Tigist
[Clarens - Nuitamment.]
« Ne me le prenez pas. Pas lui aussi, mon Père tout puissant. Pas lui aussi.*
- Il faut y aller si vous voulez arriver à temps pour l'aube. »
La tête capuchonnée acquiesce alors que sa propriétaire se relève de sa prière faite au ciel étoilé. Les chevaux sont sellés qui l'attendent, et malgré l'habitude des longues chevauchées, elle appréhende celle-ci.
Parce qu'elle est enceinte, parce que cette chevauchée-là vaut deux mil écus, parce que la missive dans son corsage pèse lourd à son cur et parce que quand le regard se pose en arrière sur les murs de Clarens, elle sait qu'elle n'aura de répit qu'en franchissant les portes de nouveau.
« Je n'ai pas peur pour moi. »
Sa vie ne vaut rien, pas même la somme que les Piques ont mis sur sa tête. Et quand les talons piquent le train de sa monture, un sanglot étouffé meurt dans la nuit. Comment mesure-t-on la douleur d'un cur qui se brise d'être séparé en deux ? En lieues ? En nuds ? Cela ne se quantifie pas, cela se ressent. Et alors que la route qui la sépare d'Auch est avalée, le gouffre s'ouvre qui étreint tout son être.
Qu'on en finisse une fois pour toutes. Voyez comme elle souffre..
Alors que le ciel s'éclaircit à peine, les remparts de la capitale se devinent, et le soupir de soulagement qui lui échappe n'est certainement pas feint. Tout son corps la lance d'avoir chevauché à bride abattue la nuit durant, et sans l'homme de Clarens qui l'accompagne, pour sûr qu'elle se serait perdue un nombre incalculable de fois tant les détours qu'ils ont emprunté pour ne pas passer par les routes principes lui sont obscurs.
[Castel d'Auch - Au point du jour.]
Pas un mot n'a été prononcé durant la nuit, et quand ils arrivent devant le castel, c'est à peine si elle peut desserrer les mâchoires. On l'a dit, elle souffre, mais l'heure n'est pas au sentimentalisme. Alors qu'elle profite du répit pour s'offrir une gorgée à même la gourde, son gardien est parti à la recherche de quelqu'un en mesure de prévenir son maître de leur arrivée.
Il a juré Tigist, alors pourquoi cette inquiétude qui ne te lâche pas ?
Parce que ton esprit est ailleurs dans ce village perdu dans les montagnes, en train d'espérer que Menelik soit distrait par les douceurs d'Agneta ou l'air austère de François, et non pas aux mains de ceux qui te sont un plus grand danger que celui que tu t'apprêtes à affronter.
Mais d'ailleurs à quel danger doit-elle s'attendre ?
Elle s'en veut d'avoir laissé la majorité de ses affaires à Saint Bertrand, comme Martin va déchanter en la présentant à sa comtesse. Plutôt qu'une Shéhérazade vêtue de gazes évanescentes, c'est une barbare fidèle à sa réputation qu'il présentera. L'épaisse fourrure de loup n'en demeure pas moins un réconfort avec la fraîcheur du matin, et une robe lui aurait empêché de mener la route comme ils l'ont fait. Alors pourquoi n'arrive-t-elle pas à se départir de cette coquetterie féminine qui la pousse à imaginer une comtesse aux riches atours qui la traiterait de haut. Son cuir est italien que diable !
Les entours sont calmes, si ce n'est l'air inquisiteur des gardes comtaux, mais elle ne baissera pas sa capuche pour autant, et nerveusement, les doigts tapotent sur la crosse de l'arbalète attachée à la selle de son cheval.
Avant le lever du soleil, a-t-il dit. Et ce ciel qui rougeoie..
Martin, y es-tu ?
* En amharique, évidemment.
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