Judicael.
- C'étaient les plus belles années de notre vie. Ils appelaient ça les "blooding sixties". L'église et les Réformés gouvernaient les idéologies, Lafayotte gouvernait le monde de la mode... Et mon frère et moi gouvernions les bas fonds de Paris. Putain, on était intouchables...
Les doigts noueux, ouverts aux phalanges, s'appliquent à nettoyer méthodiquement le sang.
Rouge. Rouge sang. Sang fraternel. Frère de sang. Idiot fini.
Judicael est silencieux. Et quand Judicael est silencieux, ça pue. Les yeux verts, typique des rouquins, restent obstinément fixés sur les plaies que le linge humide ne ménage pas. Les lèvres restent scellées, fermement, aux mots qu'elle ne diront pas.
Foutu rouquin. Comment pouvait il lui ressembler tant de l'extérieur, et si peu, là, à l'intérieur? De nombreuses fois les questions existentielles s'étaient posées, imposées à lui. Autant de contrariétés qu'il ne laissait pas émerger. Froid. Introverti. Peu bavard. L'homme était un faux calme. Il détestait pourtant devoir se salir les mains lorsqu'il avait décrété que ce n'était pas le moment. Mais ce soir... Ce soir il avait perdu ses moyens. Judicael connaissait ses limites. Minces. Infimes. Mais Samael était le levier de toutes celles ci. Une faiblesse. Sa seule faiblesse.
- Bouge pas.
La main maintient les cheveux rouilles, sans dissimuler sa brutalité latente. Le jumeau est abimé. Malgré cela, il est agité. Sa jambe semble piquée de spasmes , ce qui a le don d'agacer son vis à vis. Miroir moins amoché. Mais pas moins nerveux. Les deux hommes se ressemblent comme deux gouttes d'eau. Et si l'un n'était pas aussi fou que l'autre faussement équilibré, il serait impossible de les différencier.
- Foutredieu. Bouge pas ou je t'ouvre l'autre arcade.
La menace était réelle. Les deux êtres qui se faisaient face, tandis que l'un soignait l'autre, n'étaient que feu et désordre. Chaos et heurts. Violence dénuée de remords. Fils de rien, nés d'une catin et d'un homme de passage, la misère des bas fonds de Paris pour seul héritage. Judicael et Samael s'étaient élevés seuls, et avaient poussé sans tuteur sur le pavé déchaussé de la Cour. Veillant malgré tout l'un sur l'autre comme si finalement, résidait là leur seule richesse. Ils étaient jeunes, ils avaient l'avenir devant eux. Et l'avenir de là où ils venaient ressemblait plus à un tas de fumier qu'à une vie cossue dans les belles demeures des nobles gens.
Terminant son sacerdoce, le plus fringuant des deux s'autorisa une pensée. Une de ces pensées en miroir, que seuls les êtres sortis du même utérus le même jour peuvent se permettre. Les frères jumeaux ne sont-ils pas qu'un seul être dont la monstruosité est d'occuper deux fois plus de place dans l'espace? La main lâcha les crins de feu, et les yeux se défirent de cette vision désagréable.
Regarde-toi, mon frère. Je ne suis plus beau à voir.
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