--Loras.novgorod
Il y a dans la fin d'une journée, quelque chose dirrémédiablement humain. Lorsque le soleil choit, fondant ses derniers rayons comme des charbons ardents, dans les cendres de la nuit. La fin du jour rappelle à la nature qu'il est né au matin. S'est épanoui à midi. A décliné jusqu'à rendre son dernier souffle dans l'obscurité totale. Nuit après nuit. Né enfant, élevé en homme, cueillit en vieillard. L'aube amorce la fin d'un cycle, que la nature aime à décliner en saisons. En décennies. et en siècles. Pour qu'ainsi , éternellement, les hommes d'hier puissent transmettre aux hommes de demain leurs savoirs.
Ces savoirs, tirés de la nature des hommes et de la nature elle-même, Loras les avait reçus en héritages. Par sa destinée, commencée bien loin des forêts de pins et des criques de Provence, par ses rencontres, par la force et le sang, aussi parfois.
Nul part ailleurs que dans les vastes plaines, à cheval, ou dans les mystérieuses forêts, le slave ne se sentait mieux. Vivant, "les deux pieds ancrés dans la terre nourricière", comme il le disait souvent. Dans son élément parfois hostile, Novgorod trouvait l'apaisement que les champs de batailles avaient consumés. Loin de l'aliénation des autres et des tributs impurs. De l'or qui ne rachète jamais la vie. Mais qui souvent pourtant, achète la mort.
Au soleil couchant, le serbe s'était remis en marche sur son territoire de chasse. La journée avait été longue, le corps du jeune étranger était fourbu. Il avait tout le jour coupé des buches de bois pour un seigneur qui commençait d'ores et déjà à faire ses réserves pour l'hiver. Méthodique, sa progression couvrait d'abord les versants nord, des collines à la guarigue. Sa silhouette de cuir et de fourrures desquelles dépassaient de longs crins de jais se fondait dans le paysage, trahie uniquement par son pas. Pas qu'il n'allégeait jamais en fin de journée, pour prévenir la charge d'un sanglier surpris en glanant à la fraîche, la morsure d'une vipère n'ayant pas eu le temps de fuir. Ou la présence qui ne devait pas être... Là où elle se trouvait.
C'est ainsi qu'au détour d'un endroit choisi par le renégat pour y poser un piège...
Les yeux d'un noir de chine accrochèrent l'enfant qui, trop absorbé par ses jeux et à l'oreille non affûtée, se tenait encore penché au dessus d'un collet brisé. Deux prunelles bleues, d'un de ces bleu dont les madones se drapent pour pleurer un dieu auquel il était étranger, interdites à la vue de cette carrure imposante. Pas par sa taille. Pas par son arme. Juste celle d'être sauvage, racée dans toute sa splendeur. Et de surgir là. Au beau milieu de ce terrain de jeu pourtant si calme habituellement.
Le terrain de jeu de l'un, le terrain de chasse de l'autre.
L'enfant resta figé comme suspendu à l'homme qui lui faisait face. Des boucles brunes, des lèvres rouges, des mains malheureuses. Retenant entre ses doigts les restes d'un piège qui - Loras s'en fit la lumière - incarnait les vestiges d'une longue suite d'autres, saccagés les jours passés, inlassablement.
La tête de la hache, si lourde, toucha le sol. Dans cet instant suspendu quelque part entre la surprise des deux êtres qu'un hasard malheureux a fait se rencontrer là. Dans la résolution des mystérieuses exactions qui avaient laissé plusieurs fois le slave sans repas. L'enfant avait sept ans, au plus. Loras, surpris, demeurait sans plus d'âge que celui du bourreau face à son prisonnier.