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[RP] Il n'y a pas de hasard !

Merance
"Les mots sont sacrés et sans innocence.
Ils appellent le destin de ceux ou celles qui les tracent.”



- Richard Bohringer -




    [ Paris - Faubourg Saint-Marcel - 1463 - ]



    - Par les cornes du bouc, dis-moi que je rêve Guylhem, je t'en prie…

    Et Mérance dont le corps se tendait sur la table et dont deux doigts fouillaient allégrement une plaie à la recherche d'un os brisé ne pouvait retenir son exaspération.

    - Mais qui donc a foutu une raclée à ce pauvre Mathieu ?

    D 'un revers de la main, la jeune femme essuyait son front tout en chassant une mèche sur le côté qui venait effrontément la chatouiller dans ce tragique instant. Ça faisait un moment qu'elle tentait de retirer l'éclat qui s'était logé dans la veine du pauvre gars mais elle savait, pour avoir vu le sang pisser, qu'il ne s'en sortirait pas. Mais la Maudite, acharnée, ne voulait pas lâcher prise.

    On lui avait amené l'un des piliers du bordel à côté à l'aube, tambourinant à sa porte pour ne pas dire essayant de l'enfoncer parce qu'une bagarre avait éclaté et qu'il y avait des blessés sérieux. La maréchaussée ne laisserait pas passer l'affaire aussi, avait-on choisi de mener le Mathieu chez la sorcière afin qu'elle le répare. Sauf que la Maudite ne faisait pas de miracles et que concrètement, c'était d'un prêtre pratiquant l'extrême onction qu'il avait besoin le gaillard. Et ça c'était le rayon du Père Eusèbe, pas le sien. Malheureusement pour le quartier, le vieux prêtre n'était plus puisque l'inquisition avait pensé qu'il valait mieux le voir mort que secourir son prochain dans les bas-fonds de Paris. Un autre soupir de frustration mais aussi de fatigue commençait à s'échapper de la bouche de Mérance lorsque cette dernière sentit les doigts de Guylhem se refermer sur son bras. Une légère pression pour capter son attention et déjà le jeune homme lui attrapait la main afin de la retenir.

    Comme dans un rêve, Mérance regarda Guylhem tout en clignant des yeux. Le temps avait ralentit sa course, son cœur freina ses battements, sa tête se mit à bourdonner tant et si bien que la Sorcière n'entendit aucune des paroles prononcées par le "gamin". Détachée de ce qu'il se passait, elle sentit un immense froid envahir la pièce malgré les premiers jours d'été pointaient à l'horizon. Une main glacée se saisit alors de la nuque de la Maudite afin de faire basculer son visage vers celui qui n'était plus. Juste deux bras ballants de chaque côté de la table, le visage inexpressif qui la regardait et les doigts de la sorcière qui vinrent refermer les paupières avant de pousser un cri tel un animal blessé au cœur de cette chaumière, au cœur de ce quartier qui commençait à peine à s'éveiller.

    Le temps avait suspendu sa course pour mieux laisser la mort venir réclamer son dû.
    L'air commençait à manquer à Mérance, elle suffoquait si bien que Guylhem dut la soutenir pour l'entrainer à l'extérieur, se mettant derrière elle afin de l'aider à tenir debout tandis qu'elle cherchait à respirer. Mais la colère que la jeune femme ressentait l'entrainait au bord du gouffre, prête à se laisser happer par les ténèbres qui venaient d'envahir sa maisonnée. Alors Mérance se laissa tomber au sol, sa robe tâchée de sang, son visage maculé de carmin, les doigts ensanglantés. Mais aucune larme ne glissa sur ses joues, juste la colère ne n'avoir pu sauver une des figures du quartier.

    F'ermant les yeux, Mérance laissa passer le temps et surtout laissant Guylhem gérer la suite des opérations. Il fallait rendre le corps de Mathieu aux siens, surtout en faisant l'impasse sur le fait qu'il s'était retrouvé à la maison de passe du coin et qu'il avait fini sa vie chez la sorcière. Sa famille n'avait pas besoin de ça pour pleurer et faire son deuil. Et moins de gens savaient ce qu'il s'était passé, moins de questions seraient posées. Puis plus tard dans la matinée, le jeune homme vint avec un seau afin de nettoyer les mains de la sorcière ainsi que son visage. Mérance restée là où elle s'était posée le regarda sans le voir encore trop absorbé par cette mort inutile avant de trouver l'énergie de sauter sur ses pieds pour entrer à nouveau dans la vieille bicoque afin d'y faire bruler des herbes qui chasserait les esprits qui tournaient encore dans la demeure.

    [i]Quelques branches furent jetées dans le foyer. Elles prirent feu rapidement et leur odeur se répandit hâtivement dans chacune des pièces que contenait la maison du Père Eusèbe. Puis Mérance allait ôter ses vêtements qu'elle mit au feu peu après. Et ce fut vêtue d'une vieille robe usée qu'elle alla se poser sur le banc de pierre près de la porte, cette dernière restant grande ouverte sur la rue. Guylhem était le seul à savoir que dans ces moments-là il ne valait mieux pas approcher la sorcière aussi lui glissa-t-il un gobelet emplit d'un breuvage laiteux entre les doigts avant de se retirer un peu plus loin. Une fois avalé la mixture, le calme reviendrait chassant la tempête qui s'était abattu sur le quartier.



    *Pauvre petite fille à l'âme triste, combien donnerais-tu pour enfin avoir la paix ?*

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En constante recherche de RP... n'hésitez pas à me MP
Marcello..
[ Le même jour, à quelques pas de là, à l'heure d'un réveil douloureux...]
Guylhem


    Le jour s’était levé depuis un long moment déjà, oubliant derrière lui la nuit et ses malheurs. Le quartier s’était réveillé au chant du coq ignorant des activités nocturnes qui s’étaient déroulées entre ses murs. De tout les cotés la vie reprenait le dessus, ici, une bonne odeur de pain frais flottait dans l’air, là, un chat rentrait, la queue basse, sans doute fatigué d’une nuit passé à chasser, ici encore, un homme tirait sa mule lourdement chargée de bidon de lait frais, et là, le forgeron faisait déjà chanter son marteau sur l’enclume de son atelier.
    D’ordinaire, il aimait flâner un peu dans les ruelles du quartier, discuter avec les gens, prendre des nouvelles, voir le quartier s’agiter et prendre vie au fur et à mesure que le soleil progressait dans le ciel. Mais aujourd’hui… Il y avait quelque chose de particulier qui flottait dans l’air.
    Quelque chose d’assez étouffant.
    La présence de la Faucheuse pouvait encore se sentir…
    Du moins… Il la sentait encore non loin.

    L’aube avait été compliquée.
    Particulièrement sinistre même.
    Ce n’était pourtant pas la première fois que ce genre de chose arrivait, pas la première fois qu’il voyait la mort s’inviter aux premières lueurs du jour, et à vrai dire… Si la mort de Mathieu ne lui avait fait ni chaud, ni froid, habitué qu’il était depuis sa tendre enfance à voir ce genre d’horreur régulièrement dans la baraque du Père Eusèbe, c’est surtout l’acharnement de Mérance et sa souffrance qui le touchaient...
    Il avait vu dans les yeux de la sorcière, il avait entendu son cri silencieux, le hurlement de son cœur déjà meurtri et blessé.
    En fait, dès le premier jour où elle avait débarqué, petite loque quasiment mourante, dans cette baraque il était resté marqué par son apparition, et par sa souffrance. Et depuis ce jour il s’évertuait à tout faire, absolument tout ce qu’il pouvait pour veiller sur elle et apaiser son pauvre cœur meurtri et torturé.

    La sorcière…
    En songeant à elle Guyhlem pressa le pas. Quand elle était comme ça il n’aimait guère la laisser seule trop longtemps, même si… pour son bien être personnel, mieux valait ne pas être trop près on plus !
    Oh ! Il exagérait surement, mais il avait vu trop de fois sa douce et fragile petite fée se transformer en véritable dragon ! Et bien qu’il sache qu’elle ne lui ferait aucun mal, il n’en demeurait pas moins qu’il préférait attendre que la tempête ne se calme !

    Souriant dans le vide en songeant au dragon, Guyhlem posa délicatement la main sur la besace qu’il tenait en bandoulière sur l’épaule. En fait, il avait abandonné la sorcière quelques instants après lui avoir collé entre les mains une petite mixture pour la calmer (en espérant ne pas s’être trompé dans ses dosages…) pour s’en aller glaner quelque douceur. Comme quand il était petit et qu’il revenait avec quelque biscuit ou sucrerie, juste pour le plaisir de voir sourire sa fée.
    Son trésor était là, et il imaginait déjà la tête de Merance quand il lui mettrait entre les mains !

    Et tout à ses pensées, Guyhlem ne remarqua pas d’abord l’encapuchonné adossé au mur, ce n’est que lorsqu’il se retrouva lui-même plaqué contre les briques froides, agrippé par le col, le visage de son agresseur à quelques centimètres du sien, qu’il réalisa.


      - La sorcière, dis-moi où elle est!...


    Il était habitué aux odeurs de pourriture, de putréfaction, de sang, d’alcool, de fumée et de sueur, depuis sa plus tendre enfance, mais malgré tout, il ne put s’empêcher de tourner la tête en sentant l’haleine pas fraiche du tout de son agresseur. Il n’y avait pas besoin d’être un expert pour savoir que le bonhomme avait du passé une joyeuse nuit !
    Ou pas… vu sa trogne.

    Agrippant alors doucement le poignet de l’étranger pour le faire lâcher prise, Guyhlem lui demanda d’une voix calme et posé.


    -Qu’est-ce tu lui veux, à la sorcière ?

    Simple formalité, bien sûr, il fallait être aveugle pour ne pas voir l’état de l’individu. Hormis son haleine d’ivrogne et la puanteur qu’il dégageait, Guyhlem avait aussi remarqué le bandage de fortune de sa main et ses traits légèrement tirés par la douleur.
      Mais n’empêche que…
        N’approche pas la sorcière qui veut !


    -Commence d’jà par m’lâcher si t’veux qu’j’t’aide !

    Et fronçant les sourcils, adressant un regard noir à l’étranger, Guyhlem resserra sa poigne sur le poignet qui le tenait attendant simplement qu’il desserre son étreinte.
Marcello..
L'espace d'un instant, Marcello fut tenté de broyer entre ses doigts la glotte de l'effronté qui osait lui tenir tête, et qui plus est se permettait de retenir son geste en posant la main sur lui.
Le dernier qui avait fait ça s'en était âprement repenti...
Une foule de questions se bousculaient dans son esprit. Savait-il seulement où la trouver, cette sorcière? Ou cherchait-il seulement à gagner du temps pour prolonger sa misérable existence? Et si effectivement il le savait, le tuer reviendrait à perdre la seule source d'information dont il disposait dans l'immédiat...

Penchant la tête et plissant les yeux, l'Italien se mit à observer attentivement l'inconscient, le détaillant, lentement, de haut en bas, puis de bas en haut...scrutant enfin son regard, et disséquant la moindre expression de son visage, afin de tenter d'y déchiffrer la vérité.

Ce qu'il lui voulait...
Non, bien trop long à expliquer. D'autant plus à quelqu'un qui peut-être, n'avait aucune idée qu'il existait une sorcière dans ce faubourg, et qui au premier mot révélé, s'empresserait de donner l'alerte en hurlant à pleins poumons comme un goret qu'on égorge.
Un long soupir s'échappa des lèvres du fugitif, qui dans le méandre de ses réflexions n'en finissait plus de se demander comment, comment il en était arrivé là, et où avait bien pû passer sa vie d'abondance et de droiture d'autrefois...
Qu'il le relâche...?
Un sourire en coin débordant de cynisme erra brièvement sur ses lèvres. Son cœur cognait dans sa poitrine, déjà il sentait revenir cette sueur froide bien connue qui perlait sous sa chemise...Il lui fallait de l'opium. Il lui en fallait, coûte que coûte.
Un regard méfiant balayant les alentours. Même dans cet état de semi conscience, il voyait par avance la scène se jouer:
D'abord, il libérait l'effronté de son étreinte, aussitôt celui-ci fonçait par les ruelles et criait à qui voulait l'entendre qu'un fou dangereux avait croisé sa route, et qu'il se plaisait à agresser le premier passant venu... L'instant suivant, ces maudits furets de la milice débarqueraient, et le nombre faisant la force, le ramenait de nouveau enchaîné dans une geôle...
Secouant la tête comme en réponse à ses propres pensées, de son autre main Marcello se saisit de la dague qui scindait sa ceinture, et tandis que d'une brusque impulsion il fit se cogner le dos de l'inconscient contre le mur, en apposa la pointe, juste un frôlement, contre le torse de son défieur.
Ne pas le tuer, certes...Mais lui faire croire que la mort le guettait, par contre, il pouvait le tenter...

- Et si on disait plutôt que tu m'amènes jusqu'à elle, et que tu ne termines pas ta vie les viscères à l'air libre à pourrir dans une impasse, qu'est-ce-que tu dis de ça ?
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Guylhem


    Il aurait pu trembler de peur.
    Il aurait pu hurler.
    Il aurait pu tomber dans les pommes aussi.
    Il aurait pu se débattre.
    Il aurait pu se mettre en colère.
    Il aurait pu lui mettre une raclée aussi
    Mais il ne fit rien de tout ça, et se contenta simplement de serrer un peu plus le poignet de l’étranger et de soutenir son regard.

    Il pouvait sentir la pointe de la lame sur son torse, mais étrangement, le grand blondinet n’éprouvait aucune crainte.
    La mort, il la côtoyait chaque jour. Il l’avait vu pas, plus tard que quelques heures plus tôt. Une vieille amie presque… Après tout, quand on côtoie quelqu’un depuis sa plus tendre enfance, c’est comme si cette personne faisait partie de votre famille non ?
    Et bien, c’était pareil pour lui.
    La mort faisait partie de son quotidien et il se doutait bien qu’un jour, il partirait avec elle.

    Non à vrai dire, ce qu’il l’inquiétait le plus à l’heure actuelle, c’était la petite surprise qu’il avait dégotée pour Mérance et qui se trouvait soigneusement cachée dans sa besace à moitié écrasée entre le mur… et son derrière !
    Mais aller tenter d’expliquer cela à son agresseur était peine perdu. Le bonhomme semblait ne rien entendre, et même ne rien voir hormis sa détermination pour trouver la sorcière. L’espace d’un instant le jeune homme se demanda s’il était vraiment près à tuer pour la trouver… Et dans ce cas, s’il était vraiment prudent de le laisser l’approcher.

    Guylhem le regarda, l’observa, sondant son regard jusqu’au tréfonds de son âme. Le Père Eusèbe avait ce don, d’un seul regard il pouvait connaitre l’âme de son interlocuteur. Lui, ne pouvait pas dire qu’il avait ce don, mais il essayé, en tout cas, il voyait parfaitement dans le regard de l’inconnu les restes d’alcool et les marques d’une nuit un peu agités.

    Finalement… Il voulait p’tet seulement se faire soigner par quelqu’un qui ne poserait pas trop de question sur son état. Et pour ça… Il n’y avait qu’eux ! Enfin que Mérance ! Parce que lui se contenterait de nettoyer et de virer les chats à coups de pied !


    -J’travaille avec elle, alors à toi de voir si tu veux vraiment que je t’y conduise…
    Ou pas.


    Le coin de sa lèvre s’étira en un demi-sourire, et il repoussa doucement mais fermement la main de l’étranger avant de s’écarter.

    -J’sais pas c’que tu lui veux à la Sorcière, l’Etranger, mais t’as l’air mal en point et pour ça elle peut t’aider… Et moi aussi.

    Un dernier regard méfiant vers l’individu et Guylhem fini par lui faire un signe de tête lui montrant la direction à prendre.

    - Suis-moi. Mais garde tes distances !

    S’il n’avait pas peur, la perspective de se faire embrocher dans le dos à quelques pas de la bicoque ne lui plaisait guère. Du moins… Pas avant d’avoir mangé un morceau !



[Et quelques pas plus tard.]


    Il n’avait pas pipé mot durant les quelques pas qu’ils avaient fait jusqu’à la bicoque, préférant se tenir sur ses gardes, prêt à bondir sur l’ennemi en cas d’attaque surprise !
    Gardant une main sur sa besace et son précieux chargement, Guylhem n’avait, néanmoins, pas cessé de jeter des petits regards vers l’étranger, surveillant d’une part ses arrières et s’assurant d’autre part qu’il parvenait à le suivre.
    Il n’avait vraiment pas l’air frais, et plus d’une fois il eut peur de le voir s’étaler sur le sol.

    Mais finalement, un pas après l’autre, ils arrivèrent enfin.
    Et Mérance était là.


    -Mérance !
Merance
    Les mains de la sorcière entouraient la coupelle dans laquelle le gamin avait mis sa mixture. Une sorte de laitage aux arômes particuliers que la jeune femme connaissait bien et pour cause, elle en buvait depuis des années, depuis que les premiers coups de son époux étaient tombés. Ceux de son paternel n'avait pas eu la même signification, ni la même douleur mais ceux de l'Araignée… il lui avait brisé l'âme et broyé les os avec un malin plaisir qu'aujourd'hui encore, elle ressentait dans chaque partie de son corps. Mais Mérance était une battante, une obstinée, une survivante. Aujourd'hui, elle prenait de quoi oublier et ça lui réussissait plutôt bien.

    Pourtant, alors qu'elle en était à terminer sa bolée, les mains de la rousse incendiaire continuaient à trembloter. Sans doute parce que celui qu'elle n'avait pas réussi à maintenir en vie elle le connaissait et qu'au fond d'elle-même, elle s'en voulait toujours de n'avoir pas su tirer sur la corde bien plus fort que la mort. La faucheuse avait tendance à faire son marché dans sa bicoque et bien qu'elle y soit habituée, Mérance gardait une certaine rancœur à la dame blanche qui allait et venait parmi les vivants quand ça lui chantait.

    Trempant ses lèvres mordillées jusqu'au sang dans le laitage qui se teinta légèrement de carmin, la sorcière tourna la tête lorsqu'elle reconnut le son de la voix de Guylhem. Mais bien vite, elle se crispa, son échine laissant courir un frisson qui lui arrachait chaque vertèbre en une douleur qui la mettait mal à l'aise. Rapidement pourtant, elle reprit contenance, sautant sur ses deux pieds, rabaissant le bas de sa jupe qu'elle avait remonté jusqu'aux genoux afin de laisser le soleil jouer avec sa peau. Passant le bout de sa langue sur sa bouche meurtrie, la trouvant déjà trop ankylosée pour tenir un discours trop long, elle mit la main immédiatement sur l'épaule de son meilleur ami tout en resserrant ses doigts dans ses chairs en lui faisant un signe de tête vers la maison.


    - Guylhem, il y a sur la table un pot qui contient une crème pour l'une des filles de l'Anoldine. Tu le prends et tu vas le lui donner. Et tu ne restes pas une heure à reluquer ses greluches. Elles ne sont pas toutes saines en ce moment, ça serait vraiment la dernière idée que de choper leur saleté. Après tu iras rendre visite au forgeron, je lui ai passé une commande particulière…

    Elle savait bien que son mensonge était énorme mais ne disait-on pas que plus ce dernier était gros et plus on y croyait ? Merance prit un peu plus d'aplomb et tout en redressant le menton, elle fixait l'homme qui se tenait derrière Guylhem. Ses mâchoires se crispèrent tout en essayant de réfléchir. Ses yeux malgré la fatigue qu'elle ressentait allaient et venaient, fouillant sans aucune honte celui qui tentait maladroitement de se cacher.

    - Guylhem ne te sert plus à rien donc lâche-le. C'est moi que tu es venu voir il me semble non ?

    Mérance fit un pas sur le côté offrant l'hospitalité à celui qui, elle le savait, en avait besoin mais en son for intérieur, elle sentait le danger roder entre elle et lui. Les poils de ses bras se dressèrent comme prêt à donner l'alerte tandis que sur sa nuque, une légère crispation se montrait impatiente de ce qui pourrait arriver.

    - Entre donc et installe-toi, je reviens…

    Et elle ne lui laissa pas le temps de répliquer. De toute manière, la Maudite était ici chez elle et quiconque attenterez à sa vie passerait un sale quart d'heure. Elle avait beau donner l'impression d'être frêle, la haine qui l'habitait avait le pouvoir de la galvaniser et de la faire se défendre comme personne n'y arriverait. Approchant du seau d'eau qui trônait sur la margelle de la cheminée, Merance y plongea ses mains encore couvertes du sang du Mathieu qui ne voulait pas partir et elle les frottas avec vivacité. Sa tête se tourna vers son invité et elle lâcha.

    - Pas la peine de garder ta capuche. Ici personne ne viendra te demander des comptes et moi encore moins que les autres.

    Revenant vers le brun Mérance replaça une mèche de ses cheveux qui s'étaient échappée de son foulard puis elle essuya ses mains dans son tablier tout en jaugeant l'homme et éventuellement sa capacité à lui sauter à la gorge.

    *Allez beau brun, ne te fais pas prier. Je n'aime pas quand on menace les miens en venant chez moi sans y être invité !*


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Marcello..
Plissant le nez sous le coup d'un agacement qu'il avait bien du mal à garder sous contrôle, Marcello dut mettre toute ce qui lui restait de concentration pour ne pas embrocher tout net le grand dadet qui lui faisait face. Sa persistance à le défier du regard, à retenir ses gestes et même...même à ne montrer aucun semblant de peur dans ses yeux ou son attitude...tout ça rendait Marcello bien plus nerveux encore que ce drôle de personnage ne pouvait même le supposer. Il le comprit au moment même où ce dernier le toisa froidement un sourire au coin des lèvres.

Cela devait tenir à l'habitude peut-être... de l'accoutumance qu'il avait prise à ce que chacun se plie à sa volonté au moindre regard, au moindre haussement de ton... Quelque chose en tout cas, fit se crisper la main de l'évadé autour de la garde de son poignard, tandis que déjà son esprit façonnait l'image de cet impertinent cloporte épinglé sur le mur, une mare de sang se formant peu à peu sous lui depuis la plaie béante que sa lame avait infligé à son thorax...
Que fallait-y faire? Agir comme il en avait coutume, et saigner l'effronté qui avait osé le braver, avant de reprendre à l'aveugle sa recherche d'une hypothétique guérisseuse alors qu' il ne connaissait ni son adresse, ni même le lieu précis où il se trouvait en cet instant...?
Le suivre jusque chez elle? Un court instant d'hésitation et Marcello finalement hocha la tête, non sans avoir à nouveau jeté un coup d'oeil circulaire aux alentours et par un réflexe machinal, réajusté sa capuche.
- Pas de blague, compris?

Le suivre, oui. Lui accorder une infime confiance pour qu'il respecte sa parole, aussi. Mais garder ses distances et lui permettre ainsi de lui fausser compagnie, ça c'était hors de question.
Aussi se fut avec la lame de sa dague toujours accolée au dos de l'effronté que l'Italien parcourut derrière lui le peu de distance qui les séparait de la bicoque de la sorcière. - peu de distance, effectivement. L'espace d'une seconde Marcello maudit le manque d'opium qui freinait sa raison. Sans cela, il l'aurait trouvé seul, sans l'ombre d'un doute ...-
Toutefois, malgrè les quelques minutes que durèrent le trajet, l'évadé sentait bien que ses forces délinaient. Qu'il avait chaud. Qu'il avait froid. Que le moindre son s'amplifait et résonnait à n'en plus finir dans sa tête. Que sa main tremblait de plus en plus autour de sa garde. Que les pierres du sentier menaçaient de lui sauter au visage... Que les murs et les arbres autour de lui prenaient des formes étranges … Et ce fut au prix d'infinis efforts qu'il parvint à suivre les pas de son meneur forcé, sans s'écrouler ou lui trancher la gorge...

[ Aux portes de la mazure, enfin, qui servait de maison à la guérisseuse … ]

Ce fut d'abord la vision d'une petite silhouette, au détour du sentier. Une silhouette aux contours flous, à contre jour qui se découpait au devant d'eux... ce ne fut que lorsqu'elle se leva qu'il comprit qu'elle n'était pas minuscule, juste assise sur un muret.
Lorsqu'elle s'approcha d'eux Marcello put enfin se faire idée de ce à quoi elle ressemblait. Il la détailla soigneusement. Une sorcière, ça...? Il l'aurait imaginé bien différente. Plus vieille, plus petite, plus....rabougrie, finalement! Et percluse de verrues sur un visage ridé comme une vieille prune qui dépassait d'une longue robe noire et mitée.

Mais elle était plutôt jolie, en fin de compte, même attirante, si on exceptait les ridelles sanglantes qui zébraient sa lèvre inférieure.
Un rien de tristesse qui obscurcissait son regard... Le charme du mystère en plus...
Un sourire imperceptible s'étira sur le visage du fugitif: Voilà donc pourquoi sans doute le grand dadet aux allures de héros en faisait autant pour qu'on ne l'approche pas.

En d'autres temps, d'autres lieux, d'autres circonstances aussi....Marcello se serait certainement risqué à vérifier si son pouvoir de séduction opérait toujours sur la gente féminine.
Oh que oui, il l'aurait fait, si toutefois, il n'avait pas été si mal en point...

Pour le moment, tout ce qu'il ressentait était un froid intérieur, une douleur diffuse à en hurler, et un certain malaise à ce que ces yeux inquisiteurs se mettent à l'observer comme s'ils pouvaient disséquer jusqu'au plus profond de son âme.
- Guylhem ne te sert plus à rien donc lâche-le. C'est moi que tu es venu voir il me semble non ? 
Guylhem...c'était donc son nom. Un léger sursaut fit tressaillir l'Italien, à l'instant où la guérisseuse prit la parole. Le lâcher... bien sûr. Il avait de toute façon oublié qu'il le menaçait...
Un hochement de tête plus tard, Marcello rengaina sa dague et, sans un mot, détailla scrupuleusement chacun des gestes qui animèrent ensuite la jolie rouquine.
Tendue. Nerveuse.
Mais aussi courageuse. Téméraire, peut-être même.
Fière. Manifestement. Imprudente..? Pas si sûr.
Ainsi furent les premières impressions qu'elle inspira au fugitif, qui luttait contre l'insupportable écho que distillait entre ses tempes la brève discussion des deux marginaux.

Un instant encore, et tandis que le grand blond incroyablement docile s'exécutait sans même un grognement de protestation, après l'avoir suivi d'un regard circonspect Marcello suivit l'invitation de celle qui semblait se nommer Mérance, et durant une poignée de secondes, écarquilla les yeux histoire de s'accoutumer à l'obscurité qui régnait à l'intérieur.

Une salle tout en longueur, percée d'une seule fenêtre, contenant tant de meubles et de caisses entreposées qu'il se demanda furtivement comment ses occupants pouvaient circuler. Une cheminée noire de suie, qui abritait les restes rougoyants de ce qui avait dû être un feu, encore tout récemment. Des poutres au plafond, du chêne, ou peut-être de l'ébène, qui semblaient menacer d'écrasement quiconque s'aventurerait à stationner sous elles. Des étagères où trônaient tout un bric-à-brac fait de bocaux. Certains vides, et d'autres plus ou moins remplis de substances douteuses – était-ce son esprit embrouillé ou la réalité? En tout cas il lui semblait en avoir vu bouger... – Un tour d'horizon rapide, un coup d'oeil vers la porte pour s'assurer que la sorcière ne le surprit pas, et déjà le fugitif se mettait fébrilement à chercher parmi toutes ces potions quelque chose qui pourrait l'apaiser, poussant les bocaux, écartant les fioles dans un cliquetis de verres qui s'entrechoquent, et forçant sa vision floue à déchiffrer les étiquettes...

Tout absorbé qu'il était par sa quête, il ne remarqua même pas le cadavre qui gisait là, à demi ouvert et sans doute encore tiéde, sur la longue table de bois clair maculé de sang séché...

Des bocaux sur l'étagère du haut: Griffes de loups... Non. Pattes d'araignée… Non! Semence de crapauds? Dio, quelle horreur!!
Ces fioles-ci, plus bas, sont étiquetées avec une drôle d'écriture, ou alors serait-ce des symboles...? Impossible pour lui de les lire, en tous les cas!
- Rahhhh, maladetta strega* ... siffla-t-il à mi-voix.
Sous le coup de l'agacement le tremblement de ses mains s'intensifia.

Une fiole qui glisse sur le sol. Un fracas de verre brisé... Des pas qui remontent le sentier. Passent le seuil. S'avancent vers la cheminée. Une voix qui semble s'adresser à lui.

Aussitôt Marcello fit volte-face, et, en la regardant distraitement s'acharner à frotter ses mains au dessus d'un sceau débordant d'eau claire, fronçant les sourcils il chercha en vain à comprendre les mots qu'elle venait de prononcer.
Ce n'est que lorsque qu'elle s'approcha de lui, en lui provoquant au passage un léger recul instinctif, que ses clairs et perçants lui désignèrent furtivement l'éternel couvre-chef, qu'il portait depuis si longtemps qu'il avait presque oublié son existence, qu'il comprit ce qu'elle attendait de lui.

La demande était légitime, et nul doute qu'au vu de sa «profession», elle ne devait pas être de celles qui dénoncent.. Et puis, Marseille était loin, de toute façon...
Un long soupir contraint, et finalement d'une main tressaillante, il s'exécuta, et une fois son visage exposé à l'air libre, releva la tête et s'employa tout à loisir à détailler de toute sa hauteur le visage de l'ensorceleuse...

* Foutue sorcière...
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Merance
    Les éclats dorés qui se noyaient dans le céladon du regard de la jeune femme vibraient d'intensité au fur et à mesure qu'elle examinait l'homme au cœur de sa bicoque. Et plus elle l'observait, plus elle trouvait qu'il prenait de la place au milieu de cette pièce qu'elle avait toujours vu si grande lorsque parfois, c'était elle qui était allongée sur cette même table tandis que le père Eusèbe tentait de la rafistoler. Et les souvenirs qui affluaient à sa mémoire venaient se mêler à ce présent qui l'oppressait. Elle fit un effort surhumain pour ne pas se laisser submerger par cette époque, la rejetant bien loin, au cœur de ses souvenirs d'antan alors qu'elle sentait une légère faiblesse dans ses jambes venir la faucher.

    La respiration de la sorcière se fit alors plus difficile tandis que le bout de ses doigts s'engourdissait doucement. Passant le bout de sa langue pour effacer le reste d'une perle de sang qu'elle sentait poindre, la Maudite redressa son corps montrant ainsi à la petite fille d'autrefois qui se terrait quelque part dans son esprit qu'elle serait victorieuse de ce combat intérieur qui faisait rage en elle. N'ayant pas pour autant baisser le regard ou montrer un signe de peur face à l'inconnu, ses pupilles de mousse colorée s'imprégnait toujours du regard sombre face à elle. Merance posa alors ses mains sur ses hanches afin d'appuyer cet aplomb que beaucoup prenait pour de la folie et distraire un temps son esprit qui l'entrainait vers les éternels abysses qui enfermaient ses cauchemars le temps d'un répit.


    - Assieds-toi avant de tomber au milieu de chez moi. Je n'ai pas envie de m'échiner à essayer de te ramasser.

    Le ton était péremptoire et sans appel. La maudite n'avait pas envie de jouer et certainement pas à celui qui en avait plus dans les braies. Parce que Merance, à ce petit jeu-là, elle était comme un pitbull, elle ne lâchait rien. Trop souvent on l'avait réduite à l'état d'être inférieur à grands renforts de coups, aujourd'hui elle était prête à donner plutôt qu'à recevoir. Elle finit d'ailleurs par dire ouvertement ce qu'elle pensait.

    - Et ne crois pas que j'ai peur de toi. Tu as beau avoir eu l'envie soudaine de saccager mes pots et mes fioles, tu n'as aucun droit dans ce lieu et encore moins celui de te croire le maitre ici ! Seule la mort a le droit de me faire frémir ce qui n'est pas ton cas…

    La respiration de Mérance se fit plus profonde tandis que son corps se crispait. Des hommes elle en avait que peu connu même si elle en avait soigné beaucoup mais pour elle, ils restaient des bêtes. Et à en voir l'intérieur de la maisonnée, celui-ci montrait tous les signes qui lui faisaient penser ça d'eux. Inspirant profondément, le regard toujours aussi intense, Mérance laissa tout de même ses yeux faire le tour du propriétaire. Et ils s'arrêtèrent sur la main bandée, tremblante, synonyme, elle le savait, de bagarre durant la nuit ce qui la ramena a Mathieu étendu mort sur la table et recouvert d'un drap qui attendait qu'on vienne chercher son corps pour le ramener à sa famille. Fronçant les sourcils, la sorcière se contracta légèrement, sentant une vague de froid lui courir le long de l'épine dorsale.

    - C'est toi le responsable de tout ce gâchis et tu vas me dire que tu passais par ici par hasard ?

    La maudite finit par lui tourner le dos pour aller jusqu'à l'étagère du fond sur laquelle se trouvait un pot sombre sur la dernière rangée. Au passage de son regard, elle avait reconnu cette façon de trembler qui n'avait rien à voir avec la bagarre dont il s'était mêlé. D'ailleurs, Mérance aurait reconnu les signes pour les subir elle-même et ne voulait surtout pas déclencher une crise de folie passagère dans sa maison. Elle savait que dans ce cas-là, elle n'aurait pas forcément le dessus sur son inconnu et ne voulait pas tenter le diable. Bien que cette pensée la fit sourire légèrement, elle savait que son heure n'était pas encore venue. Remontant sa robe de chaque côté afin d'en attacher les pans à sa ceinture et être plus libre de ses mouvements, la maudite monta sur un tabouret de bois, chercha de sa main le fameux pot secret puis l'attrapa avant de sauter sur le sol. Revenant vers son client du moment, elle lui mit le pot devant lui, posé sur la table et en ouvrit le couvercle.

    - Sers-toi mais juste ce qu'il faut pour te faire du bien maintenant. Je voudrais examiner ta main et je n'ai pas envie que tu t'agites comme un rat dans une cage. Tu serais capable de tenter de me mordre et je serais alors obliger de t'offrir le sommeil éternel.

    Désireuse d'aller mettre un chaudron d'eau à bouillir, Mérance s'arrêta de nouveau devant le brun et posa sa paume sur son front tout en fermant les yeux, murmurant quelques mots dont seule la Maudite connaissait la signification. En effet, elle chassait ainsi le mauvais esprit qui rôdait entre elle et lui et qui se nommait folie. Il était là, lorgnant sur son candidat prêt à l'emploi. Et elle le voyait faire, sur l'épaule du pauvre bougre, à lui susurrer des mots doux comme on ferait du charme à une donzelle afin de la mettre dans son lit. Sauf que les mots doux en question risquaient bien de lui apporter la fureur qu'elle ne voulait surtout pas croiser aussi, il lui fallait museler encore quelques instants ce mauvais génie, le temps que l'italien se jette sur sa réserve de plantes apaisantes. Et sans se retourner, sans un regard à lui accorder, Merance alla s'accroupir devant la cheminée, le chaudron installé en son coeur dont elle remua les braises afin de faire repartir le foyer. Elle jeta quelques branches et feuilles subtilisées au passage sur le manteau de la cheminée qu'elle laissa macérer dans le liquide du chaudron durant quelques minutes. Puis elle enleva la mixture du feu afin qu'il refroidisse tout en se tournant de nouveau vers son inconnu qui, s'il était raisonnable, aurait déjà pris le pavot séché qu'elle lui offrait. Il n'était pas le premier à lui en réclamer et généralement, Mérance ne cédait pas au prétexte bidon qu'on lui amenait sur un plateau afin de tenter de l'amadouer. Il y avait assez d'établissements dans Paris qui fournissaient ce dont ils avaient besoin sans qu'elle ait eu à toucher à son propre stock mais là, il s'agissait d'une urgence.

    S'avançant de nouveau vers lui, Merance glissa sa main dans celle qui était blessée afin de déplier ses doigts et d'enlever le bandage de fortune qui allait lui apporter bien des misères s'il le gardait plus longtemps.


    - Tu vas avoir de la fièvre si tu laisses ça comme ça… Et je doute que tu souhaites déambuler dans la ville mal en point et fiévreux. C'est la pire des choses à faire surtout avec les gens d'armes qui trainent parfois dans le coin…

    Le visage de Mérance s'était adouci, un sourire flottait même sur ses lèvres à cet instant précis et elle se sentit obligée de rajouter un peu plus bas tout de même.

    - Ils ne viennent pas jusqu'ici…

    Et le regard qu'elle posait maintenant sur lui n'avait plus rien à voir avec celui qu'elle lui avait lancé quelques minutes plus tôt. Une certaine sérénité l'habitait, une touche de fragilité aussi, cachée au fond de ses pupilles mordorées, mais une soif de convaincre et d'apaiser. Les gestes étaient doux, légers, à peine si on devait sentir le cheminement des doigts qui s'appliquaient à palper la main abimée.

    - Je vais refaire ton pansement.


    *Fais confiance, écoute ma voix et bientôt tes souffrances tu oublieras*

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Marcello..
Combien de temps s'était-il écoulé alors, depuis que tous deux s'étaient lancé le défi de fixer l'autre d'un regard impassible? Une minute? Dix? Ou peut-être bien rien de plus qu'une infime poignée de secondes...

En tous les cas quel que fut le temps qui avait bien pû passer, celui où Marcello pouvait tenir face à l'attention immobile de quelqu'un sans que la Terre entière lui donne l'impression d'accomplir une triple révolution sous ses pieds était loin, bien loin derrière des rangées de bouteilles enrobées d'un panier d'osier et d'épais nuages de fumée noire...!

Autour d'eux les murs jouaient à se déformer, les poutres du plafond à se rapprocher, et la minuscule lucarne qu'ici on trouvait normal d'appeler fenêtre semblait être faite d'une feuille de papier emportée au grè du vent.
Tour à tour, la voix de la sorcière chuchotait, et puis brusquement se mettait à hurler, changeait de timbre en cours de route …
Devant ses yeux qu'il plissait afin de les forcer à ne pas le tromper, la guérisseuse devint double, triple … et grandit jusqu'à presque toucher le plafond... Dio ... l'été était-il en avance cette année, ou l'insupportable chaleur qu'il ressentait subitement lui venait-elle de l'intérieur?

Vaincu par le tournis Marcello baissa le regard, et alors qu'un vertige le fit s'adosser contre le mur, discrètement il prit appui contre le battant de la porte.

- Assieds-toi avant de tomber au milieu de chez moi. Je n'ai pas envie de m'échiner à essayer de te ramasser.

S'asseoir, oui. Ce serait certainement plus prudent... Approuvant mollement d'un hochement de tête, l'évadé avisa une chaise placée – Ô Providence! – à quelques pas de lui, et tentant plus ou moins de jauger la distance, d'un pas hésitant s'approcha enfin de son but et dans un long soupir, s'y laissa littéralement tomber, la tête entre les mains, s'employant à mâter le régiment de marteaux qui battaient à plein rendement entre ses tempes, en les serrant contre elles.
Et durant tout ce temps, la voix de Mérance lui parvenait, vaguement, comme délayée dans un écho lointain et diffus.

Elle parlait de peur...
« Je demande à personne d'avoir peur de moi... s'entendit-il répondre. ( Ou alors l'avait-il juste pensé..? )
La peur... Bien sûr qu'il était conscient de s'en servir pour arriver à ses fins...Bien sûr qu'il savait la peur qu'il inspirait à la plupart de ceux – les plus nantis, surtout – qu'il rencontrait ...
Pourtant il fut un temps où une autre personne, elle aussi, lui avait tenu à peu de choses près le même discours …
« jamais je ne pourrai avoir peur de toi...» Et pourtant...
Pourtant...
Pourtant elle avait fini tout de même par s'enfuir ...

La voix de Mérance encore. Vaporeuse ... Comme venue de l'intérieur même des murs ... cette voix qui parlait à présent de pots … De pots et de fioles...

Ah oui, les fioles ….

Un autre soupir et lentement Marcello relèva la tête, les yeux à demi clos, avisant les éclats de verres brisés qui constellaient le sol comme la rosée sur l'herbe, et murmura, comme s'il s'adressait à lui-même:
- Ça, c'était... c'était pas volontaire … d'habitude, je suis pas. Hm...enfin, pas aussi...

De lui-même il s'arrêta là, comme si une voix intérieure l'avait stoppé tout net. Une voix qui lui dirait...

« ..."Pas aussi" quoi, hein ?? Bien sûr que si tu l'es!!! Tu l'es devenu en tout cas. Que vas-tu lui raconter maintenant ?? Que le geôlier de Marseille a jeté volontairement sa gorge contre le tranchant de ta lame ?? Ou que le violeur d'enfants de Ventimille t'a supplié à genoux de mettre fin à ses jours ?? C'est une sorcière, pas une imbécile! Ne vas surtout pas lui faire croire que tu es un saint...! »

Secouant la tête alors, comme pour chasser ses pensées, ses yeux suivirent ceux que Mérance avaient posé sur sa main bandée.
- C'est pas aussi grave que ça en a l'air...
Des hématomes qui enflaient à vue d’œil, quelques plaies à peine ré-ouvertes aux jointures, une douleur qui peut-être finirai par passer s'il arrêtait d'y penser... Rien du tout, effectivement. Rien que l'opium n'aurait pu soigner en tout cas ...

- C'est toi le responsable de tout ce gâchis et tu vas me dire que tu passais par ici par hasard ? 

Un coup d’œil machinal, rapide, en direction de l'endroit désigné par le menton de Mérance … et puis les yeux qui brusquement revinrent, incrédules et stupéfaits, sur ce qu'ils venaient juste de voir.
A quelques pas de lui, un cadavre gisait. Un cadavre à la gorge béante, qui entamait sa rigidité sur une longue table de bois, qui, il l'espérait en tout cas, ne servait pas en plus, en temps normal, de table à dresser les repas...!

Alors une irrépressible et stupide envie de rire prit l'Italien à la gorge, et ce fut de justesse qu'il parvint à la réprimer. Un cadavre se trouvait là, tout près d'eux, parfaitement visible dès le moment où l'on passait le seuil. Et lui ne l'avait même pas remarqué...!
La surprise passée, un vague et indifférent haussement d'épaules fut sa seule réponse.

Que dire d'autre? Parce que c'était vrai, au fond: responsable ou non, il n'en avait pas la moindre idée. Un regard où brillait un éclair d'amusement jeté vers la dépouille à moitié recouverte, et...:
- Dommage qu'il soit déjà froid, il aurait pu nous éclairer à ce sujet...

Mais allez savoir pourquoi, certains trouvent des choses drôles, et d'autres non... Etirant un sourire carnassier au coin de ses lèvres, – sourire qui réveilla aussitôt le tiraillement de sa mâchoire qu'il avait pourtant presque réussi à oublier – Marcello se tourna de nouveau vers la sorcière. Et au vu du regard glacial qu'elle lui lançait, il hocha la tête, ravala son sourire, et ne put que constater que visiblement, leur humour devait être l'un de l'autre à des lieues de distance...

Lorsqu'elle se dirigea vers l'étagère encombrée de mixtures, calant sa tête contre le dossier de la chaise Marcello reprit sur elle son observation encore un brin soupçonneuse....quoiqu'un peu plus grivoise lorsque sans vergogne elle releva ses jupons. Il put alors noter tout à loisir la blancheur laiteuse de sa peau ... le galbe fuselé de ses cuisses...

A ce moment un long frisson l'interrompit, tandis que des perles de sueur froide recommençaient à courir le long de sa nuque jusqu'au bas de son dos. Un coup d’œil foudroyant vers le foyer de la cheminée où pourtant de hautes flammes rouge orangé avaient remplacé les braises. Il mourait de chaud il y avait encore une seconde et à présent....à présent il se sentait grelotter!
Foutre Dieu pourquoi ce feu ne parvenait pas à réchauffer la pièce?

A l'instant où Mérance déposa le pot d'herbes devant lui, aussitôt le regard du fugitif se posa sur les feuilles séchées, comme si elles avaient été une sorte de Saint-Graal, pour lui qui ne se souvenait même plus de la dernière fois qu'il avait pu en trouver.
Par anticipation, il passa lentement sa langue sur ses lèvres. Plus que leur parfum qui montait jusqu'à lui, il pouvait déjà sentir leur saveur, la légère brûlure que lui provoquerait dans la gorge la première bouffée qu'il en tirerait, et puis l'engourdissement, la délicieuse léthargie qu'il ressentirait... après ...

Un instant de lucidité, de retour au présent, ses yeux alors remontèrent vers la guérisseuse. Soudain perplexe, l'Italien fronçait les sourcils.

- Comment....euhm..., comment tu....?
Un regard alors vers ses mains, et les soubresauts de plus en plus flagrants qui les agitaient, et serrant vainement les poings afin de les calmer, Marcello hocha la tête et laissa sa question en suspens. Les tremblements, bien sûr, voilà comment elle avait su...
- Sers-toi mais juste ce qu'il faut ...

Ces mots furent tout ce qu'il fallait à l'évadé pour oublier complètement d'écouter le reste, ou en tout cas comme un lointain murmure qu'il entendait plus ou moins, mais qui ne s'adressait pas à lui.
...Oui...oui...oui....Juste ce qu'il faut.
Sans même avoir eu la présence d'esprit de bredouiller un merci à sa bienfaitrice, déjà l'évadé avait tiré sa pipe de sa poche, la bourrait d'herbes sèches, et battait le briquet contre sa pierre.
Une fois...
….examiner ta main...
Bien sûr...oui...tout ce que tu voudras...!
Deux fois....
... pas envie que tu t'agites comme un rat dans une cage …
Mais non...mais non...
Enfin la flamme jaillit.
... t'offrir le sommeil éternel ...

A ces mots, l'éclat de rire qu'il avait retenu depuis la vue du cadavre finit enfin par sortir. Et tandis que doucement, la paume de la guérisseuse vint se poser sur son front, qu'une mystérieuse litanie s'envola de ses lèvres, et qu'il en ressentit un inexplicable soulagement, hochant lentement la tête il ne put s'empêcher d'ajouter:
- Ça, si seulement c'était vrai...

Le sommeil éternel... Dieu sait combien il l'espérait! Mais plus le temps passait, plus l'existence le trahissait, et tout en tirant avec un plaisir non dissimulé sur la première bouffée d'opium, Marcello se rendait à l'évidence: non, la grande Faucheuse ne voulait pas lui...

Un instant plus tard, un calme apaisant vint envelopper la masure. Bruits rassurants. Familiers. Silence relatif d'une vie tranquille et ordonnée au fond d'un coin reculé de la ville...
Au dessus du feu le bruit d'une cuillère en bois qui racle les bords d'un chaudron de cuivre, le crépitement des brindilles. De temps à autres, le sifflement d'un oiseau qui passait à toute volée devant la fenêtre... Inspiration....Expiration...
L'espace d'un instant, libérant au dessus de lui une énième volute grisâtre, Marcello s'autorisa à fermer les yeux. Une lourde fatigue, que l'adrénaline des dernières heures avait minimisé, revint soudain au grand galop, aidée très certainement par la douce torpeur que commençait à lui prodiguer le pavot...
Lorsqu'il les rouvrit, ce fut pour voir la guérisseuse accroupie devant lui, sa main glissée dans la sienne, avec tant de douceur et de précautions qu'il l'avait à peine sentie.

- Tu vas avoir de la fièvre si tu laisses ça comme ça… Et je doute que tu souhaites déambuler dans la ville mal en point et fiévreux. C'est la pire des choses à faire surtout avec les gens d'armes qui traînent parfois dans le coin…

Quel étrange pouvoir que celui les guérisseuses...! Tout en l'écoutant, Marcello se sentait comme engourdi, incapable de bouger, de protester, et encore moins de la quitter des yeux.
Pour la première fois depuis bien longtemps, les battements toujours précipités de son cœur s'étaient enfin apaisés. Il respirait calmement. Profondément. Comme il ne l'avait pas fait depuis des siècles.
Certes l'opium savait être efficace. Mais jamais à ce point...

Le calme de la masure... Les crépitements réguliers des braises...la douce chaleur de sa main dans la sienne...les paupières du fugitif lui semblaient s'alourdir. Leurs clignements devenaient plus lents, et les garder ouvertes paraissaient tours de force...

- Je vais refaire ton pansement. 

Acquiesçant nonchalamment d'un hochement de tête, et cherchant surtout à comprendre ce qui lui arrivait, les sourcils froncés Marcello gardait les yeux rivés sur ceux, baissés et concentrés, de la sorcière, tout le temps que dura son intervention...
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Merance
    Des gestes simples, des gestes doux, des gestes qui prenaient leur temps pour ne pas blesser un peu plus les chairs arrachées… Combien de fois n'avait-elle pas fait ces mouvements ? Même au sein de sa famille, lorsqu'elle avait remis les pieds au château de son père après avoir perdu son époux, elle avait joué les infirmières avec son petit frère. C'était l'un de leur secret le mieux gardé car sa mère aurait préféré la faire dévorer par les chiens plutôt que de la voir approcher de son cher et tendre enfant. Morzan avait tendance à se cogner et se blesser pour un rien et au lieu de le faire savoir pour que leur maman chérie vienne lui prodiguer des soins étouffants, il venait secrètement jusque dans la chambre de Merance, poussait la porte et s'installait là durant une heure ou deux, le temps pour elle de faire des miracles. Quand il repartait de la tour où la jeune femme vivait, personne n'aurait deviné que quelques heures plus tôt, Morzan avait encore joué des coudes contre les murs du domaine.

    Cette pensée tira un sourire d'une tristesse infinie à la Maudite. Son jeune frère, elle ne l'avait pas revu depuis bien trop longtemps… depuis que son frère aîné avait commis l'acte irréparable de faire passer leur père de vie à trépas et qu'elle-même avait lancé un sort pour maudire la famille afin qu'elle tombe en disgrâce. Les de Sabran avait tout perdu, et leur honneur et leur dignité.

    Merance releva le menton en signe de fierté dont elle aimait se parer. Rien ni personne ne lui arracherait ce qu'elle était devenue, rien ni personne n'arriverait à la faire changer à nouveau, elle préférait crever plutôt que de renier la personne qu'elle était devenue… Et le regard de la jeune femme se balada sur les doigts entaillés qu'elle retournait et qu'elle faisait bouger afin de savoir s'ils étaient cassés. Un par un, elle s'en assura avant de se lever et d'aller chercher une écuelle dans laquelle elle versa la mixture du chaudron mis à infuser quelques minutes plus tôt, trempa un linge dedans afin qu'il s'imprègne du liquide puis jeta au feu le bout de tissu ensanglanté avant de cracher au sol en invectivant ce qui était en train de brûler. Elle attrapa une branche séchée suspendue au-dessus de la cheminée qu'elle jeta à son tour sur les flammes qui crépitaient. Et la sorcière se mit à murmurer.


    Putréfaction, charogne infâme, brûleuse de chairs, que ton heure soit veine ;
    péris dans ce feu libérateur, emporte ton poison loin de cette maison.


    Se relevant enfin, Merance revint vers son blessé. Un coup d'œil rapide dans sa direction lui assura le calme dont elle avait besoin puis elle commença à nettoyer les plaies, passant et repassant le linge, tamponnant avec délicatesse les lésions avant de bander la main correctement, d'un linge immaculé. Elle fit un nœud pour maintenir le bandage en place puis se releva et posa à nouveau la main sur le front du brun en poussant un soupire avant de se diriger à nouveau vers l'étagère du fond.

    Prenant une racine, elle la coupa en deux avant de la mettre à cuire au cœur du foyer de la cheminée. Quelques gouttes d'un éclat obscur, quelques mots psalmodiés en touillant, une odeur écœurante se distillait déjà dans la demeure. Mérance sut que son breuvage était prêt aussi le mit-elle dans un godet, y versa quelques gouttes d'un alcool fort que le vieil aubergiste du bordel lui fournissait et le posa devant l'étranger.


    - Bois ça sinon demain tu ne seras plus de ce monde.

    Le regard d'un vert obscur se mua en un vert intense sans qu'elle en ait conscience car malgré la dureté du ton de la phrase, Merance semblait se faire du souci pour son client. Elle n'avait pas envie d'en perdre un second dans la même journée. Son petit côté obstiné qui ressortait et de défier la dame blanche qu'elle ne sentait pas complètement partie depuis la mort du Mathieu lui donnait envie de garder celui-ci en vie.

    Se redressant complètement, les reins creusés dans une attitude princière, le menton relevé en signe de défi, elle attendait juste que Marcello refuse de boire le breuvage. Qu'il ose un peu s'opposer à elle et elle déchainerait les enfers pour lui faire comprendre qu'en pénétrant dans son domaine, il avait abandonné toute volonté. La respiration de Merance se fit plus rapide tandis qu'elle s'approchait de lui, prenant son poignard de dessous sa jupe, elle s'entailla le pouce afin d'en libérer une goutte de sang. Mais avant ça, il fallait lui faire avaler son remède. De sa main libre, elle lui colla le godet dans les mains joignant ses doigts aux siens afin de le forcer à boire ce qu'elle lui offrait.


    - Bois, tu te sentiras mieux après…

    Forçant les limbes dont semblait se parer le brun, Merance dominait la situation. Bien sûr que seules les blessures ne pouvaient pas être mortelles mais l'animal paraissait manquer de sommeil autant que de nourriture et si l'état de faiblesse qui était le sien n'aidait pas, seul, à l'emporter vers le néant, il allait grandement y contribuer donc autant prendre les devants et parer à toute éventualité.

    Tout en tenant le godet, Merance plongea son regard dans celui de l'homme fatigué. Serrant les dents, elle laissa quelques secondes à ce dernier afin qu'il s'exécute puis elle avança son pouce légèrement ouvert afin de lui tracer un signe sur le front pour éloigner les mauvais esprits qui vadrouillaient autour de lui comme sur un marché. A force, la rouquine risquait de se choper une céphalée et ne plus rien maîtriser ce qui risquait de ne pas les aider.

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Marcello..
~ Brise d'automne sur un jardin de Florence. L'odeur suave des orangers embaume jusqu'à la fourrure qui borde l'ourlet des mantels. Des voix d'enfants, une petite fille qui court et rit aux éclats en jouant à faire ricocher des pierres sur la surface du grand lac. Il marche à peu de distance, en suivant la rive hérissée de roseaux, tandis que devant lui se tient une silhouette immobile, toute de blanc vêtue, ses longs cheveux blonds ondulant doucement au rythme du vent. Elle se retourne vers lui, lui sourit, tend sa main à sa rencontre.
« Fammi ballare, angelo... lui dit-elle, il vento profuma cosi buono...*

Et puis le panorama se transforme. Soudain des flammes, de hautes flammes comme un mur infranchissable cernées de lumière noire embrasent la surface du lac, commencent à lécher la berge, mordillent les pieds de l'enfant... ~

Perdu dans un sommeil fiévreux Marcello fronça les sourcils, ensserra de sa main intacte l'accoudoir de son siège, et doucement secoua la tête.

~ Surviennent alors les cris, les cris venus de tout côté qui font fuir en d'innombrables troupeaux des corneilles aux coassements sinistres. La dame en blanc se met à hurler.
- Guarda! Guarda cosa hai fatto...! È colpa tua...! Siamo morti a causa di te...! E colpa tua !!! ** ~

Voix affolée. Intonations coupables. Dans un souffle, il murmura, lançant chaque mot comme si la vitesse avait le pouvoir de toucher celle à qui ils étaient destinés :
« Amore...no...ti prego...perdonami...***

~ Alors les flammes deviennent brouillard. Le lac n'est plus qu'un trou sans fond, duquel s'échappent le longs et insondables gémissements.
La femme en blanc se retourne de nouveau. Son visage n'est plus qu'une plaie suintante d'où s'envole un cri à percer les ténèbres les plus hermétiques .... ~

~


Un brusque sursaut, le souffle court et le cœur battant, Marcello rouvrit les yeux et, balayant la pièce du regard, prit quelques secondes pour se souvenir du lieu où il se trouvait, et quelques autres encore pour se remettre de son cauchemar, incapable de souvenir du moment où il s'était finalement endormi.

Et puis une grimace. L'évadé baissa les yeux vers sa main blessée ornée d'un nouveau bandage, et ressentit aussitôt les légers picotements que lui provoquait la drôle de mixture que la guérisseuse y avait appliquée.

Un regard vers sa pipe, tombée de sa main pour terminer sa course sur la sorte de petit guéridon à côté de sa chaise. Elle a dû s'éteindre au moment où le sommeil l'a surprit.

Vint alors un profond soupir, tandis que doucement la sorcière posait la main sur son front. Sa paume était fraîche. Le contact lui fit du bien. A croire que la fièvre annoncée avait réussi à devancer les soins prodigués ...
Un bref regard au fond de celui de Mérance, puis Marcello laissa de nouveau ses yeux se fermer. Dans son cœur cognait encore le souvenir de ses visions dantesques, tout comme le goût amer de cette culpabilité qui depuis des années lui tiraillait les entrailles. Et alors que son esprit oscillait encore entre rêve et réalité, revint en lui cette question, toujours la même, cette question sans réponse qui résonnait en lui comme une obsession depuis tout ce temps: Et s'il avait été à Florence ce maudit jour de septembre, les choses auraient-elles été différentes … ?

Et si...?

Au bout d'un court – trop court – laps de temps, la main bienfaisante s'éloigna, et les pas feutrés de la guérisseuse, lentement recommencèrent à marteler le plancher. Ré-ouvrant ses paupières au jour déjà bien entamé, machinalement Marcello suivit ses mouvements, tout en s'efforçant d'oublier la vision déformée de celle qui, revenue d'entre les morts par la seule implusion de son esprit embrouillé, venait lui reprocher d'avoir bien trop quitté le monde des vivants.

Encore une marmite. Encore une cuillère en bois. Peu après une odeur répugnante à en vomir qui lui attaqua les narines.

Et dire qu'initialement il ne venait que pour se procurer de l'opium...
Penchant légèrement la tête afin de mieux voir ce que pouvait bien encore trafiquer l'ensorceleuse, et puis celle-ci revint, avec à la main un bol fumant qu'elle prenait toutes les précautions possibles pour ne pas renverser.

- Bois ça sinon demain tu ne seras plus de ce monde...

Un instant Marcello hésita. Mourir demain ? Ou vivre, et attendre patiemment que le sort le fasse tomber encore plus bas qu'il ne l'était déjà?
Un coup d’œil perplexe à la fumée qui s'échappait du godet, un autre tout aussi réticent à la jolie rouquine qui le lui tendait, et dont la respiration sifflante et les yeux réfrigérants lui hurlaient presque qu'il ne lui arriverait rien de bon à objecter.
Il comprit alors à demi-mot ce qu'avait voulu dire l’envoûteuse: Ooooh oui, il allait boire ce godet nauséabond à la couleur à mi-chemin entre le vert et le bleu, car s'il ne le faisait pas, alors c'est par sa main à elle qu'il y passerait! Et dans l'immédiat, très honnêtement, si elle lui sautait à la gorge il n'avait ni la force, ni la lucidité pour avoir le dessus.
Maudit instinct de survie...

Finalement, avec une profonde inspiration, Marcello se saisit du verre tendu.
C'est le moment que choisit la sorcière pour tirer son poignard de sous ses jupons, et avec la solennéité d'une Ursuline s'entailla l'intérieur du pouce. Allait-elle ajouter son sang à la mixture déjà peu ragoûtante qu'elle voulait le forcer à boire? Dans le demi-brouillard où il se trouvait, Marcello suivit ses gestes avec inquiétude, fronça les sourcils et, instinctivement, imprima un mouvement de recul.
- Attends... non...

Pas le temps d'en dire plus. Déjà l'autre main de Mérance se crispait sur la sienne et l'obligeait à ingurgiter une mixture au goût encore pire que son odeur. Grimaçant jusqu'à la déglutition mais s’exécutant malgré tout, à peine avait-il avalé l’écœurant breuvage que la sorcière à nouveau avançait son doigt sanguinolent vers lui.
Sentant monter en lui une angoisse impossible à réprimer, lentement Marcello secouait la tête en signe de refus. Et lorsque Mérance plongea son regard diabolique dans le sien, il se sentit sur le point d'étouffer sous une chaleur brusquement étouffante, incapable de bouger, comme enchaîné à la chaise sur laquelle il était assis.

- Qu'est-ce-que tu m'as fait, sorcière...? s'entendit-il prononcer, d'une voix à tel point altérée qu'il eut lui-même bien du mal à la reconnaître.
Et alors que soudain, une goutte de sang s'échappa de la plaie ouverte pour aller s'écraser sur le sol, aussitôt la torpeur des dernière minutes se changea en un réveil perdu quelque part entre la crise de panique et le rêve éveillé. Ce n'était plus Mérance qui se tenait devant lui, mais la mère maquerelle de Ventimille. Ce n'était plus de son pouce que coulait le sang, mais de la gorge tranchée de cette crapule de Vittorino, dont le corps désarticulé s'avançait lentement vers lui.
- Non....! T'approche pas de moi! ... J't'interdis d'me toucher!!

Piégé au milieu de ces visions terrifiantes comme un lapin pris au collet, brusquement Marcello saisit la sorcière au poignet, repoussa sa main avant qu'elle ne s'approche, et tenta alors de se lever pour fuir tout ce sang qui lui semblait à présent s'écouler de partout, renversant au passage sa chaise, qui tomba en un bruit sourd sur le sol, cognant dans sa chute le guéridon duquel se renversa le godet au trois quart vidé.

Sa tête tournait à en perdre le bon sens. Trahi par un équilibre plus que précaire, à peine debout il trébucha, chercha vainement à se redresser en s'aidant des étagères, d'où chutèrent une poignée de potions... Dans la panique qui l'assaillait, les lattes du plancher paraissaient se déformer, les cloisons de la masure tourner en tout sens...

A bout de souffle, adossé au mur qui jouxtait la porte d'entrée, et poussant contre lui comme s'il avait voulu s'échapper en passant au travers, Marcello fixait sur envoûteuse un regard où se mêlaient terreur et affolement.
Devant lui s'approchaient le geôlier à moitié décapité, la dame en blanc au visage brûlé, et l'enfant à la robe qui flambait encore...
Un signe de croix mentalement effectué, relique encore tenace de son enfance florentine, et Marcello serra les paupières à s'en faire mal, et à toute vitesse, murmura pour lui seul:

- Ave Maria
Piena di grazia
Il Signore è con te
Tu sei benedetta fra le donne, tra gli uomini
E Gesù, il frutto del tuo seno è benedetto
Santa Maria, Madre di Dio, prega per noi peccatori
Adesso e nell’ora della nostra morte...****




* fais-moi danser, mon ange...le vent sent si bon
** Regardes ! Regardes ce que tu as fait ! C'est ta faute ! Nous sommes mortes à cause de toi ! C'est ta faute !!!
*** Mon amour....non....je t'en prie....pardonne-moi...
**** l'Ave Maria en Italien
[/i]
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Merance
    Tout se passa si vite et pourtant, Merance eut l'impression que la scène se déroulait avec une lenteur mortelle qui aurait pu la rendre folle. Extérieure à son propre corps dès l'instant où Marcello avait refermé ses doigts sur son poignet, la Maudite avait ouvert de grands yeux pour mieux appréhender ce qui allait se passer. Et le cœur aux battements irréguliers et affolés de l'Étranger vinrent se mêler ceux de Merance qui gardait un rythme régulier mais assourdissant.

    Le lait de pavot ingurgité bien plus tôt lui permettait un certain détachement même si la lourdeur du sommeil se faisait sentir, la sorcière tenait bon. Et elle tint encore bon lorsque l'homme se leva comme prit d'une crise de panique existentielle, l'entraînant avec lui dans un pas de danse furieux qui la fit trébucher et manquer de s'étaler au milieu de la pièce. Se rattrapant comme elle le pouvait, Merance mit une main sur le mur de pierre le plus pres d'elle afin de reprendre ses esprits, assista au chaos que la bête hallucinée semblait prendre plaisir à mettre dans son logis avant de poser ses deux poings fermés sur ses hanches et de regarder le fou de toute sa hauteur. Il hurlait, il crachait, il semblait à mille lieux de là où il se trouvait réellement et bien que la colère montait en elle, Merance ne put que commencer à se faire du soucis.

    Alors, contre toute attente, la sorcière s'avança de quelques pas, la main en avant, les doigts frémissants tout en gardant la senestre prête à saisir le poignard qu'elle avait replacé sous ses jupes, au cas où l'homme aurait une envie soudaine de lui sauter à la gorge. De ces bêtes-là, elle se méfiait comme de la peste. D'ailleurs sa respiration démontrait qu'elle n'était guère tranquille malgré ce qu'elle tentait de faire croire. Les souvenirs de sa vie maritale lui revenaient en mémoire à chaque pas qu'elle faisait. Comment aurait-elle pu oublier, comment aurait-elle pu laisser partir ces sentiments d'impuissance qu'elle avait ressenti tandis que son jeune âge ne l'avait pas préparé à ce qu'elle vivrait.

    Si son père lui avait appris la danse du fouet et des tournioles qui tombaient à pic quand il était aviné, jamais de la vie elle n'aurait présagé que le devoir conjugal pouvait être si abusif et contraignant… D'ailleurs, ses entrailles se rappelèrent elles-aussi à sa mémoire en lui lançant des signes douloureux de par son corps. N'y avait-il pas une seule partie d'elle-même qui ne se souvenait donc pas de ces quelques années ?
    Peine perdue, elle le savait d'avance. A tout jamais Lothaire, Conrad et Rodolf, les biens nommés père et fils, ne la laisseraient tranquille. A tout jamais, ils resteraient ses propres démons venant de jour comme de nuit lui arracher le peu qui lui restait. Manquant d'air à cette évocation, la sorcière s'arrêta un instant, baissa le visage, se plia légèrement en deux, le corps vers l'avant, les mains sur les genoux comme pour reprendre sa respiration après une course haletante. Il lui fallait chasser ce venin qui était sien, ce poison qui s'infiltrait dans ses veines et la rudoyait à petit feu. Quelques gouttes de sueurs perlèrent sur le front de Merance qu'elle chassa du revers de la main. Ce n'était pas le moment d'avoir un malaise ni de voir venir une nausée alors elle redressa le corps, une main sur sa hanche, une autre qui traversait son ventre pour s'attacher à sa hanche, la jeune femme tentait de calmer les légers tremblements qu'elle subissait. Et devant le regard hagard de son blessé, elle reprit pied doucement dans cette réalité chassant à grand renfort de respiration profonde les souvenirs de ses jeunes années.

    Une fois l'opération terminée, alors seulement, les pas de Merance reprirent leur avancé. Doucement mais surement, la voix presque trop douce pour être réelle, la sorcière offrait des mots à son inconnu afin de calmer ses maux. La peau diaphane de la rousse fit ressortir son regard obscurcit non pas par la colère ou la méchanceté mais par la curiosité. Le mal était bien enraciné chez le fumeur d'opium et ça n'avait rien à voir avec sa dépendance à la drogue. Autre chose venait percuter chaque parcelle de sa peau, la rendant presque électrique, du moins sujette à de longs frissons. Et soudain elle comprit. Seule la mort pouvait se jouer ainsi des souvenirs comme des vivants, seule cette dame aux dents acérées pouvaient construire de terribles rêves afin de vous y enfermer pour son plus grand plaisir.

    Merance donna un grand coup de rein afin de se redresser faisant fi de ce que la mort désirait. Et tout en s'adressant à elle, elle s'approchait de Marcello.


    - Laisse-le tranquille, tu n'as pas eu assez aujourd'hui ? Cette maison t'appartient mais ne vient pas marcher dans mon jardin sans y être invitée ! Celui-ci est à moi alors sors de cette maison et va faire ton marché ailleurs… putréfaction divine, n'es-tu pas repue de sang et de pourriture ?

    La voix de Merance n'était qu'un souffle dans le vent tandis que sa main se posait sur l'épaule du brun qui psalmodiait de vielles prières d'église ce qui provoqua un léger sourire à la jeune femme. Pour un peu, elle aurait mis un genou à terre pour prier avec lui mais ça, c'était avant. Avant que le malin rampe jusqu'à elle pour lui offrir la mort dans cette propre maison et qu'on la ramène à la vie dans un souffle. Ce souffle de vie qui lui permettait d'être encore debout malgré les années, faisant son possible pour choisir qui vivrait et qui mourrait.

    La main libre de la Maudite fouilla dans la poche de sa vieille robe élimée et en sortit une poussière qu'elle jeta autour de Marcello et d'elle-même dans un cercle presque parfait.


    - Ce n'est pas son heure alors laisse-le tranquille. Il est à moi celui-là… il est à moi tu m'entends…

    Le corps de la jeune femme se crispa profondément tandis qu'une douleur le long de sa colonne vertébrale se fit ressentir. Et sans pour autant lâcher le drogué dont elle resserra sa prise de ses doigts sur son épaule, elle serra les dents afin de chasser la douleur. Sa tête partie légèrement en arrière tandis qu'elle cambrait les reins dans une allure presque lascive. Mais cette dernière fut de courte durée car de ces combats-là, Merance en avait souvent mené et sa résistance à la douleur n'avait fait qu'augmenter. Pour un peu, elle aurait remercier Lothaire et ses coups de poings à répétition sans oublier ses coups de pieds. Que n'avait-il pas mis en marche une fois la bague passée au doigt ? S'il savait que finalement il lui servait à quelque chose, le pauvre homme serait mort une seconde fois. Et tandis que la nuque de la jeune femme se crispait à la faire presque hurler, Merance lacha Marcello afin de se mettre devant lui, les bras en croix, le regard étincelant, la robe de travers et la chevelure en bataille. Et la maudite se mit à hurler.

    - FOUT LE CAMP D'ICIIIIIIII….

    Et d'un geste sûr, elle se retourna pour poser son pouce dont s'échappait encore quelques perles de sang sur le front du pauvre étourdit qui tremblait de peur autant que de froid. Et dessinant un signe aux allures magiques, elle fredonna deux ou trois mots ou serait-ce même des incantations mais qui serviraient de protection tant qu'elle l'avait décidé.

    Une fois ce rituel terminé, Merance observa l'homme dans un triste état, posa sa main libre sur sa joue afin d'attirer son attention et elle se mit à parler de cette voix douce qu'elle n'utilisait que lorsqu'elle était avec Guylhem et qui lui servait à chasser les craintes et autres appréhensions loin de cette vieille bicoque.


    - N'ai pas peur, je ne te veux pas de mal… juste t'aider... un peu…

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Marcello..
Ré-ouvrant brusquement les yeux en sentant le contact d'une main sur son épaule, un tour d'horizon rapide assura à Marcello qu'à son grand soulagement, les esprits de ceux qui étaient morts par sa faute avaient disparu. De sa terreur incontrôlable de tout à l'heure, de la panique qu'il avait éprouvé en voyant couler le sang du doigt de la sorcière, il n'en avait plus qu'un vague souvenir.

Une légère grimace lorsque l’envoûteuse en resserrant son étreinte, enfonça ses ongles dans sa chair. Un froncement de sourcils à peine perceptible lorsqu'elle se mit à hurler. Tout lui paraissait lointain, comme s'il assistait à la scène de l'extérieur.

Douloureusement son cœur continuait de cogner, sa respiration saccadée ...
Par réflexe, Marcello chercha des yeux sa pipe à opium, et la trouva, par terre, à trois ou quatre pas de là, tombée en même temps que le godet de potion lorsque le guéridon s'était renversé. Un vague soupir... De toute manière, s'il avait seulement essayé, il n'aura pas pu se relever, tant son corps tout entier lui semblait comme figé, anesthésié, comme à chaque fois que ses nerfs trop éprouvés s'apaisaient, et qu'un insondable bourdonnement venait remplacer dans sa tête les voix toute pleines de reproches qui lui rappelaient la manière dont peu à peu, il était passé d'une existence aisée à la déchéance sans nom qu'il vivait aujourd'hui.

Ainsi, Marcello laissa-t-il la sorcière agir sans vraiment réaliser ce qu'il lui arrivait. Psalmodier des mots qu'il ne put comprendre, et tracer sans protester sur son front un mystérieux symbole de sang qu'il ne put interpréter. Qu'elle fasse ce qu'elle voulait de lui désormais, cela n'avait plus aucune importance...
Il se sentait vidé. Épuisé. Incapable de penser ou de parler. Le moindre de ses muscles, le plus petit de ses os étaient tendus à l'extrême. Au milieu des litanies de Mérance, il entendait sa propre respiration s'échapper en tremblant de ses lèvres.
Et puis brusquement, une série de questions comme venue de nulle part traversa furtivement son esprit:
D'où venait-il cette nuit, lorsqu'il s'est réveillé dans cette impasse? Où était-elle en ce moment ? Pourquoi l'avait-elle laissé tomber si bas...? Et Laura? Et sa fille, qu'il n'avait même pas eu le temps de connaître? Pourquoi avait-il fallu qu'elles disparaissent...?

En lui une rage sourde, et une tristesse inconsolable se disputaient la place.
- Laisse-moi mourir... s'entendit-il murmurer, si bas que ces mots devaient être à peine audibles pour la sorcière, laisse-moi les rejoindre, par pitié ….

Alors la main toujours incroyablement fraîche de Mérance vint doucement se poser sur sa joue. Alors leur regard se croisa. Alors elle reprit la parole. Doucement. Calmement. Haussant les sourcils, au prix d'un gros effort Marcello s'efforça de répondre, à peine plus fort que précédemment.
- M'aider..? répéta-t-il d'une voix sceptique.
Lentement, il secoua la tête.
- … ça ... personne peut plus le faire...
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Merance
    Le corps de la sorcière s'était penché légèrement en avant afin de se rapprocher de l'homme qui, malgré lui, venait d'être sauvé. Car si elle semblait ne pas faire attention à ce qu'il se passait, Merance avait très bien entendu les quelques paroles qui s'étaient échappées à voix base de la bouche du brun. Et tandis qu'elle venait de s'opposer à celle qui aurait pu le soulager, il la réclamait. Alors machinalement, la Maudite se recula de quelques centimètres, incapable de savoir si elle voulait lui tordre le cou elle-même ou bien le laisser s'enfoncer encore plus dans les méandres de ses souvenirs qui le détruisaient.

    Inspirant profondément, donnant un coup de reins pour se reculer, les yeux de la rousse s'obscurcirent jusqu'à toucher du bout des doigts le vert le plus profond qui pouvait exister. Le menton relevé en sorte de défi, les lèvres pincées, elle considérait l'homme de pied en cape. L'inspection dura quelques minutes, des minutes d'un silence morbide avant que Merance n'abaisse ses paupières signifiant que sa décision était prise. Alors seulement il sembla à son corps qu'il reprenait vie mais la douceur dont elle avait fait preuve quelques instants plus tôt s'en était retournée dans les tréfonds de sa conscience. Elle s'adressa alors au drogué.


    - Puisque tu veux mourir, c'est simple, achève-toi au lieu de chercher du réconfort et faire en sorte que ta vie soit assez misérable pour l'accepter.

    Un rire mesquin et terriblement dur résonna entre les lèvres de la Maudite. Cette fois-ci, elle n'avait plus aucune compassion pour lui. Et elle reprit de plus belle.

    - Tu dis que personne ne peut t'aider c'est ça ? Mais détrompe-toi…

    Et Merance traversa la distance qu'elle venait de mettre entre elle et lui, lui attrapa le cou juste sous le menton pour lui faire redresser la tête, l'obligeant ainsi à ce qu'il la regarde bien dans les yeux. Et là, tout proche de son visage, presque nez contre nez, bouche contre bouche, les traits déformés par la colère qu'elle ressentait au fond d'elle-même, la sorcière se fit cruelle.

    - Tu n'as pas les tripes de crever, tu appelles la mort mais tu fais tout pour lui échapper. Tu n'as aucun courage finalement comme tous les hommes que portent cette terre. Vous criez aux loups mais vous ne voulez surtout pas aller jusqu'au bout des choses.

    Les dents de Merance se serrèrent quelques secondes afin de canaliser ce qu'elle ressentait. Ses doigts s'enfoncèrent dans la chair, son pouce était près de la jugulaire qu'il aurait pu lui couper la vie sans qu'il ait eu le temps de réagir.

    - Appelle donc la dame blanche et offre-lui ta vie misérable. De toute manière tu ne vaux pas grand-chose à ses yeux…

    Par contre les yeux de la jeune femme lançaient des éclairs. La colère était loin de s'apaiser et il lui faudrait longtemps pour y parvenir. Tendant son propre cou, elle contracta sa nuque et son corps se raidit.

    - Je t'offre une dernière volonté… une nuit sans rêves où tu trouveras le sommeil qui te manque. Et à ton réveil, puisque tu le veux si fort, je te donnerais ce qu'il faut pour t'ôter la vie. Tu dis que personne ne peut rien pour toi mais détrompe-toi. Sauf que tu ne sais même plus regarder autour de toi pour comprendre ce qu'il se passe…

    Et Merance se recula de plusieurs pas, s'éloignant de celui qu'elle avait sauvé peut être un peu trop tôt. Un dernier regard emplit de dédain, elle lui tourna le dos afin de ramasser quelques éclats de pots cassés dont le sol était jonché. Et toujours sans se retourner, elle lui lança.

    - la porte derrière toi, il y a une paillasse, tu peux t'y installer pour réfléchir et faire tes adieux à cette vie. Quand tu te réveilleras, tout sera prêt pour toi…

    Se dirigeant vers la cheminée, la jeune femme posa ses morceaux de pots cassés à côté du corps de Mathieu. Guylhem ne devrait pas tarder à revenir de sa balade chez le forgeron, elle l'aiderait à se débarrasser de tout ça. Mais en attendant, elle chercha quelques branches séchées qui trônaient bien en hauteur dans le fond de la maison. En en décrochant quelques unes qu'elle choisit avec application, elle murmura des mots, des phrases, qui n'avaient aucun sens pour celui qui les entendait mais qui auraient leur petit effet puis elle les jeta au feu en laissant s'échapper quelques mots dont elle avait le secret.

    Que le silence te prenne, que la douleur s'éloigne mais que ton sommeil aux portes du néant te conduise.
    La nuit est tienne, dans sa noirceur domptes ta peur, de tes derniers instants tu vis.
    Le vœu est formulé, tu seras donc exaucé.


    Les émanations des branches qui brulaient s'échappaient déjà au travers de la vieille maison. Une odeur entêtante et envoutante se répandait au travers de chaque pièce qui donnerait bientôt une impression aux occupants que tout flotterait. Et les senteurs emporteront avec elle le rêveur qui souhaitait tant perdre la vie pour un dernier voyage avant qu'à l'aube, sa vie s'échappe à jamais.

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Marcello..
Citation:
- Puisque tu veux mourir, c'est simple, achève-toi au lieu de chercher du réconfort et faire en sorte que ta vie soit assez misérable pour l'accepter.

A ces mots, fronçant les sourcils et grimaçant furtivement, Marcello prit une profonde inspiration qui se bloqua instantanément dans sa gorge, comme si à la seule idée d'abréger lui-même son existence, le crucifix posé sagement sous sa chemise au bout de sa chaîne lui brûlait la peau jusqu'au sang.
Lorsque d'un geste péremptoire Mérance le força à lui faire face, il se sentait tout aussi capable de lui résister qu'un pantin de chiffons.


En l'écoutant, Marcello déglutit lentement, tandis que ses yeux oscillèrent entre le regard intense de la sorcière, et ses lèvres, encore légèrement zébrées de morsures, qui en parlant remuaient si près des siennes.
Dans son esprit copieusement embrouillé, les mots qu'elle prononçait faisaient écho à une kyrielle de souvenirs tenaces: les brimades de sa jeunesse à l'armée, le regard suppliant de tous ces gens qu'il avait tué, la voix tonitruante de son père, les pleurs de sa mère, la mort de Laura que son frère lui avait annoncé à son retour de Castille, la tombe de son fils, la fuite de Mylena, son évasion des geôles putrides de Marseille … et les mois et les années de déchéance qui l'avaient mené là où il en était aujourd'hui. Un bourdonnement furieux résonnait entre ses tempes, tandis que Mérance, encore et encore, lui martelait des paroles aussi justes qu'implacables.
La mixture qu'elle lui avait fait boire éteignait doucement en lui toute volonté et toute force. Progressivement il se sentait glisser, entraîné vers ce gouffre sans fond qui le narguait depuis si longtemps...Et qui l'attirait. Fatalement. Inexorablement.

- No, amore ... non adesso ... *

Citation:
- Appelle donc la dame blanche et offre-lui ta vie misérable. De toute manière tu ne vaux pas grand-chose à ses yeux…

Ça alors, comme s'il ne le savait pas déjà … comme s'il n'avait pas idée que s'il devait mourir à cet instant précis, personne ne le regretterait ? L'un après l'autre ceux qui comptaient pour lui étaient soit déjà morts, soit avaient disparus depuis des lustres. Dieu qu'il est facile d'être entouré quand tout va pour le mieux! Mais quand on a tout perdu, qui reste encore?
Alors qu'avait-il, au bout du compte, pour se rattacher à cette existence?


Tandis qu'il s'efforçait de soutenir le regard de la sorcière, des larmes de rage qu'il n'avait pas vu venir lui troublèrent la vue, des larmes qu'il était bien trop fier pour laisser couler, et qu'il refoula, aussitôt leur présence remarquée. Mais qui, par orgueil, lui firent cependant détouner les yeux.
- Tu comprends pas … personne peut comprendre ce qui...

A bout de nerfs, Marcello laissa sa réponse s'évanouir en un profond soupir, serrant et desserrant les mâchoires à en faire vibrer les tendons. A cet instant, il aurait pu tuer pour une longue rasade d'eau-de-vie, ou pour une dose d'opium suffisamment forte pour perdre le peu de conscience qui lui restait encore.


Citation:
- la porte derrière toi, il y a une paillasse, tu peux t'y installer pour réfléchir et faire tes adieux à cette vie. Quand tu te réveilleras, tout sera prêt pour toi… 

Tour à tour, son regard accrocha la porte que lui désignait Mérance, la terre cuite des bocaux brisés sur le sol, les flacons d'étranges mixtures entassés un peu partout, et le cadavre qui attendait de redevenir poussière, plus raide qu'un linteau de bois sous son linceul de fortune.
Une soudaine bouffée d'angoisse s'insinua en lui, tandis que son cœur s'était remis à cogner jusqu'à la nausée.

Pourquoi avait-il fui la corde qui l'attendait? Pourquoi avait-il quitté Florence? Si ce n'était pas pour elle ...
Trouver le sommeil qui lui manquait? Et mourir au petit matin, vaincu par une autre potion, qui enfin le délivrerait de cette vie qui avait tant changé...? Calmer enfin ses angoisses auprès d'elles... revoir à nouveau le sourire de Laura...entendre à nouveau le rire de sa fille ... Dieu que c'était tentant!
Et pourtant...

- Ti prego angelo, rimani vivo per noi...**

Un lent clignement des paupières, tandis que déjà, l'envoûteuse reprenait ses mystérieuse litanies devant le feu nourri du foyer, et d'un ton fatigué, débordant de mépris, entre ses dents serrées l'Italien murmura:
- Ecoute-toi parler, sorcière... tu donnes la mort comme on donne des friandises à des enfants. Et t'oses me faire la leçon sur l'importance de la vie...
Toi, t'es juste ... t'es rien d'plus qu'une faiseuse de fantômes...

Sur ces mots, en s'aidant de sa main intacte Marcello se leva péniblement, et s'adossa un instant au mur afin de recouvrer son souffle, et de maîtriser le tournis insensé de la pièce. L'odeur des herbes brûlées commençait déjà à lui monter à la tête. Dans quelques minutes, quelques secondes peut-être, il n'aurait même plus la présence d'esprit de resté éveillé. Déjà, ses yeux avaient du mal à rester ouverts, mais, rassemblant ses dernières forces, l'évadé redressa la tête, et poursuivit:
- Garde tes filtres et tes poisons pour un autre qui les mérite... T'as raison,va... je vaux pas la peine que tu perdes ton temps à c'point...

Tâtonnant en tremblant la cloison de torchis, jusqu'à enfin trouver et tourner la poignée de la porte qui menait au dehors, porte qui s’entrebâilla bruyamment tandis qu'en sérieux manque d'équilibre, Marcello s'appuya sur le battant, et suivit en titubant son mouvement jusque contre le mur extérieur...

* Non mon amour, pas tout de suite ...
** Je t'en prie mon ange, restes en vie pour nous

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