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[RP] De vice & de vertu, ou le sacré catin

Evroult
    C’était une petite colline, allongée & à la pente douce, qui se laissait glisser au creux de vallées trop osseuses. Elle remontait, rejoignant sa jumelle, une autre à peine plus petite & légèrement décalée sur la gauche, mais qui pointait plus vivement comme si elle pouvait toucher les étoiles. Du reste, à force de les observer d’aussi près, Evroult était en train de finir par croire qu’il devait bien y avoir quelque chose de céleste dans cette contemplation. On en était arrivé au point où, perçant l’horizon comme des piques transperçaient les corps de soldats malchanceux, les cimes de ces collines-là refusaient de plier aux doigts possessifs & avides qui s’en emparaient.

    Et plus elles tentaient de se dérober, plus l’animal montrait les crocs. Les cris & les soupirs de sa proie étendue, derniers soubresauts d’un combat perdu d’avance, se mêlaient aux grognements agressifs du vainqueur qui comptait bien planter le drapeau de la victoire sur les terres conquises. Il avait le pouvoir, la puissance, la légitimité sur le terrain qu’on lui offrait, qu’on lui payait. On venait à lui pour ses vices, & lui les vainquait tous, le menton haut & luisant de luxure, usant & abusant de la plus pure – du moins l’affirmait-il – des extrêmes-onctions.

      -Nous nous agenouillerons et nous réciterons le crédo.
      Le Très-Haut saura vous ramener dans le droit chemin. Votre âme peut encore être sauvée.
      Je n'ai pas pu sauver mon frère, je lui ai tourné le dos. Alors je vous sauverai.*

    L’onyx jusque-là doublée du manteau de ces cils s’ouvrit bien largement, cherchant explication dans le regard flouté de son adversaire. Mais elle avait baissé les armes, bras en croix & paupières révulsées, capitulant devant la faim dévorante d’un loup qui n’en avait pas fini, qui ne voulait pas en finir. Ces derniers temps, alors que la norvégienne, pauvre Hel condamnée à aimer un impétueux courtisan, couvait en son sein maigre une engeance indésirable qu’il ne voulait pas assumer, un violent appétit paralysait son désir de se trouver près d’elle. Il la fuyait, damné effrayé par l’enfer, & tentait de trouver en ses clientes un quelconque sentiment d’apaisement. Mais la satiété, déjà si difficile à trouver à l’habitude, échappait à sa prise en confortant sa frustration & son avidité. S’il connaissait les limites, nul doute que la précarité d’un avenir risquant d’être soumis aux aléas d’un braillard babillant le rapprochait, jour après jour, du faux-pas qui le mettrait à la porte.
    Il voulait plus. Toujours plus. Et la cliente si pleine de désir au début, refusait désormais de continuer la passe.

    - Mais de quoi donc voulez-vous me sauver ?*
    - Evroult… quoi ? je ne… je ne veux plus… arrêtez…

      - Mais de cette vie misérable qui vous attend ! De toutes ces maux qui rôdent et vous remontent par ... enfin vous savez.
      Cela vous rongera. Vous en mourrez. Seul. Flétri avant l'âge. Dans d'atroces souffrances.


        Cela vous rongera. Vous en mourrez. Seul. Flétri avant l'âge. Dans d'atroces souffrances.

          Cela vous rongera. Vous en mourrez. Seul. Flétri avant l'âge. Dans d'atroces souffrances.*


    Il en eut un sursaut si vif qu’il sauta hors de la couche, comme piqué d’une abeille, les yeux écarquillés sur la conquête dont il ne discernait pas les traits, & qui elle-même ne devait plus rien voir tant elle avait les yeux troublés.

    - Quoi… qu’avez-vous dit ? Qu’est-ce que… qu’est-ce que vous avez dit ?
    - Je… je ne voulais plus…
    - Non ! vous avez dit que je… que je…


    Ses joues avaient blêmi à mesure qu’il comprenait, d’abord qu’il ne l’avait pas entendu, ensuite qu’il en avait entendu une autre. De fait, il débanda aussi sec, saisit ses fripes & sortit en trombe de la pièce. Il entendit les appels étonnés, incompréhensifs, puis énervés de la cliente abandonnée après avoir été franchement abusée, alors qu’il se perdait dans le dédale de son hôtel particulier, & lorsqu’il finit par retrouver l’air asphyxié d’un été arrivant trop tôt, il n’eut plus qu’un objectif en tête.

    - Isaure ! ISAURE ! Sortez de ma tête ! SORTEZ ! Je sais que vous voulez me rendre fou ! Vous n'avez pas le droit...
    merde... excusez-moi, je cherche dame Isaure... ISAURE ! Je SAIS que vous êtes là !

* Tiré du RP taverne à l'origine de ce RP.
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Isaure.beaumont
Je suis là, Evroult !


La voix semblait étrangement proche et lointaine à la fois. Douce et moqueuse, elle avait une résonnance insolente, comme un écho dans sa tête, que lui seul pouvait entendre. Et chaque silhouette, dans cette rue dans laquelle il venait de déboucher, pouvait être Isaure.

Evroult !

Evroult !

Evrouuuult !


Elle le narguait. N’était-ce pas justement elle qui pressait le pas, là, juste devant ? N’avait-il pas capté son sourire moqueur ? Elle s’enfonçait dans la foule, se laissait avaler par la masse. Et tous ces dos, toutes ces têtes portées hautes, toutes ces boucles brunes devenaient soudainement la Wagner. Il pourrait bien les retourner une à une, qu’il ne découvrirait à chaque fois que des visages inconnus, éberlués ou effrayés. Car de Beaumont, il n’y avait que celle qui gangrénait ses pensées.

Je peux vous aider, je peux vous tendre une main aristotélicienne pour regagner le droit chemin.*


Tel un parasite, elle s’était insinué dans son esprit, elle s’était infiltrée dans son âme, pour resurgir à cet instant même où il s’adonnerait à la luxure. Elle s’était terrée dans son inconscient, attendant le moment propice pour venir lui souffler son crédo à l’oreille, son visage se superposant alors à celui des clientes, sa voix couvrant la leur pour mieux le détourner de ses vices.

Evroult ! Entends ma voix. Il est temps de purifier ton cœur et ton âme. Il est l’heure de purifier ton corps, avant qu’il ne soit trop tard ! Laisse-moi t’aider ! Prends ma main.

Dans une course un peu folle, qu’il s’agisse d’une fuite ou d’une course-poursuite avec une Isaure vaporeuse et imaginaire, ses pas le guidèrent malgré lui jusqu’à l’imposante mais non moins élégante silhouette d’une petite église.

A l’intérieur, dans la quiétude des lieux, une femme, les yeux fermés, était agenouillée sur un prie-Dieu. Occupée à égrener son chapelet, les lèvres s’agitant en de muettes prières à mesure que ses doigts progressaient sur les perles de bois, elle n’entendit pas les portes que l’on poussait grincer. Elle n’entendit pas les pas résonnant sur la dalle froide. Ni même ne vit la silhouette qui avançait dans l’allée.



* Tiré du RP taverne à l'origine de ce RP
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Evroult
    - Isaure !

    La femme avait un poireau monstrueux sur le nez, & se dégagea avec force & violence de la main qui empoignait son bras. Ce n’était pas elle. Ni celle-ci, avec ce sourcil unique qui barrait tout son front & semblait vouloir prospérer jusqu’entre ses deux yeux. Pas même celle-là, avec son absence de dentition – pardon, il en restait une noire sur le devant. Encore moins elle, ou bien devrait-on dire lui, mais quelle idée aussi de porter des cheveux aussi soyeux, longs, & bouclés quand on était un homme !

    - Isaure ! Isaure montrez-vous !
    - Vous ne savez pas ce que vous dites. Mais ne vous en faites pas. Je ne vous abandonnerai pas.
      Je ne vous abandonnerai pas.
        Je ne vous abandonnerai pas.*


    [QUELQUES MINUTES PLUS TARD, APRÈS S’ÊTRE LOURDEMENT EXCUSÉ
    AUPRÈS DE L’ISAUREMAN FORTEMENT CONTRARIÉ QUI MENAÇAIT DE SA HACHE
    (UN BÛCHERON, EN PLUS !) LES PRÉCIEUSES PARTIES DU JEUNE COURTISAN]


    - Isaure ! ah ! je vous retrouve ! qu’est-ce que vous m’avez fait ! dites-moi ce que... oh merde.
    La seule raison pour laquelle il ne l’avait pas encore empoigné, fou de rage comme il l’était, c’est qu’il semblait seulement maintenant prendre conscience qu’il venait d’entrer dans une église. Comme poussé par la foule & la main lourde & froide écrasant ses vertèbres, il en avait franchi les portes & traversé l’allée avec le seul objectif de confronter la bigote qui osait le hanter pendant ses passes.

    Là donc, il recula d’un pas en levant les yeux sur les voûtes qui lui bouchaient la vision des nuages. Là, donc, il passa une main sur sa nuque alors qu’il paniquait. Là, donc, il se sentit comme broyé par la lourdeur d’un lieu aux symboles trop forts.

    - Mais qu’est-ce que vous m’avez fait… mais qu’est-ce que… qu’est-ce que… mais pourquoi ? pourquoi moi ? mais qu’est-ce que je vous ai fait ?

    C’est ainsi qu’Evroult, courtisan de seize ans, fit ses premiers pas religieux.
    Enfin, presque.

* Tiré du même RP taverne à l'origine de ce RP.
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Isaure.beaumont
A mesure que les prières étaient formulées, à mesure que les doigts se déplaçaient de perle en perle, il lui semblait que son cœur s’allégeait et que son âme s’élevait. La quiétude des lieux, le parfum des encens, tout aidait à faire naître en elle un sentiment éphémère de plénitude. Et alors que ses lèvres s’étiraient avant de s’arrondir muettement formant le nom silencieux d’Evroult, la voix de ce dernier s’éleva, rompant le religieux silence. Les paupières frémirent avant de se relever pour dévoiler deux cobalts hébétés.

- Evroult… !

Le nom fut soufflé à mi-voix, étreint par la surprise. Abandonnant le chapelet sur le dossier du prie-dieu, elle se redressa pour lui faire face, le regardant sans comprendre, s’étonnant même de sa présence improbable dans les lieux.

- Allons Evroult, pas si fort ! Mais… mais que racontez-vous ?!

Elle posa une main qu’elle voulait rassurante sur l’avant-bras d’un Evroult hagard avant de lui offrir un doux sourire.

- Je suis heureuse de vous voir ici, Evroult ! Si je m’y attendais ! Vous avez trouvé mon présent, j’imagine. Vous avez ressenti Son appel, n’est-ce pas ? Je vous l’avais dit. Détendez-vous, laissez-le venir à vous, laissez-le vous pénétrer. Il n’est qu’Amour.

S’emparant de sa main, elle le guida doucement mais fermement vers le prie-dieu, comme lui-même aurait pu guider une cliente effarouchée jusqu’à sa couche. Elle l’invita à s’agenouiller, appuyant légèrement sur ses épaules.

- Agenouillez-vous. Fermez les yeux.

Elle vint alors prendre place à ses côtés, prenant soin de lui joindre doucement les mains, comme elle l’aurait avec en tout petit enfant.

- Ressentez-vous ?

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Evroult
    Un mollusque en fin de vie aurait eu plus d’entrain que le jeune courtisan trainé vers le prie-Dieu. Égaré, il l’était. Hébété, sans aucun doute. Terrifié… aussi. Onyx écarquillés, les mots de la bigote résonnaient, échauffant ses oreilles, dressant comme des piques le moindre de ses poils. Était-il devenu fou ?

    - Votre présent ? C’est à cause de vous ! je ne… je ne me fais pas pénétrer, moi !

      - Ne vous en faites pas.
      Ce sera un peu douloureux au début.
      Les changements sont toujours douloureux.*


    Il se retrouva bientôt agenouillé au prie-Dieu, mains jointes & supporté par la présence maligne de la brune.

      - Avez-vous déjà seulement prié ?
      Savez-vous le bien que cela peut procurer ?*

    - Ressentez-vous ?

    Oh, oui, il ressentait. Il ressentait le poids immense de son corps qui s’affaissait sur le prie-Dieu, incapable de résister à la force d’une Isaure décidée à le convertir, à le purifier, à le sanctifier. Il ressentait la voix stridente de la bigote entre ses deux esgourdes, comme si elle s’était faite une place confortable à l’intérieur de son crâne. Il ressentait les doigts sur les siens, retenant ses mains jointes comme s’il relevait d’une importance capitale de les garder soudées. Il ressentait, ah ! il ressentait l’absurdité d’une position qui ne lui ressemblait pas, la lourdeur de pratiques qui ne le concernaient pas, d’une croyance qui n’était pas la sienne.
    Croyait-il ? sans doute.
    Priait-il ?
      - Prier ? Pourquoi faire ? j'accède au Très-Haut en jouissant, Isaure.*

    - Arrêtez !
    Et il s’était saisi du poignet fin en laissant l’écho & les voûtes de l’église amplifier sa supplique. Car ça n’avait rien d’un ordre, & la pression angoissée sur le bras d’Isaure, & la flamme de folie allumant le fond de son onyx, & les tremblements dans sa voix. On aurait cru qu’il avait vu le Sans-Nom en personne, alors même que c’était le Très-Haut qu’on lui demandait d’apercevoir.
    - Vous êtes complètement folle ! je n’ai rien à faire ici… sortez-moi d’ici ! je sors d’ici. Et vous allez sortir de ma tête !

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