--Eglantine_
[Rue de l'Aigle]
« Je t'interdis Églantine, tu entends, je t'interdis ! »
Lentement, le regard sombre déposé comme par erreur sur le visage angélique toisa la silhouette voûtée d'accablement se tenant devant elle. Dix ans, peut-être même vingt dont son cher père semblait soudain avoir vieilli, engoncé dans ses habits de soie et ses manières grossièrement raffinées de bourgeois parvenu. Les lèvres rosées, à la couture délicate, s'étirèrent d'un sourire aussi accablant que désarmant.
Et sinon quoi, Père ?
Les yeux de l'homme roulèrent dans leurs orbites, comme cherchant au fond du crâne dégarni une échappatoire au cataclysme qui s'abattait sur ses épaules. Trois ans que sa chère épouse les avait quittés. Trois ans quÉglantine, comme agitée d'une soif irrépressible de vengeance face à cette disparition prématurée, le tourmentait de tous les maux que cette charmante petite tête blonde pouvait imaginer. Trois ans à suffoquer et, aujourdhui, le coup de grâce. Sa fille. Sa fille unique, chérie et adorée, pour laquelle il avait usé sa santé à travailler de l'aube au couché pour lui offrir chacun de ses caprices, décidait de travailler pour l'Aphrodite. Maison huppée, soit, mais maison néanmoins. Maison qui brisait net tous les projets de mariage qu'il avait espéré pour sa fille. La vie rose qui aurait dû être la sienne, occupée à broder et gérer les domestiques sous le regard de son époux. Maudit cheval. Maudite journée de chasse. À force de regard noirs et acerbes, l'homme était à présent convaincu d'en être responsable. Lui aussi. Et pourtant. Un accident, aussi tragique qu'il fut, restait un accident.
Avec difficulté, il remonta le visage vers la soyeuse chevelure blonde. Combien il se souvenait les soins que sa chère Clarisse portait à sa fille. Cent coups de brosses, chaque jour que le Très Haut faisait, malgré l'impatience de la fillette à s'évader dans le jardinet pour jouer à colin maillard avec la fille de la cuisinière.
Les épaules déjà lourdes se voûtèrent un peu plus.
"Sinon, je te renie."
Le rire qui s'échappa de la juvénile gorge claire était de cristal, malgré le coupant d'ironie dont il s'ornait.
Père. Vous m'aimez bien trop pour cela.
Acculé, le riche marchand de draps resta muet tant, malgré lui, sa fille avait raison. Et le regard plein de larmes ne put que regarder la porte de l'appartement cossu de la rue de l'Aigle se refermer sur la délicate silhouette.
[l'Aphrodite]
Les petits pieds chaussés d'escarpins de soie avaient filé dans les rues, évitant la boue, sautillant entre les flaques. Pourquoi Adryan avait-il accepté de lui écrire cette lettre de recommandation, Églantine ne le savait pas et somme toute ne voulait-elle pas le savoir, sachant pertinemment que son joli visage et ses petites moues délicieuses glissaient sur le Castillon sans le moindre point d'accroche. Et elle s'en moquait bien, quand après s'être annoncée et avoir présenté la convocation reçue quelques jours auparavant, la porte de l'établissement s'ouvrit devant elle. Délaissant d'une main indifférente sa cape de velours, son regard se perdit dans le salon de cet endroit dont elle avait tant entendu parler, à voix basse, par ses amies aux joues rougissantes, étouffant de petits rires de dinde à l'imagination troublée en narrant les légendes aussi secrètes qu'interdites et licencieuses qui hantaient ce lieu. Voile blond et vaporeux flottant sur ses épaules frêles nappées de soie poudrée, elle s'avança de quelques pas intimidés par le luxe de l'endroit. Si elle connaissait lopulence, le goût et le raffinement ici était au-delà de ce qu'elle connaissait et, d'une main toute légère, encore toute à sa découverte, caressa le dossier d'une causeuse, sans se soucier des regards qui, peut-être, arrivés avant elle, pouvaient observer ses premiers pas maladroits de galante.
« Je t'interdis Églantine, tu entends, je t'interdis ! »
Lentement, le regard sombre déposé comme par erreur sur le visage angélique toisa la silhouette voûtée d'accablement se tenant devant elle. Dix ans, peut-être même vingt dont son cher père semblait soudain avoir vieilli, engoncé dans ses habits de soie et ses manières grossièrement raffinées de bourgeois parvenu. Les lèvres rosées, à la couture délicate, s'étirèrent d'un sourire aussi accablant que désarmant.
Et sinon quoi, Père ?
Les yeux de l'homme roulèrent dans leurs orbites, comme cherchant au fond du crâne dégarni une échappatoire au cataclysme qui s'abattait sur ses épaules. Trois ans que sa chère épouse les avait quittés. Trois ans quÉglantine, comme agitée d'une soif irrépressible de vengeance face à cette disparition prématurée, le tourmentait de tous les maux que cette charmante petite tête blonde pouvait imaginer. Trois ans à suffoquer et, aujourdhui, le coup de grâce. Sa fille. Sa fille unique, chérie et adorée, pour laquelle il avait usé sa santé à travailler de l'aube au couché pour lui offrir chacun de ses caprices, décidait de travailler pour l'Aphrodite. Maison huppée, soit, mais maison néanmoins. Maison qui brisait net tous les projets de mariage qu'il avait espéré pour sa fille. La vie rose qui aurait dû être la sienne, occupée à broder et gérer les domestiques sous le regard de son époux. Maudit cheval. Maudite journée de chasse. À force de regard noirs et acerbes, l'homme était à présent convaincu d'en être responsable. Lui aussi. Et pourtant. Un accident, aussi tragique qu'il fut, restait un accident.
Avec difficulté, il remonta le visage vers la soyeuse chevelure blonde. Combien il se souvenait les soins que sa chère Clarisse portait à sa fille. Cent coups de brosses, chaque jour que le Très Haut faisait, malgré l'impatience de la fillette à s'évader dans le jardinet pour jouer à colin maillard avec la fille de la cuisinière.
Les épaules déjà lourdes se voûtèrent un peu plus.
"Sinon, je te renie."
Le rire qui s'échappa de la juvénile gorge claire était de cristal, malgré le coupant d'ironie dont il s'ornait.
Père. Vous m'aimez bien trop pour cela.
Acculé, le riche marchand de draps resta muet tant, malgré lui, sa fille avait raison. Et le regard plein de larmes ne put que regarder la porte de l'appartement cossu de la rue de l'Aigle se refermer sur la délicate silhouette.
[l'Aphrodite]
Les petits pieds chaussés d'escarpins de soie avaient filé dans les rues, évitant la boue, sautillant entre les flaques. Pourquoi Adryan avait-il accepté de lui écrire cette lettre de recommandation, Églantine ne le savait pas et somme toute ne voulait-elle pas le savoir, sachant pertinemment que son joli visage et ses petites moues délicieuses glissaient sur le Castillon sans le moindre point d'accroche. Et elle s'en moquait bien, quand après s'être annoncée et avoir présenté la convocation reçue quelques jours auparavant, la porte de l'établissement s'ouvrit devant elle. Délaissant d'une main indifférente sa cape de velours, son regard se perdit dans le salon de cet endroit dont elle avait tant entendu parler, à voix basse, par ses amies aux joues rougissantes, étouffant de petits rires de dinde à l'imagination troublée en narrant les légendes aussi secrètes qu'interdites et licencieuses qui hantaient ce lieu. Voile blond et vaporeux flottant sur ses épaules frêles nappées de soie poudrée, elle s'avança de quelques pas intimidés par le luxe de l'endroit. Si elle connaissait lopulence, le goût et le raffinement ici était au-delà de ce qu'elle connaissait et, d'une main toute légère, encore toute à sa découverte, caressa le dossier d'une causeuse, sans se soucier des regards qui, peut-être, arrivés avant elle, pouvaient observer ses premiers pas maladroits de galante.