--Hermmance
La passion fut au rendez-vous. Ainsi que l'amour, la tendresse, entre autres. Ce soir-là, Hermance s'endormit dans les bras de son époux. Épuisée et heureuse. Sereine et pleine d'espoir. Aucune voix ne s'était élevée dans sa tête. Rien. Un silence interne divin. Elle rêva de s'endormir ainsi tous les soirs et non seule, de son côté. Elle rêva de la maison des Cordat. Elle rêva de cette bâtisse peuplée de cris enfantins. Elle rêva d'un dimanche en famille, leurs parents et leurs amis autour d'une table, les enfants courants autour en se faisant réprimander pour le trop de bruit, le faisan fumant dans sa cocotte. Elle rêva de son Raymond heureux, amoureux, épanoui. Elle rêva de leur avenir. Tout allait être ainsi. Au petit matin, elle en était persuadée. C'est à cela qu'allait ressembler leur vie, à partir de ce jour. De cette nuit.
Elle avait un peu lézardé au lit, se permettant de rêver encore un peu, éveillée. Raymond était venu l'embrasser, avant de partir au château. Comme tous les matins. Il avait l'air heureux, apaisé, et Hermance se réjouissait de cette réussite. Tout cela était possible grâce à Sorianne. Cette idée la jeta du lit. Et, après avoir passé rapidement un châle pour couvrir ses bras nus et sa fine chemise brodée et un peu froissée de la nuit agitée, la jeune femme s'installa devant la petite table et écrivit.
Citation:
Chère Sorianne,
Je n'ai pas eu la chance de vous apercevoir, hier, alors que vous me livriez la merveille.
J'aurai aimé vous remercier en personne. Ce que vous avez cousu est au-delà de mes espérances.
La chemise a grandement plu à Raymond. Vous êtes décidément très douée.
Peut-être vous commanderai-je d'autres choses, avant notre départ. Je doute trouver si bonne couturière à Libourne.
Raymond aura sans doute réglé ma dette. Si ce n'est pas le cas, faites-le moi savoir. Je viendrais vous donner en personne ce que nous vous devons.
Amicalement
Hermance de Pétrus
***
Plus tard dans la matinée, Hermance s'était lavée, habillée, coiffée. Elle ignora la fiole contenant son traitement, alors qu'elle grignotait un bout de brioche tout à côté, jugeant que la nuit tonique avait définitivement mis à mal sa folie. Elle se sentit si bien qu'elle prit ensuite la liberté de sortir pour rien. Comme ça. Une promenade sans aucun but dans les ruelles la conforta dans sa guérison. Elle s'émerveilla des couleurs automnales, de ce parfum caractéristique à la saison, mêlant l'humidité aux dernières chaleurs solaires, prit plaisir à regarder les gens s'égailler ici ou là, à écouter des brides de conversation qu'elle réussissait à capter.
***
TAIS-TOI ! JE NE VEUX PAS T'ENTENDRE !
AAAAAAAAH !
NOOOOON ! POURQUOI TU DIS CA ! TU MENS !
NON NON NON NON NON !
Les cris trouvèrent fin dans un long gémissement des plus plaintifs. Hermance était sur le pas de sa porte, à l'extérieure de l'appartement. L'après-midi touchait à sa fin et la jeune femme s'était échouée là, par terre, terrassée par les voix qui s'étaient remis à l'assaillir soudainement. Son visage avait perdu la splendeur de la veille, anéanti par les larmes et l'angoisse. La jeune femme se pressait fortement les oreilles dans l'espoir vain de ne plus entendre ces beuglements qui venaient, pourtant, de sa propre tête. Elle se balançait d'avant en arrière, instinctivement, dans une dernière tentative de rassurance.
Et, à ses pieds, gisait un poulet mort. Plumé. Cuit. Encore chaud.