Il flottait une odeur de fleur dans la salle deau. Fragrance de rose sans aucune doute mais également dune autre fleur que le Montoya narrivait pas à distinguer. Lhomme nétait familier ni avec les plantes ni avec les fleurs. Quelques instants auparavant, suivant les directives de la domestique, il était passé par le salon pour récupérer des vêtements propres. Si cela faisait ses affaires, Hristo fut cependant étonné que la Rhénane dispose en son hôtel parisien dun tel ensemble masculin. Loreleï utilisait-elle cet hôtel pour ses escapades libertines? Lors de leur conversation la veille, elle navait point fait mention dun époux malgré les compliments galants de libère. Hristo en avait conclu que dépoux, il ny en avait point. Dailleurs, amène t-on en pleine nuit chez soi un homme lorsque lon est marié? Bras dessus bras dessous? Invite t-on un inconnu à trousser sa jupe
même pour se dépêtrer dune situation tendue? Non, point de mari pour la Rhénane. Un amant? Régulier? Occasionnel? Un courtisan payé pour égayer ses nuits parisiennes? Les vêtements posés sur la chaise en face de lui navaient rien de vulgaires oripeaux. Ils étaient neufs ou peu fréquemment utilisés. Leur discussion de la veille avait été interrompue par larrivée des italiens. Manifestement, elle se devait dêtre reprise pour éclaircir certains zones dombres.
Dombres justement il en fut question dans les pensées oniriques du catalan. Les bras appuyés de part et dautre sur les bords du baquet, lhomme ferma les yeux et laissa son esprit errer à mi-chemin entre conscience et sommeil. La fatigue de la nuit passée commençait à le rattraper et le voyage à cheval sous le soleil parisien navait rien arrangé
La chambre était plongée dans le noir. Il ny voyait rien. Il savait cependant quil était confortable allongé dans un lit à baldaquin, enveloppé dans des couvertures de satin. Un halo lumineux se découpa progressivement dans les ténèbres pour finalement devenir une fenêtre. Le contraste noirceur - lumière éclatante laveuglait mais peu à peu cette dernière satténua. Au delà de la fenêtre, des nuages apparurent puis des toits faits de tuiles rouges, des façades de maison. Le son fit son apparition avec le brouhaha de la rue. A nouveau lobscurité prit le dessus mais cette fois elle avait la forme dune silhouette, un corps de femme qui se dessinait en contrejour devant cette fenêtre. Un corps de femme au petit matin, baigné par les rayons du soleil de Paris. Des zones dombre à éclaircir? Ou à enlacer? Elle avait le menton relevé, la tête légèrement penchée vers larrière. Une cascade capillaire retombait sur ses épaules, rebondissait et suivait ensuite les courbes naturelles dun pays qui lui était encore inconnu. Elle avait croisé les mains derrière la tête, le buste à peine arc-bouté vers lavant. Il sétait approché. A cette silhouette féminine, il avait adjoint la sienne, plus masculine. Ses bras étaient devenus lécrin dune pierre noire se reflétant dans les rayons du soleil. Sa tête sétait penchée vers le cou de sa captive, ses mains découvraient une Terra Incognitae faite de creux et de vallons, les explorant de la paume de chacun de ses dix doigts. De lextrémité de sa cuisse jusquaux sources de son buste. Elle sétait retournée dans ses bras et ses lèvres sétaient approchées inexorablement des siennes. Lorsquelles entrèrent en contact, le décor sévapora. Ils se retrouvèrent tous les deux enlacés dans la même position, vêtus lun et lautre dépais manteaux. Le vent balayait avec force léperon rocheux sur lequel ils se trouvaient. Il semberlificotait entre les murailles et les tours du château, simmisçait dans les interstices entre les pierres disjointes, passait au dessus des remparts fragilisés par lassaut incessant des machines de guerres comme ces mangonneaux et ces trébuchets qui se dessinaient au loin. Elle sétait retournée, avait appuyé son dos contre le torse de son compagnon. Il navait pas relâché son étreinte, ses bras enserrant toujours sa taille. Elle avait porté son regard vers lhorizon au delà des cimes et des monts, scrutant ces lieux avec un mélange dangoisse et despoir. Lui ne parlait pas, nexprimait ni crainte ni espoir. Son regard ne portait pas si loin. Il observait le camp des assiégeants au pied de léperon rocheux et il serrait les dents, le visage empli de haine contre cet ennemi viscéral, ceux qui les nommaient ironiquement les parfaits.
Combien de temps le Montoya avait sommeillé? Il lignorait. leau avait refroidi et avait pris une teinte grisâtre lorsquil avait plongé la tête pour laver ses cheveux maculés de suie. Il sortit du bain et senroula dans un grand drap blanc. Il vivait là une étrange situation tout de même: il était là, dans la maison dune presque inconnue, vêtu du strict minimum. Pourquoi? Le Montoya se demandait pourquoi elle sétait embarrassée de lui? Pourquoi lui avait-elle proposé de passer la nuit chez elle? Pourquoi prendre la peine de lui trouver des vêtements? Et maintenant, pourquoi linviter à diner en sa compagnie? Certes, il eut été flatteur de penser que le charme irrésistible de libère ait été pour quelque chose dans la présente situation. Même sil nétait pas trop méchant homme, Montoya savait quune inconnue ne prendrait autant de peine pour lui, simplement pour fleureter avec sa moustache finement taillée. Alors quoi? Elle le connaissait à peine. Que pouvait-elle bien lui vouloir? Cette femme lattirait. Cette femme lintriguait. Une partie de lui-même le poussait à la découvrir, lautre disait de sen méfier mais lorsquil se remémorait le goût de sa peau sous ses lèvres, le catalan se disait que la vie navait aucun gout si lon se privait sans cesse de prendre des risques pour lembellir.
Il déposa son linge sale dans un bac en osier, shabilla de pied en cap avec les vêtements mis à sa disposition par la domestique, ceux dont il ne savait pas sils appartenaient à un ancien amant ou sil était le premier à les porter : chemise blanche à large manches, jabot en dentelles, gilet de brocart bourgogne parsemé dentrelacs or, braies unies assorties au gilet et boutonnés en dessous du genou, chaussures noires à boucles dorées. Ce fut cependant le dernier détail qui fit sourire libère : visiblement, la Comtesse avait remarqué la veille son intérêt pour les catogans. Celui-là était de la même couleur que le gilet. Il se mira, veillant ainsi à réaliser les petits ajustements requis à la barbe et à la moustache. Il brossa ses cheveux et les laissa libre pour quils puissent finir de sécher rapidement. Il était hors de question quil se montrât à elle dans une tenue qui nétait pas impeccable. De retour dans la chambre, libère sallongea sur le lit, dévissa une nouvelle fois le pommeau de son poignard et focalisa son esprit sur le contenu mystérieux du parchemin quil tenait en main. Ce nétait pas la première fois quil sattaquait à cette tâche. Et jusquà présent, elle lui résistait encore et toujours. Le livre de Mirepoix et ce parchemin étaient complémentaires. Montoya en était convenu. Il était parti de lhypothèse que loeuvre contenait un secret dont la clef était ce morceau de parchemin. Mais comment arrimer lun à lautre? Il navait pas encore trouvé.
Ses cheveux étaient secs à présent. Le soleil avait totalement disparu derrière les murs de Paris. Il était temps dhonorer linvitation que la comtesse lui avait lancée. Montoya cacha sous sa couche le parchemin dument replacé dans son écrin. Se faisant, il tomba au même endroit sur un objet qui lui parut insolite : un fouet? Vraiment? Se peut-il quelle soit prudente au point de cacher des armes un peu partout ou lutilisait-elle pour punir ses domestiques lorsque ceux-ci faillaient ? A moins quelle était une adepte de la pénitence, quelle portait un cilice et se mortifiait chaque nuit avant de sendormir? Intéressant. Il devait en apprendre plus sur cette femme. Jusquà présent, elle ne sétait guère révélée. A vrai dire, lui non plus. Peut-être que le repas serait loccasion de faire plus ample connaissance? Un dernier détour vers la salle de bain pour remettre en place le catogan et Montoya se présenta enfin dans la salle à manger.
- Comtesse, le bonsoir!
Il tourna sur lui-même, bras levés pour mieux la laisser le découvrir.
- Comment trouvez-vous votre invité ?