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[RP] Une promesse

Gonorrhoeae
Il était dans les habitudes du bon Gono, par ces temps électoraux, de promettre tout et n'importe quoi, à tous et toutes. Mais dans cette aventure, il y en avait une, de promesse, qu'il comptait réellement honorer. Sans vraiment savoir pourquoi, la personne à qui il l'avait faite hantait son esprit. C'était la principale raison qui le poussait à éclaircir ce point dans sa tête. Dans le même temps il devait en apprendre plus sur l'engagement qu'il avait prit, légèrement rapidement.

Ainsi, sur un coin de table qui sentait la vinasse et le canasson, dans le fond d'une taverne d'Autun, le garçon écrivait. A la lueur de sa pauvre bougie qui menaçait de rendre l'âme à chaque courant d'air, il raturait, et raturait encore. Ne sachant comment tourner la chose, il avait fini par abandonner. Non, il n'arrivait pas à écrire ce qu'il voulait dire. Alors, tout en regardant distraitement un poivrot finir sa énième choppe, il trouva la solution. S'il ne pouvait l'écrire, il allait le dire. Rien ne valait l'improvisation. En effet, en cas de pépin, il pouvait toujours prendre ses jambes à son cou et s'enfuir. Oui, il allait faire comme cela. Il devait simplement lui donner rendez vous.


Citation:
Chère Lison,

je vous
je t'
comment tu vas? mais ou est donc or ni car?


Rendez-vous demain devant la grande cathédrale de Bourgogne à midi.


Dans la précipitation et le stress occasionné par la perspective, il n'avait ni signé, ni précisé de quel jour il parlait lorsqu'il disait "demain". Trop tard, le pigeon était parti. Enfer et damnation. Il allait devoir rôder devant ladite cathédrale tous les jours de la semaine en espérant la voir arriver. Lorsqu'il s'en rendit compte, il frappa son petit poing sur la table, ce qui fit hausser un sourcil au poivrot.

Quel con ce pigeon... s'indigna-t-il en quittant la salle principale de l'auberge. La bête avait bon dos.

Quelques dizaines de minutes plus tard, le baluchon était scellé. Il Partirait au levé de soleil, afin de ne rater aucune occasion. La marche serait longue, et la chaleur intense. Dans son lit déjà, les yeux ouverts dans le noir, il dressait le portrait de cette entrevue. Son cœur frappait. Dans son imagination, tout se passait pour le mieux, jusqu'à ce qu'il réalise qu'il ne savait même pas pour était cette fichue cathédrale. La route allait être longue, très longue.
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Lison
[Quelques jours auparavant]

- *hips* t'sais, j'ai bien vu leur p'tit jeu aux autres là… geste vague englobant la taverne définitivement vide. Tu *hips* vois, j'ai bien vu la liste et puis même *hips*. Une main se pose sur la anse de la chope, afin de la rapprocher pour que cette dernière "comprenne" mieux. Que s'il croit, qu'vais soupl.. supplier d'faire partie, il se foure l'doigt ou j'pense… *hips* même que j'croyais qu'c'était des amis… t'vois l'épouvantail ça *hips* rapproche.
- S'cusez…
- QUOI? Vous sortez d’où vous ? Voyez bien qu'j'suis en discussion sérieuse avec…
Un regard se pose sur la chope. Bon *hips* dites-moi…
- C'est une missive pour vous, on m'a dit que je vous trouverais sûrement ici.
- Ouai ouai, donne-moi ça.

Les yeux se posèrent sur la lettre et son sang ne fit qu'un tour quand elle reconnut le nom.
- File pas si vite toi, j'vais avoir *hips* une réponse d'la plus hauuuuute imp*hips*hortense. C'est qu't'vois, on me demande pour faire partie des élections. Regard incertain, tête se voulant fièrement levée. S'il croit qu'j'vais dire oui *hips* comme ça… Mais la plume crissait déjà sur le vélin. *hips* il croit peut-être qu'j'suis sous son charme et j'vais signer sans *hips* rien dire…
- Euh…. Je veux pas dire mais j'suis un peu pressé, c'est que j'ai des missives à remettre alors si vous pouviez…
- Mais si j'dis *hips* non… j'pourrai moins l'voir… Et puis j'ai mon boulot m'tenant, l'autre *hips* est aussi candidat. Vous feriez quoi vous?
- Voyez ma femme et mes enfants, il est tard alors j'aimerai bien..
- Psccht ! Vous perturbez *hips* mes flexions, reflexions, voilà. J'sais, j'vais dire oui mais avec conditions… j'suis pas une *hips* fille facile


Et IL avait répondu oui.

[Nevers – aujourd'hui]

Il paraît que le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt. Lison avait beau être matinale et travailler comme une mule, elle n'avait pas franchement l'impression que le monde lui appartenait. Elle avait beau regarder, elle n'avait même pas de quoi se payer un lopin de terre. Toujours est-il que, ce matin, elle fut réveillée, encore plus tôt, par l'arrivée d'une missive, ce qui, de base, ne met pas franchement de bonne humeur.

Ronchonnant et baillant, elle déplia ladite lettre. L'écriture lui semblait connue mais la missive n'était pas signée. Quant au message il était énigmatique. Lison n'y porta, sur le moment, pas véritablement attention. Sûrement un de ces courriers frauduleux : des légendes urbaines disaient qu'il ne fallait pas les ouvrir car certains étaient porteur de virus ou encore d'autres avaient pour but d'extorquer de l'argent. Bref la lettre était ouverte, tant pis pour les virus, quant aux sous, Lison n'en avait pas.

La jeune fille laissa trainer le mot sur sa couche et s'habilla pour débuter une journée qui aurait dû ressembler aux journées précédentes : s'occuper de la petite Aniz, espérer que le Comte lui confirme son emploi, pêcher, rêvasser, faire un peu de propagande.

Mais, on le sait, elle s'était levée du pied gauche et n'était pas vraiment à son affaire : elle oublia que la préceptrice d'Aniz ne viendrait pas et qu'elle était en charge de la petite fille, laissa Clochard (son chiot) grignoter un bout de tapisserie de grande valeur, manqua casser de la vaisselle en cuisine et finit en beauté en glissant sur une pierre au bord du lac, laissant au passage filer un poisson.

Elle retrouva sa chambre dans l'après-midi, le fessier douloureux suite à sa chute et sa confiance en elle quelque peu escamotée. C'est dans cet état qu'elle reprit la lettre entre ses mains, persuadée cette fois que les légendes urbaines disaient vrais et qu'on lui avait lancé une malédiction. Devait-elle rendre visite à Neisseria pour lui demander son avis ?

Elle retourna le mot dans tous les sens, tenta, par transparence, de déchiffrer les mots gribouillés et finit par relire simplement la lettre :


- Mmmh, demain midi ? C’est-à-dire que si je pars maintenant j'pourrais y être mais si c'était ce midi c'est trop tard et je peux pas me permettre de perdre une journée de paie pour rien. Et puis d'abord, ça vient de qui ?

Première hypothèse : un admirateur secret.
Mais quel admirateur pouvait bien donner rendez-vous devant une cathédrale. Oui, une cathédrale ! C'est vrai que tout de suite, ça donne envie. Certains vont voir du théâtre, d'autres pique-niquer au bord d'un lac.. mais une cathédrale ! Pour faire quoi ? Suivre un culte ? Elle se voyait déjà raconter en taverne que : Houuu trop cool ! et même qu'il y avait un chœur, c'était trop fou comme soirée.

Deuxième hypothèse : ses anciens propriétaires.
Ils l'avaient laissée pour morte sur les routes et s'étaient évaporés dans la nature. Il est vrai aussi qu'elle n'avait pas été rentable comme investissement… Ils auraient pu apprendre qu'elle travaillait pour un Comte et venir demander leur dû. Et puis avec ces élections, elle n'avait pas été très discrète. Mais c'était pas vraiment dans leur genre que d'envoyer un mot énigmatique, non signé, pour donner rendez-vous à une date indéterminée devant une cathédrale (oui on y revient) ! Ils auraient plutôt débarqué chez le Comte, prétendant être ses parents et demander à toucher des sous.

Troisième hypothèse : un message du Très Haut.
Définitivement pour expliquer cette histoire de cathédrale, il n'y avait que cette solution qui était plus ou moins plausible. Et puis Aristote avait dû déployer de sacré (c'est le cas de le dire) effort pour lui faire envoyer une missive. On peut donc comprendre que le mot ne soit pas très clair.


- J'fais quoi Clochard ? on refuse quand même pas une telle proposition du Très Haut…

Oui, on ne refuse pas une telle proposition d'Aristote.

Elle déposa le chiot dans la chambre d'Aniz et avertit un valet fort peu sympathique qu'elle s'absentait pour une durée indéterminée car dixit : "Elle avait rendez-vous avec Aristote". En plus le Comte étant très croyant, il n'y verrait sûrement pas d'inconvénient.

Selon ses calculs, elle arriverait au petit matin à la cathédrale. Elle aurait donc suffisamment de temps pour dénicher un coin peu exposé pour attendre midi sans qu'on la voit. Si Aristote l'appelait véritablement à son service, IL la trouverait. Finalement le monde allait peut-être lui appartenir.

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Gonorrhoeae
La nuit fut agitée. Le garçon n'avait pas vraiment réussi à trouver le sommeil, malgré une recherche acharnée. Déjà il faisait chaud, extrêmement chaud. Il avait l'impression de dormir dans un volcan, le garçon. Ses fantasmes les plus profonds s'étaient transformés en lac gelé dans lequel il pouvait plonger à tout moment. Mais cela n'était pas tout. Alors qu'il faisait tout son possible pour habituer son corps à l'abominable chaleur et se détendre, un autre facteur entrait en jeu. Un tout petit facteur aux grandes conséquences. Un facteur qui avait des ailes et qui avait décidé de lui détruire ses dernières chances de se détendre. Le bruit était infernal. Il passait, et repassait encore devant une oreille, puis l'autre, dans un bourdonnement aiguë insupportable. A chaque fois que le blond se levait en sursaut pour allumer une bougie, la terreur demeurait introuvable. Inclaquable.

Au bout d'une lutte acharnée de plusieurs heures, la garçon s'était avoué vaincu, et avait finit par offrir son corps en offrande à l'insecte, l'espace d'une nuit.
Il ne lui restait que peu de temps. De toutes façons, dormir, c'était pour les faibles. C'était bien connu. Il l'avait déjà fait la veille, il n'allait quand même pas recommencer tous les jours. Quelques heures suffiraient.

Le lendemain, le réveil dû aux rayons de soleils sur son visage crispé fut douloureux, comme prévu. Déjà, il fallait constater les dégâts. Il devait bien lui manquer un demi litre de sang au petit homme, aux vues du nombre de boutons qu'il dénombrait sur ses jambes et ses bras. Heureusement, son visage semblait avoir été épargné. Et comme il arborait toujours son capuchon et sa grande cape, il pouvait cacher le reste. Déjà, ce fut une bonne chose. Parce qu'un gros placard rouge au milieu de la trogne lui aurait certainement fait abandonner son rendez-vous du jour. De toutes manières il pouvait toujours reculer puisque personne ne savait que la lettre était de lui, à priori.


Le temps de se vêtir, de grignoter un bout et il sautait sur son fidèle destrier. Un grand cheval blanc au crin soyeux, qui galopait déjà comme le vent. Bravant la chaleur et les obstacles, le duo traversait la région comme une tornade. Gono brandissait sa longue épée en défiant les cieux, lorsque Yohann, son cheval, sautait par dessus les ravins. Une heure après, il était arrivé à destination, du premier coup. Là, son armée l'attendait en l'applaudissant. Parce que c'était lui. Parce qu'il était attendu. Parce que tout le monde l'aimait. Là, il sautait sur le sol en ôtant sa capuche et en se dirigeant vers la belle, une rose dans une main. Il était plus grand qu'elle, et illuminait la place à chaque pas qu'il réalisait en sa direction.


Soudain, Gono ouvrit les yeux. Il venait de perdre une bonne heure de somnolence sur le comptoir de la taverne devant son petit-déjeuner. Horreur. Il ne pouvait plus perdre une minute. Il lui fallait sortir de l'établissement et sauter sur son canasson, qui n'était pas blanc. D'ailleurs, il ne s'agissait même pas d'un cheval à proprement parler. Il s'agissait d'un poney et il s'appelait Louis. Il avait les hanches larges et ne semblait guère très vif, le bourrin.C'était la seule chose qu'il avait pu s'acheter le garçon, malheureusement. La mine ne payait pas tant qu'il l'aurait voulu.


Allez Louis, si tu vas vite, j'te donne une carotte à manger !
Si tu vas pas vite, je la mettrai ailleurs, crois moi.

La traversée fut fastidieuse, mais il la réalisa en une journée. Il avait cherché la cathédrale en s'orientant à l'aide de tous ceux qu'il avait pu croiser cette nuit là, à savoir tous les traîne-savates du coin. Au petit matin, exténué, il était sur le parvis. Assis sur une marche, la capuche sur le crâne et Louis attaché à quelques mètres de lui, il patientait en songeant. Elle l'obsédait. Beaucoup trop vite. Beaucoup trop tôt pour que cela soit normal. Beaucoup trop. Il ne lui restait plus qu'à attendre, puis à revenir le lendemain, s'il rentrait bredouille. Guère vraiment présentable, il n'avait plus la tête à réfléchir à cela pour le moment et attendait juste de savoir s'il avait fait le bon choix. La balle était dans le camp du Très-Haut désormais.
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Lison
[Dans une taverne de la capitale – Jour de l’arrivée de Gono à la Cathédrale, le soir.]

- J’vous dis j’ai rendez-vous avec Aristote en personne.

Des rires fusent d’un peu partout.

- Z’avez entendu, elle dit qu’elle va voir Aristote ? MOUAHAHA. Hey! J’vais t’l’indiquer la cathédrale des fous. AHAHAHAH
- Mais r’gardez il m’a écrit en personne.


Lison sort délicatement la missive d’une petite pochette. Un homme la lui arrache des mains pour l’agiter devant le nez des personnes présentes.

- Z’êtes venu jusqu’ici à cause de ça ! Et z’vez vu les mecs, la folle elle accourt à la capitale pour ça !
- Mais puisque j’vous dis que c’est Aristote.
- Ouai moi j’vais te le présenter Aristote t'vas voir ça, c’est un très bon pote à moi.


Une main indélicate se pose sur le fessier toujours endolori de la jeune Lison.

- Euh… ôtez vos sales pattes
- Bah quoi Aristote aime bien les jeunes pucelles on dirait, z’allez pas refuser un tête-à-tête avec lui. Héhé.
- Ecoutez j’crois, j’me suis trompée, faut que je reparte.


Une main attrape le bras de la gamine.

- Hey t’vas pas partir comme ça !
- Lâchez-moi !


L’homme avance une tête répugnante, les mains deviennent dangereusement baladeuses. Mais la Lison en a vu d’autre : elle crache à la tête de l’homme en question et tente de lui balancer un coup de genoux bien placé. Mais l’homme esquive et tient bon.

- Hey c’est qu’elle rue la pucelle. HAHAHA. J’croyais t’voulais rencontrer Aristote et le bar en est rempli, tu crois quand même pas qu’t’vas partir sans l’avoir vu.

Lison se débat. L’homme resserre sa prise sur bras, il lui fait mal. Elle crie. L’homme profite pour poser sa bouche sur celle de la gamine. Il a une haleine putride. Elle lui mord la lèvre.

- Saleté !

Il lui balance une bonne claque dans la tronche.
Au même instant, le bar contre lequel l’homme est appuyé s’écroule. Miracle divin ? L’inconnu chute dans les débris. Lison est emportée avec lui mais arrive à se libérer. Sans réfléchir, elle se relève et part en courant. Sortie de cette taverne de l’enfer, elle s’engouffre dans les ruelles sombres de la capitale et court sans s’arrêter jusqu’à la cathédrale.

Mais, il est trop tard. Elle se savait déjà, elle n’a pas réussi à rejoindre la capitale pour midi. Il fait nuit. Elle est seule. Sa joue est douloureuse et des larmes de rages envahissent ses yeux.
Dans ses péripéties, elle a perdu la lettre, seule preuve tangible de son rendez-vous avec le Très Haut. Elle est fâchée contre elle-même : pourquoi avoir quitté sa chambre confortable de Nevers, pour ça ? Elle était vraiment stupide parfois ! Que devait-elle faire maintenant ?
Avec sa manche elle essuie ses yeux humides et réalise qu’elle saigne du nez, sûrement en raison de la gifle.
Elle veut dormir mais en cet instant, tout semble dangereux. Où va-t-elle dormir ? Elle a peur…


- Aristote ! si tu veux qu’j’reste, c’est le moment d’me faire un signe !

Finalement, elle déniche un coin à l’abri des regards entre deux piliers de la cathédrale. Elle s’enroule dans sa cape et s'y recroqueville pour tenter de trouver le sommeil.
Juste avant de fermer les yeux, elle aperçoit une étoile filante qui illumine le ciel un court instant.
Elle fait un vœu.

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Gonorrhoeae
Le soleil n'avait cessé de tourner. Impassible. Comme s'il ne savait pas qu'en continuant sa course, il faisait un malheureux sur les marches du parvis de la cathédrale de Dijon. Comme s'il ne pouvait pas s'arrêter, pour laisser une chance à la jeune fille d'arriver auprès de lui dans les temps. Gono levait les yeux parfois, comme pour le supplier. Rien n'y fit. Le géant n'attendait rien, n'entendait rien. Il brûlait ceux qui osaient sortir de chez eux et fusait vers l'Ouest, inexorablement. Lorsqu'il eut disparu derrière le bâtiment qui faisait face au parvis, le blondinet comprit que cela ne serait guère pour aujourd'hui. Il était resté plus que de raison, était épuisé, sentait mauvais et avait faim. Il lui fallait trouver le courage de renouveler cette expérience une fois de plus. Oubliant petit à petit ce qu'il avait prévu de dire à ce rendez-vous. Oubliant même cette promesse. Simplement hanté par son image, il voulait la voir, puis repartir chez lui, comblé.

Après quelques dizaines de minutes à tourner dans la ville qu'il ne connaissait pas, à demander son chemin à des gens qui semblaient lui dégueuler leur bonheur au visage, le garçon trouva l'endroit qu'il cherchait: la taverne la moins chère du coin. Le repère des saoulards les plus glauques. Chaque ville en avait au moins un, et l'on pouvait toujours compter dessus en cas de besoin. Du moins, c'était ce qu'avait appris Gono lors de ses différents voyages, à la suite de ses différents abandons. Ces endroits là demeuraient encore les seuls lieux qui seraient toujours ouverts pour lui. Et pour cause.

Dans cet endroit, il pouvait négocier un bain, dans l'arrière salle. Ce qu'il fit, évidemment. Fermer les yeux sur la couleur de l'eau et sa température ne le dérangeait pas, il savait se frotter et le savon semblait fonctionner malgré sa petite taille. Néanmoins, le prix qu'il avait payé pour cette prestation lui sembla déraisonnable. Ce fut certainement la raison qui le poussa à pousser. Oui, laisser un petit cadeau dans ce qui lui avait servi de baignoire était à ce moment la seule chose qui le fit sourire de la journée. Une journée bien remplie, finalement.

Ensuite, il prit une soupe, dans l'espoir de grandir un jour et s'affala contre le comptoir en attendant la nuit. S'il allait à l'auberge en pleine nuit, il espérait trouver une chambre moins cher que s'il y allait de jour, en heure de pointe. Et puis dans le pire des cas, il pouvait toujours dormir ici. Ces établissements douteux avaient aussi l'avantage de fermer les yeux là dessus, parfois.

Ainsi, les bras croisés sur le comptoir, sa capuche sur la tête, sa tête dans ses bras, le jeune homme pouvait dormir. Il fallait faire abstraction de tout, se concentrer sur la seule image qui pouvait le motiver à continuer ce périple et partir, loin dans ses songes. De temps en temps, il grognait. Parce qu'un poivrot parlait trop fort, ou parce qu'il se faisait bousculer. Mais il en fallait plus pour qu'il ne sorte la tête de son cocon. Son esprit demeurait léthargique et sa salive reliait le bois sale à sa bouche entrouverte.

Soudain, des cris plus aiguës que de coutume vinrent jusqu'à son âme endormie, en traversant ses oreilles tel un éclair. Des cris qui ne lui semblaient pas inconnus, de surcroît. C'en était trop, si cela continuait, ils allaient finir par vraiment le réveiller, après tout le mal qu'il avait eu à s'endormir. Il n'était plus question pour lui de payer l'auberge. Il était bien là, et voulait y rester afin de finir sa nuit. Aussi, dans un élan de colère instinctive, la garçon frappa du plus fort qu'il pouvait son pied contre le pied du comptoir. Ce dernier, à la surprise générale, céda. Gono finit au sol, dans un fracas. Et le temps qu'il reprenne ses esprit, il était entouré par quelques bonshommes dont la bienveillance ne faisait aucun doute. L'un d'eux avait une lèvre ensanglantée et le regard assassin.

Loin de comprendre ce qu'il venait de se passer, le blondin comprit rapidement qu'il était temps de fuir. Cependant, le pied du fameux balourd qui semblait avoir raté sa soirée avait prit l'initiative sur Gono et venait rencontrer ses côtes. Un autre pied vint rencontrer la cuisse du garçon, avant qu'il ne réussisse à s'extirper de cette soirée à thème. Roulant, rampant, puis courant jusqu'à la porte, le garçon eut juste le temps d'entretenir sa fierté.


Ma grand-mère frappe mieux qu'ça bande de ribaudes du dimanche.

Puis il franchit le seuil avec ce qu'il lui restait de force avant de s'enfoncer dans la nuit. Dans la précipitation, le boiteux de service n'avait pas pu récupérer son balluchon et avait perdu sa bourse. Peut-être avait-elle était dérobée bien plus tôt durant son sommeil. Il semblait que le bon Gono avait finalement sous estimé la réputation de cet endroit. Au moins, il lui restait Louis, qui était toujours parqué derrière la cathédrale. C'était donc par là qu'il devait aller.

De retour sur le parvis - tant bien que mal avec sa cuisse meurtrie - , il n'était pas le seul à avoir eu cette idée. Entre deux piliers, une boule de tissus dessinait une silhouette endormie, à même le sol. Estimant qu'il n'en était pas à ce point là, le blond décida qu'il valait mieux s'asseoir à ses côtés, en attendant que la nuit passe. Par solidarité avec ce qu'il lui semblait être une jeune clocharde, le garçon ôta la cape qui lui servait de manteau et recouvrit la tête de la silhouette. Cacher le fait qu'il s'agissait d'une femme allait peut-être la sauver, dans ce monde sans scrupule. De toutes façons il n'avait pas froid, lui. Et puis il avait Louis, pour se réchauffer. D'ailleurs, au bout d'une heure à écouter les respirations de l'ombre à ses côtés, Gono comprit qu'il lui fallait bouger s'il ne voulait pas dormir et se rendre à nouveau vulnérable. Cela, il n'en était plus question pour lui. Après avoir prit une profonde inspiration, il se leva et parti rejoindre son petit destrier, pour finir la nuit avec lui. Au pire, la mendiante partirait avec la cape et cela sera le signe que l'aventure devait prendre fin pour le bonhomme en chemise désormais.

Finalement, le soleil commença à poindre sur un Gono endormi dans l'herbe, à côté de son fidèle poney.

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Lison
Un souffle chaud venait se perdre dans le creux de sa nuque, faisant s'agiter quelques petits cheveux chatouilleurs. La jeune fille observa cette bienveillante présence. N'était-ce pas un ange avec ces cheveux blonds et ces ailes recouvrant ses larges épaules ? Étonnamment, elle sentit au fond d'elle-même naître un sentiment inconnu. Comme si cet ange, en déposant ses ailes sur elle, avait voulu lui faire découvrir la plénitude. Une chaleur étonnante, pas désagréable, voir même réconfortante, naquit au plus profond de son être pour se répandre dans son corps. Extase divin, elle s'y abandonna, et lui procura le temps de cette nuit une échappatoire qu'elle n'aurait osé rêver. Reconnaissante, elle tenta de lire les traits du visage de cet ange qui, littéralement se fondait en elle et lui apportait ce plaisir divin. Elle y dénicha un regard connu et une frimousse aimée, Gono serait-il donc son ange gardien ? Déjà les lèvres de l'être aimé se posèrent chastement sur les siennes, irradiant la chaleur contenu dans ce corps de jeune femme en devenir. Alors elle ouvrit les paupières pour contempler ce paradis offert le temps d'une nuit… Et découvrit l'astre du jour qui, déjà illuminait le parvis de cette cathédrale.

La réalité perdit rapidement de sa superbe. Elle était seule mais surtout une odeur nauséabonde venait chatouiller ses délicates narines. Réalisant que l'objet de la puanteur n'était autre qu'une cape jetée sur elle. Elle grimaça, se demandant bien comment un tel objet avait pu faire naître un rêve divin. Car, elle en était certaine, elle avait été touchée par le doigt d'Aristote. Elle n'avouerait jamais sous quel trait, IL s'était montré à elle.

Elle était donc là, en boule, tentant de préserver encore quelques instants les plaisirs découverts sous cette cape malodorante. Mais déjà la ville se réveillait et l'heure n'était plus à la plénitude.

Elle déplia donc ses membres qu'elle retrouva avec les douleurs de la veille. Passa un doigt sur sa joue tuméfiée et douloureuse qui lui firent monter quelques larmes aux yeux. Définitivement le rêve avait disparu et il faudrait affronter la terrible réalité.

Terrible réalité qui l'agressa à l'écoute des railleries de certaines gens, se moquant de cette pauvre malheureuse, sale, défigurée et puante, avachie dans un coin d'une cathédrale. On crut même qu'elle y faisait ses besoins et une femme choquée par tant d'indécence, la chassa.

Lison partit donc mais garda cette cape, cadeau du Très Haut. Qu'allait-elle faire maintenant ? N'avait-elle pas communié avec Aristote lui-même le temps d'une nuit ? Pouvait-elle rêver davantage, elle une fille de rien du tout. Elle n'y crut pas, surtout elle redoutait que ce doux rêve soit davantage gâché par de malheureuse rencontre. Il fallait qu'elle rentre, Aniz et le Comte avait besoin d'elle, c'était son destin.

Elle enleva la cape précautionneusement et sut, qu'elle ne pouvait emporter un tel don du ciel. Elle servirait encore, pour apporter réconfort et plaisir secret à d'autre. Il serait bien égoïste de garder pareil présent. Malgré l'odeur, elle eut envie d'y enfouir son visage pour trouver encore quelques instants de réconfort et souvenir de cette nuit pour le moins étonnante.

De sa chemise, elle sortit un morceau de parchemin. Un peu taché et humide de sueur, il ferait l'affaire. Elle trouva une âme charitable pour lui prêter plume et encre afin de remercier le Très Haut.




Merci,

Mon amour pour vous est éternel, je vous serai à jamais dévouée.

Lison


Mot qu'elle fixa dans la capuche du mieux qu'elle put. Pliant son suaire, elle le replaça entre les deux piliers. Certaine que, au vu de l'odeur, seule une personne en ayant véritablement besoin le récupérait. Et puis, le lieu était, malgré tout, à l'abri des regards.

Satisfaite et apaisée, elle reprit la route pour Nevers. La route serait longue, mais la jeune fille en était certaine, elle avait trouvé ce qu'elle cherchait.

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Gonorrhoeae
Gono voyait rouge. Parce que c'est cette couleur, que l'on voit lorsqu'un rayon de soleil sans pitié vient traverser la paupière d'un garçon dormant dans l'herbe. Gêné, le bonhomme roulait sur le sol. Il roulait encore et encore jusqu'à trouver une posture qui lui permettrait de dormir quelques minutes de plus, à l'abris du soleil et des bruits de la rue. N'ayant plus sa cape à capuche, il ne pouvait même pas protéger ses petits yeux cernés. Finalement, le jour avait eu raison de lui et ce fut dans un effort surhumain qu'il réussi à ouvrir une paupière. La seconde suivit quelques instants plus tard, après avoir vérifié que le poney était toujours dans le coin.

Il était déjà tard, et il avait du pain sur la planche - à défaut dans avoir dans l'estomac. Il devait aller vite. Après s'être étiré comme une girafe, en baillant comme un sanglier - l'inverse étant impossible, puisque les girafes sont les seuls vertébrés à ne pas bailler-, il se leva et parti à la recherche d'une fontaine dans laquelle il pourrait se débarbouiller. C'était le grand jour. Son dernier jour, faute de moyens, depuis qu'il avait perdu sa bourse. Tous ses espoirs étaient placés dans cet ultime essai, devant la cathédrale.
Le visage complètement dans la fontaine, Gono frottait. De toutes ses forces, afin d'être certain qu'il aurait la figure de la bonne couleur, lorsqu'il la verrait. Oui, lorsqu'il la verrait. Car il en était certain désormais. C'était pour aujourd'hui. Il le sentait. Ainsi, il pouvait retourner sur la place pour attendre.

Sur la place, la vie suivait son cours. Personne ne faisait attention à lui. La seule chose qu'il remarqua fut sa cape, qui avait été abandonnée par la mendiante, apparemment. Même les plus démunis refusaient son aide. C'était là un bon signe qu'il était au fond du trou. Mais le blond n'en fit rien. Il ramassa distraitement son effet, puis retourna s'asseoir au soleil, sur une marche, pour attendre.
Quelques heures plus tard, son estomac criait presque aussi fort que les douleurs résiduelles de la veille, qui demeuraient dans sa cage thoracique et sa cuisse. Qu'importait, il attendrait. La soir allait tomber, mais il attendait. Le soir était tombé, et il pleurait.

Pathétique, inondant sa cape pliée qu'il tenait toujours entre ses mains, le blondinet perdait tout espoir. Sans un bruit, il se relevait et parti chercher son compagnon. C'était la fin de l'aventure, elle n'était pas venue, c'était le destin.
Devant Louis, le garçon essuya ses larmes avec son avant bras et déplia sa cape. Là, un parchemin tomba à ses pieds. Intrigué, Gono le ramassa, l'ouvrit et découvrit que le destin s'était décidément bien moqué de lui, cet escroc.

Dans un premier temps, il ne comprit absolument rien.

Dans un second, après quatre ou cinq lectures du billet, il pensa que finalement, il avait une chance. Le message pouvait tout à fait lui être destiné, puisque c'était lui qui lui avait donné rendez-vous.

Dans un troisième et dernier temps, ses mains se crispèrent de concert et le sang lui monta à la tête. Ce mot ne pouvait lui être destiné. Il n'avait guère signé sa lettre. De plus, ce mot remerciait. Or, le bon Gono n'avait pas pu encore lui dire ce qu'il voulait faire pour elle. Il était donc impossible qu'elle ne le sache et encore moins probable qu'elle veuille le remercier sans le voir. En revanche, cela parlait bien d'amour et il s'agissait bien de Lison et de son écriture. Son amour était éternel, elle était dévouée à quelqu'un, déjà. Le destin - encore lui - avait finalement fait en sorte que cette aventure se finisse pour lui d'une manière radicale. Il avait placé cette lettre par enchantement sur son chemin, afin de le libérer. Ce qui ne fut pas le cas. Au contraire. Gono voyait rouge.

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Lison
Le destin, en y réfléchissant est un mot bien étrange, qui veut tout dire et rien à la fois. On l'utilise pour les petits bonheurs comme pour les grands malheurs. Le destin, est une explication en soit, une excuse toute trouvée quand il s'agit d'expliquer ses actes. C'est aussi parfois, un simple mot qui permet de se déculpabiliser de n'avoir rien fait…

Pour Lison, la vie se jouait d'elle et son destin se retrouva chamboulé de retour à Nevers :
un Comte l'informa de sa nomination et lui offrit sa confiance pour garder une bien petite fille, prunelle de ses yeux ; on lui fit porter robes et bijoux ; lui annonça la venue d'une Reine et la déménagea chez un Marquis et une Marquise. Bref sa vie prenait un tournant inattendu : elle montait un peu dans l'échelle sociale et tenta d'enfouir son passé d'esclave.

Pourtant subsistait en elle un sentiment d'inachevé, une boule au ventre. Elle était heureuse, consciente de sa bonne étoile, mais aurait aimé un petit quelque chose en plus… vérifier une promesse jetée en l'air dans une taverne un soir.

Le destin ne semblait pourtant pas l'avoir oublié LUI aussi. Elle avait su qu'IL s'était acoquiné avec une jeune Duchesse qui semblait vouloir l'adopter. Et puis il était bien parti pour être élu au Conseil de Bourgogne et ainsi côtoyer les grands de ce monde. IL devenait quelqu'un lui aussi.

Elle aurait aimé lui écrire. Elle avait bien essayé : raturant, gribouillant. Elle versa parfois quelques larmes et souvent n'osa pas envoyer les écrits. Car comment annoncer à la fois que finalement IL n'aurait pas à tenir sa promesse mais que, quand même, ELLE aurait bien aimé qu'il le fasse. Parfois, elle se laissa submerger par la colère, car après tout, IL n'écrivait pas. IL avait sûrement fait cette promesse en l'air et n'avait jamais été prêt à la tenir.

Pourtant, une missive partit un soir d'élection. Des félicitations qu'elle signa de son nom de baptême "Élisabeth". Ca faisait mieux et puis la lettre semblait moins intime ainsi, plus convenable. Elle attendit la réponse. Pleura de ne rien voir venir. L'insulta de ne pas avoir au moins la politesse de lui dire merci.

Finalement, elle se jura de ne plus refaire la même erreur. Sa vie maintenant serait toute dévouée à un Compte, une petite fille et Aristote.

C'était le destin.

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