--Hermmance
Mille petits travaux fusaient pour occuper une Hermance cloitrée de son plein gré. Et l'activité du jour se pratiquait autour de chaussettes. Assise à la lumière de la fenêtre, la jeune femme reprisait chaussettes après chaussettes. C'est fou comme ces bêtes-là se trouent rapidement. Si la tâche n'était pas ardue, elle demandait minutie, et laisser Raymond s'occuper du visiteur lui sembla salutaire. Surtout en considérant qu'il était davantage probable que la personne venait le voir lui. Mais c'est une voix féminine connue qui parvint à son oreille et Hermance réalisa sans doute un peu tard que la couturière devait lui amener sa surprise.
Elle posa donc prestement aiguille et chaussette pour rejoindre à grands pas décidés le salon, mais déjà la couturière était repartie. Elle regarda alors Raymond et son paquet, s'approcha doucement, lui pris des mains avant de lui sourire, un de ceux, contrit, qui ne savaient pas bien la réaction que son époux pourrait avoir en apprenant qu'elle avait osé franchir la porte de l'appartement sans lui, qu'elle avait risqué faire une crise devant des inconnus et elle craignit des reproches à venir.
Je voulais te faire une surprise. Tu n'aurais même pas dû le savoir à l'avance.
Elle était pressée de découvrir la chemise créée tout spécialement pour elle. Et son impatience se lisait certainement sur son visage à présent.
J'ai passé une commande à ton amie. Comme tu m'as vanté ses talents, j'ai pensé que ce serait la meilleure pour ça.
Mais ce n'est pas pour tout de suite !
Elle cala le paquet sous son bras, bien décidée à garder le secret encore un peu.
--Hermmance
Il fut surpris et Hermance en fut ravie. Elle mit le trouble de son époux sur le compte de l'étonnement. Effectivement, ce n'était pas tous les jours qu'elle se permettait d'être indécente de la sorte. Mais, parfois, il fallait employer les grands moyens. C'était du moins dans cette phrase qu'elle fondait tous ses espoirs futurs. Elle connaissait Raymond. Elle connaissait son goût pour les femmes. Et, même si elle ne doutait pas un seul instant qu'il eût failli à leur promesse maritale, elle craignait que cela ne durât éternellement. Il lui fallait redevenir la Hermance d'avant. Il lui fallait bouter la folie hors d'elle. Et elle comptait énormément sur cette chemise pour l'y aider.
Lorsqu'elle tourna, sous l'impulsion de Raymond, elle rit doucement. Sans doute rougit-elle un peu du compliment qu'il lui offrit. Mais la pénombre ne permit pas que cela se distingua.
Je suis magnifique pour toi, mon Raymond.
Tu vois maintenant ma surprise. Elle te plaît ?
Le tourbillon achevé, Hermance n'hésita pas à s'approcher de son époux, à le regarder tendrement et posa ses mains sur lui. Une tout contre sa joue, l'autre sur son épaule.
Sorianne l'a imaginé toute entière. Et elle a tout fait elle-même. Je ne m'attendais pas à un tel résultat.
Elle est gentille, ton amie. Je l'aime beaucoup.
Mais ne parlons plus d'elle.
Je veux te faire un enfant. Je vais te faire un enfant. Tout de suite.
Pourquoi attendre ?
Le rire qui suivit était teinté d'anxiété. Elle craignait une nouvelle crise. Comme la dernière fois. Mais Hermance se sentait coincée, entre ses crises et un époux qu'elle voyait déjà s'enfuir si elle ne lui offrait pas la vie dont ils avaient toujours rêvé. Et, pour mettre un terme à ce sentiment fluctuant, elle l'embrassa, cherchant du réconfort, de l'amour et sans doute de la passion dans les lèvres blondes.
--Hermmance
La passion fut au rendez-vous. Ainsi que l'amour, la tendresse, entre autres. Ce soir-là, Hermance s'endormit dans les bras de son époux. Épuisée et heureuse. Sereine et pleine d'espoir. Aucune voix ne s'était élevée dans sa tête. Rien. Un silence interne divin. Elle rêva de s'endormir ainsi tous les soirs et non seule, de son côté. Elle rêva de la maison des Cordat. Elle rêva de cette bâtisse peuplée de cris enfantins. Elle rêva d'un dimanche en famille, leurs parents et leurs amis autour d'une table, les enfants courants autour en se faisant réprimander pour le trop de bruit, le faisan fumant dans sa cocotte. Elle rêva de son Raymond heureux, amoureux, épanoui. Elle rêva de leur avenir. Tout allait être ainsi. Au petit matin, elle en était persuadée. C'est à cela qu'allait ressembler leur vie, à partir de ce jour. De cette nuit.
Elle avait un peu lézardé au lit, se permettant de rêver encore un peu, éveillée. Raymond était venu l'embrasser, avant de partir au château. Comme tous les matins. Il avait l'air heureux, apaisé, et Hermance se réjouissait de cette réussite. Tout cela était possible grâce à Sorianne. Cette idée la jeta du lit. Et, après avoir passé rapidement un châle pour couvrir ses bras nus et sa fine chemise brodée et un peu froissée de la nuit agitée, la jeune femme s'installa devant la petite table et écrivit.
Citation:
Chère Sorianne,
Je n'ai pas eu la chance de vous apercevoir, hier, alors que vous me livriez la merveille.
J'aurai aimé vous remercier en personne. Ce que vous avez cousu est au-delà de mes espérances.
La chemise a grandement plu à Raymond. Vous êtes décidément très douée.
Peut-être vous commanderai-je d'autres choses, avant notre départ. Je doute trouver si bonne couturière à Libourne.
Raymond aura sans doute réglé ma dette. Si ce n'est pas le cas, faites-le moi savoir. Je viendrais vous donner en personne ce que nous vous devons.
Amicalement
Hermance de Pétrus
***
Plus tard dans la matinée, Hermance s'était lavée, habillée, coiffée. Elle ignora la fiole contenant son traitement, alors qu'elle grignotait un bout de brioche tout à côté, jugeant que la nuit tonique avait définitivement mis à mal sa folie. Elle se sentit si bien qu'elle prit ensuite la liberté de sortir pour rien. Comme ça. Une promenade sans aucun but dans les ruelles la conforta dans sa guérison. Elle s'émerveilla des couleurs automnales, de ce parfum caractéristique à la saison, mêlant l'humidité aux dernières chaleurs solaires, prit plaisir à regarder les gens s'égailler ici ou là, à écouter des brides de conversation qu'elle réussissait à capter.
***
TAIS-TOI ! JE NE VEUX PAS T'ENTENDRE !
AAAAAAAAH !
NOOOOON ! POURQUOI TU DIS CA ! TU MENS !
NON NON NON NON NON !
Les cris trouvèrent fin dans un long gémissement des plus plaintifs. Hermance était sur le pas de sa porte, à l'extérieure de l'appartement. L'après-midi touchait à sa fin et la jeune femme s'était échouée là, par terre, terrassée par les voix qui s'étaient remis à l'assaillir soudainement. Son visage avait perdu la splendeur de la veille, anéanti par les larmes et l'angoisse. La jeune femme se pressait fortement les oreilles dans l'espoir vain de ne plus entendre ces beuglements qui venaient, pourtant, de sa propre tête. Elle se balançait d'avant en arrière, instinctivement, dans une dernière tentative de rassurance.
Et, à ses pieds, gisait un poulet mort. Plumé. Cuit. Encore chaud.
--Hermmance
Elle n'entendit pas vraiment la voix de Raymond, tellement en distinguer une seule parmi mille autres relevait du défi à cet instant. Elle ne réalisa réellement la présence de l'époux que lorsqu'il l'entoura de ses bras et qu'il fut tout contre elle. Les voix ne se turent pas pour autant, mais la chaleur rassurante joua un premier rôle salvateur. Les gémissements se firent moins fort, même si toujours actifs et Hermance s'agrippa brutalement à lui des deux mains, enfonçant ses doigts dans le tissu de ses vêtements sans aucune pitié pour la chaire se trouvant en dessous. Sa douleur était telle qu'elle envahissait tout son univers lors de ces passages particuliers. La douleur imprégnait tous ses membres, tous ses sens, la rendant égoïste, perméable aux gens l'entourant.
Enlève les Raymond. Enlève les de ma tête
S'il te plait. Fais quelque chose. Me laisse pas. Me laisse pas. Me laisse jamais. S'il te plaît. Fais quelque chose.
Le gémissement qui suivit reprit de l'ampleur, teinté sans aucun doute d'une profonde souffrance. L'apaisement de façade n'était toujours qu'éphémère. Raymond ne suffisait pas à faire taire l'enfer interne malgré toute la douceur qu'il pouvait déployer dans de tels moments. Un autre gémissement, long, plaintif emplit le couloir et l'arrivée de Sorianne passa incognito pour la jeune femme. Hermance ne la vit pas. Ne l'entendit pas. Sa tête était enfoncée contre le peintre, ses yeux clos serraient leurs paupières à les en faire rougir. Tout dans son attitude n'était que tension.
Hiiiiii... mmmmm...
Me laisse pas. Fais quelque chose. Ils font que crier.
Me laisse pas. Raymond. S'il te plaît. S'il te plaît.
Sa voix était tremblante, hésitante, éraillée. Bien loin du timbre posé habituel.
--Hermmance
Les voix. Les voix. Les voix. Les voix. Les voix. Les voix. Les voix. Les voix. Les voix.
Les voix. Les voix. Les voix. Les voix. Les voix. Les voix. Les voix. Les voix. Les voix.
...
Rien. Tout s'était tu brusquement. Hermance chercha à reprendre sa respiration, malgré les mèches de cheveux dégoulinantes barrant sa bouche. Ses bras avaient lâché leur prise sous la surprise de l'immersion en eau froide et ils s'agitèrent dans tous les sens, cherchant quelque chose à se raccrocher, lorsque la jeune femme en sortit. Ils finirent par trouver les épaules de Raymond et la prise fut ferme.
Le silence s'était fait. Bienheureux silence après la tempête. Seul le bruit de l'eau agitée sous ses pieds parvint à la jeune femme. Hermance cligna des yeux. Il lui fallu plusieurs mouvements de paupières pour retrouver une vision claire, pour regarder nettement son époux. Et encore d'autres pour se rendre compte. Les larmes se confondirent alors avec les gouttes d'eau, sur ses joues. On n'aurait su dire si les larmes tendaient de se cacher, ainsi, mais les pleurs se firent silencieux. Calmes. Quasiment imperceptibles.
Son corps tout entier s'était détendu et seulement quelques frissons le secouaient à intervalle régulier. Sa bouche fit bien quelques mouvement, mais ils relevèrent davantage du tic nerveux que de la parole. Il fallut plusieurs tentatives pour qu'un semblant de son, fluet, en sorte.
Pardon.