Charlie
Depuis qu'elle avait quitté la boutique de sa mère pour vivre avec son père qu'elle ne connaissait pas, Charlie avait beaucoup changé. Elle était devenue une gosse dont sa mère, essayant de l'éduquer avec le plus grand soin dans le respect des valeurs aristotéliciennes, n'aurait probablement pas été fière. Mais ça, elle n'en avait pas conscience la gamine, et elle le vivait donc très bien. Aux côtés de son père et des fréquentations de celui-ci, elle tournait plutôt mal, il fallait bien le dire. Mais rien n'était pire que de se retrouver orpheline, alors quand elle avait décidé de rejoindre son père, elle savait d'avance que peu importe comment il serait: elle allait tout accepter. Elle avait accepté qu'il ne soit pas la représentation douce et aimante du père dont elle aurait pu rêver. Elle avait accepté qu'il soit gay. Qu'il soit marié à un homme. Un homme qui la détestait au point de lui dire dès le premier jour qu'il aurait fallu qu'elle n'existe pas. Qu'il lui file des torgnoles derrière la tête quand elle mangeait la bouche pleine. Et qu'il lui fasse du chantage affectif pour qu'elle porte ses poulaines neuves et arrête de se couper les cheveux.
Mais ce jour-là, ce jour en particulier, Charlie avait décidé que c'était assez. Qu'il y avait une limite à ce qu'elle pouvait accepter de supporter. Parce que Charlie fonctionnait à l'affection, et que quand son père disparaissait, d'affection elle manquait. Alors elle avait arpenté les rues avec un air décidé, les mains enfoncées dans ses braies, rasant les murs pour ne pas se faire remarquer. Charlie était innocente, comme se plaisait à le dire sa tantine préférée, mais l'adolescente avait perdu un peu de cette naïveté le jour où un homme roux l'avait attrapée par le poignet et avait bien failli l'embarquer contre son gré. Depuis, la graine de la méfiance envers le sexe opposé avait germé. Elle avait beau ne rien connaître des choses de la vie, quelque part en elle elle avait bien compris ce qui lui serait arrivé si sa tante n'était pas arrivée au bon moment.
La presque-femme de treize ans était la représentation même du "mi-chemin". A mi-chemin elle était pour presque tout. A mi-chemin entre l'enfance et l'âge adulte. A mi-chemin entre l'innocence et la perversité. A mi-chemin d'avoir des seins. A mi-chemin entre le garçon et la fille. A mi-chemin entre adorable et insupportable. A mi-chemin entre vouloir comprendre ce qu'elle ignore, et s'en préserver pour rester dans le tendre cocon de l'enfance dans lequel sa tante et son cousin la berçaient. C'est comme si elle ne se décidait jamais vraiment, la gosse.
Mais l'adolescence venait bousculer tout ca, chambouler le jeu distribué. Les hormones venaient secouer l'enfant docile pour en faire l'ébauche de quelque chose de neuf, quelque chose qui n'était pas encore dessiné. Et tandis que jusqu'alors elle se bornait à ne pas décider, les décisions prises sur un coup de tête se mettaient désormais à se multiplier à vitesse exponentielle. Charlie s'enhardissait. Pour la première fois de sa vie, elle était sortie la nuit dans les rues à la recherche d'un bordel. Elle était pas bien fière d'elle, c'est vrai. On lui avait raconté toutes ces femmes qui y travaillaient, ces "femmes de mauvaise vie". Elle avait toujours soigneusement évité les bordels, tout en sachant pertinemment où ils se trouvaient. Parce qu'elle savait toujours tout, tout ce qu'elle ne désirait pas savoir, comme elle disait. On ne répondait jamais aux questions qu'elle posait, par contre, les gens racontaient ouvertement leur vie et leurs petits secrets honteux en face d'elle, probablement peu inquiets devant l'air innocent qu'elle affichait. Alors elle accumulait les petits informations et les dossiers.
Et l'emplacement des bordels.
En arrivant devant celui-ci, elle tenta d'éviter les ivrognes et autres racoleuses devant la façade. Etait-ce sa petite taille et son pas léger qui lui avaient permis d'être discrète? Ou bien seulement cette apparence d'enfant androgyne qui avait grandi trop vite qui avait poussé tout ce petit monde à ne pas l'aborder? Toujours est-il qu'elle avait réussi à pénétrer dans l'établissement sans encombre. Au moment où elle passait le seuil, un léger frisson lui parcourut l'échine: cette légère sensation grisante de faire quelque chose que vous n'êtes pas censé faire. Quelque chose de défendu. C'était nouveau pour elle, et elle trouva ça bien mieux que l'alcool que son père l'obligeait à boire parfois et qui lui faisait tourner la tête. Une sorte d'allégresse l'envahit tandis qu'elle se mordillait la lèvre inférieure. La tête basse, elle leva à peine les yeux, seulement d'un cran suffisant pour embrasser du regard les jambes des présents et le bas des meubles. Elle repéra alors un comptoir vers lequel elle se dirigea sans tarder.
Il était hors de question pour elle de regarder autour d'elle. Guillaume lui avait dit: les bordels c'est le mal, il n'y a plus de doudou dans le lit de celles qui mettent les pieds dans un bordel. Mais, elle pourrait toujours prétendre qu'elle n'en savait rien, puisqu'elle n'en avait rien vu? Devant le comptoir, elle redressa sa tête couverte d'une touffe de cheveux noirs de jais hirsutes lui encadrant le visage jusqu'aux épaules. Un visage aux traits fins se leva vers l'homme derrière le comptoir tandis qu'une voix légèrement tremblante mais décidée l'interpellait:
"TOI! Je cherche un homme. Il est plutôt grand. Il est blond. Et il a exactement la copie de ces yeux là."
De l'index, elle lui montra l'un de ses yeux noisettes avant de poursuivre.
"Il est probablement là depuis un moment. Et c'est un bon client. On le surnomme souvent Dédé. Et il préfère les hommes."
Charlie prend alors une grande inspiration, et se redresse de toute sa hauteur avec tout l'aplomb dont elle est capable. Et c'est presque la voix d'une femme qui s'éleva tandis qu'elle énonçait:
"Dis-lui que l'heure du dîner est passée depuis longtemps. J'ai faim. Y'a plus rien à manger. Il doit rentrer, j'en ai marre!"
Et elle croise alors les bras d'un air décidé et d'un bond leste s'installe sur un tabouret.
"Je pars pas d'ici avant qu'on me le ramène. Et si on me touche...je hurle à la mort!"
Oui aujourd'hui Charlie avait décidé de débusquer son père directement dans les lieux de débauche. Et elle espérait bien lui coller la honte, histoire qu'il ne lui prenne plus l'envie de la délaisser encore une fois.
Elle a finalement hérité du sale caractère des Lisreux.
_________________
Mais ce jour-là, ce jour en particulier, Charlie avait décidé que c'était assez. Qu'il y avait une limite à ce qu'elle pouvait accepter de supporter. Parce que Charlie fonctionnait à l'affection, et que quand son père disparaissait, d'affection elle manquait. Alors elle avait arpenté les rues avec un air décidé, les mains enfoncées dans ses braies, rasant les murs pour ne pas se faire remarquer. Charlie était innocente, comme se plaisait à le dire sa tantine préférée, mais l'adolescente avait perdu un peu de cette naïveté le jour où un homme roux l'avait attrapée par le poignet et avait bien failli l'embarquer contre son gré. Depuis, la graine de la méfiance envers le sexe opposé avait germé. Elle avait beau ne rien connaître des choses de la vie, quelque part en elle elle avait bien compris ce qui lui serait arrivé si sa tante n'était pas arrivée au bon moment.
La presque-femme de treize ans était la représentation même du "mi-chemin". A mi-chemin elle était pour presque tout. A mi-chemin entre l'enfance et l'âge adulte. A mi-chemin entre l'innocence et la perversité. A mi-chemin d'avoir des seins. A mi-chemin entre le garçon et la fille. A mi-chemin entre adorable et insupportable. A mi-chemin entre vouloir comprendre ce qu'elle ignore, et s'en préserver pour rester dans le tendre cocon de l'enfance dans lequel sa tante et son cousin la berçaient. C'est comme si elle ne se décidait jamais vraiment, la gosse.
Mais l'adolescence venait bousculer tout ca, chambouler le jeu distribué. Les hormones venaient secouer l'enfant docile pour en faire l'ébauche de quelque chose de neuf, quelque chose qui n'était pas encore dessiné. Et tandis que jusqu'alors elle se bornait à ne pas décider, les décisions prises sur un coup de tête se mettaient désormais à se multiplier à vitesse exponentielle. Charlie s'enhardissait. Pour la première fois de sa vie, elle était sortie la nuit dans les rues à la recherche d'un bordel. Elle était pas bien fière d'elle, c'est vrai. On lui avait raconté toutes ces femmes qui y travaillaient, ces "femmes de mauvaise vie". Elle avait toujours soigneusement évité les bordels, tout en sachant pertinemment où ils se trouvaient. Parce qu'elle savait toujours tout, tout ce qu'elle ne désirait pas savoir, comme elle disait. On ne répondait jamais aux questions qu'elle posait, par contre, les gens racontaient ouvertement leur vie et leurs petits secrets honteux en face d'elle, probablement peu inquiets devant l'air innocent qu'elle affichait. Alors elle accumulait les petits informations et les dossiers.
Et l'emplacement des bordels.
En arrivant devant celui-ci, elle tenta d'éviter les ivrognes et autres racoleuses devant la façade. Etait-ce sa petite taille et son pas léger qui lui avaient permis d'être discrète? Ou bien seulement cette apparence d'enfant androgyne qui avait grandi trop vite qui avait poussé tout ce petit monde à ne pas l'aborder? Toujours est-il qu'elle avait réussi à pénétrer dans l'établissement sans encombre. Au moment où elle passait le seuil, un léger frisson lui parcourut l'échine: cette légère sensation grisante de faire quelque chose que vous n'êtes pas censé faire. Quelque chose de défendu. C'était nouveau pour elle, et elle trouva ça bien mieux que l'alcool que son père l'obligeait à boire parfois et qui lui faisait tourner la tête. Une sorte d'allégresse l'envahit tandis qu'elle se mordillait la lèvre inférieure. La tête basse, elle leva à peine les yeux, seulement d'un cran suffisant pour embrasser du regard les jambes des présents et le bas des meubles. Elle repéra alors un comptoir vers lequel elle se dirigea sans tarder.
Il était hors de question pour elle de regarder autour d'elle. Guillaume lui avait dit: les bordels c'est le mal, il n'y a plus de doudou dans le lit de celles qui mettent les pieds dans un bordel. Mais, elle pourrait toujours prétendre qu'elle n'en savait rien, puisqu'elle n'en avait rien vu? Devant le comptoir, elle redressa sa tête couverte d'une touffe de cheveux noirs de jais hirsutes lui encadrant le visage jusqu'aux épaules. Un visage aux traits fins se leva vers l'homme derrière le comptoir tandis qu'une voix légèrement tremblante mais décidée l'interpellait:
"TOI! Je cherche un homme. Il est plutôt grand. Il est blond. Et il a exactement la copie de ces yeux là."
De l'index, elle lui montra l'un de ses yeux noisettes avant de poursuivre.
"Il est probablement là depuis un moment. Et c'est un bon client. On le surnomme souvent Dédé. Et il préfère les hommes."
Charlie prend alors une grande inspiration, et se redresse de toute sa hauteur avec tout l'aplomb dont elle est capable. Et c'est presque la voix d'une femme qui s'éleva tandis qu'elle énonçait:
"Dis-lui que l'heure du dîner est passée depuis longtemps. J'ai faim. Y'a plus rien à manger. Il doit rentrer, j'en ai marre!"
Et elle croise alors les bras d'un air décidé et d'un bond leste s'installe sur un tabouret.
"Je pars pas d'ici avant qu'on me le ramène. Et si on me touche...je hurle à la mort!"
Oui aujourd'hui Charlie avait décidé de débusquer son père directement dans les lieux de débauche. Et elle espérait bien lui coller la honte, histoire qu'il ne lui prenne plus l'envie de la délaisser encore une fois.
Elle a finalement hérité du sale caractère des Lisreux.
_________________