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[Rp] Avez-vous la carte de fidélité?

Evroult
[AVRIL 1465]


    Étalé tout du long d’une paillasse confortable, Loupiot fixait d’un onyx écarquillé le plafond sombre qui les surplombait. À sa droite, une nivéenne repue sombrait dans un sommeil rassuré & profond, quand sa gauche laissait une chandelle ridicule agoniser en quelques tremblements. On aurait pu croire qu’il était tout aussi endormi, l’œil ouvert ; mais ses doigts agités malmenaient un bout de parchemin dont la texture rêche crissait d’être froissée.

    Il aurait été bien incapable de dire combien de semaines ou de mois étaient passés depuis le départ d’Anjou. En fait, il n’y avait pas pensé, écartelé entre les humeurs jalouses de sa belle, un beau-frère à la torgnole facile, l’agonie d’une amie & la haine d’une autre, & les difficiles rentrées d’argent. S’il n’avait jamais été malaisé de trouver une place ponctuelle au sein d’un bordel de campagne, il était beaucoup plus compliqué d’en trouver une confortable. Ce genre d’arrangement ne consistait qu’en des remplacements payés à coups de lance-pierre, ou quelques coups de pouce jamais valorisés ; sans compter que l’indolent jeune éphèbe se fatiguait beaucoup à redoubler d’ingéniosité pour garder sa condition & son métier secrets.

    En bref, la flemme le rongeait, l’effort était chronophage, & malgré sa conviction profonde selon laquelle c’était à lui de ramener l’écu au sein du foyer qu’ils tentaient de former, Hel était suffisamment bien payée pour deux. Ce qui est à toi est à moi, ce qui est à moi… etc. Oh ! ça ne l’empêchait pas de se faire convenablement entretenir lorsque l’envie le prenait, & de visiter quelques bordels intéressants au fur & à mesure de leur avancée. Après tout, il était courtisan. Après tout, il avait faim tout le temps.

    Ils en étaient donc là de leur épanouissement, elle reprochant un onyx trop volage quand bien même il jurait de ne pas y toucher, lui grognant toute sa frustration dans des grivoiseries mauvaises & une humeur de chien. Tout était beau dans le meilleur des mondes ; & puis la porte s’était ouverte sur une Hache mutine.

    Ah ! il en avait eu un coup de chaud flagrant. Sans même faire semblant, elle était venue glisser quelques mots dans sa main autant qu’à son esgourde, & s’en était allée, emportant dans sa fuite l’onyx rallumé du Chasseur moribond. Hel en avait fait une crise ; lui s’était excusé d’une cliente intenable. Tout était beau dans le meilleur des mondes ; & puis la porte se ferma sur le Loup affamé désertant, & sa couche, & son unique amour.

    « Il ne faut plus nous revoir, jeune homme. Plus jamais jamais… Jamais… Sinon… »
      Sinon, on risquerait d’y prendre goût, baronne.

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Yohanna.
[Limoges, ville de toutes les rencontres]

C'était un coup de poker. Un coup de maître. Un coup double. Non Triple! Un coup... Qui valait tellement le coup.
Tu avais réussi à énerver trois... Non, quatre personnes, ce jour là. Tu avais tapé sur du monde, imposé un choix, au moins, essuyé quelques menaces... Fait ton adieu à un joli garçon... C'était une journée de jouissance absolue. Une journée qui terminait plus qu'en beauté.
Enfin... C'est ce que tu croyais. Jusqu'à ce que tu passes devant cette taverne pour rentrer chez toi. Passer cette dernière nuit à Limoges, dans le petit appartement que tu venais de te faire offrir.
Et ce visage derrière le carreau de la ruelle sombre, Éphèbe à côté de fantôme fragile. Tu ralentis le pas. Troublée.
Et si....?

Dernière nuit. Il pourrait peut-être la sublimer. Pourtant il semblait si proche de la demoiselle. C'était un jeu risqué. Impossible devant le Menaçant de faire une allusion trop claire et ouverte. C'est qu'au fond, tu tiens un peu à ta vie. Et à tes bras. Et à tes dents. Surtout celles qui ne font pas mal.
Méthode donc dite du serpent. Suggérer l'idée, proposer en tout bien out honneur, un trait de charbon sur un bout de parchemin qui s'efface en beauté, un lieu, une heure, juste de quoi lui donner le temps de s'éclipser. Le faire en donnait l'impression de passer ici pour une autre raison. Voler une bouteille, laisser un clin d’œil, remarquer que la blanche devient rouge. Disparaître.

Viendra-t-il?

Ton dé roule sur la table, pour que le bruit t'aide à canaliser tes pensées. Tes doigts jouent avec. Tu finis par mettre sur chaque chiffre qui apparaît une potentialité qu'on frappe à la porte.

Si je fais entre 3 et 6, il arrive à l'heure.
2.
Si je fais entre 1 et 3 il ne vient pas.
3...
Si je fais entre 4 et 6 il sera aussi bon que la première fois.
1.
Si je fais....


C'est ridicule les jeux de dé. Complètement stupide. Et puis ce dé est truqué, tu le sais bien.
Le verre d'Armagnac est enfilé avant de commencer à faire les 100 pas dans le salon aux couleurs un peu passées. Ton esprit vagabonde sur les personnes qui ont pu vivre ici avant toi... Pourquoi sont-ils partis? Pourquoi n'ont-ils pas pris les tableaux et les meubles? Trop lourds peut-être? Ou alors dedans il y a des choses qui pourraient t'intéresser?

Et voilà que tu tapes dans les bois à la recherche de cachettes secrètes. Parce que lancer un dé, ça n'aide absolument pas à passer le temps.

Pourtant, à chaque coup que tu mets sur une planche, tu imagines d'autres mains te mimer à la porte...

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Evroult
    Il avait hésité. Oui, il avait hésité, longtemps, une fois la porte close sur le corps délicat de la Blanche. Il avait hésité tant & tant qu’il avait, un faible instant seulement, voulu la retrouver, oublier cette histoire, poser un lapin à baronne, & puis, diantre ! qu’elle en fasse un civet & puis n’en parlons plus.
    Alors une dextre, garnie de ces ongles nets qu’il entretenait si sérieusement, frémit de sentir la poignée en sa paume, de revenir à la raison, de retrouver l’Amour plutôt que de le fuir.

    Une hésitation plus tard, la même dextre, la même paume, & puis le poing fermé qui frappe à une toute autre poignée, mimant, comme attendu, tous les coups de la Hache. Il ne savait plus trop comment il était arrivé là tant le chemin lui avait paru tortueux, lui qui s’était perdu dans une ou deux ruelles, nerveux à l’idée de croiser par hasard un grand & fin barbu lui demandant des comptes pour l’honneur de sa sœur. Baste. Il y était.

    Il laissa là trois coups, crût-il, l’oreille & les nerfs perturbés par le tapage résonnant de l’intérieur, & souffla une bonne fois alors qu’une angoisse étrangère montait tout au creux de son ventre. D’abord, le coude pointé sur le chambranle de la porte & le corps tout de biais lui donna une allure ridicule de planche posée contre le mur ; il se redressa donc & les deux index se croisant dans son dos lui donnèrent une posture de piquet. Loupiot grogna, coiffa & rajusta d’une main nerveuse la mèche folle qu’il travaillait si bien & qui ce soir, évidemment, voulait s’étaler sur son front comme un drap lourd & sans forme, avant de croiser les bras sur sa chemise à peine reboutonnée & de caler son épaule contre le mur à deux pas de la porte.

      La première fois, l’excitation pressée, le désir indomptable, l’effervescence de la découverte, la frénésie de l’inconnu. On se laisse prendre au jeu, c’est la passion qui guide, l’exaltation qui règne, on ne pense pas à l’Autre, on ne pense pas aux Autres, on ne pense qu’à nous & à l’instant, jouissant.
      La première fois, toujours, ah !

      Et puis, la seconde, & le poids des remords.
      Et puis, la seconde, & l’erreur volontaire.

    Il porta trois coups à nouveau, piaffant d'impatience.

      Et puis, la seconde, cet éternel recommencement.

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Yohanna.
La porte !!
La porte ! Tu n'a pas rêvé ! Tu as entendu un « toc toc toc » qui répondait à ta main dans le meuble. Et sous l'excitation, voulant te redresser trop vite, ta tête cogne bruyamment contre l'étagère qui fait trembler le bois et fait se refermer la porte sur tes bras. Coincée.


LOUISEEEEEEEETTE !!!!!!!!!!!!!!!
ON FRAPPE !!!! ALLEZ OUVRIR !
Et vous avez fini de me préparer un bain ? Après vous pourrez prendre congé, on va s'en sortir.


Ou pas. Le coup d'épaule n'est pas très prometteur quand à l'ouverture de l'armoire digne d'être Normande. Tu vois la femme se précipiter à la porte en te passant dans le dos comme si tu étais parfaitement transparente. Mais elle sait très bien que si elle s'arrête pour t'aider, elle risque de récupérer la même bosse que celle que tu viens de te faire, pour n'avoir pas obéi au premier ordre. Elle n'est pas méchante, Louisette, et son mari est travailleur. Tu sais pouvoir leur faire confiance pour entretenir ton appartement en échange de rémunération et d'un toit, même pendant tes longues absences. Ils ne demandant pas plus qu'un peu de pain et de soupe, et de quoi se vêtir. Ça ne t'empêchera de jouer le tyran quand il le faudra.

Coup de coude cette fois. Ça bouge. Un plus fort finit de te dégager. Tu es pleine de poussière maintenant, et bien sûr, pas la moindre cachette secrète n'a été découverte. Stupide ! Si l'invité n'était pas déjà en train d'entrer dans le salon, tu te frapperais. Mais voilà que tu reprends ton air plein d'assurance après avoir tapoté tes vêtements. Celui, presque surjoué, qui donne l'impression que tu maîtrises toujours tout.


Jeune Evroult ! Vous êtes venu. Avancez ! Voyez comme je suis mieux logée ici qu'en Anjou. La paix a du bon.

Une bise sur le front, bien trop chaste, avant de le laisser découvrir le décors. Il sera chez lui ce soir, alors tu l'encourages à prendre ses aises tandis que Louisette lui propose de quoi grignoter ou boire.
Pourquoi as-tu l'impression de le fuir alors que tu te diriges vers le sofa ? Pourquoi as-tu un arrière goût de danger maintenant qu'il est ici ? Pourtant c'est ton invitation, c'est ton désir. Ressaisis-toi.
Même si la poussière sur tes cheveux les rendent plus gris.
Même si tu l'as vu avec une nymphe à peine pubère.
Même s'il te rappelle ce fils que tu as tant chéri.

Et si… Et si les bases devaient changer ?
Et si vous deveniez amis ?
Quelle idée pleine d'horreur ! Un ami. Tu en as déjà bien trop.


Le bain dans votre chambre sera prêt dans quelques minutes ma dame. Il ne faudra pas tarder de peur qu'il ne refroidisse.
Merci Louisette. A demain donc.


Maintenant vous êtes seuls.
Maintenant, tes jambes ramenées sur le sofa quand tes coudes prennent appui sur le dossier, tu le regardes avec une ombre dans les yeux. Un ombre trouble qui te paralyserait presque.


Alors dites-moi... Que faites-vous ici? En promenade à travers le Royaume vous aussi? Avec... Cette bande? Des amis?
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Evroult
    L’onyx maline s’attarda sur la silhouette de Louisette s’effaçant au chambranle de la porte, qui n’avait pas caché l’étonnement de voir un si jeune homme débarquer chez sa maîtresse. Il n’avait demandé qu’un verre de vin, comme si l’alcool pouvait effacer le malaise qu’il ressentait depuis la couche traîtreusement quittée, & s’affaissa, presque langoureusement, sur le sofa près d’elle. Elle était agitée, & lui, sans doute aussi ; alors il porta une gorgée à ses lèvres, déposa la timbale sur le guéridon à portée, & prit un temps silencieux pour observer la pièce.

    Elle était poussiéreuse, & l’encombrement qui la prenait faisait étrangement écho à l’agitation de la propriétaire. Une décoration, un peu surfaite & désordonnée, tentait de masquer la vieillesse des murs par des tentures trop lourdes. Sans doute ce logis-là avait-il bien vécu, déjà, & les précédents occupants avaient laissé leurs marques par des meubles encombrants & usés ; là, une crédence* d’un style bien limousin débordait de vaisselle de toutes les régions, comme si personne n’avait jugé bon d’accorder un peu le service ; ici, la lourde armoire ouvragée aux fioritures exagérées écrasait le reste du mobilier de sa hauteur & d’un bois méritant une bonne séance d’enduit. S’il avait osé il l’aurait dit normande, lui aussi.

    Et puis, il y avait là des bougies, plus ou moins en fin de vie, goutant leur sève jusqu’au tapis, des parchemins mêlés aux restes de repas, pennes brisées escrimant les fioles d’encre, une vague odeur de brouet froid, & surtout, surtout, posée comme une reine au milieu du vacarme d’une pièce à peine agencée, Baronne. Elle trônait, accablée par son âge qui dessinait délicatement ses ridules & sublimait quelques mèches grises, jugeant d’une œillade rendue trouble par la poussière ambiante l’éphèbe silencieux. Il sourit, inspira, éternua de narines chatouillées par la poussière, & reprit entre ses doigts crispés la timbale abandonnée.

    - Pardonnez. En effet, je me suis… laissé emporter. Mais je ne les connais pas tous, crût-il bon de préciser. Il s’éclaircit la voix, glissa quelques gorgées rafraichir sa gorge, & puis, posant dextre sur le genou replié, se tourna un peu mieux vers sa tranchante conquête.
    - Mais ça n’a pas tant d’importance, n’est-ce pas ? Vous, donc, faites de Limoges votre maison… la région vous plaît-elle ? Son humidité, qui la rend certes verdoyante, refroidit souvent les nouveaux habitants.

    Adepte du retournement de questions alors qu’il se sentait inquiété, il comptait bien sur le bavardage de la Hache pour lui faire oublier la présence constante de la norvégienne en ses pensées. Et puis, parler de la météo, c’était toujours plus agréable que de se regarder dans le blanc des yeux sans trop savoir quoi se dire.


* Meuble destiné au rangement de la vaisselle & des objets servant pendant le repas.
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Yohanna.
La région. Mais quelle bonne idée ! Parler de la pluie et du beau temps ! Tout ce que tu détestes. Pourtant tu te forces. En le regardant, noisettes parcourant longuement ce corps face à toi, de haut en bas, de bas en haut, regard lourd accompagnant une voix légère.

Son humidité… Hum… J'aime le climat. J'aime la forêt particulièrement. Et je n'aime pas le soleil du sud, par exemple, qui passe son temps à assombrir ma peau. Si le nord n'était pas si… Pluvieux, j'irais plutôt là bas. Mais c'est ici qu'on semble avoir besoin de moi, alors… J'en profite un peu…

Voilà. Débat clos. Ne le relançons pas de peur de commencer à t'ennuyer. Tu soupires doucement, comme pour indiquer que tu es enfin à l'aise. Mais au fond, ton regard qui embrasse à présent la pièce cherche à fuir le sien qui n'est pas franc. Il a esquivé tes questions, et pourtant tu sais… Tu te doutes qu'il fuit. Et si tu t'attardes un instant de plus sur ce sentiment, une rage folle te prendrait.
Tu as envie de lui piquer cette crise que tu n'as jamais piqué à aucun homme. Le fameux « c'était qui celle-là ? » Possessive, égoïste, jalouse. Tu n'es jamais tout cela. Manipulatrice, oui. Destructrice, oui. Assassine quand il le faut, pourquoi pas. Alors à quoi bon se perdre en scènes de ménage quand tu peux régler ça d'un coup de hache ? Trompée, tu l'as été. Souvent parce que tu as poussé à la faute pour te servir de l'argument et te débarrasser de l'homme. Et quand une femme ne te plaît pas, il suffit d'être meilleure qu'elle.
Pourtant là, tu n'as absolument aucun droit. Aucun… Pouvoir, sur ce garçon que tu as croisé, une fois, deux fois… Il n'est pas à toi. Il est sans doute à elle. Et cette idée te rend folle. Sans bien savoir pourquoi.

Ton sourire revient à lui, tes yeux brillent d'un nouvel éclat. Tu sais comment faire pour changer totalement la donne. La catin se réveille en toi. Celle qui persuade uniquement avec ses mains.
Chatte, tu te lèves et contourne le sofa, passant derrière Éphèbe avant que tes bras ne viennent s'accaparer son torse. Lente caresse féline pour réveiller ses instincts. Laisse-toi donc aller, jeune homme. Tu n'as rien à craindre ici…

A son oreille, tes lèvres sont douces comme le spiritueux de son verre, et ton offre y fait sentir quelque chose d'alléchant.


Je suis heureuse de vous avoir ici, jeune Evroult… J'ai un projet… Un grand projet. Et je vous veux en pièce maîtresse. Ce sera bien sûr… Très chèrement rémunéré.
Mais mon bain va tiédir… Je souhaiterais en profiter… M'accompagnerez vous pour avoir les détails de l'affaire ?


Et tu te redresses, frustrant après avoir tendu une carotte sucrée. Ton jeu préféré. Qu'on te courre après… Pourtant, noisettes restent accrochées à ta proie, mis en laisse par un sourire provocateur et sûr de lui.
Puisque tu le veux, tu l'auras.

    Baronne ne tolère pas de se voir refuser.

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Evroult
    Loupiot ne savait pas toujours quand ravaler sa langue. Plutôt, il le savait bien, mais préférait souvent la laisser déverser âneries, maladresses & autres salacités plutôt que de la mordre pour mieux la retenir. Impétueux, puisqu’on ne le disait jamais, il fallait se hâter pour l’empêcher de commettre ses dérangeants impairs, & à son onyx toujours luisant de mutinerie, on aurait pu penser que gaffer lui plaisait.
    Oui mais voilà, ce soir, quand bien même l’envie brûlait ses lèvres plus que l’alcool trop fort & trop sucré, il sut retenir entre ses mâchoires serrées & sa lippe gamine un « oh ! la catin ! » qui aurait été de très mauvais goût. Du reste, elle l’aurait sans aucun doute mal pris. Tout le monde n’était pas né pour prendre cette insulte-là comme un véritable compliment.

    Piqué donc, parce qu’elle avait bien joué, parce qu’elle avait trop joué, il balança la tête en arrière pour adresser ce sourire espiègle dont il avait le secret, qu’il assortit d’un clin d’œil léger, à moitié pour la poussière, à moitié pour lui faire croire qu’il avait bien saisi.
    En fait, il n’avait pas saisi. Mais à ce jeu de félins & de canidés, ça n’avait aucune importance ; toute la comédie résidait en ce qu’il lui fasse croire qu’il ne courrait pas quand déjà il rampait à ses pieds pour en savoir plus. Elle avait un don certain pour susciter son intérêt.

    - Comment voulez-vous que je refuse quand vous m’appâtez avec un bain ?

    Il s’humecta les lèvres, comme si de rien n’était, comme s’il n’essayait pas d’attiser un peu plus la flamme qu’il sentait à nouveau poindre comme à la première fois, alors qu’elle avait jusque-là fait sa timide pour mieux les laisser tituber. Là, il se retrouvait. Là, il la retrouvait.
    Là, il se souvenait pourquoi la couche de la norvégienne avait été délaissée. Baronne en valait décidément la peine.

    D’un mouvement rapide, Loupiot se mit debout, le fond de la timbale avalé d’une traite qui lui arracha un toussotement, & puis revigoré, les joues rouges & l’œil vif, il vint rétablir une distance convenable entre eux. Quelques millimètres, en somme, brisés par la pulpe de ses doigts s’accrochant au menton trentenaire.

    - Montrez-moi tout. Votre bain, votre affaire, & puis vos seins aussi. Ils m’ont manqué.

    Comme quoi, parfois, il suffisait de parler d’un bon bain & d’une belle affaire pour briser la glace.

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Yohanna.
Oh la Catin !
Non, il ne l'a pas dit. Il aurait pu. Tu aurais ri. Il vise si juste le jeune louveteau. Il sait flairer sa proie. Mais aujourd'hui tu n'est plus employée. Tu embauches.

Ha ! Le voilà donc qui se prête au jeu. Alors tu souris, presque à en rire quand il bondit et s'en étouffe.
Plus besoin de le convaincre, il est ferré. Juste de quoi le récompenser pour goûter, du bout des lèvres sur les siennes, une perle du liquide.


Toi qui a mis
Sur ma langue ta langue amie
Et dans mon coeur un décalcomanie
Marqué « liberté liberté chérie »


Puis ta main se glisse dans la sienne, pour l'attirer. Il veut, il demande, mais vous n'êtes pas pressés. Au contraire, tu as toute la soirée pour exposer ton plan, pour sublimer l'offre.
Voici la chambre. Et la baignoire fumante.
Sauge, thym, lavande. Louisette est parfaite. Il n'y a plus qu'à faire cuir la viande.
Laissant encore quelques instants au jeune hommes pour prendre ses marques, tu en profites pour rassembler ta tignasse. Quelque chose de propre, tenue par quelques pics de bois plantés. Ne pas mouiller ses cheveux trop vite. Ils deviennent trop lourds et difficile à laver. Et puis tu sembles plus féminine ainsi coiffée. Alors tu reviens vers lui, te glisse dans ses bras par jeu en cherchant à délasser ton corset. N'était-ce pas ça qu'il demandait ?

Avec un sourire mutin, tu les lui offre, sans pudeur, ces galbes dont il peut profiter. Ici, on peut toucher avec les yeux, mais aussi avec les mains. Les lèvres. Tout. Inutile d'apprendre à vous chercher, à vous découvrir. Vous êtes déjà un peu à l'autre depuis cette autre fois. C'est pourquoi il devient presque facile pour toi de faire tomber tes braies. Bien sûr, une fois que tu lui as tourné le dos, préférant lui offrir vue sur des atouts plus ronds que cette cuisse marquée au fer qu'il t'arrive encore de ne pas assumer.

Et tes jambes disparaissent bien vite dans l'eau du bac, assez large pour deux petits gabarits comme les vôtres.


Venez-vous Evroult ? Prenons la vapeur pour voile de nos petits projets.

Tes noisettes brillent et pétillent en le regardant. Il est beau. Il sera parfait. C'est lui que tu veux, tu en es sûre.

    S'il se défend un peu, il n'en sera que meilleur.

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Evroult
    Et il touchait, l’éphèbe. Il touchait avec les yeux, il touchait avec les doigts, il touchait avec les lèvres. Il en avait toujours raffolé, de ces orbes pointés, attributs féminins délicieusement sucrés, des premières mamelles offrant le lait maternel aux poitrines façonnées par des mains excitées, des rondeurs timides des jeunes filles & des prudes aux poitrails débordants de luxure & de vice. Là, c’était bien une chose pour laquelle il pouvait se damner, s’il ne l’était pas déjà, & quand elle arracha à la bouche affamée l’objet de convoitise, on vit sur le minois gamin une mimique de frustration.

    C’est qu’elle le rendait fou.
    Elle avait ce quelque chose que les autres n’avaient pas, les autres ses clientes, les autres ses conquêtes, & même l’Autre, avec un grand A. Elle était de ces femmes sans pudeur, sans complexe, assurées d’avoir le charme, débordantes de désir, s’offrant le luxe de ne pas s’encombrer des barrières d’une jeunesse mal à l’aise. Elle offrait les orbes d’une femme mûre, jouait d’un coup de hanche large, damnait d’une cambrure osée. Sirène attirait son marin en chantant de son corps, & Ulysse détaché de tissus trop gênants se coulait à sa suite, tout prêt à se noyer.
    Oui, elle avait ce quelque chose que les autres n'avaient pas, & qu'elles n'auraient jamais. Elle avait le secret d'une première trahison, d'une tromperie assumée, d'un parjure embrassé dans chaque recoin de ce pied-à-terre baronnesque. Elle était cette folie, quand les autres n'étaient qu'un passe-temps, cette lubie, quand les autres l'ennuyaient trop souvent. Suffirait-elle ? aucune chance. Madone ne se possédait que le temps d'une nuit.
    Avec ça, Hel pouvait bien être rassurée.

    À sa nuque, il inspira. Quelques mèches folles vinrent chatouiller son nez, arrachèrent un sourire au baiser appliqué sur l’échine, agitèrent les deux corps d’un frisson électrique. Un instant, on crut voir un enfant plaqué au dos de sa mère, avant que quelques nacres carnassières ne viennent écorcher la peau offerte & que quelques doigts affamés d’aventure viennent retrouver, & le galbe d’un sein, & les replis de l’aine. Désormais qu’ils étaient nus, les derniers reliquats de gêne & de pudeur s’étendaient sous leurs fripes, à même le sol, & l’éphèbe libéré ne s’embarrassait plus de ne point trop oser.

    Elle était belle, trop belle de se sentir belle, trop séduisante, trop fascinante, trop envoûtante pour que la curiosité retienne l’Adonis dans sa volonté de la posséder. À son petit numéro, il avait déjà oublié les projets, les affaires, les rémunérations, & n’avait plus en tête que son sein, que sa fesse, que les remous de l’eau qui cachaient l’inavouable. Il avait sous ses doigts le Graal de tout être humain, & vous auriez voulu qu’il s’occupe des petits commerces de baronne ?

    Il dit « dites-moi tout », & son majeur flirtait avec l’antre convoité. Il souffla « je vous écoute », & l’index parcourait les chairs satinées. Il gémit « je suis tout à vous », & il entamait une danse où il maîtrisait tout du corps retenu par ses doigts. L’exiguïté du baquet ne l’avait rendu que plus provocant.

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Yohanna.
Ton corps répond à la délicieuse provocation de ses doigts qui te cherchent. Tu aimes sa présence, tu aimes ce qu'il est, ce qu'il représente. Le corps frêle du jeune homme te rappelle celui d'un fils que tu as perdu. Il avait à peu près son âge, les mêmes cheveux corbeaux, mais un air tellement plus timide… Tu le laisses remplacer cette image quand il goûte ton sein, ses mains qui parcourent un corps qui s'offre sans retenue, qui glisse dans le bain, s'expose à toutes les tortures qu'il t'impose.
Il semble jouer, il possède mais dit qu'il s'offre. Il prend mais dit qu'il offre. Il te donne en attendant ton offre.

Une nuit, une heure, un instant de plaisir qu'il ne faut surtout pas chercher à calculer, à maîtriser, laissant libre cours à l'impatience de cet autre qui te prouve encore une fois que tu as bien choisi. C'est lui qu'il te faut. C'est lui que tu veux… Ailleurs, là bas, qu'il soit à toi.

Mais comment le convaincre ? Comment trouver les mots ?
Tous les hommes sont corruptibles. La plupart le sont uniquement en dévoilant un sein. D'autres en les laissant frôler une hanche. D'autre encore ont besoin d'une nuit entière. Lui, toutes ses choses il les obtient gratuitement, sur simple demande tacite, il a tout. Il prend. Tu ne lui refuses rien.
Alors comment le convaincre autrement ?

Lui qu aime. qui se dévoue entièrement pour t'empêcher de penser, et sublime chacun de ses gestes sur ta peau. Tu n'as rien proposé encore et pourtant, il a déjà tout pris. Il pourrait obtenir de toi un monde, sur une simple demande, tant il sait y faire. Et vous n'êtes plus qu'un, à cet instant, dans ce bac, sans retenue, sans interdit. Un couple si détonnant que si tu te regardais dans le miroir derrière vous, tu en rirais. Tu te moquerais de ce que tu fais. Tu pourrais même te trouver répugnante à gémir comme une faible femme sous les caresses d'Adonis. Te laisser prendre ainsi comme s'il n'était venu que pour ça… Et reprendre un jeu que vous avez commencé en Anjou….

Puis tu finis par reprendre un peu la main, cachée sous les vapeurs, tu t'appropries son corps et récupères ton esprit. L'union se poursuit, aucune caresse ne cesse, mais ton corps impose, pour aider tes mots.
« Soyez à moi jeune Evroult » Tu le veux, tes billes noisettes le lui indiquent, et il sait qu'on ne résiste pas au désir de Baronne. Qu'elle finit toujours par obtenir ce qu'elle souhaite. Tu le fais suffoquer, pas uniquement à cause de l'air lavande qui étouffe vos sens. Tu le fais frissonner sous une langue, sous des dents affamées. Ces dents qui se resserrent sans doute un peu trop sur une épaule fragile. Pardon… Mais je vous veux…
Et quand la passion devient trop forte, trop insoutenable, que l'extase encore une fois confirme ce choix dans un désir qui te noie, qui te fait boire la tasse d'une ardeur assouvie, qu'un dernier soupir te transperce, tu réussis enfin à demander. Supplique cachée sous un air déterminé.


    Je vous veux. Comme employé. Catin. Ou intendant. Tout ce que vous voudrez.

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Evroult
    La pulpe des doigts se perdait encore dans les remous de l’eau lorsqu’il l’interrogea d’un sourcil relevé. En voilà une qu’il n’avait pas vu venir, & il lui fallut quelques secondes pour comprendre la requête, comblées par quelques tendresses imprimées sur la chair malléable d’avoir été noyée. Abaissant les paupières pour mieux offrir à ses esgourdes le doux clapotis d’une eau trouble & le souffle erratique d’une ascension sauvage. Il n’y avait rien de plus satisfaisant que de combler une femme… si ce n’est l’entendre supplier pour vous posséder, peut-être.

    Pourtant, il ne réagit pas. Paupières closes, il semblait toujours se nourrir des soupirs de sirène, quand aux battements de son cœur & à sa ride du lion on pouvait deviner le combat qui se menait entre ses deux oreilles. Tentante, l’offre écorchait tout de même l’un des rares & vagues principes qu’il tentait de respecter : ne pas mélanger vie privée & vie professionnelle.
    Plaisir, & travail.
    Quand bien même travail, chez lui, rimait avec plaisir. Et inversement.

    Loin de s’encombrer de valeurs inutiles & désuètes, c’était surtout un moyen de ne pas s’emmêler les pinceaux entre ses trop nombreuses proies & celles qu’il faisait payer. Les premières auraient peu apprécié de se voir réclamer le prix d’une soirée quand les secondes se servaient de sentiments simulés pour éviter d’avoir à débourser le moindre écu. Femmes vénales, femmes sentimentales, les femmes, ah ! les femmes étaient beaucoup de choses, mais peu enclines à pardonner de telles tromperies. On n’offrait pas de fleurs pour une passe, on ne faisait pas venir une collègue pour pimenter un rendez-vous. On n’oubliait pas le nom d’une conquête, on ne s’attardait pas à retenir ceux des clientes.

    Il dut plisser les yeux pour les rouvrir & détailler le minois de Baronne derrière ses lourds cils noirs. Les secondes s’étaient muées en minutes, & Loupiot n’avait toujours pas décroché un mot. Madone s’était apaisée, vidée, comblée, satisfaite pour l’instant, & lui se palpait vaguement l’empreinte des nacres sur son épaule en cherchant encore la réponse à lui donner.

    C’est que tout de même, c’était une occasion suffisamment rare pour être précieuse. N’était-ce pas, après tout, ce pour quoi Blanche Aliénor & lui s’étaient décidés à quitter la Bourgogne ? trouver un employeur, obtenir un poste stable & important, être les favoris, se faire une place dans les meilleurs boudoirs du royaume, apparaître dans les plus belles cours de France ? être catins, mais l’être bien. La richesse, la reconnaissance, & puis, surtout, l’abondance. Les avoir toutes.
    Si la mort de Blanche avait étouffé ses ambitions, elle ne les avait pas effacées. N’était-ce pas l’occasion de se refaire ? Employé. Catin. Intendant. Et puis, ensuite ? tout ce que vous voudrez.

    - Ici ?

    Il n’avait encore rien accepté, & pourtant l’ardeur collée aux courbes de la Hache suffisait à exprimer son excitation. Cette opportunité-là ne se représenterait pas deux fois, & Hel serait ravie.
    Enfin, il pourrait se targuer d’être stable, d’avoir une paie régulière & suffisante pour eux. Ah ! il l’avait suivi, d’Anjou en Limousin, de Béarn en Bourgogne, de Languedoc en Alençon, il l’avait suivi, pour ses patrons, pour son bonheur, pour mieux se faire excuser de ses trop nombreuses incartades. Que pourrait-elle bien dire, sinon un « je suis ravie » ?
    C’était donc une affaire rondement menée, comme le sein qu’il soupesait d’une paume.

    - Vous savez, tout de même… je ne suis pas l’homme d’une seule femme.
    Je vous veux, vous
    , souffla-t-il à sa nuque en glissant les doigts à sa gorge, parce que je peux avoir toutes les autres. Pourquoi me voulez-vous ?
    Car je veux beaucoup… qu’êtes-vous prête à m’offrir ?


      Prends garde, Madone ; ici, c’est le catin qui fait passer l’entretien.

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Yohanna.
Tu ris.
Parce qu'il a mordu ta peau. Parce qu'il a mordu à l'hameçon. Parce qu'il te veut. Parce qu'il croit qu'il peut t'avoir alors que c'est toi qui l'achète. Il ne connaît pas encore assez bien cette femme qui ne s'apprivoise pas. Mais sa jeunesse, sa fougue te fait rire. C'est aussi pour ça que tu le veux.
TU ne connais pas l'histoire de ce morceau de chair que tes doigts parcourent. Pourtant tu te rappelles quelques histoires en Anjou. Une fuite. Un jeu de cache cache avec plus puissant que lui. Des femmes, que dis-je, des gamines qui lui tournent autour. Une blanche qu'il veut conserver en Reine.
Peu t'importe ce qu'il traîne. C'est son talent que tu veux. C'est son coup de rein qui est à exploiter. C'est son sourire charmeur et sa gueule d'ange que personne ne refuse qu'il te faut.
Le voilà qui pose ses conditions. Alors le cadeau pas encore totalement dévoilé, il faut que vous ôtiez l'emballage pour finir de l'emballer.


Paris.


Le nœud est tombé. Tu le laisses imaginer. La grande vie, les clients choisis. Le lupanar de luxe, la protection. L'avenir tout tracé. C'est ce que tu lui offres en un seul mot. Mais d'autres murs sont à faire tomber.
Dextre conquiert la nuque, senestre va chercher un flanc, l'entourer, s'y imposer pour le kidnapper.

Je vous veux vous, pour que vous attiriez toutes les autres. Je vous veux pour vider leurs écus. Pour les récupérer dans ma caisse. Je veux drainer cet argent qui ne leur sert à rien. Je vous veux pour partager la fortune que vous nous ferez gagner.
Vous aurez… Tout, Evroult. Un toit, des habits, nourriture et boisson, alcool, plantes à foison, drogues, médecin personnel, vous serez choyé, vous serez à d'autres, vous serez tout pour d'autres. Elles vous inviteront, voudront vous pomponner aussi, vous acheter bien sûr, vous traîner à leurs fêtes, vous faire parader à leur bras, montrer qu'elles ont attrapé le plus vil chenapan de la capitale. Vous devrez devenir leur dieu, leur idole. Vous saurez les rendre folles. Jusqu'à les voir gratter le fond de leur bourse de cuir pou ne plus vous perdre. Et puis vous partirez.
Vous aurez tout le bien, si vous acceptez quelques revers de médaille. Mais je serais toujours là pour rattraper vos folies. Vos erreurs. Une mère. Une matrone. La seule sur qui vous devrez et saurez toujours compter.

Dites-moi votre prix Jeune Evroult. Que voulez-vous de plus que tout ce que je vous offre pour être à moi ?


Chaque homme a un prix. Il ne peut avoir d’exigences au dessus de ses compétences. Tu es prête à donner beaucoup d'or pour payer un homme qui doit ôter la vie. Celui-ci doit uniquement donner l'illusion du bonheur à d'autres qui n'ont plus goût à rien. Un jeu d'enfant. Un plaisir facile à combler. Il ne saurait refuser.
Et puis tes lèvres viennent ponctuer on dialogue quand dextre glisse jusqu'à son menton pour l'attirer à toi. S'il accepte l'accord, il sera scellé par ce baiser. Tes yeux sont brûlants de l'attente de sa réponse. Prêts à déclencher la furie s'il s'oppose, prêts à fêter ça dignement s'il signe.

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Evroult
    - Paris…

    Il avait répété ce nom si suave, si doux, si bon, en le coinçant en haut de son palais, en reculant la langue, en laissant les syllabes se heurter à ses dents comme on déguste pour la première fois un vin de qualité, maladroitement mais passionnément. Paris, c’était la belle vie, non ? bien sûr, Paris, c’était la crasse, la misère & l’opprobre. Paris, c’était sa mère, deux parasites du même sang, la face répugnante des catins des bas-fonds.

    Mais Paris, c’était le luxe, la liberté, les occasions. Paris, c’était sa chance, non ? c’était abandonner l’étiquette de courtisan de province pour un jour finir mignon d’une reine ou deux. C’était posséder les plus riches, les plus belles, les plus impénétrables & se couvrir le bout des doigts des traces de leur abandon. Comment pouvait-il seulement refuser ?

    Il eut comme un rire nerveux, crispé, étouffé, les narines absorbées par l’odeur de sa peau & cette fragrance revenue d’entre les morts. L’ambition était ressuscitée, une Hache avait brisé les chaînes, & Chasseur voyait enfin un tapis rouge déroulé à ses pieds.

    Et comme si l’annonce de la capitale ouvrait les vannes pour de plus grands projets, voilà que la madone/matrone/maquerelle flattait fort, & flattait bien, comme on gratte le menton d’un chat en étant certain qu’il ronronnera. Ronronnait-il ?

      Vous serez tout pour d’autres.

    Jamais un chat n’avait ronronné de la sorte. Assurément, puisque c’était un loup.

      Vous devrez devenir leur dieu, leur idole.

    Il ronronnait si fort & si bien que s’il n’avait pas eu quelques années d’entraînement & de maîtrise, il aurait exulté, là, collé à baronne, dans l’exiguïté d’un bain déjà troublé, au milieu des essences de lavande & d’on ne sait plus trop quelle herbe aromatique digne d’un festin de roi.

      Vous saurez les rendre folles.

    Une inspiration affamée fit frémir ses narines. La main vint à glisser à la nuque de baronne, se perdant dans l’épaisse chevelure qui vit quelques piques de bois couler & sa masse en partie soulagée de sa cage. Elle attendait réponse, mais ses lèvres gourmandes le narguaient avec une telle violence ! Comment pouvait-il seulement songer à un prix quand la moindre parcelle de son corps hurlait à l’indécence ? les doigts s’agrippèrent un peu mieux aux mèches sombres, dégageant la dernière barrière au dévalement de ses boucles, & la lippe qui brûlait de ne pas encore avoir eu son baiser vint récolter son dû en faisant bouillir l’eau. Comment pouvait-il seulement songer à un prix quand le goût même de sa salive criait au scandale ?

      Jusqu’à les voir gratter le fond de leur bourse de cuir pour ne plus vous perdre.

    La suite fut aussi floue que la couleur du bain, les vapeurs effacées d’une pièce qui devenait fraîche se ravivant à la chaleur des corps discutant du contrat. Discutaient-ils vraiment ? le désir, intenable, qu'elle avait remué était hors de contrôle. Il prenait tout parce qu'elle promettait tout & quand bien même n'aurait-il pas encore signé ! le sceau se gravait dans les chairs, & il y eut quelques taches d’encre, parchemins de leurs peaux se piquetant de rosée & de rouge à mesure qu’ils donnaient de la voix pour imposer chacun leurs propres positions, & l’on vit sans doute des pages se froisser & déborder du baquet en flaques étalées, dessinant dans leurs reflets tout l'obscène de la scène. Et là, dans toute la fougue d’une étreinte animale, il grava à son cou sa première condition :

    - Je… veux… y… réfléchir…

      Et puis vous partirez.

    Et sa ride du lion attesta qu'il s'étonnait lui-même de sa réserve.

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Yohanna.
- Je… veux… y… réfléchir… 

Il résiste.
Il refuse. Non, il ne refuse pas, mais c'est tout comme.
Et la vague intense de plaisir qu'il a su faire affluer cent fois en toi se transforme instantanément en une colère sourde. Une colère qui pourrait exploser à tout moment et rendre les murs de cette maison aussi friables qu'un vieux parchemin. Ton souffle est rauque, ire cachée par le rythme de vos ébats qui s'apaise. Il te faut sourire. Ne pas le braquer. Il ne doit pas se sentir brusqué. Mais bon sang comment ose-t-il ?! Noisettes carbonisées, ton sourire reste intacte quand tu le repousse hors du baquet à présent bien trop froid pour y rester.
Devant une grande psyché, tu prends le temps de te sécher, de noter les marques qu'il a laissé sur ta beau diaphane, mêlées à d'autres cicatrices bien plus vieilles et indélébiles. Ta peau brûle encore de la sienne, mais ton sang, lui, boue d'un refus caché. Il te faut l'évacuer. Il te faut retrouver ton calme. Alors tes pas te conduisent à la cuisine, chercher quelques fruits de saison. Une petite collation après l'exercice, rien de tel pour finir de mettre son homme en de bonnes dispositions. Mais au retour, tu t'assures que toutes les portes d'accès sont bien fermées.

Il ne sortira pas d'ici avant d'avoir dit oui.

Nymphe nue qui revient sur le lit, tu l'invites à s'y installer, et déjà ton esprit calculateur reprend le dessus quand ta main offre un abricot dénoyauté par tes dents expertes.

Ca y est, vous avez réfléchi ? Dites-oui maintenant.

Hm… Trop impatient.

Quand pouvez-vous me donner une réponse ?

Et briser l'instant de rêve d'une simple nuit avec ce qui pourrait devenir ton catin personnel ?


Bien, jeune Evroult… Parlez-moi donc de ce qui pourrait vous empêcher d'accepter. Cette jeune femme sans doute ? Ou votre famille ? Ou encore… Le titre de l'emploi ? Vous pourriez être uniquement l'intendant du lieu, vous savez ?

Te voilà à t'allonger sur les draps, féline offrant à sa vue un corps qui n'a rien à envier à la jeunesse. Juste une petite friandise de plus dans l'argumentation que tu cherches à rendre percutante. Et sur son visage, y lire les réponses qu'il ne donnera pas s'il est aussi machiavélique que toi.

Je ne suis pas… Une patronne exigeante, tant que l'or rentre dans les caisses.
Si je dois venir faire l'état des lieux, je vous préviendrai à l'avance. Si vous m'appelez de toute urgence, je saurais me rendre disponible. Mais une simple correspondance pour me tenir au courant des faits nécessaires me suffira.


Puis tes yeux plongent à nouveau dans les siens, dextre jouant sur une pomme bien ronde, le fruit qui n'est pas défendu. Tout contact avec lui est rompu, mais tes caresses sont esquissées sur ce fruit, sur les draps, pour les lui rappeler.
Il doit céder.

Et au fond de toi tu boues encore. Tu ne supporterais pas un tel échec. Un tel affront. Il semble plus résistant qu'il n'y paraît, lui le fougueux louveteau. Il n'a pourtant pas hésité longtemps avant de venir te rejoindre ce soir… Peut-être est-ce… Ça. La peur de s'engager. Le futile est facile. Le durable lui donne cette sensation d’enchaînement. Tu comprends. Toi, esprit libre qui ne sait rester en place bien longtemps. Alors tu sors ta dernière carte. Qui va sans doute te coûter. Mais tu la joues. Parce que c'est lui que tu veux. Lui et personne d'autre.


Vous aurez le droit d'en partir quand bon vous semble. Si vous réussissez à faire marcher la maison, je ne m'opposerai pas non plus à quelques absences prolongées.

    Devez-vous toujours y réfléchir ?

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Evroult
    L’onyx accroché au fessier de sa brune resta bêtement ouvert, vissé sur les courbes invisibles, alors qu’elle disparaissait plus loin, à la cuisine. S’inquiétait-il de la soudaine tension, dangereuse de s’esquisser après ces ébats agressifs, ou du corps crispé qui l’avait repoussé ? était-il gêné de sa réponse, mal à l’aise de lui laisser croire qu’il n’était pas intéressé ? se sentait-il coupable, peut-être, de ne pas la remercier d’un tel intérêt, d’une telle opportunité ?

    Que dalle. Il était bête du choc.
    Bête de son refus. Lui qui pensait avoir attendu ça toute sa vie, doutait. Ne se sentait pas prêt. N’aimait pas l’idée de lui être redevable. Enchaîné. Enclavé. Salarié.
    Un tintement de vaisselle lui fit prendre conscience d’une chair de poule qui le rendait ridicule, & alors qu’il s’essuyait, enfin sorti du bain, il secoua la tête.

    C’était son rêve. Le rêve de Blanche, aussi. Mais le leur. Monter un bordel, avoir des responsabilités, se faire une place dans les grandes cours de France. Se faire un nom. Se faire les filles au sang bleu. Se faire payer trois fois son prix, & le valoir.
    Et puis, sortir des bas-fonds, des lupanars miteux, oublier les marins & les brigands douteux, ne plus craindre la chaude-pisse, moquer les misérables. Être plus qu’un catin. Être un catin de luxe. Être un catin d’histoire, quitte à n’être qu’un catin.
    C’était, somme toute, un rêve à sa portée. Jamais il n’avait espéré l’impossible, croyait-il : s’il avait rêvé d’un père noble, il ne l’avait pas espéré, s’il avait envié les terres de ses conquêtes, il n’y avait jamais cru. Il était né catin, comme on naît noble ou paysan, & l’évidence de sa condition ne donnait lieu à aucun sentiment d’injustice, aucune intention de révolte. Il s’estimait chanceux ; & rescapé des herbes de feu & d’une vie de débauche, sans doute l’était-il.

    Quoi ! il avait tout pour lui. Bacchantes chargées de fruits s’étalaient sur les couches pour ses yeux d’Apollon, parées de leurs bouclettes aux pointes lourdes d’amour & d’eau fraîche, papillonnant de leurs cils envoûtants, secouant leurs poitrines blanches sillonnées de veines bleues pour inviter le promeneur à cueillir. Il n’avait qu’à tendre la main, goûter l’abricot embrassé par les lippes sauvages, se glisser entre les draps & les cuisses offertes & puis… & puis recommencer. Encore, & encore, & encore. Espérer que l’étreinte reporte l’échéance d’une réponse, fasse oublier le refus qui n’en était pas un, repousse l’engagement.

    L’engagement.
    Quand, la dernière fois, s’était-il engagé ? oh, il avait joué, beaucoup. Il s’était parjuré. Il avait bien promis, sans jamais s’y tenir. D’ailleurs, on n’attendait pas vraiment qu’il s’y tienne. Hel avait bien tenté. Elle tenterait encore. Il décevrait encore. Alors, s’engager ? un temps, ou deux ?
    Trois temps, ou… jusqu’à ce que bon lui semble.
    Ah.

    - Mhm… vous savez être persuasive.
    L’échine se contenta de savourer le moelleux de la couche alors qu’un abricot entre les lèvres, il fixait le plafond.
    Blanche Aliénor lui aurait sans doute fichu une claque d'apprendre qu'il hésitait autant. Il trancha.
    - Je suis vôtre, baronne.
    L’onyx redevenu mutin se heurta aux noisettes grondantes, semblant prendre conscience, d’un bref froncement de sourcils, de la tension émanant de la Hache. Si c'était une connerie, au moins avait-il évité la colère de madone.

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