……Toujours placé derrière Zézé qu’il tient serré contre lui depuis le début, Sandino par deux fois s’est saisi des mains de sa compagne pour la faire applaudir en douceur. Une première fois pour Nannou, Clay et Mortemer, la seconde pour Dom, lequel à l’instar de ses trois prédécesseurs sur la scène improvisée a réussi à captiver l’auditoire.
La longue nuit est maintenant bien avancée, il serait temps de reprendre des forces juge t’il, mais il faut encore attendre.
Gratifiant Zézé d’un tendre baiser, il la quitte pour rejoindre la scène improvisée.
- quand c’est prêt faites le savoir…Fait-il au passage à Kraki et Paimbohe qui s’activent devant la broche.
Assis en tailleur sur le bord de la scène au plus près des participants, une timbale de vin devant lui, il profite du silence né de son installation pour débuter son propos.
- compagnons du solstice, ce qui se joue cette nuit ne fait plus mystère, c’est le combat de la lumière et de l’obscurité…
certes c’est avant tout une affaire cosmique qui nous échappe, cependant l’homme depuis la nuit des temps s’est approprié le phénomène y compris en le choisissant comme jour de naissance d’un bon paquet de divinités, c’est dire l’importance symbolique de ce jour précis.
Ce qui est rarement souligné par contre dans ce combat dont la victoire revient invariablement à la lumière, c’est qu’à bien observer l’obscurité on finit par desceller des nuances de noir, le signor Petrus ici même qui est peintre pourra sans peine le confirmer, et dans ces nuances on parvient à force d’observation, on parvient par distinguer les formes vagues de ce qui est là, à contrario à trop observer la lumière on devient aveugle !!
Est-ce à dire que l’obscurité n’est pas si obscure et que la lumière plus elle est vive moins elle se laisse regarder ?
Je vous laisse juge, mais avant de vous faire votre propre idée, laissez-moi vous conter l’histoire de la fin du Prince.
Le patriarche boit une bonne gorgée de vin et se lance dans le récit.
- L’action se déroule dans le palais d’un royaume au nord d’un continent oublié.
Toujours entre deux portes le nain de Stanizlas menace de rire.
Pleurer c’est encore ce qu’il fait de mieux aux dires de tous, tant son rire glace le sang et vrille les tympans.
Accompagné des grelots de son couvre chef, son rire hante le château, roulant comme un orage de pièces en pièces.
Mais ce jour, il rit moins, au palais l’heure est grave. Penchés sur le Prince les savants se concertent à voix basses.
Dans le palais leurs paroles sont écoutées comme l’oracle, leurs propos ne seraient que tissus d’inepties qu’ils resteraient en grâce aux yeux de tous tant leur prestige est grand.
- Je pense que c’est la goutte. Dit l‘un d’eux.
- La goutte qui fait déborder le vase !! Glisse le nain en riant à gorge déployée se tenant les cotes tout en secouant ses grelots.
-Suffit !! Gronde le plus jeune des savants encore sensible aux facéties du bouffon.
- SUFFIT !! Répète le nain en imitant le jeune clerc.
Les autres savants comme un seul homme, se tournent vers le benjamin du groupe, leurs yeux expriment de l’agacement teinté de dépit. Les soupirs en chorale qui suivent font alors craindre le pire à ceux, famille et membres de la cour relégués au fond de la chambre.
Antares le jeune astrologue, le dernier arrivé dans l’élite pensante du petit royaume, baisse la tête sous les regards sévères de ses aînés qui le pressent de garder son calme. Diable !! ne lui ont-ils pas commandé de faire comme si le nain n’existait pas.
Le doyen des savants, bien que très jeune encore, habitué aux bravades du bouffon décide de donner la parole à l’astrologue afin de l’aider à reprendre pied.
- Dis-nous Antares, que disent les étoiles ?
Un instant d’incertitude passe, comme réveillé subitement Antares se penche et fouille dans un sac de cuir marron. Après examen d’un, puis d’un second parchemin, il répond sûr de lui.
- C’est Saturne le responsable.
- Saturne !! Saturne !! Quand Saturne c’est pas droit !! Raille le bouffon à présent planté devant l’astrologue qu’il fixe narquoisement du bas de sa petite taille.
Un rire faible suivit d’une quinte de toux secoue le Prince, d’un geste bref du fond du lit à baldaquin il congédie l’assemblée. Alarmé par la toux, le nain monte sur le lit, debout sur l’épaisse peau d’ours qui recouvre la couche, il regarde un instant le malade avant d’ordonner à tous de sortir.
…Désormais dans la chambre vidée de son surplus de savants, familiers, affidés et autres, résonne seul le souffle court du Prince Stanizlas.
Couché à ses cotés sur le grand lit royal, Magnus le nain chante doucement une berceuse pour son protecteur assoupi. Au-dessus des deux hommes, un ciel de lit brodé aux quatre coins d’angelots à trompettes, avec au centre un Christos auréolé de rayons qui montre de son doigt un point dans le cosmos intrigue le bouffon depuis qu’il est au service du Prince.
De son petit doigt au bout de son bras trop court Magnus singeant le messie de soie sauvage, pointe le Prince Stanizlas en chuchotant.
-Moi Magnus le Grand t’ordonne de guérir Prince Stanizlas.
Sans déciller, d’une voix faible, le Prince réagit comme si un rayon magique sorti de l’index du bouffon l’avait touché.
- Que dis-tu petite chose ?
Le nain ravi d’entendre son maître, rampe jusqu’à hauteur de la tête pale qui dépasse du drap blanc.
- Mon souverain est-il mieux ?
- Si c’était le cas c’est bien à toi que je le devrais, je ne sais quel mal me frappe, y voyant clair je reste aveugle tout autant que muet en ayant tant à dire…
- À la bonne heure messire Prince vous n’êtes point encore sourd !! Rétorque le bouffon maintenant debout sur le lit prêt à faire une pitrerie pour la joie simple de son seigneur.
- Si je ne le suis moi-même, combien le sont autour de moi ? Allez !! Cesse tes roulades, j’ai besoin de calme, va coucher sale bête !!…
Magnus le facétieux feignant l’affliction, un masque de désarroi sur le visage descend du lit d’un bond malgracieux en grognant puis disparaît sous le lit princier.
…Stanizlas a passé une nouvelle nuit, « Janus » sorti tôt en ce mois de Juin illumine la vaste chambre orientée à l’est comme l’a décidé l’architecte de son Père Roi des marches du Septentrion.
« Ce matin est peut être le dernier »… fut la première pensée du Prince au lever du soleil.
Son état empirait il le sentait bien, vivre plus longtemps n’était plus important.
Le Prince Stanizlas, incarnation du pouvoir, qui ne devait pas être dérangé par les contingences humaines, pour lequel tout avait été entrepris afin de garantir la quiétude, ce prince arrivé au seuil de la gloire s’éteignait doucement, comme une chandelle privée d’air, une plante privée de Soleil.
A l’aube d’être couronné, contre toute attente, ce Prince auquel tout était promis se mourait d’un mal inconnu, l’incompréhension alimentait les discussions. Nul n’avait été capable de nommer le mal à l’œuvre. Au château tous s’interrogeaient.
« Tout n’avait-il pas été fait pour donner au Prince le meilleur des environnements ? »
« Les serviteurs, aides, amis, parents, n’avaient-ils pas été écarté, quand le temps assassin dessinant son passage sur leurs visages pouvait alerter le Prince ? »
En effet, tout avait été fait pour écarter la mort, la déchéance, la douleur, la souffrance, jusqu’aux fleurs tout juste fanées que de petites mains la nuit venue faisaient disparaître des massifs avant le matin.
Jusqu’à la disparition du Vieux Roi et de son épouse, qui ne pouvant plus masquer les ans à grand renfort de teinture et de crème rajeunissante s’étaient retirés dans un monastère, invisibles désormais aux yeux de leur fils les croyant partis pour un long voyage.
On en venait presque à maudire en silence le mourant d’autant d’ingratitude.
Ce fut l’entrée inattendue de Sophia qui mit fin au bourdonnement des conversations feutrées.
De son bâton ferré elle fit taire les derniers bavards en frappant un coup sur le sol dallé de la chambre. Un seul coup qui parut alors comme étant un millier de coups, plus tard on dirait que des murailles du premier cercle aux colonnes sœurs, tout avait tremblé.
Ce fut d’une voix forte qu’elle prit la parole.
- Vous tous ici présent faites silence et écoutez !
Votre Prince se meurt de n’avoir pu aimer vraiment, prisonnier de cette prison dorée.
Par orgueil vous avez défié les lois de la nature en instituant le règne du toujours beau, du toujours jeune, du toujours frais.
De cette tyrannie du bonheur, de cette obligation à la joie, il est la victime.
Que vaut le sec sans l’humide ? le doux sans l’amer, le jour sans la nuit, l’été sans l’hiver ?
En instituant un bien artificiel en dogme vous avez construit un bonheur de comédie !!
Que vaut la vie sans la mort ? La victoire sans la défaite, le bien sans le mal, les Dieux sans les Diables ?
Vous avez manqué d’humilité !! le vrai pouvoir se gagne face à l’adversité, il n’est ni bon ni mauvais, il est autre.
D'abord équilibre entre joie et peine, blanc et noir, vrai et faux, il se transforme en sentier lumineux quand des contraires combinés, naît la vérité !!
Equilibre et mesure devaient être les fondements de votre route, à la place c’est un sentier d’ignorance que vous avez emprunté.
Le Prince meurt de n’avoir pu mesurer ce qui faisait de la vie un combat sans cesse renouvelé, mort de n’avoir su aimer au-delà des apparences du beau.
Un pouvoir aveugle aux misères, un pouvoir établi sur la fausseté, meurt comme votre Prince, sans jamais avoir vraiment existé.
L’écho de ses dernières paroles encore vibrant dans la pièce que déjà Sophia quitte la chambre.
Fin de l'histoire...