Lucas.
« Paris, Aphrodite, 30 Août 1465 »
Le voyage qui lavait mené jusquà lAphrodite avait été fertile en information pour le Maître. La petite savait se taire lorsque cela était implicitement demandé. Était-ce leffet Sampiero? Lavait-il intimidé? Ou simplement montrer la voix? Par ailleurs, elle avait également su garder sa place: en retrait, derrière Lucas. Le parisien avait apprécié. La fille semblait montrer ce brin de jugeotte requis pour un travail à lAphrodite selon la conception que le Maître sen faisait. Être jolie mais sotte pouvait passer lorsque lon travaillait dans une maison close miteuse fréquenté par la lie du royaume, mais cétait totalement insuffisant pour avoir la chance de faire partie du personnel de lAphrodite. Cétait la première fois que Lucas était impliqué dans une embauche de Flav. La première impression était bonne. A un petit détail près.
- Mon nom nest pas Dentraignes mais Dentraigues et il nest utile quen dehors de lAphrodite. Ici
Ils se trouvaient dans le Grand Hall dentrée de létablissement.
- Je souhaite que tu mappelles Maître. Ni nom, ni prénom, ni titre, ni fonction. Simplement « Maître ».
Du vouvoiement au tutoiement. Passage dune barrière. Ici, Il était le Maître et il ne vouvoyait aucun employé. Il allait partir en direction de lescalier lorsquil sarrêta brutalement et se ravisa. Se tournant vers « Elle », il ajouta.
- Dailleurs, tu mappelleras « Maitre » même si tu me croises à lextérieur. Quel que soit lendroit pour peu que je représente lAphrodite ou que jy suis en tant que Membre de lAphrodite. Dans le doute, abstiens dutiliser le nom de « Lucas » ou celui de « Dentraigues ».
Lucas navait jamais accepté sa radiation du barreau de Paris. Il lavait vécu comme une grande injustice, une coalition de ces perdants qui en avaient assez de paraître incompétents lorsquils se retrouveraient au tribunal face à lui. Ces mauvais avaient dû se mettre tous ensemble, ils avaient usé de méthodes déloyales pour avoir raison de lui. Ils avaient leur vendu leur âme au Sans-Nom et un jour, ils le paieraient. Tous! Sans aucune exception. Cest à partir de ce moment quil avait pris le pseudonyme de « Maître », sorte dattache à un passé révolu qui le rendait mélancolique à chaque fois quil y repensait. Cest aussi la raison pour laquelle il y tenait tant.
Un autre détail avait aussi attiré son attention dans les quelques phrases quelle avait prononcées. La fille reniait le terme de catin au profit de celui de courtisane. Ce fut le deuxième point quelle marqua. Une catin donne son corps. Une courtisane donne du plaisir sous toutes ses formes. Un catin ne sintéresse quau côté charnel souvent vite et mal fait. Une courtisane prend le temps de découvrir celui ou celle qui requiert ses services. Sa palette de services est bien plus étendue que celle de la catin. Si elle était capable de comprendre de cela, si elle avait du talent alors elle serait sans doute en demande de la part des membres de lAphrodite. Cest exactement ce quil lui expliqua en montant les escaliers pour les mener à létage, là où avaient été installé les chambres des employés.
- Et de facto, le terme client est déconseillé. LAphrodite nest pas un endroit où nimporte quel quidam aux bourses pleines vient satisfaire ses besoins charnels. Cest un cercle privé. On y entre sur invitation ou par référence, comprends-tu? Et sil tarrivera doffrir ton corps, il faut que tu saisisses que ce nest pas le seul plaisir qui est offert ici. Comprends-tu?
Le grincement de la porte quouvrit alors Lucas nétait pas la marque dun manque dentretien. LAphrodite venait dêtre rénové de fond en comble pour que sa réouverture soit un succès. Cétait un choix avéré qui avait plut au Maître. La raison? Vous len découvrirez sans doute plus tard. Comme il lavait fait à lentrée de létablissement, Lucas entra le premier et dun geste de la main invita « Elle » à entrer.
- Voici ta nouvelle chambre. Elle est tienne. Tu nes pas obligée de la partager avec les membres de lAphrodite. Son loyer sajoute à la dette que tu as déjà contractée auprès de Flavien et que tu paieras par ton travail ici. Installe-toi. Comme tu le vois, jai demandé quun bain te soit préparé. Il me semble indispensable. Jespère que tu es daccord. Prends-le. Moi, il faut que jaille prévenir Flav de ton arrivée.
Le Maître sapprêtait à quitter la pièce lorsquil se ravisa, sarrêta, tourna les talons dans sa direction.
Ah! Et ne verrouille pas ta porte derrière moi!
puis il sortit, refermant la porte derrière lui et attendit un un instant pour sassurer que sa dernière demande avait bien été comprise et appliquée.
_________________