Gysele
[Grand Salon - Angèle, Evroult. Puis Evroult seul.]
Si j'avais su ce que je risquais d'interrompre en déboulant, j'aurais bien entendu laissé le temps à Angèle de délester mon frère de tout ce qu'il a. Je l'aurais encouragée à le déposséder, le vider de ses biens jusqu'à ce qu'il montre enfin son vrai visage : celui d'un vaurien crasseux. Heureusement, mon karma, ou la justice divine existe et la petite voleuse a le temps de commettre son larcin. L'eussé-je su que je l'aurais félicitée ! Si je suis qu'une sale hypocrite ? Peut-être. Mais moi, aussi crasseuse que je sois, je n'ai jamais cherché à faire de mal à mon benjamin. Pas... jusqu'à ce soir. J'esquisse un sourire aux propos de ma collègue et la remercie d'un hochement de tête.- Je préviens, je suis affreusement mauvais cavalier,
Si seulement tu étais juste mauvais cavalier, Evroult. Tu es mauvais tout court. Tu es cette ombre qui plane sur ma vie et qui la rend moins belle à chaque fois que tu décides de t'y mêler. A croire que tu es né pour que je vende un peu plus mon âme au Sans-Nom pour te faire du mal. A croire que je suis venue au monde, pour subir ou te faire subir. Et crois-moi petit frère, mon esprit de survie est assez développé pour que je ne veuille plus être ta victime.
Je me rapproche de toi, je glisse une main dans la tienne, comme si j'y trouvais beaucoup d'intérêt. Tout, de ma posture jusqu'à mon sourire, donnerait le change à quiconque nous regarderait, pourtant mes yeux te maudissent si bien que tu ne peux avoir aucun doute sur mes pensées qui te sont toutes offertes, à toi et à toi seul. Tu es l'incarnation de ma folie, Evroult. Quand Louis-Marie me rend plus sage, plus posée, toi, tu me rends plus folle, plus instable. Lui, il m'aime, me protège et toi, tu me hais et m'attaque. J'ai l'impression parfois d'être une toile vierge sur laquelle vous déversez chacun vos sentiments ou ressentiments. J'absorbe alors le positif comme le négatif et si pour l'un je renvois de l'amour, il n'est pas illogique que pour l'autre, je libère toute ma noirceur. Tu as choisi ce camp là, frérot. Dès l'instant où tu as écrit ce mensonge sur ce vélin, tu as brisé mes derniers espoirs de renouer quelque chose avec toi. Était-ce si difficile de m'aimer...un peu ? Suis-je si laide que tu me considères comme une pestiférée ? Serais-tu meilleur, toi grand Evroult que tu m'estimes si peu ? Ah non ! Je refuse de te laisser insinuer la graine du doute plus longtemps dans mon esprit.
- - Affreux et mauvais, tu es bien doux avec toi-même.
Je te pique la première, parce que je ne veux pas te laisser l'occasion de me faire mal à moi. Je tourne, lançant parfois un coup d'oeil autour de moi pour vérifier la proximité des éventuels danseurs ou la présence des autres convives. Quelques uns se sont éclipsés discrètement, d'autres pièces de l'Aphrodite ont certainement été réquisitionnées. Ce ne sera pas le cas pour moi, ce soir. Suis-je inquiète pour mon poste ? A quel point ai-je envie de me venger de lui ? Je cogite tout en lui écrasant le pied d'une volte volontairement plus brusque.
- - Ah, le vin me fait tourner la tête !
Je n'ai même pas bu ce soir, mais te sortir des excuses bidons comme une gamine est libérateur. J'ai tellement de violence en moi te concernant que je me retiens de faire un bain de sang là en guise d'inauguration. Je serais certainement virée, mais Dieu que ce serait exultant ! Le petit couteau pèse lourd dans ma manche, je crève d'envie de m'en servir là, tout de suite et pourtant je me retiens et me permets même une phrase de conversation pour donner le change alors que mes ongles s'enfoncent dans ta main.
- - Ton destin semble étroitement lié au mien, cher frère. Jusqu'à Yohanna. J'ai l'impression que ce pays est trop petit pour nous deux.
Te sens-tu menacé ? J'espère bien.
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