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[RP] Ta mère le chat.

Judicael.


    [Abîmés mais tranquilles
    Sur le toit de la ville
    A hurler du silence
    Sûr qu'on n'entend plus rien]*




Debout, sur la charrette vide, Cael scrute l'horizon. Les dents serrées. L'oeil à l'iris d'un vert sombre roule sous la paupière plissée, surmontée par le plat de la main au front. Nerveux. Il l'est physiquement. Droit dans ses bottes, le roux a dissimulé ses crins trop longs pour être discrets dans les replis de son garde corps dont le capuchon engloutit la moitié de sa tête. Sur sa ligne d'horizon, rien en mire. Le paysage est plat et lunaire. Le brigand plie et replie son poing contre sa cuisse, flirtant avec une lame bâtarde à l'estoc ébréché. L'attente dure quelques minutes, interminables. Minutes pendant lesquelles, perché sur sa charrette le rouquin en noir semble s'être transformé en statue.

Pillard. Soudard. Vandale. Judicael était. Patient, pas assez. Lorsque ses jambes furent piquées de fourmillements, il s'anima enfin, et reprit sa route en faisant claquer les rênes. Entre ses dents, le petit commentaire s'échappa.


- Chiabrena.


Son frère avait encore disparu dans la nuit, pendant leur voyage. Ce n'était pas la première fois qu'il descendait en cours de route, pour suivre une mouche ... Ou pour aller pisser. Laissant le convoi partir sans lui. La dernière fois, il était resté dans la ville qu'eux et leur groupe venaient de mettre à sac. Une bien dangereuse imprudence, quand on sait que tout le village recherchait deux roux pour tenir à bout de bras leurs têtes sur des piques... De Piques, les jumeaux étaient les plus singuliers. Deux entités si semblables et pourtant si différentes à la fois. Cael, le plus posé des deux pourtant, bouillonnait au fil de sa progression, balloté sur le chemin cahoteux. Il savait pertinemment que laisser seul un danger ambulant tel que son frère était une très mauvaise chose. Nonobstant cette certitude, il ne pouvait pas passer une nuit de plus à l'attendre. Le groupe devait partir vite pour rallier un nouveau duché, et à ce rythme là... Ils allaient devoir partir seuls, derrière.

Derrière. Quelle sinistre idée. Fier, le brigand abhorrait rester derrière. Etre le dernier. Sauf quand la raison valait la chandelle. Samael avait sans doute trouvé une femme à trousser, à violer, un ennemi à provoquer. Une raison plus valable que la dernière... Où une envie de pisser couplée à une course derrière un chat de quelques mois l'avait laissé loin du convoi, jusqu'à se perdre. Foutue bestiole. Un chat. Le genre d'animal qu'on mangeait à disette, dans les rues de Paris lorsque l'Hiver était trop rude. Il était inconcevable pour Judicael de s'attacher à toute forme d'humanité, hormis celui qui avait partagé le même utérus que lui, alors un chat... Un animal n'était qu'un fardeau tant qu'il ne fournissait pas viande, lait ou cuir. Il détestait voir son fêlé de frère ramener des plaies sur pattes, qui finissaient toujours inexorablement par causer des ennuis. Quand on ne sait pas si l'on va becqueter le lendemain, on ne s'attache pas à nourrir une bête. Le roux avait des principes, des rigidités de caractère aussi.

Certain qu'il était sauf, Judicael craignait surtout pour la vie des pèlerins et des marchands que Samael croiserait. Seul, celui ci était toujours en proie à une nervosité intense, et des angoisses qui le faisaient agir de façon impulsive et irréfléchie...

Au petit matin, il arriva dans leur ville de rassemblement. Ne s'étant pas détendu d'un cran, il décida de dormir un peu dans un coin de taverne. Le roux reviendrait bien un jour. Et il fallait que ce jour soit ce soir. Car il ne partirait jamais sans lui ni ne désirait être retenu pour les frasques fraternelles. Eternelles emmerdes...



    [Hôpital en cavale
    Chevaux fous dans la nuit
    Trajectoire éphémère
    C'est mort et c'est tant pis]*


Saez

_________________

Viens jouer...
Samael.
Foutue pénombre ou foutue bestiole ?

Pour la deuxième fois en peu de temps, le chat, apeuré par une charrette branlante sur un chemin chaotique avait mis les voiles avec un Miaou de provocation.
Et pour la deuxième fois, le roux avait sauté du convoi pour lui courir après.

Mais pourquoi cet attachement soudain à un sac à puces aux oreilles trop grandes et au pelage troué qui le faisait ressembler plutôt à une chauve souris qu'un matou ?

Non pas que Samael était un fervent admirateur du monde animalier, mais il avait très vite capté qu'avec une bestiole entre les pattes, il attirait l'attention, agaçait ou attendrissait.
Le fou, le rouquin, brossant les poils noirs en taverne attisait les conversations et horripilait Judicaël.


Et Maël passait des heures a caresser son chat fixant son jumeau, impassible.
Mais dans sa tête tout bouillonnait et là ou l'apparence s’arrêtait, lui voguait dans l'imagination d'un cerveau dérangé.

Dans son imagination, la bête devenait humaine, le noir laissait place à une chevelure de feu et sans trop d'effort, le roux pouvait ressentir entre ses doigts, la crinière fraternelle, la chaleur de son corps posé entre ses jambes repliées en tailleur.
Un sourire s'échappait toujours lorsque le ronronnement paisible se faisait entendre.
Qui pouvait comprendre ?
Personne.

Cette fois, le petit félin se laissa rattraper sans trop de dégâts, garda ses griffes rétractées et s'endormit très vite dans la chemise du roux.
Tout était bien qui finissait bien, Samael hâtant même le pas voulant remonter dans le convoi avant que son frère ne remarque son absence.

Sauf que dans la vie des Pique en miroir, rien n'était acquis et jamais leur histoire se déroulait sereinement.

Maël ne retrouva pas la charrette ni son frère à l'aube, mais une poignée de soldats armés jusqu'aux dents aux portes d'une ville qui n'était pas Genève.

Foutre...que faisait-il à Saint-Claude ?

Il se pouvait, en réfléchissant bien que l'obscurité et l'alcool aidant, il se soit trompé de sens. Dans la nuit, tous les chats sont gris et tous les buissons se ressemblent.

Il était lucide, le fou. Fou mais lucide.
Inutile de tenir tête aux gardes et mieux valait se carapater à toutes jambes et se cacher dans un fossé, s'il voulait revoir son frère un jour !

Ainsi se passa la journée de Samael : caché dans un trou avec son chat attendant que la nuit retombe pour en ressortir, aux aguets, une envie de pisser à fendre le crâne, l'estomac dans les talons et une forte envie de vinasse pour ravaler le dépit de la situation.

Il se remit en route, dans le bon sens cette fois.

Et la roue tourna positivement cette fois, lorsqu'une charrette s’arrêta et que des éclats de voix lui parvinrent.



pauvre garçon, seul dans la nuit.
C'est peut être un voyou, ma douce
Mais non, enfin. Tu vois le mal partout. Fais-le monter, le Très-Haut t'en sera reconnaissant.

Hey toi, la bas ? Besoin d'aide ?


Un sourire mauvais et roublard passa sur la tronche de Samael . Le pouce caressa les lèvres, puis il se retourna.

-je me suis...perdu. Je dois rejoindre ma famille à Genève. Ils doivent être morts d'inquiétude de ne pas me voir.

-tu vois, c'est un pauvre jeune homme, je t'avais dit.
-Monte à l'arrière, garçon et profite du reste de la nuit pour dormir. A ton réveil, tu seras prêt des tiens.


Pauvres voyageurs qui invitèrent le démon à mettre un terme à leur petite vie paisible.

Très calmement, il s’exécuta, grimpant à l'arrière et rabattant une toile de jute sur lui, prenant soin de fermer le chat dans sa besace, feignant de prendre en compte les conseils.
Il attendit un peu.

Puis avec un sang-froid surnaturel, il se redressa et sorti sa dague de son fourreau.C'est toujours avec ce même calme dangereux, trop dangereux, qu'il glissa le tranchant de sa lame contre la gorge de l'homme, arracha sa bourse et l'enfila dans sa chemise à la place du chat. Il le poussa de son siège et le fit basculer sur la bas côté de la route. Toujours avec la plus parfaite maîtrise de soi, il tira sur les rennes et plaqua un revers de main sur la bouche de la femelle qui de surprise commençait à crier.
Le roux se mit à chantonner, doucereux, a l'oreille de la femme, la traînant à l'arrière, la ou il avait été invité.
Il ne vit jamais son visage, mais il se souviendrait toujours des supplications quand il relâcha sa prise pour remonter les jupons.
Elles faisaient toutes cela. Supplier, promettre écus et silence en échange de leur vie et du petit être grandissant en elles.
Il la troussa, comme il l'aurait fait avec une vulgaire catin dans un bordel de campagne.
Avec une froideur sans pitié il vint lui laisser la marque de ses crocs sous l'oreille, murmura :


L'enfant que tu portes en toi, quel avenir lui réservais-tu dans ce monde de charognards.
Ou est ton Très-Haut pour t'aider, pour entendre tes supplications ?
Je suis ton Dieu et ce soir, je te délivre de tous péchés et j'évite à ton rejeton de faire la même vie de labeur que son père.
Remercie Dieu..remercie-moi!


Car Samael était observateur et à la faveur de l'astre lunaire, il avait entr'apeçu des habits rapiécés et des sacs de jutes en guise de bagage, point de malle, point de marchandises coûteuses.

A mesure qu'il se libérait de toute tension, ses mains se faisaient meurtrières autour de la gorge féminine.
Il se retira en même temps que le dernier souffle de vie, réajusta ses braies et récupérant son chat, échangea la place avec la bourse du couple.
Il ne s'était pas trompé. Elle ne contenait pas assez pour faire frémir ses prunelles.


Mais néanmoins, quand il arriva à Genève, il avait gagné un cheval qu'il attacha soigneusement à un arbre, devant leur taverne.
Judicaël était là, attablé, dormant la tête dans ses bras.
Samael aurait voulu fondre sur lui, s'endormir contre lui mais il se contenta de s'asseoir devant lui en tailleur et dans le silence le plus absolu se pencha pour souffler à l'oreille du dormeur.


...Cael...


    Je suis perdu
    Sur des chemins de pierre
    Je marche nu
    On s'est perdus
    On s'est perdus
    Et mon cœur en enfer
    Que de toi, que de toi ne battra plus

    Je me suis perdu
    Quand je t'ai perdu
    J'ai perdu ma lumière
    J'ai perdu Terre entière


...soulagement.

_________________
Judicael.
    [Je t'attends sur le banc comme on attend la mort en espérant la vie
    Je t'attends comme on attend voir pointer le jour quand il n'est que la nuit
    Il est tard et ça fait oui déjà quelques fois que tu t'en es allé
    Des années ou des siècles les secondes sans toi sont toujours éternité
    Toi tu dois faire du sale sur des chemins où moi, moi je ne suis pas
    Et moi je reste là à voir passer le monde qui se fout de tout ça.]


Judicael se redresse, apercevant son frère. D'instinct il se lève, diable sorti de sa boite de sommeil, se rue sur lui. Samael fait un pas en avant, puis deux pas en arrière. Se fait surprendre par l'étau de ses bras, accaparé avec une certaine brutalité. L'étreinte est si brusque lorsqu'elle claque ses épaules qu'on ne saurait dire si elle est l'expression de la joie ou de la haine. Mais pas de coup. Pas de morsure. Cael contient le bouillon qui lui vrille les tripes. Sentir d'abord la présence bien réelle, de cette entité fraternelle. Enserrer ce corps tant de fois veillé, tant de fois battu. Ce corps oreiller. Se dire qu'il est revenu.

Mael se crispe, tendu puis décontracte ses muscles pour se laisser aller contre son frère, visiblement pas assez tendu pour lui exprimer de son poing combien la nuit a été longue. L'instant est sans tendresse. Juste le lien de deux frères qui n'ont pas pour habitude de séparer leur route. Le besoin physique de s'assurer que, l'autre moitié a repris sa place.


    [Je marche dans des villes où des âmes sans nom me hurlent le tien
    Des concerts en sourdine où je donne ton nom pour oublier le mien
    Pour oublier un peu que toi tu n'es pas là quand la nuit se fait rude
    Que je n'ai plus que moi avec qui partager ma propre solitude.]


Judicael scinde leur étreinte d'un mouvement de recul. Les traits sont durs. Le regard est meurtri. Les erreurs de Mael finiront par leur couter cher.

- Tu veux m'tuer c'est ça... ?
- C'est...

Judicael agrippe ses cheveux et murmure à son oreille épargnée, l'obligeant à courber un peu l'échine. De cette manière, exprime son soulagement.


- Tu vas réussir à force. Mmh? Tu sais?


    [Je marche sous des feux qui me rappellent un peu la couleur de ton crâne
    Quand le rouge et le bleu donnent aux frères scandaleux des beautés océanes
    Je vivrais mille vies et dans mille pays ça ne changerait rien
    Car de mille pays je reviendrais toujours m'éteindre entre tes mains.]



Le lâche et s'éloigne de lui, pour se passer l'envie de le cogner. Et finalement, se retourne pour le fixer gravement. De son vis à vis, il lui parait en bonne santé. Une santé physique du moins, qui ne saurait refléter sa santé mentale. Toute la bouillie perverse qui embrume sa cervelle de rouquin. Toutes les pulsions dégoutantes qui l'animent. Les tics. Les tocs. Et du tac au tac:

- Pourquoi t'as disparu hier?

Et le visage de se pencher sur le coté, découvrant l'oreille coupée, avec cette lueur dans le regard. Une lueur de folie. Une de celle qui vous raconte que vous avez trois secondes pour donner la meilleure réponse. La plus valable, celle qui se tient. Pas une une plus. Pas une de moins.

_________________

Viens jouer...
Samael.
Sans larmes sans drame
pauvres et dérisoires armes
car il est des douleurs qui ne pleurent
qu'à l'intérieur.





Les retrouvailles suivent leur cours.
Pas de cris, pas d'effusions.
Tout reprend sa place, la mèche de cheveu roux derrière l'oreille valide, les quatre émeraudes brillants en miroir, jusqu'aux deux souffles qui prennent le même rythme.
La parenthèse est terminée, nous pouvons continuer.


N'en parlons plus...

Mais Cael en avait décidé autrement, questionnait, intimait...
Tu me rends malade, mon frère. Toi aussi tu disparais et me laisses seul face à mon désespoir, comme quand notre mère sortait le soir.

Je ne rêve plus je ne fume plus
Je n'ai même plus d'histoire
Je suis sale sans toi je suis laid sans toi
Je suis comme un orphelin dans un dortoir


Mael n'avait pas bronché quand la patte avait tiraillé la tignasse rouillée. Peut être aurait-il dû rétorquer, lui cracher à la gueule que maintenant, il savait se que coutait l'absence de l'autre, frapper ce beau visage indentique et lui faire bouffer la poussière, lui faire payer cette nuit d'absence, bien qu'il fut seul coupable. Mais n'était-ce pas plus facile que de rejeter la faute sur l'autre ?
Après tout...


Je n'ai plus envie de vivre ma vie
Ma vie cesse quand tu pars
Je n'ai plus de vie et même mon lit
Se transforme en quai de gare
Quand tu t'en vas


Mais si le fou n'avait pas bronché, c'est car il savait.
Il savait que la raison n'était pas acceptable et que son frère ne validerait pas.

Mens, Maël, parles-lui d'un oubli, d'une ultime gueuse à trousser, une chiasse chronique qui t'as cloué au buisson ou d'un achat de dernière minute.

Le silence se fit pesant, le regard de Cael de plus en plus menaçant et quand la petite tête noire du matou pointa de la chemise, juste sous le pif de Mael, la vérité fusa comme évidenc
e.

Le chat.

Non, Judicael. Ce n'est ni une catin, ni une lavandière et encore moins le couple rencontré en route qui m'a initialement fait dérailler, mais un putain de chat.

_________________
Judicael.
    [ Mais le matou revient, le jour suivant...
    Le matou revient, il est toujours vivant... ]


Le chat.
Ce foutu chat.
Il avait disparu une nuit entière pour son putain de chat.


Le sang de Cael ne fit qu'un tour face à la pauvre explication. Lui, le plus calme, le réfléchi, n'eut soudain plus le sang qui circulait jusque dans le cerveau. Les poings rageurs se serrèrent, tandis que son faciès se défit, rembruni par des traits durs. Colérique, il l'était. Et étrangement, celui qu'il aimait tant était aussi la seule personne à réussir à le mettre dans un tel état. Comme si finalement les personnes les plus proches étaient également celles à qui l'on concédait le moins.

L'animal de la discorde se terrait là, dans la chemise crasseuse de Samael. Un problème sur patte qui aurait du disparaitre depuis longtemps. Depuis la première fois où Judicael lui avait demandé de le foutre dehors. Hors des tavernes. Hors de leur vie. La simple vision de la bestiole le ramenait à la misère qu'ils avaient aussi partagé enfant. L'entendre miauler lui électrisait le dos. Et vois son frère s'y intéresser autant, au point de se perdre la nuit, au point de concentrer son attention sur lui comme s'il était un prolongement de lui... Cela lui donnait le tournis. Celui des mauvais jours, celui trop extrême qui le poussait dans les bras de ses propres démons.

Samael aurait pu se faire tuer dix fois cette nuit, seul et désarmé. Désorienté, il aurait pu ne jamais rentrer, tomber dans un fossé, se faire violenter. Il aurait pu également causer trop de dégâts, névrosé à errer seul, tendu par l'absence rassurante de son frère.

Mais lui, ce pauvre fou, s'attachait à la futilité. Un putain de chat pour tout faire foirer. Un chat vers qui les mains, tremblantes et excessives à l'image de Samael, se tendirent. Casser le mobilier? Briser la nuque de Samael? Comment allait-il lui faire comprendre que sa distraction avait priorisé son égoïsme, plutôt que l'intérêt du groupe? Comment allait-il faire respecter sa douleur, de n'être toujours que celui qui calculait, surveillait, protégeait Samael des dangers qu'il représentait pour lui-même?

L'animal saisi par la peau du cou se mit à pousser un feulement strident, toutes griffes sorties. L'oeil mauvais vint cogner l'absurdité insouciante qui se lisait sur la gueule du rouquin. L'inconséquence de trop. L'irrationalité qui tombait mal.


- Ta mère, toi et ton chat !


Emporté, détraqué. Le geste enragé et féroce, Judicael brisa en un seul geste la frêle nuque du chat, qui pendouilla bien vite , inerte entre ses doigts. Et de le lui balancer comme un vulgaire lapin pris au collet, presque l'écume aux lèvres...

Ta mère le chat.

_________________

Viens jouer...
Samael.
    When I look into your eyes
    I can see a love restrained
    But darlin' when I hold you
    Don't you know I feel the same



Impassible le fou défie son Double.
Mâchoire crispée, regard fixe, il ne fait pas un geste pour empêcher les os du félin de se briser.
Il observe, il ressent.
Caël perd le contrôle et Maël en jubilerait presque.

Cette jalousie qui vous ronge comme un poison perfide, l'attention que l'Autre ne porte pas à son jumeau, l'angoisse de la séparation, le manque et l'attente, le froid qui glace jusqu'aux os, ce sentiment terrible de solitude qui pousserait le plus fier à pleurer, le plus fort à se taper la tête contre les murs.
Ce besoin inné de son presque soi, cette came ancrée dans les veines depuis l'instant même de la conception.

Tout ça, Maël le connaît que trop bien.
Tout ça, il le vit et en crève, chaque fois que Caël lui tourne le dos, pour une bête dispute, un mouvement d'humeur.
Les nuits ou seul dans leur couche, il a tâté l'espace vide et froid à ses côtés.
Cette peur qui gronde autant terrifiante qu'un croque mitaine pour enfants, cette peur d'être oublié pour une paire de seins, une partie de cartes et de le retrouver au petit matin, dans un caniveau, égorgé ou un pieu enfoncé dans la poitrine ou le cul.
AU moins, s'ils avaient été ensemble, ils auraient crevé ensemble.
On naît à deux, on meurt à deux.

Calme, trop dangereusement calme, il s'approcha de Caël, dédaignant la pauvre dépouille du chaton innocent, mort payant la folie de l'un, la violence de l'autre et de l'amour destructeur des deux.


Le pouce caressa la mâchoire jumelle et exerça une petite pression sur le menton, lui faisant entrouvrir la bouche.

Tu es beau quand t'es fâché.

Pas une once de provocation, mais un fait.
Le roux avait toujours été orgueilleux de leur beauté, se mirant dans le reflet que lui renvoyait son Double.

La main passa derrière la nuque et le front s'appuya contre l'autre.
Le regard est lourd de sens et équivoque.


Tout ce qui se met entre nous doit être détruit.
Mâle, Femelle
Chat ou Putain.



Il relâcha son frère et s'assurant que le message était bien passé, il replia ses bras en berceuse et fit mine de caresser une bestiole imaginaire.

Tu m'appartiens, Judicaël, c'est écrit dans nos veines.


    All mine
    So if you want to love me
    then darlin' don't refrain
    Or I'll just end up walkin'
    In the cold November rain

_________________
Judicael.
Il fronça un peu les sourcils.

Samael... Quelle folle entité s'empare de ton corps, lorsque tu es si calme. Lorsque c'est moi qui devient toi. Lorsque les vents contraires soufflent dans nos cheveux? La main sur son visage le fit frémir. Ou était-ce cette attitude trop paisible face au geste injuste de Judicael. Comme le lisse doux du couperet, avant de tomber sur le tranchant de la lame. Le poing de Cael froissa le col du frère . Il le serra si fort que les encoignures de ses os blanchirent un peu. Le souffle court, Cael scruta ses yeux comme pour y trouver quelques réponses sur la vie.

Mystérieuses brumes faisant l'esprit de Samael... Etait-il condamné à l'aimer et à le contenir? A le punir, malgré lui. Malgré eux. De ses absences. De sa violence. Lorsque ses poings s'abattaient sur lui pour le châtier de n'être qu'un fou. Un fou lié à lui corps et âme, quoi qu'il advienne.

Le murmure de Samael lui, déversait sa violence dans un lent flux faisant son chemin... Durcissant les traits de Judicael. Limpide... Le message était limpide. Et pour avoir vu Samael tuer Aurore, pour l'avoir vu n'avoir aucun frein ni aucune limite émotionnelle, l'insensible frémit à l'avertissement du sensible.

La possession mutuelle des jumeaux était une réelle difficulté dans leur approche d'autrui. D'un chat à une fille, leur vie décousue était pavée de drames. De sang et de sel.

Les doigts vinrent courir sur la nuque, pour la presser avec force. A-t-il souhaité parfois briser aussi cette nuque-là? Cent fois. Et cent fois, le regret profond de s'autoriser telle pensée avait fini par l'en dissuader. Car tuer son frère, c'est se tuer soi-même. Il inspira, dans un sanglot nerveux, entrecoupant sa respiration. Jusqu'à ce qu'il se défasse de lui.

L'emprise de sa main avait ses limites sur l'incontestable folie de son ainé. Pour autant, jamais , non jamais il ne cesserait de tenter de le contenir. Pour lui. Pour eux. Parce que la vie ne leur avait rien cédé jusqu'ici. Et que c'était à deux qu'ils avaient réussi à s'en sortir vivants.

Au geste de Samael sur un chat imaginaire, Cael lui tourna le dos. Frottant son visage, soucieux et vidé, d'une main aux veines dessinées. Cahotant sur les pavés... La route serait encore longue.

_________________

Viens jouer...
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