L_aconit
[Marseille, enfin.]
Il est tard. Nicolas referme la porte de la chambre du duc. Grimm dort non loin, du sommeil du juste. Veilleur égaré dans ses propres songes. Le blondin amorce quelques pas dans la pénombre, la chandelle est morte. Il n'y a plus de feu. Lentement, avec une infinie délicatesse, Aconit se défait du bliaud et du col qui l'étouffe. Le silence accompagne chacun de ses gestes, à pattes de velours, se dénude de ces tissus qui lui brulent la peau. Dans le grand lit , Lestat aussi a rendu les clefs. Cédé à Morphée ses angoisses nocturnes. Le corps nu de Nicolas vient se joindre au décor. Ce soir l'amant sera sollicité pour éteindre le feu qui l'étreint. Et si la bouche ne l'appelle pas, les mains elles s'en chargent. S'imiscant au confins des replis de la couche, dans la nuque fourrage une pression de sa bouche. Il hume ses cheveux, humecte le grain de sa peau. Parcourt ce terrain de jeu qui dresse toute son attention et lui monte à la tête. Le duc sera éveillé par son visiteur nocturne, aux desseins trop humains pour qu'il ne le rejette.
Les amants se retrouvent. Quel notion de temps est plus longue que celle qui sépare des aimants? Les corps louvoient, et s'arriment. S'annexent. Nul homme ne saurait refuser l'appel de son sexe. Les draps se froissent, dénudant ici, revêtant par là. Et lorsqu'ils se sont reconnus, enfin, éveillés , se portent aux nues. Le bijou fait l'écrin mais l'écrin garde tout.
Qui sont ces garçons qui s'aiment charnellement? Marqués dans leur chair, amants sans témoins qui se donnent à dévorer aux élans de leurs vingt ans? Qu'ont-ils de si différent? Deux sexes similaires. Quand une étreinte dérape en un soupir délicieux. Les lèvres qui se frôlent, les langues qui se mêlent. Et ces peaux suaves et vierges encore de tout poil, toute rudesse faite par l'outrage du temps. Leurs douceur juvénile. Leur souplesse d'enfant.
Quand les émaux mordent lédredon, les mains s'incitent à agripper les draps, la chaleur musculeuse des bras. Quand les corps s'étreignent en s'adonnant à l'indicible au secret d'une chambre fermée...Les paupières closes, les barrières sont tombées. Qui mieux qu'eux, peuvent savoir l'ivresse d'une main sur une fesse masculine... La poigne douce et ferme qui enserre une virilité dressée? Qui mieux qu'eux, pour se donner à eux-même, partisans des caresses qui vous égarent et qui vous laissent... Comme marchant sur des braises. Comme un frêle radeau en tempête; dans son tourment de sens. Balloté, malmené par des lames de fond, noyé dans une immensité d'émotions. Échoué en mille morceaux, étiolé, sur les frissons. Frêles esquifs des plus jeunes passions.
Le désir est commun à chaque être. A ceux qui s'aiment d'amour, plus encore peut-être. Un désir puissant, qui vous ferait marcher sur la tête. Ou tendre votre séant, dans une prière muette.
Qui sont ces garçons qui sont beaux, emportés par eux mêmes dans leurs explorations spasmodiques, quand la pudeur a tombé le rideau? Les amants qui s'envient on consommé en secret leur union au ruban. Leur passion trop physique. A vingt ans tout bouillonne. Vingt ans c'est un coup de trique. Jusqu'à la peau érectile. Les doigts s'offrent et s'arrachent la tenace envie de gémir. Leurs sexes qui se croisent, en épée sans fourreaux. Les murmures qui s'égarent dans la pièce sans carreaux. N'aura-t-on donc jamais le droit d'être garçon, pour quémander l'obole d'un désir érigé? Fallait-il être né fille, pour les privilèges du ploiement de genoux?
Condamné volontaire à ses déviances assurées, Nicolas se laisse aller dans les bras de son Duc déraciné.
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- (En Bleu italique, les pensées Laconiques.) -Recueil