Judicael.
- L'été s'en était allé. C'est fou. On commence toujours une histoire en parlant de la pluie et du beau temps. On décrit un peu le paysage. L'effet du vent sur le visage. On enrobe les descriptions. C'est ainsi parait-il, que l'on donne le ton. Ce qui va se jouer ici, lecteur avisé, je te l'écris comme un cadeau, je te fais un don. Pas de mièvrerie sentimentale. Pas de camarde théâtrale. Je vais te raconter le jour où les jumeaux Von Frayner, on failli ne plus l'être.
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Octobre.
L'été s'en était allé. Les frères roux préparaient leur paquetage pour de grand départ. Le clan prenait son envolée. Là bas plus au sud, leurs plans s'échafaudaient. C'était la grande migration. Ils avaient posé leur dévolu à Limoges, pour l'appel du rassemblement. Les canards sauvages ne restaient jamais bien longtemps sans desseins...
Debout l'un face à l'autre, les frères à la crinière de feu se renvoyaient leur image comme dans un miroir brisé. Chacun si semblable, dans l'éclat pourtant de leurs multitudes de facettes.
Mael les mains jointes, semblait prier son dieu des fous. Cette position était d'une ironie qui pourrait porter à sourire, lorsqu'on connaissait le peleur de curés. Dans une église, le fou n'était qu'un loup dans la bergerie. Et ce qui rendait la chose plus intéressante, c'est que globalement, Samael était loup en tout lieu. Plus dangereux que son vis à vis, car n'ayant jamais rencontré l'utilité bienfaisante d'un frein émotionnel.
Judicael lui, enroulait autour des mains de son frère un cordage, afin de le rouler au mieux pour le ranger dans la charrette auprès d'autres objets que les palmipèdes recelaient de leur dernière prise de coffres. Saint Claude. Ainsi, il avait réussi à écouler à Limoges des pains d'argiles dont il n'aurait jamais l'utilité. Des bottes. Et d'autres marchandises. L'argent sale ne souillait pas les mains, et il prenait moins de place qu'une cargaison à ranger à chaque halte dans une capitale.
De leur passage dans la ville de Limoges, que retenait-il?
Hel; Alors, Limoges?
Cael: Un carrefour du vice.
Hel: Je pensais que le vice était plus marqué en Helvétie.
Cael: Pas tant. Au moins, là bas, je me sens différent.
Bien sûr, il avait écumé les tavernes, joué dans les tripots, trainé dans les lupanars du coin. Pour autant, la saveur manquait. Dans une ville de fous, quel fou se démarque vraiment? Les jumeaux ne passaient pas inaperçu. Mais sans le plaisir de retourner complètement un village, sans le gout de l'or , des caisses à éventrer, des hameaux à piller... L'aventure ne valait pas que l'on s'y attarde.
Enroulant lentement la corde, il tendit l'oreille, sorti de ses pensées par quelque chose d'inhabituel. Assez inhabituel pour que ses yeux croisent ceux de Samael, méfiants.
Il y eut d'abord des bruits de bottes. Foulant le territoire sacré que les Piques avaient décidé de s'octroyer le temps de leur passage. Quelques bêtes en pâture, quelques chariots, et une auberge prise d'assaut. Une frontière imaginaire entre eux, et les autres. Un monde d'écart pour contenir l'anormalité des uns, électrons libres, et la quiétude des autres. Moutons bien menés.
Cael avait cet instinct alerte, nécessaire à tout coupe jarret évoluant dans les quartiers où il fallait choisir un clan. Les mangés, ou les mangeurs. Les vengés, ou les vengeurs. Il avait immédiatement flairé que le frère fou, avec ses besoins qui le démangeaient , lui attirerait des embrouilles dans ce patelin peuplé de femelles. Les zygomatiques du brigand frémirent, l'échine soudain secouée d'un mauvais pressentiment. Lorsque le sens des emmerdes vibrait, il n'était pas bon de rester dans les parages. Ou alors bien armé.
Lorsqu'ensuite, des voix masculines, dont l'une d'entre elles prononçant distinctement une phrase qui ne laissait pas planer le doute sur ses intentions se firent entendre... Le roux suspendit son geste. Poings figés sur le cordage, yeux ancrés dans ceux de son frangin. Là bas, derrière les charrettes et les chevaux, deux personnes, peut-être plus, étaient à la recherche des jumeaux. Et s'il était un fait que personne n'ignorait, c'est que les roux n'avaient pas d'amis pour leur rendre poliment visite.
Quand enfin l'échange se tût, Cael reprit calmement son ouvrage. Resserrant perceptiblement le joug autour des poignets de Samael.
Il avait compris. Et bien qu'il ne soit pas préparé, il ne pourrait pas y couper. Il pinça vivement la bouche de son voisin, la déformant un peu de ses doigts nerveux. Et les yeux dans les yeux, il siffla entre ses dents ces quelques paroles.
- Tu m'emmerdes...
Il claqua un peu sa joue, puis fit un nud solide, laissant son frère prisonnier. Instinctivement, porta sa main à la lame bâtarde comme pour s'assurer qu'elle était toujours là. Fixée à son ceinturon. Un ordre furtif, glacial, s'échappa de ses lèvres.
- Ferme tes yeux et ta bouche.
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Allez Viens...