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[RP] Les chats font parfois des chiens

Charlie
Depuis qu'elle avait quitté la boutique de sa mère pour vivre avec son père qu'elle ne connaissait pas, Charlie avait beaucoup changé. Elle était devenue une gosse dont sa mère, essayant de l'éduquer avec le plus grand soin dans le respect des valeurs aristotéliciennes, n'aurait probablement pas été fière. Mais ça, elle n'en avait pas conscience la gamine, et elle le vivait donc très bien. Aux côtés de son père et des fréquentations de celui-ci, elle tournait plutôt mal, il fallait bien le dire. Mais rien n'était pire que de se retrouver orpheline, alors quand elle avait décidé de rejoindre son père, elle savait d'avance que peu importe comment il serait: elle allait tout accepter. Elle avait accepté qu'il ne soit pas la représentation douce et aimante du père dont elle aurait pu rêver. Elle avait accepté qu'il soit gay. Qu'il soit marié à un homme. Un homme qui la détestait au point de lui dire dès le premier jour qu'il aurait fallu qu'elle n'existe pas. Qu'il lui file des torgnoles derrière la tête quand elle mangeait la bouche pleine. Et qu'il lui fasse du chantage affectif pour qu'elle porte ses poulaines neuves et arrête de se couper les cheveux.

Mais ce jour-là, ce jour en particulier, Charlie avait décidé que c'était assez. Qu'il y avait une limite à ce qu'elle pouvait accepter de supporter. Parce que Charlie fonctionnait à l'affection, et que quand son père disparaissait, d'affection elle manquait. Alors elle avait arpenté les rues avec un air décidé, les mains enfoncées dans ses braies, rasant les murs pour ne pas se faire remarquer. Charlie était innocente, comme se plaisait à le dire sa tantine préférée, mais l'adolescente avait perdu un peu de cette naïveté le jour où un homme roux l'avait attrapée par le poignet et avait bien failli l'embarquer contre son gré. Depuis, la graine de la méfiance envers le sexe opposé avait germé. Elle avait beau ne rien connaître des choses de la vie, quelque part en elle elle avait bien compris ce qui lui serait arrivé si sa tante n'était pas arrivée au bon moment.

La presque-femme de treize ans était la représentation même du "mi-chemin". A mi-chemin elle était pour presque tout. A mi-chemin entre l'enfance et l'âge adulte. A mi-chemin entre l'innocence et la perversité. A mi-chemin d'avoir des seins. A mi-chemin entre le garçon et la fille. A mi-chemin entre adorable et insupportable. A mi-chemin entre vouloir comprendre ce qu'elle ignore, et s'en préserver pour rester dans le tendre cocon de l'enfance dans lequel sa tante et son cousin la berçaient. C'est comme si elle ne se décidait jamais vraiment, la gosse.
Mais l'adolescence venait bousculer tout ca, chambouler le jeu distribué. Les hormones venaient secouer l'enfant docile pour en faire l'ébauche de quelque chose de neuf, quelque chose qui n'était pas encore dessiné. Et tandis que jusqu'alors elle se bornait à ne pas décider, les décisions prises sur un coup de tête se mettaient désormais à se multiplier à vitesse exponentielle. Charlie s'enhardissait. Pour la première fois de sa vie, elle était sortie la nuit dans les rues à la recherche d'un bordel. Elle était pas bien fière d'elle, c'est vrai. On lui avait raconté toutes ces femmes qui y travaillaient, ces "femmes de mauvaise vie". Elle avait toujours soigneusement évité les bordels, tout en sachant pertinemment où ils se trouvaient. Parce qu'elle savait toujours tout, tout ce qu'elle ne désirait pas savoir, comme elle disait. On ne répondait jamais aux questions qu'elle posait, par contre, les gens racontaient ouvertement leur vie et leurs petits secrets honteux en face d'elle, probablement peu inquiets devant l'air innocent qu'elle affichait. Alors elle accumulait les petits informations et les dossiers.
Et l'emplacement des bordels.

En arrivant devant celui-ci, elle tenta d'éviter les ivrognes et autres racoleuses devant la façade. Etait-ce sa petite taille et son pas léger qui lui avaient permis d'être discrète? Ou bien seulement cette apparence d'enfant androgyne qui avait grandi trop vite qui avait poussé tout ce petit monde à ne pas l'aborder? Toujours est-il qu'elle avait réussi à pénétrer dans l'établissement sans encombre. Au moment où elle passait le seuil, un léger frisson lui parcourut l'échine: cette légère sensation grisante de faire quelque chose que vous n'êtes pas censé faire. Quelque chose de défendu. C'était nouveau pour elle, et elle trouva ça bien mieux que l'alcool que son père l'obligeait à boire parfois et qui lui faisait tourner la tête. Une sorte d'allégresse l'envahit tandis qu'elle se mordillait la lèvre inférieure. La tête basse, elle leva à peine les yeux, seulement d'un cran suffisant pour embrasser du regard les jambes des présents et le bas des meubles. Elle repéra alors un comptoir vers lequel elle se dirigea sans tarder.

Il était hors de question pour elle de regarder autour d'elle. Guillaume lui avait dit: les bordels c'est le mal, il n'y a plus de doudou dans le lit de celles qui mettent les pieds dans un bordel. Mais, elle pourrait toujours prétendre qu'elle n'en savait rien, puisqu'elle n'en avait rien vu? Devant le comptoir, elle redressa sa tête couverte d'une touffe de cheveux noirs de jais hirsutes lui encadrant le visage jusqu'aux épaules. Un visage aux traits fins se leva vers l'homme derrière le comptoir tandis qu'une voix légèrement tremblante mais décidée l'interpellait:


"TOI! Je cherche un homme. Il est plutôt grand. Il est blond. Et il a exactement la copie de ces yeux là."

De l'index, elle lui montra l'un de ses yeux noisettes avant de poursuivre.

"Il est probablement là depuis un moment. Et c'est un bon client. On le surnomme souvent Dédé. Et il préfère les hommes."

Charlie prend alors une grande inspiration, et se redresse de toute sa hauteur avec tout l'aplomb dont elle est capable. Et c'est presque la voix d'une femme qui s'éleva tandis qu'elle énonçait:

"Dis-lui que l'heure du dîner est passée depuis longtemps. J'ai faim. Y'a plus rien à manger. Il doit rentrer, j'en ai marre!"

Et elle croise alors les bras d'un air décidé et d'un bond leste s'installe sur un tabouret.

"Je pars pas d'ici avant qu'on me le ramène. Et si on me touche...je hurle à la mort!"

Oui aujourd'hui Charlie avait décidé de débusquer son père directement dans les lieux de débauche. Et elle espérait bien lui coller la honte, histoire qu'il ne lui prenne plus l'envie de la délaisser encore une fois.
Elle a finalement hérité du sale caractère des Lisreux.

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Evroult
    - … & là je lui dis, « mon brave, vous n’iriez pas gueuler après un boulanger parce qu’il fait de bonnes miches, laissez-moi faire ma popote avec la farine qui me prend ! ».
    Un gloussement ridicule agita la peau flasque d’une lourde poitrine détendue, & l’onyx masculin se surprit à se laisser fasciner par un tel déferlement de chair flétrie.
    - Et l’bonhomme est parti ? j’te crois pas !
    - Oulà, non, il s’est échauffé comme un diable, j’ai vu le moment où il allait sacrément m’abîmer la face. J’ai dû le menacer de dire à sa femme qu’il courrait après le mignon pendant que je la comblais. N’empêche que sa femme, il a beau l’avoir rossé pour lui apprendre à découcher, dites-vous bien qu’une semaine après, elle était plantée là, tout juste à votre place.
    - Mais non ?!
    - Mais si
    , assura-t-il d’un franc mouvement de tête.

    La grasse au balcon débordant claqua ses deux mains rondes en un applaudissement piaillant. L’affaire était croustillante, & s’il était connu que jamais Loupiot ne révélait les noms de ses clientes, il avait laissé fuiter suffisamment de détails pour qu’elle cancane auprès de mesdames ses amies, précieuses & ridicules épouses de marchands de coutil. Ainsi, elle se ferait bien voir & reviendrait chercher bonheur auprès des bras dispendieux de l’éphèbe qui grossissait ses prix dès qu’il la voyait franchir les portes du bordel.

    Bien peu émue du manège de son catin favori – si tant est qu’elle put s’émouvoir de quelque chose si ce n’est de racontars – vulgaire bourgeoise en rajoutait même une couche, en glissant au creux de sa main quelques écus de plus pour les potins qu’il avait bien voulu partager. La prochaine fois, sans doute, ramènerait-elle quelques connaissances en mal d’affection maritale. Toutes n’avaient pas les moyens d’entretenir un mignon à l’année ; aussi, les maisons closes marchaient bien pour les hommes catins. Un instant, il se dit même que les femmes finiraient un jour par choisir leurs amants sur un catalogue comme on va s’habiller chez les grands couturiers, & tout au remplissage de son verre & à ses pensées avant-gardistes il ne vit pas arriver la morveuse.

    D’ailleurs, même s’il l’avait vu arriver, jamais il n’aurait accroché son regard sur sa silhouette. On voyait ici, presque plus souvent qu’en taverne ou au tripot, passer des gosses chargés des commissions dont les catins ne voulaient pas se préoccuper. Faire passer les plis parfumés à l’eau de rose, prévenir d’une descente de maréchaussée, aider aux repas ou au linge, ou encore ramener la dernière cargaison de vins d’épice en espérant pouvoir en chiper une gorgée. Ce qu’on ne voyait pas, toutefois, c’était ces mêmes mioches tenter de faire leur loi. Pire, pendant le service.

    De deux onyx exorbités, il passa en un éclair aux sourcils froncés dans un grognement de loup mal léché. Timbale fut reposée, carafon rangée, carcasse tournée vers le corps du délit. C’était un garçon même pas sorti de l’enfance. Non. Pire ! une fille trop finote pour son âge. Ou trop grande. L’âge d’être vendue, au moins. Pas encore d’être mariée. Presque prête à travailler. Qui crèverait à la première grossesse. L’idée lui arracha un rictus moqueur : au moins, elle semblait déjà prête à dominer un homme.

    - Non mais qu’est-ce qui t’est passé par la tête ?! tu t’es crue à la foire ? descends de ce tabouret, c’est réservé aux clients !
    Déjà, il avait glissé sur la droite pour ouvrir une porte menant à la cuisine, pièce étroite à l’espace rongé d’une longue table trop large. Elle était tant chargée qu’on avait l’impression que les ustensiles accrochés aux poutres étaient prêts à se déverser dans la venelle sur laquelle elle donnait.

    - Allez, file par-là !
    On ne dérange pas les hommes qui déchargent, mignonne. Tu attendras qu’il ait fini, si au moins il est bien ici.


    Evroult n’était pas physionomiste, non. D’ailleurs, s’il avait pu se souvenir des faciès de la soirée, peut-être aurait-il saisi au passage la frappante ressemblance avec la mâchoire irritante dans laquelle il avait enfoncé son poing, de très longs mois auparavant. Un Lisreux en cachait bien souvent un autre.

    - Les morveux affamés, c’est mauvais pour les affaires. Allez ! plus vite, ou je ramène le portier pour qu’il te botte le cul. Crois-moi, c’est une vraie brute épaisse, & pas patiente pour un sou. Allez !

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Charlie
C'était compliqué.
Garder ses yeux dans ses poches. Tourner le dos à tout le reste de la salle, fixer un meuble, le visage du serveur, les noms sur les bouteilles...Ce n'est pas que Charlie aurait aimé mater, non, la chose ne lui avait jusqu'à maintenant jamais effleuré l'esprit. C'est juste qu'elle avait la curiosité maladive, et qu'entendre tout ce brouhaha derrière elle sans y jeter un oeil...ça demandait un gros effort de self-control pour elle. Peut-être qu'une autre image la retenait aussi: et si son père était vraiment là, et qu'elle voyait des choses qu'elle n'avait clairement pas envie de voir?...

A ce moment là de sa réflexion, elle commença à se rendre qu'une fois de plus, son idée était stupide. Elle n'avait que ça en ce moment, des idées stupides qui lui amenaient des ennuis. Sur le moment, l'idée lui semble presque lumineuse. Et une fois les pieds dans la merde, elle se rendait pleinement compte qu'elle aurait peut-être du fermer sa gueule. Ou ne pas venir, en l’occurrence. Une nouvelle idée lui traversa l'esprit à un moment: faire demi-tour. Elle avait donné son nom, sa description...S'il était là il en entendrait parler, elle n'avait pas besoin de rester pour lui coller la honte?...Non?...

Alors elle se tourne vivement et se retrouve face à un torse vêtu d'un vêtement d'homme. Un torse qui se soulève tandis qu'on lui hurle dessus. Elle ne s'était pas vraiment préparée à ça, Charlie. Elle s'attendait plutôt à ce que ce soit son père qui lui tombe dessus, qu'il hurle, et qu'elle se prenne un taquet derrière le crâne. Et peut-être même qu'elle n'aurait plus vu l'ombre d'un gâteau avant un bon moment aussi. Mais que quelqu'un d'autre lui hurle dessus, non, elle n'avait pas imaginé ça. Alors elle se tend un peu, prête à recevoir une correction quelconque et planquant ses mains mais surtout ses poignets dans ses poches: hors de question qu'on l'entraine encore où elle ne le souhaitait pas parce qu'un poignet trainait dans le champ de vision d'un agresseur. Les épaules s'affaissent tandis que les mains s'enfoncent dans les poches de ses braies alors que les yeux un brin effrontés se lèvent vers celui qui lui crie dessus. Elle n'a pas le temps de l'observer que déjà il s'éloigne.

Elle soupire et saute à bas de son tabouret avant de se diriger dans la direction qu'il lui indiquait. Au moment de passer la porte, la curiosité fut la plus forte et elle jeta un oeil curieux vers la salle. Son regard eut juste le temps d'accrocher quelques formes et couleurs tandis qu'elle entre, pas si contrariante. Elle a l'habitude qu'on lui crie dessus. Son père. Son doudou. Sa méchante tantine. Tous les trois finissent toujours par hurler et Charlie s'exécute en trainant les pieds.

Elle était donc entrée dans la cuisine, et ses grands yeux marrons avaient rapidement fait le tour de la pièce, s'attachant à chaque détail. Elle s'était appuyée sur la table, et d'un bond leste s'y assit. Les longues jambes fines et blanches se balancèrent dans le vide dans un geste enfantin tandis que ses yeux fixaient celui qui causait tout ce grabuge. Et alors, comme si tout ce qu'il avait dit jusqu'à maintenant était passé à la trappe, elle demande:


"T'es qui?"

Elle penche alors la tête de côté et commente:

"C'est pourtant pas une heure pour décharger les marchandises, on n'y voit rien."

Et elle corrige:

"C'est pas "mignonne", c'est "Momonne". Mais c'est moche. Mon prénom c'est Charlie."

Juste une petite entorse de plus avec la vérité. Le prénom c'était Charlotte. Mais si tout le monde l'appelait Charlie, ca devenait plus ou moins son vrai prénom non?

"Charlie Lisreux."

Parce qu'elle a suffisamment bataillé avec son père pour avoir le droit de le porter, ce nom. Puis elle saute à nouveau de la table et se met à farfouiller sur le plan de travail.

"Y'a à manger ici? Parce que si je dois l'attendre dans une cuisine, faut que je mange."

L'estomac de la gamine vint émettre un grondement qui ponctua la réflexion, confirmant que si elle était venu chercher son père, c'était véritablement parce que les placards avaient été vidés. Charlie ne perd pas ses habitudes, elle annexe l'endroit par sa simple présence, comme si elle était déjà venue plus d'une fois auparavant. Ses pattes agiles se glissent sous les serviettes, les couvercles, en quête de ce qui pourrait ressembler à un met digne de remplir l'estomac sans fond d'une adolescente.
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Evroult
    Et il ferma la porte. Loin de lui l’idée malsaine de jouer au prédateur auprès d’une gamine même pas sortie de l’enfance, sans aucun doute encore hermétique aux choses du corps & de l’amour, mais il s’assurait ainsi que les humeurs instables d’une adolescente ne viendraient pas perturber le bon déroulé d’une soirée bien lancée. Rien de plus mauvais pour les affaires qu’un rejeton venant quérir ses géniteurs en pleine partie de jambes en l’air. Manquerait plus que les clients se souviennent des risques qu’apportaient leurs semences, & l’affaire s’écroulerait aussi vite qu’elle s’était vue prospérer.

    - Talemousses dans le panier, là, fit-il d’un doigt pointé dans la bonne direction, il reste de la porée blanche dans la marmite & peut-être un bout de lard, dans le fond.

    Tout en indiquant les points de restauration, il fit glisser une écuelle & une moitié de miche de pain sur la table, au nez de l’affamée, avant de se caler contre le chambranle menant à la salle de joie, bloquant l’accès à l’impertinente. Elle pouvait toujours s’échapper par la porte entrouverte menant sur la venelle – il faisait encore bon & les odeurs de cuisine méritaient qu’on aère souvent & longtemps – & Evroult ne l’en aurait pas empêché. Il s’assurait seulement que son petit scandale ne ferait pas plus de dégâts dans la salle principale.

    - Eh bien, Charlie… souffla-t-il en commençant à éplucher une poire. Il semblait avoir envie de lui grogner dessus, mais un rapide coup d’œil à la fine silhouette face à lui l’en dissuada. Le mien, de prénom, c’est Evroult.

    L’impétueux courtisan, si prompt à s’emballer pour un rien tant sa paranoïa, sa possessivité & son égo lui menaient la vie dure, était en effet incapable de s’énerver vraiment face à un enfant. Il suffisait de le mettre devant un nourrisson pour qu’il se fasse gaga, & élevé par ces familles nombreuses constituées des rejetons de toutes les ribaudes du quartier, il était le premier à tendre la main à un gamin en peine. Tous les morveux, en fait, étaient un peu de sa fratrie ; sauf, évidemment, ceux qui partageaient vraiment son sang.

    Celle-ci n’échappa – presque – pas à la règle. Elle lui sembla fragile parce que pas encore femme, dangereuse parce que plus vraiment fille, & cet impossible équilibre entre les deux, doublé de cette naïveté si franchement affirmée l’invita, au moins, à ne pas la foutre à la porte de suite. D’abord qu’elle mange, ensuite qu’elle parle.

    - Qui c’est, cet homme que tu cherches ? ton frère ? ton père ? ton… mari ?
    Ça lui paraissait franchement étrange, mais à voir la manière dont elle en avait parlé, il pouvait honnêtement lui poser la question. Et puis, après tout, ce n’était pas au bordel qu’on allait critiquer les mœurs des autres.
    - Tu es certaine qu’il est ici ? & puis, quand bien même. Il ne t’a pas appris à ne pas interrompre ses ébats ? non mais franchement, me faire une scène comme ça en plein dans la grande salle… vous êtes gonflée, demoiselle.

    Il se doutait bien qu’elle serait tout à fait imperméable à ce genre de traits d’esprit, mais ça lui arracha tout de même un rire bref alors qu’il avalait un bout de poire.

    - D’ailleurs, quand je dis « décharger », ma pucelle, ça veut dire se viderse lâcher… se faire de la ribaude pour décompresser, quoi.

    On allait tout de même pas demander à un catin de faire dans la dentelle, hein.

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Charlie
Talemousses...Charlie ne connaissait pas, mais la main aussitôt exécute et vient chercher le trésor convoité...qui sans attendre se voit croqué et engloutit en moins de temps qu'il ne faut pour le dire. Elle n'y connait rien en nourriture, elle avait failli mettre le feu à la boutique de sa mère le jour où elle avait tenté de se faire cuire une omelette, et son père pour toute cuisine se contentait de verser des écus auprès de ceux qui savaient mieux faire que lui. Mais peu importait le nom des choses après tout, il suffisait de savoir les reconnaitre à l'apparence, et de savoir qu'on pouvait sans risque les glisser dans l'estomac. Sagement et avec délicatesse, Charlie remplit l'écuelle qu'elle devine être pour elle avant de s'asseoir plus convenablement à table. La gamine commence à manger un bout de ci ou de ça, avec la retenue que sa mère lui a inculqué. Et puis avec les premières bouchées, la faim la rattrape, et elle finit par se jeter sur la nourriture à s'en rendre malade. Son corps en pleine croissance crie famine, lui intime de lui fournir l'énergie nécessaire à faire pousser os et muscles, sans parler d'un peu de gras pour lui donner quelques formes, ce qui ne serait pas du luxe. Elle a poussé d'un coup d'un seul la brindille, elle a pas eu le temps de s'étoffer. Momentanément, la petite brune en oublie l'objet de sa visite, ce père pervers qu'elle suit ordinairement en trottinant lorsqu'il fait encore jour dehors. L'instinct du corps prend le pas sur les inquiétudes affectives, et la nourriture à portée de main était devenue la seule priorité.

Une fois que les trois quarts de la nourriture accumulée furent avalés, le rythme se calma un peu et elle leva enfin les yeux vers celui qui était à ce moment précis son bienfaiteur. Charlie avait de grands yeux marrons assez quelconques au premier abord, mais l'éclat de pure innocence qui venait s'y loger, paradoxalement à sa façon de fixer sans pudeur, lui donnaient un regard particulier. Elle détailla à nouveau Evroult, comme gravant quelque part chaque détail de son visage, avant que les yeux ne se baissent vers les mains qu'elle observa éplucher le fruit. La petite brune était dévorée de curiosité, et chacun de ses gestes semblaient le hurler à la face du monde.
Alors la voix s'élève à nouveau, claire et assurée:


"C'est mon père. J'ai que lui."

La précision est bien vite apportée, comme pour s'excuser, ou au contraire se donner tous les droits. "Je lui pourris la vie, mais c'est pour lui rappeler que j'existe". Elle n'aime pas être seule. Elle déteste être seule même, surtout depuis la mort de sa mère. Elle est restée plusieurs semaines toute seule, comme un animal blessé, apeuré. L'expérience est digérée, presque, mais elle ne sait toujours plus dormir seule. Elle a prétexté avoir peur lors des orages, mais c'est le visage de sa mère morte dans le lit où elle dormait avec elle qui la hante. Elle n'en a jamais parlé. Charlie parle beaucoup, elle est expansive, mais elle parle peu d'elle. Peu des choses importantes.
Elle pioche à nouveau dans l'écuelle, grignote un peu, baisse le nez vers ses mains. La voix est moins assurée quand elle finit par répondre:


"Non, je suis pas sûre qu'il soit dans ce bordel-ci. Mais il les connait tous, alors il est forcément passé ici, quelqu'un va forcément le reconnaitre. J'ai rien d'autre à faire que l'attendre de toute façon.

Et finalement, elle redresse le nez.

"D'habitude je le laisse tranquille quand il sort. Mais en ce moment c'est différent. Il est triste. Ça fait trop longtemps. Je vais pas le laisser oublier la maison, il ira pas mieux en dormant ici plutôt qu'avec moi."

Elle y connait pas grand chose, mais elle a ses certitudes Charlie. Parce qu'il faut bien structurer son monde avec quelque chose, quelque chose d'autre que les jolis mensonges qu'on lui offre. Parce qu'elle sait que ce sont des mensonges, et qu'un jour elle ne pourra plus faire semblant d'y croire. Et ce jour là, elle aimerait bien que son père soit toujours à ses côtés pour l'aider à affronter le monde tel qu'il est vraiment.
Elle regarde l'homme rire, et ses yeux pétillants à elle l'observent encore tandis qu'elle sourit, amusée. Elle n'a pas une once de féminité, et pourtant déjà elle charme sans s'en rendre compte. Combien de fois n'a-t-elle pas fait remarquer à son père, surprise, qu'on lui offrait spontanément pâtisseries, informations, formations sans même qu'elle le demande?
Tandis qu'il explique, elle reprend bien vite les manières inculquées par son père.


"Je sais que les putes empêchent les gens de devenir des Isaure à chats. Des mal baisées. Et même si elles sont pas fréquentables, je préfère que mon père passe du temps avec elles, ou eux, plutôt qu'il devienne une Isaure. Il est insupportable quand il passe ses journées collé à sa Salope. Quand il vient ici, c'est différent. Mais moi je m'ennuie."

Et non, Charlie ne cause pas ainsi de sa toute nouvelle belle-mère, mais bien du chat que son père a baptisé de façon très poétique. Elle penche la tête de côté en regardant l'homme à la poire et demande de but en blanc.

"Ils vident quoi exactement avec la pute? Parce que si c'est de la pisse, c'est dégueu."

Guillaume lui avait déjà parlé de cette nouvelle théorie de la fécondation. Ça lui avait semblé assez étrange, mais là maintenant, avec ces termes là, soudain elle se demandait s'il n'avait pas raison.
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Evroult
    L’onyx ne perdit pas une miette du manège exagéré de la jeune criarde. Elle était affamée. L’évidence le frappait avec une force égale aux mâchoires féminines se refermant sur la pitance. Celle-ci ne devait pas avoir mangé à sa faim depuis deux jours, à vue de nez. Trois, peut-être. À cet âge, certes, l’appétit se déclarait pour un rien ; une telle violence alimentaire, pourtant, révélait un jeûne d’au-delà d’une journée. Caprice avait sa raison d’être & tout l’égoïsme d’Evroult ne suffit pas à empêcher un semblant d’affection de surgir entre deux énormes bouchées.

    - Mâche, que tu vas vomir des morceaux.

    La lame s’enfonça à travers le fruit juteux alors qu’il se laissait dévisager, lèvres insolentes s’étirant en coin sur la joue glabre de l’éphèbe. Loin de lui l’idée de la mettre mal à l’aise d’un sourire qu’il ne savait pas faire autre que mutin & sexué. Prévenant, Loupiot. Bienveillant, Chasseur. Déférent, catin.
    Sans pour autant connaître la présence paternelle, lui élevé parmi les louves & les clients au bourses trop pleines pour vouloir les remplir de marmots braillards & bâtards, il acquiesça d’un bref mouvement d’une lippe sucrée, comme s’il entendait derrière le « j’ai que lui » toute la solitude d’une enfance d’abandonnés.

    Et pourtant, elle était fraîche, Charlie. Elle était drôle, avec cette insolente innocence, cette insouciance incertaine & ce flot sauvage de mots sans filtre. Demi-poire posée à même le bois d’une table qui en avait vu d’autre, il sécha ses doigts poisseux sur un torchon traînant pour saisir un godet & un carafon de rouge épicé coupé d’eau. Fond versé fut pour lui, avant qu’il ne l’emplisse à ras-bord pour l’engeance misérable, d’un « bois » sans concession.
    Et alors qu’il renfournait un morceau de sa poire délaissée, sucre appelant le sucre, il tiqua en levant le sourcil au laïus lisréen. Isaure. Isaure Beaumont ? Isaure bigote ? Isaure, des Dônisaure ? une Isaure mal-baisée, il n’y en avait qu’une. Aristote lui-même n’aurait osé en laisser deux sur le royaume, n’est-ce pas ? d’angoisse soudaine il se sentit rougir, crisper les mâchoires & grogner un « hein ?! » bien loin de ses manières policées.

    Et là, alors qu’elle finissait & qu’il s’apprêtait à l’interroger ce qu’il fallait sur le prénom maudit, il écarquilla les yeux. Du moins, d’abord, il recracha la moitié de son bout de poire prémâché. Ensuite, il posa deux onyx élargis sur le minois de l’ingénue. Enfin, lorsqu’il s’aperçut du franc sérieux de la question, il éclata de rire.

    - Non mais… non mais… tu sors d’où ?!
    Il n’attendait pas de réponse, & enchaîna.
    - Ils se vident les bourses, ma mignonne. Ça sort par le même outil, mais c’est du stupre. Du stupre, tu vois ce que c’est ? non mais, tu sais comment on fait les « bébés » - il appuya ses mots de guillemets avec les doigts – tout de même ? non, non, attends, ne me dis rien. Je ne suis pas certain de vouloir savoir ce que tu peux me sortir.

    Deux doigts vinrent pincer l’arête du nez, alors que paupières closes un bref instant, il reprenait ses esprits.

    - Charlie, tu es dans un bordel. Un bordel, une maison close, de passes, un lupanar. On ne pisse pas, ici – enfin sauf si l’on a trop bu. On y baise. Baiser, tu sais ce que ça veut dire ? on vend du stupre, de la chair, du vice. On couche, on fornique, on fait la bête à deux dos. On fait l’amour sans sentiments. Tu vois ? oh, dis-moi que tu vois quand même !
    Ne me dis pas que tu as déjà tes menstrues, ou bien il y a toute une éducation à revoir… saint-foutre, il fout quoi, ton père ?


    Justement, il fout.

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