Elvire.
Je ne me rappelle plus exactement quand je suis arrivée à Saint-Cyriaque. C'était une période où tous les jours se rassemblaient, aussi sombres les uns que les autres. Je ne sais plus non plus comment je suis arrivée. Je ne crois pas avoir demandé à y aller. Je ne crois pas qu'on m'ait demandé mon avis non plus. Je n'aurais pas été capable de répondre, de toute façon. Je voulais simplement mourir.
J'étais tellement seule.
Je voulais simplement mourir.
C'était peut-être bête. Cela me parait absurde à présent.
Ils ont dit que j'étais souffrante. Ils ont dit que Dieu me guérirait, avec un peu d'aide. C'était très étrange. Je crois qu'ils me prenaient pour une folle. Mais je ne suis pas folle, vous savez ? Je n'ai seulement plus personne à qui parler ...
Quelquefois, je soliloque. Mais je le sais ! Je ne parle pas à d'autres personnes qui n'existent pas. Je ne suis pas folle, vous savez.
Je ne me rappelle plus comment je suis arrivée à Saint-Cyriaque. Mais je me souviens de ce qu'ils m'y ont fait. Ils étaient très attentionnés. Ils voulaient mon bien. Ils voulaient me sauver.
Ils m'ont rasé la tête.
Ils m'ont rasé la tête.
Ils m'ont rasé la tête.
Avec une délicatesse infinie, la Walburghe repose sa plume pour effleurer son crâne lisse, et doux encore des derniers soins.
Ils m'ont rasé la tête.
Il est difficile pour la femme de pardonner cet acte qui la prive de son habituelle toison d'ébène. Ses cheveux, si noires, si brillants, si beaux, tombés par paquets lors de ses premiers jours à Saint-Cyriaque. C'est une blessure profonde dans son coeur. Son corps de femme est meurtri, son corps de femme, qui a perdu de sa superbe si brusquement. Elle a maigri. Ses os sont presque saillants, son visage s'est terni. La beauté froide et méprisante qui la caractérisait s'éteint lentement. Elle devient ... commune. Oh, son orgueil n'en souffre pas. Ce qui la gêne, c'est la pitié qu'elle sent dans le regard des autres. Ces autres.
Ils m'ont rasé la tête.
Ils y ont appliqué tellement d'huiles, tellement d'onguents, tellement de bénédiction qu'il m'arrivait de ne pas pouvoir m'endormir, tant l'odeur était forte.
J'étais rarement livrée à moi-même. Ils me couvaient. J'étais quelque incarnation d'un martyr et ils tentaient désespérément de me délivrer de ma souffrance. Ils m'enveloppaient dans la religion qui depuis toujours, m'avait bercée et persécutée à la fois. Aurais-je pu leur avouer, mes envies, mes pulsions, mes pêchés ?
Non.
Ils ont eu raison de couper mes cheveux.
Avant d'arriver, je les arrachais par poignée.
Les yeux d'Elvire ne pleurent plus. Ils sont secs, désormais. Elle écrit pour se souvenir. Se souvenir, plus tard, de ce qui l'a amené à Saint-Cyriaque, de ce qui l'a fait partir.
Le Très-Haut m'a sauvée parce qu'il m'a pardonnée. Je n'ai pas besoin de livrer aux hommes les pêchés qui m'abritent.
Un léger soupir s'échappe de la poitrine de la trentenaire. Du soulagement, de la pitié, pour la femme qu'elle était autre fois. La cure, cette renaissance. Une nouvelle Elvire est née, une Elvire chauve, pardonnée, un peu moins torturée, toujours honteuse de ses penchants. Mais une Elvire plus vivante.
Saint-Cyriaque m'a sauvée.
Une Elvire plus pieuse encore qu'auparavant. Une Elvire désireuse de vivre, de revivre, de retrouver le monde des gens normaux.
Sa fille ...
Oh, Esthelle. Comme je m'en veux.
Pour ses chevaux ...
Je me souviens maintenant qu'ils ont tous été vendus aux enchères. Avec la maison. Avec les meubles ...
La Walburghe ne s'est pas demandé quoi faire après Saint-Cyriaque. C'est étrange, cette façon de voir « l'Avant » et « l'Après » aussi. On lui a ouvert les portes de l'hospice ce matin. Comme une hirondelle blessée, on l'a lancée dans les airs pour qu'elle reprenne son vol. Hors de question de partir seule. Trop de solitude ont failli tuer son âme. Alors ... Samsa. Une amie ? Une alliée, en tout cas. Depuis ces conversations dans le jardin de l'hospice, depuis cette tendresse envers « la malade », « la folle », « l'aliénée ».
Chère Samsa,
C'est fini. Sur Eglantine l'a dit ce matin, mon âme s'est suffisamment fortifiée pour quitter Saint-Cyriaque. Je suis libre. Je vais bien ! Mais je ne veux plus être seule.
Tu viens me chercher ?
Elvire.
Le tutoiement s'est installé progressivement, la signature s'est allégée. La nouvelle Elvire est plus simple, également. La religion lui a rappelé l'humilité. La pauvreté lui a appris que son nom ne la nourrirait plus ... Tout est à refaire.
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J'étais tellement seule.
Je voulais simplement mourir.
C'était peut-être bête. Cela me parait absurde à présent.
Ils ont dit que j'étais souffrante. Ils ont dit que Dieu me guérirait, avec un peu d'aide. C'était très étrange. Je crois qu'ils me prenaient pour une folle. Mais je ne suis pas folle, vous savez ? Je n'ai seulement plus personne à qui parler ...
Quelquefois, je soliloque. Mais je le sais ! Je ne parle pas à d'autres personnes qui n'existent pas. Je ne suis pas folle, vous savez.
Je ne me rappelle plus comment je suis arrivée à Saint-Cyriaque. Mais je me souviens de ce qu'ils m'y ont fait. Ils étaient très attentionnés. Ils voulaient mon bien. Ils voulaient me sauver.
Ils m'ont rasé la tête.
Ils m'ont rasé la tête.
Ils m'ont rasé la tête.
Avec une délicatesse infinie, la Walburghe repose sa plume pour effleurer son crâne lisse, et doux encore des derniers soins.
Ils m'ont rasé la tête.
Il est difficile pour la femme de pardonner cet acte qui la prive de son habituelle toison d'ébène. Ses cheveux, si noires, si brillants, si beaux, tombés par paquets lors de ses premiers jours à Saint-Cyriaque. C'est une blessure profonde dans son coeur. Son corps de femme est meurtri, son corps de femme, qui a perdu de sa superbe si brusquement. Elle a maigri. Ses os sont presque saillants, son visage s'est terni. La beauté froide et méprisante qui la caractérisait s'éteint lentement. Elle devient ... commune. Oh, son orgueil n'en souffre pas. Ce qui la gêne, c'est la pitié qu'elle sent dans le regard des autres. Ces autres.
Ils m'ont rasé la tête.
Ils y ont appliqué tellement d'huiles, tellement d'onguents, tellement de bénédiction qu'il m'arrivait de ne pas pouvoir m'endormir, tant l'odeur était forte.
J'étais rarement livrée à moi-même. Ils me couvaient. J'étais quelque incarnation d'un martyr et ils tentaient désespérément de me délivrer de ma souffrance. Ils m'enveloppaient dans la religion qui depuis toujours, m'avait bercée et persécutée à la fois. Aurais-je pu leur avouer, mes envies, mes pulsions, mes pêchés ?
Non.
Ils ont eu raison de couper mes cheveux.
Avant d'arriver, je les arrachais par poignée.
Les yeux d'Elvire ne pleurent plus. Ils sont secs, désormais. Elle écrit pour se souvenir. Se souvenir, plus tard, de ce qui l'a amené à Saint-Cyriaque, de ce qui l'a fait partir.
Le Très-Haut m'a sauvée parce qu'il m'a pardonnée. Je n'ai pas besoin de livrer aux hommes les pêchés qui m'abritent.
Un léger soupir s'échappe de la poitrine de la trentenaire. Du soulagement, de la pitié, pour la femme qu'elle était autre fois. La cure, cette renaissance. Une nouvelle Elvire est née, une Elvire chauve, pardonnée, un peu moins torturée, toujours honteuse de ses penchants. Mais une Elvire plus vivante.
Saint-Cyriaque m'a sauvée.
Une Elvire plus pieuse encore qu'auparavant. Une Elvire désireuse de vivre, de revivre, de retrouver le monde des gens normaux.
Sa fille ...
Oh, Esthelle. Comme je m'en veux.
Pour ses chevaux ...
Je me souviens maintenant qu'ils ont tous été vendus aux enchères. Avec la maison. Avec les meubles ...
La Walburghe ne s'est pas demandé quoi faire après Saint-Cyriaque. C'est étrange, cette façon de voir « l'Avant » et « l'Après » aussi. On lui a ouvert les portes de l'hospice ce matin. Comme une hirondelle blessée, on l'a lancée dans les airs pour qu'elle reprenne son vol. Hors de question de partir seule. Trop de solitude ont failli tuer son âme. Alors ... Samsa. Une amie ? Une alliée, en tout cas. Depuis ces conversations dans le jardin de l'hospice, depuis cette tendresse envers « la malade », « la folle », « l'aliénée ».
Chère Samsa,
C'est fini. Sur Eglantine l'a dit ce matin, mon âme s'est suffisamment fortifiée pour quitter Saint-Cyriaque. Je suis libre. Je vais bien ! Mais je ne veux plus être seule.
Tu viens me chercher ?
Elvire.
Le tutoiement s'est installé progressivement, la signature s'est allégée. La nouvelle Elvire est plus simple, également. La religion lui a rappelé l'humilité. La pauvreté lui a appris que son nom ne la nourrirait plus ... Tout est à refaire.
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