.

- Excuse. Tout ça est bizarre.

Oui, ça l’était. Elle pouvait le lui concéder. Ils étaient assis l’un en face de l’autre, sans savoir réellement quoi se dire. Y avait-il seulement quelque chose à se dire ? Elle lui adressa cependant un sourire contrit.

- Excuse. Je vais bien. Toujours sur les routes. Enfin pas en ce moment, mais je vais repartir bientôt. Pas trop d'changement heu...

Il porta la chope de bière à ses lèvres et en but une longue gorgée. Elle se rappela alors qu’une seconde trônait devant elle et qu’elle ne l’avait pas encore touchée. Tous ceux qui avaient connu Isaure autrefois vous auraient dit qu’elle ne buvait jamais. Elle pensait en effet que la boisson alcoolisée paralysait la raison et amenait à commettre des impairs ou pire, conduisait au péché. Mais elle devait lui reconnaître une vertu, expérimentée à quelques occasions au cours de ces dernières années : elle aidait à lâcher prise. Elle imita alors son vis-à-vis, aspirant une longue gorgée. Le goût amer de la bière lui resta dans la bouche. Elle n’était pas particulièrement friande de ce breuvage, mais elle s’en satisferait.

- J'évite les étangs.


Elle manqua d’avaler de travers la seconde gorgée. Elle le fixa un instant, se mordant légèrement la lèvre, avant de sourire, un peu coupable.


- Et toi tu...

- Je suis désolée…

Elle l'était réellement. Parce qu'elle n'était plus vraiment sûre de lui avoir exprimé sa gratitude. Elle l'était aussi parce qu'il s'était retrouvé mêlée à cette sombre affaire, sans avoir rien demandé.

Je.. Hyacinthe ? Vous y croyez n’est-ce pas ? Vous êtes persuadé que j’ai tenté de mettre fin à mes jours ?


Elle secoua légèrement la tête, esquissant un sourire désabusé. Bien sûr qu’il y croyait.

- Bien sûr que vous y croyez… Il aurait réussi le salaud ! Oui, il aurait réussi si vous… tu ne m’avais pas trouvée.

Elle s’était empourprée : la chaleur, l’alcool, le sujet de conversation.

- Je vais bien, Hyacinthe.

Elle releva la chope et en quatre gorgées rapides, la vida. Oui, elle allait très bien. Aussi bien qu’on pouvait aller quand on n’était plus que l’ombre de celle qu’on aurait dû être. Elle n’ajouta pas qu’il aurait peut-être mieux valu pour eux qu’il la laisse crever, leur épargnant ces étranges retrouvailles. Elle ne voulait pas l’accabler. C’eût été aussi hypocrite car elle n’avait pas voulu mourir ce soir-là. Elle ne le voulait toujours pas aujourd’hui, quand bien même elle se sentait désespérément seule. Elle avait connu quelques moments de joie durant ces dernières années, qui avaient même réussi à lui faire oublier, le temps de quelques mois, ses fantômes.



[Verneuil. Hiver 1457]

Elle entendait sans l’écouter. Elle le regardait sans le voir. Et puis, il partit. La porte avait claqué, elle avait sursauté. Alors, seule dans le silence, seule avec elle-même, elle s’était allongée. Elle était encore très faible. Il lui faudrait plusieurs jours pour se remettre de tout ce sang perdu. C’était un miracle qu’elle fût encore en vie. Ou bien une vraie malédiction. Elle ne savait pas où ils se trouvaient, ni même si Judas se mettrait à sa rechercher quand il découvrirait l’absence de corps. Se rendrait-il seulement sur place ? Elle était sûre. Il viendrait constater son décès de ses propres yeux, il voudrait se délecter du spectacle. Il voudrait voir son rêve devenu réalité, par les mains d’un autre. Elle esquissa un vague sourire en pensant à la tête qu’il ferait en ne la trouvant pas. Même dans la mort, elle l’agacerait. Puis elle s’endormit.

_________________
Hyacinthe.
La Flêche, hiver 1465.

Hyacinthe n'avait pas connu Isaure et ne fit pas le lien entre les gorgées de bière et l'arrivée des semi-confidences enrobées de non-dits. Oui il croyait qu'elle avait voulu se payer un ticket pour la Lune, même s'il avait d'abord pensé qu'elle avait été victime d'une mauvaise fin de soirée. Mais la première impression avait vite été chassée. Certaines nuits, ça l'asticotait de revoir toute cette mise en scène pour un suicide, mais le lendemain, il oubliait. Et tous les autres détails qui démangeaient la logique étaient virés de la même manière. Certains ne passaient même pas la porte de sa conscience. Qu'il y croit ou pas n'avait en fait pas d'importance, et il le savait, alors il la ferma pour écouter Aurore.

- Bien sûr que vous y croyez… Il aurait réussi le salaud ! Oui, il aurait réussi si vous… tu ne m’avais pas trouvée.


Bien sûr, bien sûr. Attends ils ? Qui ils ? Les paupières de Hyacinthe papillonnent. C'est ça ? Elle était bien tombée sur des gars louches ? Non, elle a dit iloré, pas ilzoré, ils étaient un. C'est un il. Et si ça s'trouve elle le connaît. Ou elle est en colère. L'un n'empêchant pas l'autre...

- Je vais bien, Hyacinthe.

Les gens qui disent ça et ressentent ensuite le besoin de finir leur verre, ne vont pas bien. Et il faut les accompagner dans leur malheur, alors par politesse, Hyacinthe vide sa chope également.

« Mais heu... »

Raclement de gorge inutile.

« Quand tu dis... »

Oh tiens, un tavernier !

« Hep ! Deux autres s'te plaît ! »

On va en avoir besoin.

« Quand tu dis iloré c'est... tu le connais ? »
Isaure.beaumont
[La flèche. 1465]



- Quand tu dis « iloré » c'est... tu le connais ?


Isaure caressait nerveusement du bout de ses doigts les veines du bois crasseux, s’attardant sur chaque nœud. Quand elle releva les yeux sur Hyacinthe, elle esquissa un sourire qui se mua en une étrange grimace. Sur le point de lui répondre, elle fut interrompue par l’irruption dans son champ de vision d’un plateau branlant, sur lequel trônaient deux chopes débordantes. Elles furent déposées sans délicatesse sur la table, éclaboussant la table et ses occupants de mousse.

S’emparant d’une des chopes, elle avala une goulée supplémentaire avant de reprendre leur échange, une fine moustache de mousse au-dessus de la lèvre. L’alcool aidant, mais pas suffisamment pour qu’elle prenne le risque de le dire à voix haute, elle se pencha vers Hyacinthe, et dans un murmure à peine audible, recouvert par le brouhaha de la salle qui continuait de se remplir.


- Mon époux…

Elle fixa son vis-à-vis, observant à travers les brumes de l’alcool sa réaction.



[Sur les routes du royaume, en direction du « plus-loin-possible-de-Judas », soit vers le Sud Ouest. 1457]


Après quelques semaines de convalescence, recluse dans une chambre sombre, avec pour seule visite celle que Hyacinthe lui rendait plusieurs fois par jour, ils avaient pris la route. Elle lui avait demandé de l’emmener loin de Verneuil, sans préciser quels étaient les démons qu’elle fuyait. De l’air. Loin de Judas. Voilà ce qu’il lui faudrait pour revivre.
Elle suivait le jeune homme, sans se préoccuper de la direction qu’ils prenaient. Et à mesure qu’ils s’éloignaient de Verneuil et de ses ombres, elle reprenait un peu plus corps avec la réalité et la vie. Elle restait silencieuse, sauf pour se plaindre. Elle rabattait alors les oreilles du pauvres Hyacinte de l’éternelle complainte du « quand est-ce qu’on arrive, c’est encore loin ?! ».

Ils marchaient de longues heures, presque sans s’arrêter. La jeune femme plus habituée à aller à cheval peinait à suivre et ses pieds délicats et mal chaussés commençaient à souffrir. Chaque soir, à peine avait-elle mangé qu’elle s’endormait pour se réveiller toujours plus courbaturée que la veille.

Ce jour-là, ils marchaient depuis quelques heures en silence et sans plainte. Isaure semblait absorbée par ses pensées. Complètement ailleurs, elle ne vit pas Hyacinthe s’arrêter et le percuta brutalement, écrasant au passage le pied du malheureux. La bienséance aurait voulu qu’elle s’excuse…


- Croyez-vous en le Très-Haut Hyacinthe ?

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Hyacinthe.
La Flêche, hiver 1465.

Ton époux…
Ton, népoux…
Tonép.
Oh.

Alors que les pièces du puzzle se coagulent entre elles, Hyacinthe fixe fixement Aurore. Notant sa moustache à la bière, il tapote de l’index sa propre lèvre supérieure, signal de connivence pour indiquer toute forme de mousse résiduelle. Et ça c’est comme pour les crottes de nez séchées au bord de la narine, ça n’est pas gentil de voir sans rien prévenir.

Iloré tonépou.
Dans sa tête, ça sonne comme une langue exotique, le nom d’chef d’une tribu sauvage venant du tout-au-Sud, qu’aurait abattu sa machette en os sur les poignets d’Aurore, en guise de sacrifice à quelque sorte de dieu ancien et cruel. En fait elle est juste en train de te dire que son keum de l’époque a essayé de la tuer. C’est tout bête.

Sur un ton très sentencieux :

« Il… sait que tu es en vie ? »



Vers le Sud-Ouest donc, 1457.

Le bestiau était déjà d’un caractère solitaire. Mais il s’était arrêté à Verneuil, et il l’avait prise sous son aile - un peu branque l’aile. De là était né un pacte silencieux, sans doute unilatéral, et peut-être uniquement dans sa tête, mais il devait s’occuper d’elle. Jusqu’à quel point il l’ignorait, et de plus en plus souvent, lorsque Aurore demandait où se trouvait la fin de la route, il se demandait lui quand les leurs se sépareraient. Mais les routes, elles n’ont pas vraiment de fin, on les abandonne pour se pauser mais elles, demeurent.

Celle-ci menait droit vers la mer.
La mer, c’est bien, ça met du sel dans les poumons et dans les idées.
C’est parce qu’il avait cru sentir un truc iodé que Hyacinthe avait pilé net. Désolé. Pas prévenu. Aïe. Et puis, la voix qui à cet instant, avait de la crécelle minaudante et lui rayait les nerfs à petits coups.


- Croyez-vous en le Très-Haut Hyacinthe ?

Le front plissé, le jeune Hyace lâche un sincère :

« Pas aujourd’hui. »
Isaure.beaumont
[Sur les routes, en direction du sud-ouest, 1457]

Elle accueillit sa réponse avec un bref haussement des sourcils avant de poursuivre.

- Pourquoi doit-on payer pour les péchés des autres, vous pouvez me le dire ?


Elle n’attendait pas vraiment de réponse puisqu’elle avait déjà la sienne : le Très-Haut n’était qu’un enfoiré, une espèce de mufle tout-puissant qui jouait avec elle, telle une marionnette. A quoi bon tant de piété et de vertu si l’on devait souffrir mille tourments pour ceux des autres ? Etait-elle responsable de la conduite de ses parents ? Ou bien encore coupable des agissements de Judas ?

Lasse, elle profita de cette halte inopinée pour se laisser glisser le long d’un arbre et défaire ses chausses. Ainsi libérés, les orteils entamèrent une danse désordonnée, vouée à les soulager. Isaure inspira longuement et ferma les yeux. Elle ne voulait plus bouger, elle ne pouvait plus bouger.


[La flèche, 1465]

Machinalement, elle essuya d’un pouce rapide la moustache de mousse qui ornait sa bouche. Elle observait le visage derrière lequel le cerveau en pleine ébullition commençait à reconstituer le tableau.

- Il… sait que tu es en vie ?
- Il est mort.

Elle lâcha l’information calmement puis porta la chope à ses lèvres et en descendit la moitié. Elle aurait pu préciser qu’il ignorait qu’elle était en vie, car il était mort avant qu’elle ait réapparu. Elle aurait pu spécifier qu’elle n’était pour rien dans sa mort. Elle n’en fit cependant rien, peut-être à cause de l’alcool anesthésiant sa raison, à moins que le simple fait d’avoir envisagé la possibilité de le tuer elle-même n’ait fait d’elle dans une certaine mesure une coupable ?

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Hyacinthe.
La Flêche, hiver 1465.

Et là il s'attend presque à ce qu'elle ajoute : « Et toi aussi, tu es mort. »
HAHA la bière était empoisonnée !
SCHTACK coup de dague dans l'bide !
ZOU un sbire qui l'étrangle par derrière !
A bas les témoins !

Mais rien n'se passe, c'est juste de l'info limpide, le gars est mort.


« Bah alors. T'as gagné. »

Instant de remise en question.

« Par contre quoi, j'sais pas. »



Vers le Sud-Ouest, 1457.

Parfois les gens posent des questions existentielles dans le vent. Apparemment, Aurore avait envie de faire ça aujourd'hui. Hyacinthe lui n'avait pas particulièrement envie de se creuser le carafon sur le pourquoi de l'humain, mais il craignait qu'elle refuse de se relever tant qu'une réponse n'aurait pas été donnée.

Puisque apparemment c'était l'heure de la pause-philo.
Enfin ils n'en avaient pas parlé mais ça avait l'air d'être ça.

Passablement agacé, il mate les orteils qui gigotent et la vision de ces petons maltraités le frappe. Cette fille ne sait pas prendre soin de ses arpions. Elle est pas du même monde. Il bloque Hyacinthe. S'agenouille devant les gambettes et attrape, entre l'index et le pouce, un orteil pour soulever le pied entier. AH ! Elle a quasiment pas d'corne !

Il laisse tomber le pied et un soupir.

« J'sais pas. »

Et, dans un acte de bonté passagère, il lui époussette la voûte plantaire de sa manche et fait jouer ses pouces dessus. C'est cadeau.

« Mais si tu prends pas soin d'toi tu vas guère durer long. »
Isaure.beaumont

[Vers le Sud-Ouest, 1457]


Avachie contre l’arbre, Isaure appréciait ce repos bien mérité, laissant ses muscles se délasser peu à peu. Elle n’avait pas prévu ce qui allait suivre, elle n’avait pas anticipé les gestes de Hyacinthe. Son pied fut soulevé une première fois, et avant qu’elle ait eu le temps de réagir, les pouces agiles du jeune homme s’activèrent sur la plante de son pied endolori.

- Ah...mais ! euh… Mais que fait….!! .... Aaaaaah… Oohh…. Oui ! Oooh. Comme ça… Hmmm.

Les muscles qui se raidirent au premier contact se relâchèrent presque aussitôt. Elle en oublia quelques secondes la situation gênante et apprécia l’instant de détente, les yeux fermés. Les pressions exercées soulageaient à merveille ses douleurs.

- Mais si tu prends pas soin d'toi tu vas guère durer long.

C’est la voix de Hyacinte qui la ramena à la réalité, lui rappelant soudainement l’indécence de la situation. Son visage s’empourpra en un éclair. Elle retira alors vivement son pied des mains habiles, bousculant par la même occasion le vagabond de l’autre pied, tandis qu’elle reprenait une certaine contenance en se redressant.

- Ca suffit ! C’est…. c’est… C’est mal !

Elle lança un petit regard courroucé au jeune homme avant d’entreprendre de se masser elle-même le second pied. Elle devait bien avouer que c’était moins efficace et bien moins agréable, mais cela la soulageait toujours plus que la seule agitation de ses orteils et ne compromettait pas son intégrité. Après tout, elle était vivante, donc elle était toujours une femme mariée.

- Je suis tout à fait capable de m’occuper de moi.





[La Flêche, hiver 1465]



- Bah alors. T'as gagné.

Gagné ? Elle était bien loin d’avoir gagné. Judas était mort mais elle n’avait pas eu la chance de pouvoir le confronter. Il était mort, mais elle, elle ne l’était pas et elle errait sur cette Terre, sans savoir qui elle était, qui elle voulait être et ce qu’elle devait faire.

- Par contre quoi, j'sais pas.

- Non. Il a gagné. Il m’a volé ma dernière chance d'apaiser mon cœur et mon âme. Je ne sais pas s’il a choisi l’heure de sa mort, mais ce qui est sûr, c’est qu’il ne m’a pas attendue.


Elle le regarda un instant en silence.

- Assez parlé de moi. Et v…toi Hyacinthe, dis-moi ce que tu as fait toutes ces années.

Il pouvait s'en passer des choses en huit ans. Elle en savait quelque chose. Ses pensées s'égarèrent un instant, voguant au cours de ces deux mille neuf cent vingt jours: la rencontre avec Odren, les longues heures passées auprès d'Hassan le nez dans les livres, la vie à Cadix, Odren encore, les travaux paysans et surtout Constance...


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