Pierre...
[À Langres]
Pierre roula sur le flanc et grimaça. Le sol était froid, humide, et sentait les latrines bouchées. Lorsque ses yeux s'habituèrent assez à la pénombre environnante pour déceler les contours des lieux, il ne reconnut pas l'endroit.
Bordel, où est-ce que je suis ?
Des geôles ? Précautionneusement, le muet s'inspecta. Les couteaux dans les godasses. La lame glissée dans sa chemise. Et le reste. Tout y était. En prime, sur sa joue, un bleu, qui lançait quand on y appuyait. Il ne savait pas comment il l'avait récolté.
Dans sa poche, il dénicha une poignée d'écus, un bout de ficelle et un sachet de ce nouveau truc qu'il fumait. Du crapaud séché qui venait des Indes, par la route des épices, d'après celui qui le lui avait vendu. Ça l'avait amusé sur le coup, mais ça ressemblait beaucoup à une mauvaise idée maintenant.
Il n'était pas en taule, donc. On ne lui aurait pas laissé tout ça. Et, s'aperçut-il, il n'y avait pas de porte dans la petite pièce où il se trouvait. Les murs étaient en bois gondolé, un rideau miteux laissait filtrer un brin de lumière à l'entrée. La lumière et l'éclat avide d'un il qui l'épiait.
Un gamin. Un marmot qu'on aurait dit pas plus gros d'un rat, émacié, puant la misère. Pierre haussa un sourcil, pas attendri pour un sou : il en avait vu d'autres. Il devait avoir aperçu les pièces que le muet avait sorti de sa poche et espéré les carotter. Pierre le découragea d'un regard qui disait « casse-toi ou tu vas t'en prendre une ». Il était très doué pour ce regard-là.
Alors qu'il se levait, il comprit où il était : un taudis. Un de ces enclos où on parque les gueux et les vagabonds en attendant qu'ils crèvent de faim ou de maladie.
Comment avait-il atterri là ? Il ne se souvenait pas... La dernière fois... La dernière chose dont il se souvenait...
Gygy. Gygy et lui qui jouaient aux cartes. Elle était tellement nulle qu'il n'avait même pas besoin de sortir son as caché pour la battre. Elle n'avait pas l'air contente. Pierre ne se rappelait pas pourquoi. Une remarque, un reproche, quelque chose comme ça. Il l'avait envoyée promener. Ça, il s'en souvenait. Il n'allait quand même pas céder à tous ses caprices.
GYGY ! Mais où était-elle, d'ailleurs ?
Son cur s'accéléra. Au pas de course, il parcourut la bâtisse, tirant les rideaux, dérangeant des familles entassées dans leur piaule comme autant de petites souris. Mais elle n'y était pas, sa petite bestiole à lui. Il devait la retrouver. Il avait déjà failli une fois.
Il s'extirpa de la baraque avec fracas, compensant son mutisme en portes qui claquent.
Il fallait qu'il découvre où il était. Où était Gygy. Ce qu'il s'était passé.
Et on lui avait probablement volé son cheval.
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Avatar : AaronGriffinArt
Pierre roula sur le flanc et grimaça. Le sol était froid, humide, et sentait les latrines bouchées. Lorsque ses yeux s'habituèrent assez à la pénombre environnante pour déceler les contours des lieux, il ne reconnut pas l'endroit.
Bordel, où est-ce que je suis ?
Des geôles ? Précautionneusement, le muet s'inspecta. Les couteaux dans les godasses. La lame glissée dans sa chemise. Et le reste. Tout y était. En prime, sur sa joue, un bleu, qui lançait quand on y appuyait. Il ne savait pas comment il l'avait récolté.
Dans sa poche, il dénicha une poignée d'écus, un bout de ficelle et un sachet de ce nouveau truc qu'il fumait. Du crapaud séché qui venait des Indes, par la route des épices, d'après celui qui le lui avait vendu. Ça l'avait amusé sur le coup, mais ça ressemblait beaucoup à une mauvaise idée maintenant.
Il n'était pas en taule, donc. On ne lui aurait pas laissé tout ça. Et, s'aperçut-il, il n'y avait pas de porte dans la petite pièce où il se trouvait. Les murs étaient en bois gondolé, un rideau miteux laissait filtrer un brin de lumière à l'entrée. La lumière et l'éclat avide d'un il qui l'épiait.
Un gamin. Un marmot qu'on aurait dit pas plus gros d'un rat, émacié, puant la misère. Pierre haussa un sourcil, pas attendri pour un sou : il en avait vu d'autres. Il devait avoir aperçu les pièces que le muet avait sorti de sa poche et espéré les carotter. Pierre le découragea d'un regard qui disait « casse-toi ou tu vas t'en prendre une ». Il était très doué pour ce regard-là.
Alors qu'il se levait, il comprit où il était : un taudis. Un de ces enclos où on parque les gueux et les vagabonds en attendant qu'ils crèvent de faim ou de maladie.
Comment avait-il atterri là ? Il ne se souvenait pas... La dernière fois... La dernière chose dont il se souvenait...
Gygy. Gygy et lui qui jouaient aux cartes. Elle était tellement nulle qu'il n'avait même pas besoin de sortir son as caché pour la battre. Elle n'avait pas l'air contente. Pierre ne se rappelait pas pourquoi. Une remarque, un reproche, quelque chose comme ça. Il l'avait envoyée promener. Ça, il s'en souvenait. Il n'allait quand même pas céder à tous ses caprices.
GYGY ! Mais où était-elle, d'ailleurs ?
Son cur s'accéléra. Au pas de course, il parcourut la bâtisse, tirant les rideaux, dérangeant des familles entassées dans leur piaule comme autant de petites souris. Mais elle n'y était pas, sa petite bestiole à lui. Il devait la retrouver. Il avait déjà failli une fois.
Il s'extirpa de la baraque avec fracas, compensant son mutisme en portes qui claquent.
Il fallait qu'il découvre où il était. Où était Gygy. Ce qu'il s'était passé.
Et on lui avait probablement volé son cheval.
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