Afficher le menu
Information and comments (0)

Info:
Dans un petit port de Provence, une galère accoste, toute chargée de trésors de l'Orient. Parmi les caisses contenant épices et étoffes, c'est la vie des esclavages que l'on s'apprête à vendre. Une femme venue de loin compte bien tirer profit de ce cortège fraîchement débarqué…

[RP Ouvert ] Le Sel des Fers

Anaon

       

       Un ourlet d'embruns vient border le rivage. Rideau de bruine qui fait un voile de mariée à l'horizon pâlie. En ce matin de février, le mercure reste caché sous la masse froide et immobile de l'air hiémal. La bise tantôt s'essouffle, tantôt cisaille, dans cette aube naissante que le cri des mouettes vient à peine perturber. Un décor gelé, que seul le roulis des vagues anime de sa langoureuse cadence. Sur la palette pastel du ciel en éveil, la figure sombre de la galère dresse ses mâts pailletés de gouttelettes comme les pinacles d'une église constellés de givre. Les mains épaisses des débardeurs éventrent le navire de ces précieuses marchandises, camouflées dans de lourdes caisses qui ne laissent rien transparaître des trésors exotiques qui sommeillent en leur sein.
       Un ballet discret et parfaitement rythmé que les yeux bleus comme le sombre des mers ne quittent pas une seule seconde.
       Elle se tient immobile, spectatrice de l'agitation tranquille qui tire le port de sa torpeur. Seule femme de ce décor à l'attrait singulier, aucune coiffe ne vient ceindre sa tête d'une noble convenance. Les longues mèche brunes battent sa tempe au fil de la bise, fugitives d'une demi-queue où se perd quelques filins blancs, témoins muets d'un âge passant sur ce visage qui ne saurait trahir aucune année. La mâchoire termine l'ovale doux d'un minois que l'on imagine volontiers tendre naguère, mais que la sévérité des traits d'hui vient nimber d'un troublant paradoxe. La vie a posé l'estampille de son expérience et sa rudesse, vorace et implacable, creusant une ride du lion régnant en maître entre les sourcils qui rehaussent les iris d'un azur sombre, impénétrable de pensées et pourtant si cinglant d'attention. Un col de zibeline vient étreindre son cou, surmontant une longue cape noire dont la forme si près du corps laisse envisager que ce n'est pas de jupons qu'elle a drapé ses hanches. Cependant, parmi ce tableau de particularités qui fait sa personne, rien ne serait, sans doute, être aussi prégnant que les balafres blanches qui taillent ses joues d'un sourire postiche.
       Ses narines se gonflent comme celle d'un limier en traque. Elle cherche parmi l'iode qui emplit l'air de sa senteur de sel, la fragrance rance et organique de la sueur. Car dans cette arche aux merveilles voguant depuis l'Orient, se tient des marchandises païennes que s'arrachent encore les mains des nantis méditerranéens. Des Maures, des Ottomans, dépréciés de l'Église, criminels à ses yeux d'avoir seulement choisi un dieu unique qui n'est pas le sien.
       La galère a accosté dans ce petit port, à l'écart de l'agitation et des taxes des grandes villes. Elle, elle est venue de loin pour acquérir ses êtres à la peau de bronze que d'autres ont su adorer avant elle. Elle n'a voulu attendre ni les foires trop bruyantes, ni la concurrence d'une clientèle trop zélée. C'est avant même que le petit jour ait pu étendre toute sa clarté qu'elle s'est rendue ici, dans l'espoir de cueillir au pied levé un marchand trop peu réveillé pour avoir l'ardeur de négocier.
    Un mouvement différent anime soudainement les hommes sur le pont. Des mots plus secs ébrouent l'atmosphère suspendue du port et l'on aperçoit bientôt, dépassant de la balustrade, des figures échevelées de crins noirs, le regard hagard et la mine épuisée. La tête de la femme pivote sans que regard ne se tourne vers un homme d'une quarantaine d'année flanqué à ces côtés en tenue de garde, à un pas derrière elle, comme pour s'assurer que lui aussi voyait bien que les informations délivrées n'étaient point trompeuses. Le visage buriné de l'homme s'incline d'un infime acquiescement et l'attention de la femme revient toute entière sur les esclaves qui empruntent lentement la coupée du navire.
       L'œil de Prusse décèle bien vite sur l'appontement l'individu devant un scriptorium portatif qui semble tenir le décompte du défilé ininterrompu des marchandises. Une botte de cuir noire outrepasse alors un pan de la longue cape et la silhouette féminine se met en branle, le pas immédiatement emboîté par le quadragénaire. Ombre de sa Dame, il se tient en retrait tant qu'il ne lui est pas demandé d'endosser le rôle qu'il lui faudrait peut-être revêtir. Le duo se rapproche puis s'immobilise près du propret accaparé par son registre. Après quelques secondes, la voix de la femme interpelle, profonde et monocorde.

       _ C'est toi qui possède ces hommes ?



Musique : "The Fields Of Ard Skellig" dans "The Witcher 3 : Wild Hunt" composée par Marcin Przybylowicz & Mikolai Stroinski


[ Ce RP est entièrement ouvert. Si vous vous sentez l'envie d'interpréter le marchand, un autre client, un esclave, une mouette, n'hésitez pas. Nul besoin de me MP par avance, intervenez dans la cohérence, et surtout, dans le plaisir de jouer !
A cette époque, l'esclavage se pratiquait encore sur les non-chrétiens, notamment dans le pourtour méditerranéen. L'inverse était aussi vrai de l'autre côté de la mer. Il va de soi que si nous exposons dans ce RP les mentalités et les stéréotypes de l'époque, il n'est en rien le reflet de la façon de penser de ses joueurs. Il en ira de même si des propos sexistes ou autres notions sont exposés dans ce contexte. Ne confondons point joueurs et personnages.
Au plaisir de vous lire ! ]


__________________
Calouste
    Il se dégageait de cet horizon bleuté une sérénité qui ne laissait décemment nul homme insensible, à commencer par Calouste, qui, malgré l’approche de sa galère du rivage, se plaisait à admirer comme une ultime fois, sorte de dernière volonté avant un trépas tant redouté, la magnificence de la mer qui s’étendait à perte de vue, faisant presque inexorablement naître en lui un sentiment de mélancolie, de tristesse, celle d’abandonner – fut-ce pour quelques heures ou jours seulement – ces vastes territoires marins dont il pouvait se targuer d’en avoir parcouru une grande partie, lui qui, à trente années passées, n’avait eu de cesse de voguer sur les mers. Par-delà les colonnes d’Hercule, il avait moult fois rallié Constantinople la désormais ottomane, après avoir fait escale dans bon nombre de cités du nord de l’Afrique, d’Espagne ou d’Italie ; lorsqu’il ne voyageait point entre les ultimes comptoirs génois et la Palestine ou le Sultanat d’Egypte. L’ivresse de l’aventure, cette euphorie qui le poussait jusqu’à l’imprudence, l’habitait continuellement, nonobstant toutes ces années qui commençaient à lui peser, cela bien qu’il était encore dans la fleur de l’âge, disait-on. Et, à chaque retour au port, l’homme ne pouvait s’empêcher de s’adonner à ce rituel, cette tradition, de contempler là d’où il venait, le visage fouetté par ce vent glacial auquel il n’avait point été habitué petit, mouillé par quelques gouttelettes d’eau qui, poussées par le roulis des vagues contre la coque du navire, parvenaient jusqu’à lui, laissant l’hébreu comme imperturbable face à ce désagrément dont il était désormais coutumier, à force d’y être confronté presque à chaque voyage.

    Derrière lui, l’ensemble de l’équipage s’activait à préparer l’amarrage de la galère, quasiment arrivée à bon port. Quelques-uns des marins grimpaient en haut des mâts pour carguer les voiles tandis que d’autres se dépêchaient à sortir les avirons qui, au rythme des claquements du fouet d’un quartier-maître, débutaient ensuite cette sublime mélodie presque silencieuse, venant plonger leur extrémité dans les eaux froides de Provence avant d’en rejaillir et d’y replonger inlassablement, offrant à quiconque regardant le bâtiment approcher un bal mémorable. Entre temps, le second du navire effectuait les ultimes manœuvres nécessaires pour s’approcher du quai et, plusieurs minutes après, s’y amarrer à l’aide de quelques commis qui, promptement, accomplissaient leur tâche avec minutie. Tout était méticuleusement fait pour que le navire ne soit point endommagé lors de cette dernière manœuvre, et aussi pour que tous les trésors qu’il contenait ne subissent aucun dégât, eux qui n’avaient point souffert d’un long voyage depuis l’île de Rhodes, en mer Egée, encore vaillamment tenue par une poignée de chevaliers croisés, lieu de commerce, mais surtout de trafics de biens précieux et d’humains. Si ces pratiques contrevenaient incontestablement au dogme aristotélicien, elles n’en restaient pas moins vitales pour la ville qui, sans elles, étaient vouées à la misère, et finalement, à la chute aux mains des ottomans qui ne cessaient de la convoiter tout en lui permettant de prospérer. C’était l’un des lieux favoris de Calouste, qui, au fur et à mesure de ses expéditions commerciales, y avaient établi un véritable comptoir l’approvisionnant en denrées dont il avait besoin afin de les revendre ensuite en Occident.

    A peine le navire avait-il était amarré que déjà, l’équipage s’empressait de le décharger de tout son contenu afin de reprendre le plus tôt possible la mer, en quête de nouveaux voyages commerciaux. Ainsi, un incessant défilé de marins portant bon nombre de caisses se produisait sur le quai, posant en son bord les marchandises transportées jusqu’ici. Dans ces grandes boîtes en bois, des richesses prisées par les occidentaux fortunés s’entassaient : draps, soieries, tapisseries, vêtements exotiques, mais aussi des livres anciens, des épices, et autres denrées diverses et variées. Mais, de toutes les richesses que Calouste regardait minutieusement défiler, scriptorium à la main et plume de l’autre, vérifiant que tout était bien déchargé, celle qu’il préférait – et dont il tirait également le meilleur profit – était incontestablement l’esclave. Acquis pour une poignée d’écus dans les ports nord-africains ou de Grèce, ces êtres humains – quoi qu’ils n’étaient point vraiment considérés comme tels, à commencer par l’hébreu – étaient bien souvent échangés contre des marchandises de plus grande valeur, mais également revendue à quelques bourgeois d’Occident en quête de cette main d’œuvre servile, réduite à ce triste état lors de campagnes militaires d’autres peuples. Sans aucun scrupule, il se livrait à ce trafic, alors même que bon nombre des esclaves qu’il vendait partageaient quelques traits communs, au moins physiques, avec lui, à commencer par cette couleur basanée, orientale, sur leur peau. Mais, dans leur malheur, ils croyaient en un Dieu rejeté par les aristotéliciens, romains comme protestants, et formaient dès lors une marchandise fort utile en ces temps-là, bien que théoriquement prohibée par Rome, qui, à l’instar de l’usure, n’appliquait en réalité cette interdiction qu’aux aristotéliciens entre eux.

    En dépit de leur apparence tout à fait humaine, Calouste n’y voyait quant à lui que les montagnes d’écus qui allaient remplir les cales de sa galère, désormais vidées de tout autre contenu. C’étaient là les prémices de ce qui allait, un jour peut-être, devenir le commerce triangulaire entre l’Europe, l’Afrique et l’Amérique, bien qu’en cette époque, il se limitait encore aux deux premiers. Quoi qu’il en soit, ce commerce était déjà fort lucratif car la demande n’avait de cesse de croître, comme en attestait la venue d’une femme qui vint interpeller l’hébreu. Relevant la tête de son parchemin, tout de même visiblement agacé puisqu’il détestait être interrompu lors de cette laborieuse vérification de la marchandise, l’enturbanné dévisagea quelques instants l’interlocutrice avant de cesser ce qu’il faisait jusqu’ici.
    « – Dieu seul possède ces êtres, car, comme tout animal, il les a en sa possession. Mais, dans sa grande miséricorde, il m’en a confié la garde et l’usufruit jusqu’à leur trépas. » Un fin sourire, celui-là même typique du commerçant décelant une bonne affaire, vint orner le visage de l’hébreu alors qu’une trentaine de maures, de noirs et d’ottomans s’alignaient désormais sur le bord du quai, enchaînés et sous surveillance de quelques marins. Calouste se contenant quant à lui de tous les désigner par un bref geste de la main, invitant par la même occasion la femme à s’en approcher si elle souhaitait les observer d’un peu plus près. « – Et, bien évidemment, la capacité de les vendre à qui les désire. »

_________________
Anaon
       

       Un trait de sagacité vient fleurir l'image de l'homme dans l'esprit de la femme. Un air bien réveillé quoique contrarié, soutenant une répartie au verbe bien monté. Le regard cobalt se plisse discrètement, un coin de lèvre se relève dans une moue infime. Surprise. Agréablement. La réplique, pleine d'une galéjade habile, trouve un écho appréciateur.

       _Dieu t'a fait là don d'une mission bien précieuse…

       Et semble t'avoir dépourvu du moindre scrupule… La prunelle parcoure en une brève analyse l'allure du marchand. Cet accoutrement venu d'ailleurs, la peau émaillée de bronze lui aussi. Mais l'intelligence d'avoir su se placer du bon côté de la chaîne.
       Le visage suit la main qui invite pour poser son attention sur le chapelet d'esclaves. Un coup d'œil revient brièvement au marchand tandis que le pied déjà s'avance vers la ligne. Il a immédiatement saisit la raison de son approche. Sans aucune hésitation. La femme comprend bien vite qu'elle n'aura pas à faire à un dupe. Sans doute saura-t-il jouer aussi bien du mot que de l'esprit. Et encore plus de la négociation…
       D'un pas métronome, elle remonte la petite colonne, à distance raisonnable des corps qui exaltent l'odeur forte des séjours en cales. Des apeurés, des résignés. Des traits minés par la fatigue et leur vie de labeurs. Des solides, des mentons hauts. Des mains de chasseurs et des traits racés comme des seigneurs. Certains sont de cuivre, d'autres sombres comme la suie. Le panel intriguant d'une vie par-delà les mers et les terres qu'elle ne connait pas. L'œil semble batifoler sans réellement accrocher. Pourtant, dans une déformation presque professionnelle, elle cherche à déceler irrépressiblement la moindre trace de maladie qui aurait pu gâter cette main d'œuvre comme la moisissure sur la viande fraîche. Les blessures. Les mutilations. Tout ce qui peut trahir l'histoire des sévices. Au fur et à mesure, le visage toujours nimbé d'une rudesse latente se durcit un peu plus. Elle s'immobilise un instant. Sans doute que sa mine passablement contrariée passera pour l'insatisfaction du client exigeant. Il vaudrait mieux. Car il en est en réalité tout autre. Souvent, elle avait eu à négocier le prix de la vie, mais pour des raisons bien différentes. Jamais elle n'avait eu à l'acheter pour son service. Malgré son expérience et son redoutable sens des affaires, ce nouvel aspect la déstabilisait quelque peu. Et elle espérait bien que le marchand ne puisse déceler la raison de ce trouble dont il aurait pu savamment tirer avantage. La balafrée veille à ne laisser rien transparaître. Le commerce est un art qui démarre avant même
       A nouveau elle s'ébranle, rebroussant chemin d'une allure plus lente encore et l'œil plus inquisiteur. Rassurée, elle s'approche plus près des corps, détaille avec plus d'intransigeance. Une dextre gantée de cuir se dégage de la cape pour se tendre vers un menton qu'elle agrippe d'une franche délicatesse, pivote le visage, observe la trace violine qui marbre une pommette.


       _ Où Dieu t'a-t-il permis de rassembler pareil troupeau ?


__________________
See the RP information
Copyright © JDWorks, Corbeaunoir & Elissa Ka | Update notes | Support us | 2008 - 2024
Special thanks to our amazing translators : Dunpeal (EN, PT), Eriti (IT), Azureus (FI)